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36. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 24 mars 1993 dans la cause Etat de Fribourg contre Hoirs B. et Commission fédérale d'estimation du 2e arrondissement (recours de droit administratif) | |
Regeste |
Enteignung von Nachbarrechten und eidgenössische Umweltschutzgesetzgebung; Art. 5 EntG; Art. 679 ff. ZGB. |
2. Wird der Landerwerb für den Nationalstrassenbau auf dem Wege der Landumlegung vorgenommen, kann die zuständige Behörde zur Regelung von Problemen, die im Güterzusammenlegungsverfahren nicht gelöst werden können, zusätzlich ein Enteignungsverfahren eröffnen lassen (E. 2). |
3. Verliert der Grundeigentümer durch die Güterzusammenlegung Land, das einen "Schutzschild" für sein Wohnhaus bildete, so kann er grundsätzlich für den daraus entstehenden Schaden eine Enteignungsentschädigung verlangen (E. 4a). |
4. In der Rechtsprechung aufgestellte Grundsätze über die Enteignung von Nachbarrechten (E. 4b): |
- Voraussetzung der Nichtvorhersehbarkeit (E. 5a). |
- Voraussetzung der Spezialität (E. 5b); Zusammenfassung der bundesgerichtlichen Rechtsprechung über die anwendbaren Lärm-Messmethoden und die Lärm-Grenzwerte (E. 5b/aa). In der heutigen eidgenössischen Umweltschutzgesetzgebung wird die Methode zur Ermittlung des Lärmpegels umschrieben und werden Immissionsgrenzwerte festgelegt; diese müssen für den Strassenverkehrslärm als Schwelle gelten, bei deren Überschreitung die Voraussetzung der Spezialität zu bejahen ist (E. 5b/bb - ff). |
- Voraussetzung der Schwere (E. 5c). |
5. Die Enteignungsentschädigung ist grundsätzlich in Geld zu entrichten. Unter bestimmten Umständen ist jedoch auch eine Sachleistung möglich (E. 6a), so in Form von Schallschutzmassnahmen an bestehenden Gebäuden (E. 6b). |
Das Bundesgesetz über den Umweltschutz und das Enteignungsgesetz verfolgen unterschiedliche Zwecke, schützen aber in gewisser Hinsicht die gleichen Rechtsgüter (E. 6c/aa - bb). Der Enteignungsrichter ist gehalten, eine Sachleistung anzuordnen, wenn durch eine solche Massnahme die vom Enteigneten erlittenen Nachteile ganz oder teilweise behoben und gleichzeitig die Personen, die in einem den Immissionen ausgesetzten Gebäude wohnen, wirksam in ihrem Wohlbefinden beschützt werden können (E. 6c/cc). | |
Sachverhalt | |
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De son côté, le syndicat de remaniement parcellaire a élaboré un nouvel état de propriété, qu'il a mis à l'enquête en mai 1977. Cinq parcelles étaient attribuées à Léon B., trois au nord de la route nationale et deux au sud, dont la parcelle de la ferme; ces terrains représentent une surface totale de 111'383 m2 et aucune soulte n'a été prévue, les attributions de Léon B. dans le nouvel état correspondant à ses prétentions. Le syndicat a aussi aménagé un nouveau chemin de desserte le long des terrains de Léon B. ainsi qu'un passage sous la route nationale; en outre, il a procédé à la correction d'un ruisseau s'écoulant à proximité. Par ailleurs, dans une convention conclue le 28 janvier 1976 avec Léon B., l'Etat de Fribourg s'est engagé à déplacer un rideau d'arbres protecteur existant à l'est de la ferme, pour permettre l'aménagement du nouveau chemin de desserte, et il a donné acte au propriétaire que la "question des émissions excessives qui risquent de toucher [sa] ferme demeur[ait] réservée". Les opérations du remaniement parcellaire ont été achevées en 1989. Quant à la route nationale N 12, elle avait été ouverte au trafic le 23 novembre 1981.
