BGE 99 Ia 705 | |||
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81. Arrêt du 28 novembre 1973 dans la cause Granges et Valloton contre Commission de recours en matière fiscale du canton du Valais. | |
Regeste |
Kantonales Steuerrecht. Grundstückgewinnsteuer. Art. 4 BV. | |
Sachverhalt | |
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Le 14 mars 1969, Arlettaz avisait Granges et Valloton qu'il avait vendu sa part des immeubles, soit le tiers en copropriété, à des tiers, Remondeulaz, Carron et Varone, pour le prix de 55 fr. le m2, soit, la superficie totale des deux parcelles étant de 3099,33 m2, pour la somme totale de 170 463 fr. 15.
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Exerçant leur droit légal de préemption, Joseph Granges et André Valloton ont, par acte du 31 mars 1969, acquis aux mêmes conditions la part d'Arlettaz à parts égales entre eux, soit à raison d'une moitié pour chacun.
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Par acte du 13 juin 1969, ils ont vendu à Evariste Granges une part de copropriété de 9/120, à Laurent Valloton une part de 9/120 également et à Paul-Louis Rouiller une part de 4/120 des mêmes parcelles. Le prix de vente de chaque part a été fixé proportionnellement au prix payé à Arlettaz selon l'acte du 31 mars 1969, plus les frais d'acte. Le coût total de cette opération s'étant élevé à 174 213 fr., pour la copropriété du tiers, le prix a été fixé à 39 198 fr. pour Evariste Granges (9/120), à 39 198 fr. également pour Laurent Valloton (9/120) et à 17 421 fr. pour Rouiller (4/120), ce qui représente un total de 95 817 fr., soit 22/40 du prix payé à Arlettaz plus les frais d'acte, les parts de copropriété des acquéreurs représentant au total 22/120 de l'ensemble.
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B.- Le 27 novembre 1969, le Service cantonal des contributions du canton du Valais a notifié à "Joseph Granges et consorts" un bordereau d'impôt sur les gains immobiliers, fixant l'impôt dû à 10 211 fr. Ce bordereau est basé sur un prix d'achat reconstitué de 42 863 fr. plus des frais d'acte en 857 fr., soit sur un prix total de 43 720 fr., ce qui, par rapport au prix de vente de 95 817 fr., laisse un gain imposable de 52 097 fr. Le taux de l'impôt est fixé à 28%, mais une réduction de 30% pour durée de possession de 5-6 ans est apportée au montant ainsi obtenu.
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C.- Joseph Granges et André Valloton ont formé contre ce bordereau une réclamation, qui a été rejetée par l'administration le 14 août 1970. Ils ont soumis le litige à la Commission cantonale de recours en matière fiscale, qui, par décision du 15 décembre 1972, a écarté le recours.
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D.- Agissant par le moyen du recours de droit public, Joseph Granges et André Valloton concluent à l'annulation de cette décision.
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E.- La Commission cantonale de recours et le Service cantonal des contributions concluent au rejet du recours.
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Considérant en droit: | |
1. La loi valaisanne des finances du 6 février 1960 (ci-après: la loi des finances) réglemente dans ses art. 145 à 149 la perception de l'impôt sur les gains immobiliers. Selon l'art. 145, cet impôt a pour objet le bénéfice net provenant de l'aliénation d'immeubles ou d'une partie de ceux-ci. Selon l'art. 147, "le gain immobilier est constitué par la différence entre le produit de l'aliénation et le prix d'acquisition augmenté des impenses qui n'ont pas déjà été portées en déduction des revenus annuels de l'immeuble". L'art. 148 fixe le taux de l'impôt (ce taux étant de 28% pour les gains de 50 001 à 60 000 fr.) et la réduction apportée à ces taux selon la durée de possession de l'immeuble (le taux étant réduit de 30% pour une durée de 5 à 6 ans).
