BGE 112 Ia 344 | |||
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54. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 24 septembre 1986 dans la cause D. contre A., B. et C. (recours de droit public) | |
Regeste |
Art. 40 Abs. 4, Konkordat über die Schiedsgerichtsbarkeit, Ablehnung von Schiedsrichtern bei Aufhebung eines Teilschiedsspruchs. | |
Sachverhalt | |
Dans le cadre d'une procédure arbitrale confiée à un tribunal arbitral composé de trois membres, la société D., demanderesse, s'est opposée à la participation à la procédure de l'organisation B., aux côtés des défenderesses A. et C. Le 8 juin 1982, une décision signée par le président du tribunal arbitral, pour ce tribunal, a prononcé que l'organisation B. n'était plus considérée comme partie au procès. Le 12 octobre 1984, la Cour de justice du canton de Genève a annulé cette sentence et renvoyé la cause au tribunal arbitral pour qu'il statue à nouveau, en considérant qu'il s'agissait d'une sentence partielle, non motivée ni signée par les trois arbitres.
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Se fondant sur l'art. 40 al. 4 du Concordat intercantonal sur l'arbitrage (CIA), les défenderesses A., B. et C. ont demandé aux arbitres de se démettre, vu qu'ils avaient participé à la procédure ayant abouti à la décision du 8 juin 1982, annulée par la Cour de justice. D. s'étant opposée à cette demande, elles ont saisi l'autorité judiciaire de trois requêtes de récusation d'arbitres.
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Statuant le 6 février 1986 à la suite d'un arrêt du Tribunal fédéral du 10 septembre 1985 (ATF 111 Ia 255), la Cour de justice du canton de Genève a admis ces requêtes et prononcé la récusation des arbitres nommés le 29 octobre 1980.
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D. forme un recours de droit public contre cet arrêt. Invoquant la violation des art. 40 al. 4 et 32 CIA, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et à ce qu'il soit constaté que les arbitres sont toujours valablement constitués.
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Le Tribunal fédéral admet le recours et annule l'arrêt attaqué.
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Extrait des considérants: | |
3. L'autorité cantonale a examiné si le motif de récusation fondé sur la participation des arbitres à la procédure antérieure, selon l'art. 40 al. 4 CIA, pouvait être retenu. Après une analyse historique et systématique de cette disposition, elle aboutit à la conclusion que celle-ci ne doit pas être réservée aux conséquences de la nullité de la sentence finale, mais qu'elle s'applique aussi en cas de nullité d'une sentence partielle, par quoi il faut entendre celle qui liquide un point de fait ou de droit et en tire les conclusions quant à la prétention litigieuse, à l'exclusion de l'ordonnance de procédure relative au déroulement du procès arbitral. Admettant ce motif de récusation, la Cour de justice s'est dispensée d'examiner si les autres causes de récusation invoquées par les intimées, sur la base de l'art. 18 CIA, étaient réalisées.
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a) L'art. 40 al. 4 CIA dispose que "lorsque la sentence est annulée, les arbitres statuent à nouveau, à moins qu'ils ne soient récusés pour le motif qu'ils ont participé à la procédure antérieure, ou pour un autre motif".
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L'examen des travaux préparatoires de cette disposition, selon l'exposé qu'en fait l'arrêt attaqué, révèle que le premier avant-projet de concordat, de novembre 1960, prévoyait que l'annulation de la sentence rendait le contrat d'arbitrage caduc et mettait les frais de la procédure à la charge des arbitres. Le 30 septembre 1965, la commission romande chargée de préparer un projet de concordat décidait de maintenir le principe de la caducité de la convention d'arbitrage si les arbitres étaient désignés nommément; sinon les parties étaient renvoyées à en désigner de nouveaux, tout arbitre ayant participé à la procédure qui a abouti à la sentence annulée étant récusable de ce chef s'il était appelé ultérieurement à connaître à nouveau de la contestation. Lors d'une séance du 3 mai 1967 de la commission ad hoc de la Conférence des directeurs cantonaux, le président s'est demandé si cet alinéa n'allait pas très loin dans le sens d'une restriction de l'autonomie des parties et s'il était nécessaire de prévoir la possibilité de récuser un tel arbitre; le juge André Panchaud lui a répondu que cette disposition avait été prévue parce que d'ordinaire la confiance fait alors défaut. En février 1969, l'Association suisse des banquiers, le Vorort et la Commission suisse d'arbitrage, dans leur mémoire sur le projet, évoquant le cas d'annulation partielle où il suffit de rectifier la sentence, ont suggéré de biffer cette disposition et proposé que la convention d'arbitrage fût examinée de cas en cas pour savoir si elle est devenue caduque ou non. Examinant ce mémoire et d'autres documents, la commission ad hoc, le 5 mars 1969, a admis la proposition suivante d'André Panchaud: "il est possible de désigner à nouveau chaque arbitre; chaque arbitre est récusable, et non pas récusé d'office). Cependant la rédaction pourrait en être améliorée et l'on pourrait dire: 'Lorsque la sentence est annulée, les arbitres statuent à nouveau, à moins qu'ils ne soient récusés pour le motif qu'ils ont participé à la procédure antérieure ou pour un autre motif'." C'est ainsi qu'est né le texte de l'art. 40 al. 4 CIA.