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A la suite du décès de Léon B., ses héritiers (les hoirs B.) sont devenus propriétaires en commun du domaine de la Gissetta, en particulier de la ferme (la mutation a été inscrite au registre foncier le 21 mai 1985). Le domaine est au demeurant affermé à S. et il est exploité par le fils de ce dernier, qui habite la ferme avec son épouse et ses deux enfants. Le logement comporte six pièces et il occupe la partie est du bâtiment.
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Les hoirs B. se sont adressés au Bureau des autoroutes du canton de Fribourg au sujet des nuisances provoquées par la nouvelle route nationale à l'endroit de la ferme de la Gissetta. Cette autorité cantonale, qui a établi un rapport sur la base de mesures de niveaux sonores qu'elle avait effectuées le 9 juillet 1984, et qui avait aussi chargé en 1978 un expert en géotechnique de déterminer les effets sur ce bâtiment de la construction de la route nationale, a proposé d'estimer la moins-value subie par la ferme à 30% de sa valeur, ce qui correspondait à une indemnité de 66'000 francs. Les hoirs B. n'ont pas accepté cette proposition, évoquant une prétention de leur part en déplacement de la ferme. En conséquence, le Conseil d'Etat du canton de Fribourg a décidé, par arrêté du 18 juin 1985, d'ouvrir une procédure d'expropriation contre les hoirs B., pour fixer l'indemnité due en raison des nuisances de la route nationale. Devant la Commission ![]() | 4 |
A l'audience de la Commission fédérale d'estimation du 2 septembre 1988, l'Etat de Fribourg a modifié ses conclusions et, en se référant à l'entrée en vigueur, le 1er avril 1987, de l'ordonnance sur la protection contre le bruit (OPB; RS 814.41), il a fait valoir que, si la Commission fédérale d'estimation admettait sa compétence en l'espèce, il lui incomberait d'ordonner l'isolation acoustique du bâtiment litigieux aux frais de l'expropriant (art. 15 OPB). Statuant le 25 novembre 1988, la Commission fédérale d'estimation a alloué aux hoirs B. une indemnité de 250'000 francs, à payer par l'expropriant, "pour la dépréciation de la ferme "La Gissetta" et les inconvénients résultant de la construction de la RN 12", indemnité portant intérêts dès le 23 novembre 1981.
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L'Etat de Fribourg a formé un recours de droit administratif contre cette décision. Le Tribunal fédéral, rendant un jugement partiel, a admis ce recours et prononcé que les intimés avaient l'obligation de principe d'accepter une prestation en nature sous forme de mesures d'assainissement de leur bâtiment.
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Extrait des considérants: | |
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b) Dans la procédure de recours de droit administratif, le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties: il ne peut pas accorder à l'exproprié une indemnité totale supérieure à celle qu'il a demandée, ni du reste inférieure à celle offerte par l'expropriant ![]() | 8 |
c) Les hoirs B. n'ont pas formé de recours de droit administratif contre la décision de la Commission fédérale d'estimation dans le délai de l'art. 106 OJ; ils n'ont pas non plus déposé de recours joint conformément à l'art. 78 al. 2 LEx. Ils prétendent dans leur réponse que les indemnités allouées par la décision attaquée ne constitueraient qu'une réparation partielle du dommage qu'ils ont subi: en tant qu'ils demandent que cette décision soit modifiée en leur faveur, leurs conclusions sont en principe irrecevables, dans la mesure toutefois où elles ne coïncident pas, le cas échéant, avec les conclusions prises devant le Tribunal fédéral par l'expropriant.