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L'impôt sur les gains immobiliers fait d'autre part l'objet des art. 29 à 32 du règlement d'application de la loi des finances, du 14 octobre 1960 (ci-après: le règlement d'application). Selon l'art. 29 de ce règlement, le bénéfice global par aliénation constitue l'objet de l'impôt, quels que soient la forme sous laquelle s'exerçait la possession du ou des immeubles aliénés et le nombre de bénéficiaires. S'il y en a plusieurs, ceux-ci sont solidairement responsables entre eux du paiement de l'impôt. Selon l'art. 31, lorsque la durée de possession de parcelles cédées au cours d'une même aliénation varie d'une parcelle à l'autre, l'on détermine le nombre moyen d'années de possession de toutes les parcelles en tenant compte pour chacune d'elles de sa valeur et du nombre d'années de possession. Ces prescriptions valent aussi pour la copropriété.
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a) La Commission cantonale de recours se fonde sur le fait que les recourants ont procédé à deux opérations successives. Tout d'abord, ils ont acquis le tiers en copropriété, puis ils ont vendu des parts de copropriété, à raison de 22/120, aux trois acquéreurs. Il s'agit de deux transferts de propriété indépendants l'un de l'autre. La Commission relève dans sa réponse au recours que les recourants n'ont pas revendu au même prix le tiers acheté ni une partie de ce tiers. Cette partie n'a pas été détachée de l'ancienne, puisque les acheteurs sont devenus pour leur part copropriétaires de l'ensemble avec J. Granges et A. Valloton. Il est, d'après la Commission, faux de prétendre que la vente a été faite au "prix coûtant". Le prix a été fixé sur la base du prix du jour, c'est-à-dire en tenant compte du prix qui était payé au moment de cette transaction. Mais pour déterminer le prix de revient, il faut tenir compte des deux achats, c'est-à-dire du prix de revient de l'ensemble, dont une partie avait été achetée par les vendeurs en 1961 et l'autre en 1969. D'après elle, il ne s'agit pas d'un bénéfice fictif, mais bien d'un bénéfice correspondant actuellement à la réalité. Le problème pourra peut-être se poser autrement lors d'une éventuelle vente de la totalité, mais ce problème n'est pas en question actuellement.
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b) Les recourants, quant à eux, soutiennent que la décision attaquée est arbitraire, parce qu'elle impose un gain fictif, qui est inexistant au point de vue économique. Ils n'ont rien gagné dans l'opération et se verraient imposer sur un prétendu bénéfice, alors qu'ils ne se sont nullement enrichis. Ils ont retransféré des parts de propriété au prix auquel ils les avaient payées et l'opération faite par eux est une "opération blanche". La décision a ainsi interprété d'une manière insoutenable l'art. 145 de la loi des finances.
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c) En achetant la copropriété du tiers qui appartenait auparavant à Arlettaz, les recourants sont devenus seuls propriétaires des parcelles en copropriété, pour la moitié chacun. Conformément à l'art. 646 CC, la chose n'a pas été matériellement divisée; chacun des copropriétaires en a la propriété pour sa quote-part, qui est une quote-part purement idéale; il s'agit d'un condominium pro indiviso, qui ne se traduit pas par une division en nature (cf. MEIER-HAYOZ, Sachenrecht, n. 2 ss. ad art. 646). Ainsi, la quote-part d'Arlettaz s'est fondue dans l'ensemble et n'existe plus comme telle. Lorsque les deux copropriétaires ont procédé à la vente de quotes-parts représentant 22/120 du tout, ils n'ont pas mis juridiquement en vente une partie de la quote-part d'Arlettaz, mais des quotes-parts de l'ensemble.
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L'art. 31 du règlement d'application précise d'une part que, lorsque la durée de possession de parcelles cédées au cours d'une même aliénation varie d'une parcelle à l'autre, le nombre moyen d'années de possession est déterminé en tenant compte de la valeur et du nombre d'années de possession de chacune d'elles, et il spécifie d'autre part que le même principe s'applique à la copropriété. C'est sur la base de cette disposition réglementaire, dont la constitutionnalité ni la légalité ne sont discutées, que l'administration fiscale, puis la Commission cantonale de recours ont fixé le montant de l'impôt. Certes, les recourants n'ont pas encaissé une somme supérieure à celle qu'ils ont déboursée, mais le fait qu'ils ont payé 170 000 fr. environ pour une quote-part du tiers, alors qu'en 1961 le prix total des deux parcelles n'était que de 95 000 fr., permet de présumer que leur terrain a subi une importante plus-value. En tenant compte du prix moyen d'acquisition de leurs parts, ils ont vendu les quotesparts de 22/120 à un prix supérieur à ce prix moyen. Si, par la suite, les copropriétaires décident de vendre leurs parcelles dans leur intégralité, l'impôt éventuel sur les gains immobiliers sera calculé compte tenu de l'aliénation effectuée en 1972 et de l'impôt déjà payé à ce titre.