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Cette évolution fait clairement ressortir, comme le relève la cour cantonale, que le législateur, qui était parti de l'idée que l'annulation de la sentence entraînait l'invalidité de la clause arbitrale, a fini par admettre que cette annulation demeurait sans effet sur ladite clause, sous réserve cependant de la faculté des parties de récuser les arbitres pour le seul motif qu'ils avaient participé à la sentence annulée, ou pour tout autre motif. Mais les auteurs du concordat n'ont manifestement eu en vue, lorsqu'ils ont introduit l'art. 40 al. 4 CIA, que la sentence qui met fin au litige. En effet, tout le processus d'élaboration de cette disposition montre qu'on est parti de l'idée initiale de la caducité du contrat d'arbitrage à la suite de l'annulation de la sentence; or cette idée de caducité du contrat d'arbitrage n'est compatible qu'avec une sentence rendue par les arbitres après achèvement de l'entier de leur mission; elle est étrangère à la notion de sentence partielle, qui suppose par définition que le travail des arbitres n'est pas terminé.
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b) L'opinion de la doctrine rejoint l'interprétation historique. En effet, les auteurs ne parlent pas de la sentence partielle et, implicitement ou expressément, ils considèrent que l'art. 40 al. 4 CIA ne s'applique qu'à l'annulation d'une sentence qui a mis fin au litige et à la procédure arbitrale. Ainsi JOLIDON (Commentaire du concordat suisse sur l'arbitrage, p. 538) parle de la récusation après (re)constitution du tribunal arbitral, ce qui suppose une dissolution qui n'existe pas en cas de sentence partielle. CAPREZ (Le concordat sur l'arbitrage, in RSJ 72/1976, p. 236) évoque la possibilité pour les parties de passer un nouveau compromis, ce qui n'est pas non plus compatible avec la sentence partielle. WALDER-BOHNER (Das schweizerische Konkordat über die Schiedsgerichtsbarkeit, p. 30) suppose que la disposition s'inspire des lois de certains cantons où, après cassation d'un jugement rendu par un tribunal étatique, la cause est renvoyée à un autre tribunal, solution qui ne semble pas être appliquée en cas de sentence partielle. RÜEDE/HADENFELDT (Schweizerisches Schiedsgerichtsrecht, p. 359) indiquent expressément que la sentence annulée visée à l'art. 40 al. 4 CIA est celle qui a mis fin à la procédure arbitrale.
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c) Cette interprétation, selon laquelle le motif spécifique de récusation prévu par l'art. 40 al. 4 CIA ne s'applique qu'en cas d'annulation d'une sentence finale statuant sur le fond du litige et mettant fin à la procédure arbitrale, est également conforme au texte de la disposition et à la systématique du concordat. En liant la récusation au fait d'avoir participé à la "procédure antérieure", et non pas au fait d'avoir rendu la sentence annulée, la disposition en cause paraît bien se référer à une procédure arbitrale qui a pris fin, qui a cessé d'exister. Elle règle la situation en permettant aux arbitres de statuer à nouveau, ce qui ne serait pas nécessaire dans le cas d'une sentence partielle qui n'a pas mis fin à la procédure arbitrale et, partant, à la vocation des arbitres.