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2. Pour l'acquisition du terrain nécessaire à la construction de routes nationales, le législateur fédéral a laissé aux cantons, pour les cas où l'acquisition ne pourrait se faire de gré à gré, la faculté de procéder par voie de remembrement ou d'expropriation (art. 30 de la loi fédérale sur les routes nationales - LRN; RS 725.11), donnant à la première de ces procédures une certaine priorité sur la seconde (ATF 105 Ib 96 /97 consid. 5a et les arrêts cités). A certaines conditions, l'art. 23 de l'ordonnance sur les routes nationales (ORN; RS 725.111) permet, en adjonction à la procédure de remembrement, l'ouverture d'une procédure d'expropriation. Cette procédure n'est cependant pas destinée à remettre en question les résultats du remaniement parcellaire ni à donner aux propriétaires intéressés la possibilité de présenter des prétentions qu'ils auraient négligé de faire valoir en temps utile; elle a pour seul objet d'ouvrir une voie dans laquelle il pourra être statué sur des questions que la procédure ![]() | 10 |
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a) Comme la jurisprudence l'a relevé, le canton occupe une position spéciale lorsqu'il participe à une entreprise de remaniement aux fins de se procurer les terrains nécessaires à la construction d'une route nationale; d'une part il peut imposer une réduction générale de la surface des biens-fonds compris dans le périmètre, d'autre part ses prétentions en terrains dans le nouvel état ne dépendent de ses propres apports ni quant à la superficie, ni quant à leur valeur, ni quant à leur situation, mais sont prédéterminées par le projet d'exécution de la route, aux exigences prioritaires de laquelle le projet de nouvelle répartition doit s'adapter (ATF 110 Ia 148 consid. 1, ATF 105 Ib 12 consid. 3b, ATF 99 Ia 497 consid. 4b). Le canton doit dès lors non seulement payer à leur valeur vénale les terrains ainsi obtenus (art. 31 al. 2 let. b LRN), mais doit encore indemniser les membres du syndicat pour les "inconvénients subsistant malgré l'attribution de nouveau terrain" (art. 21 ORN); ces inconvénients peuvent être comparés à ceux que mentionne l'art. 19 let. b et c LEx. Les indemnités dues à ce titre par le canton se déterminent également en fonction de la valeur vénale des terrains et en fonction des préjudices effectifs (art. 31 al. 2 let. b LRN, art. 21 ORN; ATF 110 Ia 148 /149 consid. 1 et les arrêts cités).
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Dans l'ancien état de propriété, avant l'attribution à l'Etat de Fribourg des terrains destinés à l'emprise de la route nationale, le bâtiment des intimés, au centre du domaine, était entouré d'un vaste espace libre de constructions et d'installations, qui le protégeait ![]() | 13 |
b) Cela étant, il se justifie d'examiner l'autre fondement des prétentions des intimés, en faisant abstraction de la suppression de l'espace protecteur. L'art. 7 al. 3 LEx astreint l'expropriant à exécuter les ouvrages qui sont propres à mettre les fonds voisins, notamment, à l'abri des dangers et des inconvénients qu'impliquent nécessairement l'exécution et l'exploitation de son entreprise et qui ne doivent pas être tolérés d'après les règles du droit de voisinage. L'expropriant est donc tenu, en principe, de respecter à l'égard de ses voisins les obligations découlant pour le propriétaire des art. 684 ss CC. En vertu de l'art. 5 LEx, les droits résultant des dispositions sur la propriété foncière en matière de rapports de voisinage peuvent faire l'objet de l'expropriation et être supprimés ou restreints temporairement ou définitivement, moyennant le respect du principe de la proportionnalité énoncé à l'art. 1er al. 2 LEx. Dès lors, si les immissions proviennent de l'utilisation, conforme à sa destination, d'un ouvrage d'intérêt public pour la réalisation duquel la collectivité disposait du droit d'expropriation, le voisin ne peut pas exercer les actions du droit privé, à raison du trouble ou en responsabilité, prévues par l'art. 679 CC. La prétention en versement d'une indemnité se substitue à ces actions et il appartient non plus au juge civil, mais au juge de l'expropriation de statuer sur l'existence du droit et le montant de l'indemnité (ATF 116 Ib 252 /253 consid. 2a et les arrêts cités). Conformément à la jurisprudence relative aux nuisances de bruit provenant du trafic routier et ferroviaire, la collectivité publique n'est tenue d'indemniser un propriétaire voisin que si le dommage qu'il subit est à la fois spécial, imprévisible et grave; c'est à ces seules conditions, cumulatives, que l'immission est excessive au sens de l'art. 684 CC (ATF 118 Ib 205 consid. 8c, ATF 117 Ib 18 consid. 2b, ATF 116 Ib 21 consid. 3a et les arrêts cités). L'autorité recourante a d'emblée admis que ces conditions étaient réunies en l'espèce; comme on le verra plus bas (consid. 5), tel est effectivement le cas.