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Du point de vue juridique, l'argumentation de la Commission de recours apparaît ainsi inattaquable.
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b) Ainsi que le relève le Service cantonal des contributions, l'impôt sur les gains immobiliers est un impôt de caractère réel (Objektsteuer) qui frappe une transaction. La personne du ou des bénéficiaires et les motifs pour lesquels l'opération a été effectuée ne jouent en principe pas de rôle pour l'assujettissement à un tel impôt (cf. BLUMENSTEIN, System des Steuerrechts, 2e éd., p. 100; H. GUHL, Die Spezialbesteuerung der Grundstückgewinne in der Schweiz, thèse Zurich 1953, p. 68 et 270/271; STOFFEL, Die Liegenschaftsgewinnsteuer im Kanton Wallis, thèse Fribourg 1971, p. 31). Le fisc n'a normalement pas à se préoccuper des circonstances spéciales du cas lorsque les conditions légales du prélèvement de l'impôt se trouvent remplies. Les exceptions à l'assujettissement ne résultent que de dispositions spéciales de la loi, ce qui n'est pas le cas en l'espèce (cf. ROCHAT, L'imposition de la plus-value immobilière en Suisse, thèse Lausanne 1953, p. 64).
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c) La jurisprudence a admis d'une manière constante que la forme juridique des relations d'où provient la matière imposable n'est pas nécessairement décisive du point de vue fiscal et que, sous certaines conditions, l'autorité peut se fonder au contraire sur la réalité économique (RO 96 I 118, 93 I 691). C'est notamment le cas lorsque la forme juridique adoptée ne répond pas aux circonstances de fait et que l'essence d'un rapport juridique diffère de la forme extérieure qui a été adoptée (RO 46 I 184), de telle sorte qu'il ne se justifierait pas pour le fisc de se référer uniquement à cette forme extérieure. C'est là une faculté qui a été reconnue au fisc dans des cas où l'imposition selon la forme juridique extérieure permettrait au contribuable de ne pas payer le montant de l'impôt qu'il eût été appelé à payer s'il avait choisi une forme juridique plus conforme à la réalité économique (cf. arrêt S.I. Les Alpes du 21 juin 1972).
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A l'inverse, l'opinion dominante admet que lorsque le contenu économique d'un acte ne correspond pas à sa forme extérieure, le contribuable ne doit pas se voir appliquer la loi fiscale sur la base de cette forme extérieure, s'il a été obligé de choisir cette forme juridique pour des raisons spéciales, indépendantes de ses intérêts fiscaux (BLUMENSTEIN, op.cit., p. 22; Gegenseitige Beziehungen zwischen Zivilrecht und Steuerrecht, ZSR 1933, p. 253 a; Die Auslegung der Steuergesetze in der schweizerischen Rechtsprechung, Archives, t. 8 p. 191; PLATTNER, Grundsätzliche Gesichtpunkte für die Fortentwicklung des Steuerrechts, ZSR 1945, p. 116 a; GIACOMETTI, Allgemeine Lehren, p. 129; STORCK, Auslegungsprobleme im Steuerrecht, p. 53; HOFSTETTER, Die wirtschaftliche Betrachtungsweise bei den eidgenössischen Stempelabgaben, thèse Zurich 1952, p. 57; MEIER-HAYOZ, Einleitung, n. 55 ad art. 1er, Sachenrecht, n. 6 c ad art. 656; contra: STUDER, Grundsätzliche Aspekte der sog. wirtschaftlichen Betrachtungsweise, Archives, t. 29, p. 44).