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Le professeur François Perret s'exprime dans ce sens dans une consultation donnée à la recourante le 19 décembre 1984. Il relève qu'un système légal mettant fin à la mission des arbitres après la notification de la sentence finale, même si celle-ci est annulée par l'autorité judiciaire, aurait été concevable. Mais ce n'est pas la solution du concordat, puisque l'art. 40 al. 4 prévoit le renvoi de la cause aux arbitres pour nouvelle décision. Le professeur Perret admet néanmoins, avec JOLIDON (op.cit., ad art. 4 p. 144), que le mandat donné aux arbitres prend fin avec la sentence notifiée, ce qui implique que si la cause leur est renvoyée après l'annulation de la sentence, toute nouvelle activité nécessite de leur part l'acceptation d'une mission complémentaire; de leur côté, les parties peuvent s'opposer à ce que les mêmes arbitres statuent à nouveau après avoir rendu une sentence définitive impliquant leur désaisissement. Le professeur Perret conclut que "l'art. 40 al. 4 CIA ne peut donc viser qu'une sentence finale sur le fond car seule une décision de cette nature peut mettre fin 'à la procédure antérieure'".
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d) Pour juger que l'art. 40 al. 4 CIA s'applique aussi en cas de nullité d'une sentence partielle, la cour cantonale se fonde sur un avis exprimé par ANDRÉ PANCHAUD (La sentence arbitrale partielle, in Essais in Memoriam Eugenio Minoli, Turin 1974, p. 385 ss), selon lequel on peut se demander si une sentence partielle qui donne tort sur un point à l'un des plaideurs ne va pas être ressentie par lui comme une atteinte à son légitime espoir quant au succès de sa cause et, par là, comme une perte de confiance dans les arbitres pour la sentence finale à venir. La cour cantonale considère que PANCHAUD reprend ainsi l'argument qu'il avait évoqué dans les travaux préparatoires du concordat, à savoir que la récusation a été prévue "parce que d'ordinaire la confiance fait alors défaut". Elle en conclut que PANCHAUD était d'avis que l'art. 40 al. 4 CIA s'applique aussi en cas de nullité d'une sentence partielle, et déclare suivre cet avis.
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Contrairement à ce que pense la cour cantonale, le point de vue qu'elle adopte sur ce point ne correspond pas à un avis réellement exprimé par PANCHAUD. Dans son article sur la sentence arbitrale partielle, cet auteur parle de perte de confiance liée au seul prononcé de la sentence, et non pas à l'annulation de cette sentence, ce qui est très différent de la situation visée par l'art. 40 al. 4 CIA. Il ne fait aucune allusion à cette disposition. Or toute la fin de son article où figure la remarque invoquée par la cour cantonale est consacrée aux inconvénients de la sentence partielle: allongement de la procédure, prises de position pouvant difficilement être revues, perte éventuelle de confiance pour l'avenir. Il n'est pas question dans ces observations de ce qui constituerait un obstacle beaucoup plus sérieux, à savoir la récusation possible des arbitres après chaque sentence partielle. On peut ainsi en conclure, à l'inverse de ce qu'a fait la cour cantonale, que PANCHAUD n'a jamais lié l'art. 40 al. 4 CIA à la sentence partielle. Au demeurant, l'argument tiré de la perte de confiance liée au seul prononcé de la sentence ne saurait être déterminant car les parties sont nécessairement conscientes du fait que le juge confronté à deux thèses opposées devra bien trancher en défaveur de l'une d'elles.
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e) La sentence du 8 juin 1982, annulée le 12 octobre 1984, qui avait prononcé que B. n'était plus considérée comme partie au procès, n'a nullement mis fin à la procédure arbitrale. Elle se rapproche plutôt des décisions de procédure pour lesquelles la cour cantonale exclut l'application de l'art. 40 al. 4 CIA. L'annulation de cette sentence ne permet ni à B., ni à d'autres parties de récuser les arbitres pour le seul motif qu'ils ont participé à la sentence annulée. L'arrêt attaqué doit ainsi être annulé.
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On relèvera encore que cette interprétation de l'art. 40 al. 4 CIA s'impose non seulement du point de vue historique et systématique, mais qu'elle est aussi conforme au bon sens et à l'un des buts essentiels de l'arbitrage, qui est de permettre un règlement rapide des litiges (ATF 110 Ia 130 consid. 5d, ATF 109 Ia 83 consid. 2a, ATF 108 Ia 201). Comme l'illustre la présente affaire, l'exploitation systématique des moyens offerts par le concordat permet déjà suffisamment aux parties de retarder, à l'encontre de ce but, le déroulement normal de la procédure arbitrale pour qu'il soit inopportun d'introduire des obstacles supplémentaires, par une interprétation extensive de la loi.
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