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b) La condition de la spécialité est remplie lorsque les immissions atteignent une intensité qui excède la limite de ce qui est usuel et tolérable; il faut distinguer cette condition de celle de la gravité, qui se rapporte, elle, au dommage provoqué par les immissions (ATF 117 Ib 18 consid. 2b, ATF 116 Ib 21 consid. 3a et les arrêts cités).
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aa) Dans sa jurisprudence développée à partir de l'arrêt de principe rendu en 1968 en la cause Werren (ATF 94 I 286 ss), le Tribunal fédéral s'est fondé, quant aux méthodes de mesure des immissions et quant au seuil déterminant pour admettre leur spécialité, sur les connaissances scientifiques et sociologiques résultant des rapports et propositions des commissions spéciales instituées par les autorités fédérales (en particulier: le rapport de la Commission fédérale d'experts au Conseil fédéral, établi en 1963 et intitulé "La lutte contre le bruit en Suisse" [ci-après: rapport de 1963]; cf. ATF 94 I 301 consid. 9a/aa), ou des rapports des experts qu'il avait spécialement désignés, la jurisprudence étant adaptée au fur et à mesure du développement de ces connaissances. L'arrêt rendu le 16 juillet 1984 en la cause Ammann et consorts (ATF 110 Ib 340 ss) décrit cette évolution pour la période précédant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1985, de la loi fédérale sur la protection de l'environnement (LPE; RS 814.01).
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Dans cet arrêt Ammann, le Tribunal fédéral avait rappelé qu'en Suisse, les situations de bruit avaient généralement été décrites au moyen des niveaux sonores statistiques "L1" et "L50" (soit des valeurs de niveaux qui ne sont dépassées que pendant 1% ou 50% du temps d'une période d'observation déterminée). Il avait aussi relevé qu'un nouveau procédé, par lequel l'intensité moyenne du bruit est mesurée, avait été élaboré: le niveau, exprimé également en décibels ![]() | 18 |
Le rapport de 1963 avait proposé des "valeurs limites provisoires", exprimées en dB(A), pour différents niveaux sonores - le "bruit de fond" (équivalant au niveau "L50"), les "pointes fréquentes" (correspondant au niveau "L1") et les "pointes rares" -, cela en distinguant six zones principales de bruit (zones I à VI: zones de repos, tranquille d'habitation, mixte, etc.) et en prévoyant des valeurs de seuil plus élevées pendant le jour que pendant la nuit (cf. rapport 1963, p. 43 ss). Dans son arrêt Ammann, le Tribunal fédéral avait d'abord décidé de relever de 5 dB(A) les valeurs limites "L1" pour la nuit, telles qu'elles étaient fixées provisoirement pour les zones II à V (ATF 110 Ib 349 ss consid. 4). Il avait ensuite considéré que la condition de la spécialité des nuisances était remplie in casu, le niveau du bruit routier dépassant nettement - il en était ainsi en l'occurrence avec un dépassement de 5 dB(A) - les valeurs limites. Le Tribunal fédéral avait renoncé à examiner si la spécialité pouvait aussi être reconnue lors d'un dépassement moindre. Il avait toutefois expliqué qu'une différence de niveau égale ou inférieure à 2 dB n'était en principe pas perceptible à l'oreille humaine, mais qu'en revanche une différence de 5 dB l'était clairement; par ailleurs, il avait rappelé que l'augmentation de 3 dB(A) ou de 10 dB(A) des niveaux Leq ou L50 correspondait à une multiplication par deux, dans le premier cas, ou par dix, dans le second, du volume du trafic (ATF 110 Ib 352 /353 consid. 6).