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Le Tribunal fédéral, de son côté, a statué qu'"un droit du contribuable d'invoquer la réalité économique ne pourrait se concevoir que dans l'hypothèse où le fisc, après avoir fait abstraction de l'existence juridique d'une personne morale et refusé de considérer celle-ci comme un sujet fiscal distinct, ne tirerait pas, dans le cadre de la même imposition, les conséquences logiques de cette attitude" (arrêt du 28 juin 1946, Archives, t. 15, p. 234), hypothèse qui n'est pas réalisée en l'espèce. Mais il admet aussi qu'il peut y avoir des cas exceptionnels où l'application du seul critère de la forme juridique sans égard à la réalité économique entraîne un résultat absolument insoutenable. C'est ainsi que le Tribunal fédéral a statué que le fisc ne pouvait sans arbitraire se baser sur le texte des statuts d'une société coopérative pour déterminer le montant des frais de production, alors que le texte de ces statuts n'avait pas été choisi librement par la société, mais résultait d'obligations de droit public (RO 45 I 23 ss.; cf. aussi RO 53 I 193/4).
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d) Il n'est pas nécessaire en l'espèce de décider si une pratique s'écartant de l'opinion dominante exposée cl-dessus serait arbitraire, car on ne saurait affirmer que les recourants ont été contraints de procéder comme ils l'ont fait. Sans doute ont-ils été placés par le comportement d'Arlettaz devant une alternative: exercer leur droit de préemption légal ou y renoncer et se trouver en copropriété avec des tiers n'ayant pas leur agrément. Mais ils en avaient assumé le risque en acquérant les parcelles en copropriété. Ils ne sauraient prétendre avoir les avantages de ce régime, et en particulier le droit de préemption légal, sans les inconvénients. Et s'il eût sans doute été avantageux pour eux de procéder en un seul temps, Evariste Granges, Laurent Valloton et Paul-Louis Rouiller acquérant leur part directement d'Arlettaz, ils n'avaient aucun droit d'exiger de ce dernier qu'il agît ainsi. C'est donc en raison des particularités de la situation juridique dans laquelle ils s'étaient eux-mêmes placés, et non pas pour des motifs étrangers à leur volonté, qu'ils ont dû procéder comme ils l'ont fait.
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Au reste, si, en elle-même, la double opération à laquelle les recourants ont procédé ne les a pas enrichis, elle a révélé une plus-value qu'ils ne songent pas à contester. Or il n'est pas arbitraire en soi de frapper d'un impôt une plus-value immobilière (RO 89 I 364). Sans doute la loi cantonale ne prévoit-elle pas l'impôt sur la plus-value comme tel. Mais le cas des recourants n'est pas le seul où un impôt ayant ce caractère est dû de par la loi. Ainsi, l'échange est considéré comme aliénation (art. 145 al. 2 de la loi des finances) et chacun des copermutants est imposé séparément pour le gain réalisé sur la parcelle qu'il a échangée avec l'autre, le prix de vente ou produit de l'aliénation étant déterminé par estimation (art. 30 du règlement d'application). En cas d'échange de parcelles de valeurs égales, les copermutants sont ainsi imposés, quand bien même ils ne réalisent pas un bénéfice (cf. STOFFEL, op.cit., p. 56 ss.). De même, le transfert de la fortune privée dans la fortune commerciale est imposé (art. 145 al. 2 de la loi), bien qu'il ne constitue pas une aliénation et ne procure pas de bénéfice. Enfin, si les recourants avaient commencé par céder une partie de leur propre part aux nouveaux copropriétaires et n'avaient acquis qu'ensuite la part d'Arlettaz, ils se trouveraient dans la même situation économique qu'aujourd'hui et n'auraient aucun motif de contester l'imposition du bénéfice réalisé sur la première opération.
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L'imposition d'une plus-value n'étant pas en soi contraire à la constitution fédérale et n'étant pas non plus insoutenable au regard du système de la loi cantonale, le recours doit être rejeté.
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e) On peut relever enfin que le mode de procéder proposé par les recourants entraînerait des difficultés d'application considérables. En cas de nouvelles cessions de parts de copropriété, il faudrait chaque fois déterminer la provenance de la part cédée, et on ne voit pas sur quelle base on le ferait. Le mode de procéder du fisc cantonal, juridiquement inattaquable, est aussi, du point de vue économique, le plus logique et le plus propre à assurer l'égalité de traitement entre contribuables.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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