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bb) La loi fédérale sur la protection de l'environnement a pour but de protéger les hommes, en particulier, des atteintes nuisibles ou incommodantes (art. 1er al. 1 LPE). Selon le principe de l'art. 13 al. 1 LPE, le Conseil fédéral édicte par voie d'ordonnance des valeurs limites d'immissions applicables à l'évaluation de ces atteintes. En ce qui concerne les immissions de bruit du trafic routier, ces valeurs limites, définies aujourd'hui dans l'ordonnance sur la protection ![]() | 20 |
En vertu de l'art. 15 LPE, les valeurs limites d'immission s'appliquant au bruit sont fixées de manière que, selon l'état de la science et de l'expérience, les immissions inférieures à ces valeurs ne gênent pas de manière sensible la population dans son bien-être; il faut en outre tenir compte de l'effet des immissions sur des catégories de personnes particulièrement sensibles, telles que les enfants, les malades, les personnes âgées et les femmes enceintes (art. 13 al. 2 LPE). Dans son message relatif à cette loi fédérale, le Conseil fédéral s'est référé à cet égard aux valeurs recommandées par le rapport de 1963, les critères légaux étant à ses yeux "à peu près aussi sévères" que ceux proposés par la première commission fédérale d'experts (FF 1979 III 787). L'ordonnance sur la protection contre le bruit fixe des valeurs différentes selon le degré de sensibilité de la zone dans laquelle se trouve le bâtiment touché (art. 43 OPB). Ainsi, dans une zone où aucune entreprise gênante n'est autorisée - zones d'habitation ou réservées à des constructions publiques, notamment -, le degré de sensibilité II est applicable et les valeurs limites d'immission sont, pour le bruit du trafic routier, de 60 dB(A) le jour et de 50 dB(A) la nuit (art. 43 al. 1 let. b OPB en relation avec le ch. 2 de l'annexe 3 de l'OPB). De même, dans une zone où sont admises des entreprises moyennement gênantes - zones mixtes et zones agricoles, notamment -, ces valeurs sont de 65 dB(A) le jour et de 55 dB(A) la nuit (art. 43 al. 1 let. c OPB en relation avec le ch. 2 de l'annexe 3 de l'OPB). Le rapport partiel de 1979 proposait des valeurs similaires, en définissant toutefois de manière légèrement différente les zones auxquelles les degrés de sensibilité II et III étaient à appliquer (op.cit., p. 31).
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Jour: Lr = 72,4 dB(A)
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Nuit: Lr = 64,0 dB(A)
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En admettant l'application en l'espèce du degré de sensibilité III (zone agricole; cf. art. 43 al. 1 let. c OPB), ces niveaux dépassent les valeurs limites d'immission, plus précisément de 7,4 dB(A) pendant les phases diurnes et de 9 dB(A) pendant les phases nocturnes. Comme le relève l'expert (p. 7), le dépassement serait encore plus net en prenant en considération un degré de sensibilité II, applicable selon le rapport partiel de 1979 aux "régions tranquilles à la campagne" (op.cit., p. 31); il n'est toutefois pas nécessaire d'examiner en l'espèce si les critères retenus dans ce rapport partiel sont encore pertinents car, comme on le verra plus bas, le dépassement des valeurs limites découlant de l'application du degré de sensibilité III est ici à lui seul décisif.
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dd) Dans un arrêt rendu en 1991, le Tribunal fédéral a jugé qu'en règle générale, la condition de la spécialité était remplie lorsque les immissions dépassaient les valeurs limites d'exposition fixées dans l'annexe 3 de l'OPB (ATF 117 Ib 18 consid. 2b); dans cette affaire, il ne se justifiait pas d'examiner plus précisément lesquelles, parmi les différentes valeurs limites d'exposition au bruit - valeurs de planification, valeurs limites d'immission ou valeurs d'alarme -, étaient les valeurs déterminantes à cet égard (cf. art. 40 OPB, ch. 1 et 2 de l'annexe 3 de l'OPB).
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En vertu de l'art. 23 LPE, les valeurs de planification, fixées dans l'ordonnance, sont inférieures aux valeurs limites d'immission; elles doivent être observées lors de la construction de nouvelles installations fixes ou en vue de la planification de nouvelles zones à bâtir ![]() | 27 |
Dans ces conditions, ces valeurs limites d'immission déterminées sous forme de niveaux d'évaluation "Lr" doivent être considérées comme le seuil à partir duquel la condition de la spécialité des nuisances est remplie et il ne se justifie pas, comme le proposait l'expert de la Commission fédérale d'estimation dans son rapport (p. 7), de soumettre encore la réalisation de cette condition à un dépassement de ces valeurs de 5 dB(A); d'ailleurs, dans l'arrêt Ammann précité, le Tribunal fédéral n'avait pas posé une telle exigence en ce qui ![]() | 28 |
ee) Le Tribunal fédéral, autorité de surveillance des commissions fédérales d'estimation, est habilité à leur donner des indications ou des directives sur des questions qu'elles ont à traiter (art. 63 LEx; cf. ATF 115 Ib 17 consid. 1, 430 consid. 3 et les arrêts cités). Dans ce cadre, il faut ici prendre acte de l'évolution des procédés de mesure du bruit, qui avait déjà été évoquée dans l'arrêt Ammann précité (cf. supra consid. 5b/aa). Avec l'entrée en vigueur des prescriptions fédérales sur la protection de l'environnement, il se justifie de réexaminer les critères appliqués jusqu'ici par la jurisprudence; l'ordonnance sur la protection contre le bruit ayant abandonné les mesures des niveaux statistiques "L1" et "L50" pour consacrer la seule méthode du "niveau moyen énergétique Leq", il conviendra à l'avenir de mesurer l'intensité du bruit selon ce seul procédé.
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En outre, la condition de la spécialité des nuisances sera, en règle générale, considérée comme remplie lorsque le calcul des niveaux d'évaluation "Lr" révélera un dépassement des valeurs limites d'immission fixées pour le bruit du trafic routier dans l'annexe 3 de l'OPB.
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ff) Il importe peu qu'en l'espèce, l'envoi en possession des terrains nécessaires à la réalisation de la route nationale ait été ordonné avant l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur la protection de l'environnement. Il n'existait pas précédemment de normes légales très précises en la matière et, comme on l'a vu (cf. supra consid. 5b/aa), le ![]() | 31 |
c) Le dommage provoqué par le bruit du trafic a entraîné, selon les experts du Tribunal fédéral, une dévaluation du bâtiment des intimés de l'ordre de 40%; ce dommage est manifestement grave au sens de la jurisprudence relative à l'art. 5 LEx (ATF 117 Ib 18 consid. 2b, ATF 116 Ib 21 /22 consid. 3a et les arrêts cités). L'autorité recourante ne le conteste d'ailleurs pas.
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Les trois conditions cumulatives pour admettre que les immissions de la route nationale sont excessives au sens de l'art. 684 CC sont donc réunies en l'espèce.
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a) En vertu de l'art. 64 al. 1 let. a LEx, la commission d'estimation statue en particulier sur la nature et le montant de l'indemnité (art. 16 à 18 LEx); il n'est pas nécessaire que les parties lui présentent une demande formelle et expresse, contrairement aux exigences posées pour d'autres prétentions (art. 64 al. 1 let. b, c, e, f et g LEx). En principe, selon l'art. 17 LEx, l'indemnité est payable en argent sous la forme d'un capital ou d'une rente, mais la prestation en argent peut être remplacée en tout ou partie par un équivalent en nature (art. 18 al. 1 LEx). L'attribution d'un immeuble à titre d'indemnité en nature n'est admissible qu'avec le consentement de l'exproprié et des créanciers gagistes (art. 18 al. 3 LEx); pour d'autres formes de réparation en nature, le consentement de l'exproprié n'est pas nécessaire si ses intérêts sont suffisamment sauvegardés (art. 18 al. 2 LEx). Selon la jurisprudence, la réparation en nature demeure toutefois l'exception par rapport au principe selon lequel l'indemnité est payable en argent (ATF 105 Ib 90, 196).
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Devant la Commission fédérale d'estimation, les intimés ont conclu principalement au déplacement de la totalité de leur ferme, ou éventuellement du logement s'y trouvant; cette demande de réparation en nature a été écartée. En l'absence de recours de droit administratif des intimés, ces conclusions n'ont plus à être examinées. De son côté, l'autorité recourante avait proposé de procéder à l'isolation ![]() | 36 |
b) En refusant d'envisager une isolation acoustique du bâtiment au motif qu'elle ne constituerait pas une indemnisation pleine et entière, la Commission fédérale d'estimation a omis de considérer que la réparation en nature pouvait être partielle, le solde étant payable en argent, le cas échéant (cf. art. 18 al. 1 LEx). En revanche, elle a retenu à juste titre le caractère relatif des mesures d'isolation. Les fenêtres antibruit n'offrent en effet une protection efficace - et sans comparaison avec celle qu'assurent des fenêtres ordinaires - que lorsqu'elles sont fermées. Toutefois, compte tenu des longues périodes de l'année pendant lesquelles les fenêtres des locaux d'habitation restent closes en raison des conditions climatiques, de telles mesures d'isolation présenteraient déjà des avantages notables; on ne saurait donc qualifier leur efficacité de très limitée.
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En outre, pour parer aux inconvénients éventuels d'une fermeture prolongée des fenêtres de l'appartement, un système de ventilation ou d'aération, lui-même silencieux, pourrait être installé. De telles mesures complémentaires peuvent aussi être prescrites à titre de réparation en nature au sens de l'art. 18 LEx.
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Comme l'isolation acoustique avec, le cas échéant, le dispositif d'aération amélioreraient de façon substantielle les conditions d'utilisation du bâtiment des intimés, et que ceux-ci se contentent, sur cet aspect, de se référer dans leurs écritures à la décision attaquée sans faire valoir de motifs particuliers contre la réalisation de ces mesures (cf. ATF 105 Ib 196), il faut considérer que leurs intérêts seraient suffisamment sauvegardés, au sens de l'art. 18 al. 2 LEx, avec l'octroi d'une telle indemnité en nature. Certes, lorsque ce type de réparation se substitue à l'indemnité en argent prévue à l'art. 17 LEx, la faculté de l'exproprié de choisir l'usage qu'il fera de la compensation obtenue est réduite, mais cela ne constitue en principe pas, dans l'hypothèse de l'art. 18 al. 2 LEx, une atteinte à ses droits; il n'en va différemment que lorsqu'un immeuble est attribué à titre d'indemnité, l'exproprié devant alors consentir à être privé de cette liberté de choix (art. 18 al. 3 LEx; cf. supra consid. 6a).
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aa) La décision attaquée retient à juste titre que l'entrée en vigueur de la loi sur la protection de l'environnement, puis de l'ordonnance sur la protection contre le bruit, ne remettait pas en cause la compétence du juge de l'expropriation pour statuer sur l'octroi d'une indemnité en raison des immissions excessives liées à l'exploitation d'un ouvrage public. Ces nouvelles prescriptions fédérales n'empêchent pas une commission d'estimation d'ordonner une réparation en nature conformément à l'art. 18 LEx, quand bien même les mesures prescrites correspondraient, dans leur forme et dans leur résultat, à des mesures prévues par ailleurs directement par la loi fédérale sur la protection de l'environnement. Cependant, lorsqu'une requête est exclusivement fondée sur les prescriptions de cette dernière loi, le juge de l'expropriation n'est pas compétent pour statuer: l'exécution de ces normes incombe en principe aux autorités cantonales (art. 36 LPE; cf. ATF 116 Ib 23 consid. 3b et les arrêts cités), le recours de droit administratif au Tribunal fédéral étant réservé (art. 54 LPE).
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La loi sur la protection de l'environnement et la loi sur l'expropriation poursuivent en effet des buts différents et indépendants. La première tend à protéger "les hommes, les animaux et les plantes, leurs biocénoses et leurs biotopes des atteintes nuisibles ou incommodantes" (art. 1er al. 1 LPE), tandis que la seconde vise à permettre à la collectivité d'acquérir, de façon contraignante, les droits nécessaires à l'exécution de ses tâches d'intérêt public, pour autant que les principes de la proportionnalité et de l'indemnisation pleine et entière soient respectés (cf. art. 1er LEx; ATF 118 Ib 204 consid. 8, 116 Ib 23 consid. 3b, 115 Ib 25; CHRISTOPH ZÄCH, op.cit., art. 20, n. 37).
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bb) Ces deux législations se rejoignent toutefois à certains égards, en protégeant les mêmes biens juridiques. Ainsi, l'art. 7 al. 3 LEx impose à l'expropriant d'exécuter les ouvrages propres à mettre le public et les fonds voisins à l'abri des dangers et des inconvénients qu'impliquent nécessairement l'exécution et l'exploitation de son entreprise et qui ne doivent pas être tolérés d'après les règles du droit de voisinage (cf. supra consid. 4b). Le défaut des mesures nécessaires peut être invoqué, une fois les plans de l'ouvrage publiés, par la voie de l'opposition (art. 35 let. b LEx) et le prononcé rendu sur ![]() | 43 |
Les convergences entre les deux législations apparaissent aussi dans des matières où la commission d'estimation est compétente en première instance. Ainsi, selon l'art. 5 al. 1 LEx, l'objet de l'expropriation n'est pas limité aux droits réels, mais le législateur l'a étendu aux droits personnels des locataires ou fermiers de l'immeuble à exproprier. Ceux-ci peuvent prétendre à une indemnité non seulement à raison du dommage résultant pour eux de l'extinction avant terme du bail (cf. art. 23 al. 2 LEx), mais aussi lorsque d'autres droits contractuels sont atteints, en particulier lorsque l'usage de la chose louée, conformément à ce que le bail stipule, n'est plus possible à cause de l'expropriation des droits du propriétaire résultant, selon l'art. 684 CC, des rapports de voisinage (ATF 106 Ib 246 /247 consid. 4a; cf. HESS/WEIBEL, op.cit., vol. I, p. 103/104).
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En étendant, avec les art. 5 et 18 LEx, l'objet de l'expropriation aux droits personnels des locataires et des fermiers, et en prévoyant dans le même temps la réparation en nature comme l'une des formes d'indemnités, le législateur de 1930 - faisant oeuvre de précurseur - avait déjà créé les instruments juridiques propres, d'une part, à assurer la réparation, par une compensation pécuniaire, du préjudice économique subi, et aussi, d'autre part, à protéger dans leur bien-être non seulement les propriétaires, mais aussi la population en général; or, les prescriptions sur la protection de l'environnement tendent aussi à ce dernier but.
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cc) Il est sans importance, en l'espèce, que les fermiers du domaine des intimés, directement exposés aux immissions de la route nationale, n'aient pas fait eux-mêmes valoir des prétentions à l'encontre de l'expropriant. Les considérations précédentes sur les convergences entre les deux législations amènent en effet à la conclusion que la réparation en nature, lorsqu'elle est compatible avec les principes généraux du droit de l'expropriation - exigeant en particulier une indemnisation pleine et entière -, peut dans certains cas concourir également à l'accomplissement des buts de la loi sur la protection de l'environnement. Dès lors, le juge de l'expropriation a non seulement la possibilité, mais plus encore le devoir d'ordonner des prestations en nature selon l'art. 18 LEx lorsque, comme en l'espèce, un tel mode d'indemnisation est propre à réparer, à tout le moins en partie, le préjudice subi par le propriétaire exproprié et qu'en même temps il permet de protéger efficacement le bien-être des personnes habitant le bâtiment exposé.
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dd) Il résulte de ce qui précède que la Commission fédérale d'estimation aurait dû admettre l'offre de l'autorité recourante tendant à réaliser l'isolation acoustique de la ferme des intimés, à tout le moins à titre de réparation partielle. Le recours doit être admis sur ce point, les intimés ayant l'obligation de principe d'accepter une réparation en nature sous forme de mesures d'assainissement de leur bâtiment.
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8. (A ce stade, il se justifie, pour des raisons d'opportunité et d'économie de la procédure, de rendre un jugement partiel (cf. ATF 116 Ib 13 consid. 1 et les arrêts cités). Il sera statué ultérieurement sur les mesures d'assainissement qu'il convient d'ordonner pour la ferme de la Gissetta ainsi que sur l'éventuelle indemnité complémentaire en argent qui pourrait être allouée aux intimés afin que leur préjudice soit intégralement couvert.)
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