BGE 84 I 209 | |||
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29. Arrêt du 2 mai 1958 dans la cause Monnard contre Chemins de fer fédéraux. | |
Regeste |
Art. 62 BtG, Art. 6 Ziff. 11 Vollziehungsverordnung vom 15. Februar 1946 zum Bundesbahngesetz. | |
Sachverhalt | |
A.- Le 25 août 1952, Monnard a été victime d'un accident au service militaire. Le 1er juin 1956, il est entré au service des Chemins de fer fédéraux (CFF) comme ouvrier auxiliaire. Le 23 juillet, le traitement médical qu'il suivait encore pour les conséquences de l'accident de 1952 fut déclaré clos; le médecin constata une invalidité permanente et partielle de 20%. Le 29 août 1956, l'Assurance militaire fédérale lui alloua une pension mensuelle de 102 fr. 55 à partir du 1er mai 1956. Le 1er septembre 1957, il fut nommé ouvrier permanent avec fonction d'ouvrier d'exploitation de IIe classe.
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Dès le 1er juin 1956, les CFF imputèrent sur le salaire de Monnard le montant total de la rente que lui servait l'Assurance militaire fédérale. Cependant, vu l'arrêt rendu par le Tribunal fédéral, le 8 février 1957, dans la cause Müller c. Confédération suisse (RO 83 I 63), la division du personnel de la direction générale des CFF a informé Monnard, le 5 septembre 1957, qu'elle modifiait sa pratique avec effet rétroactif au 1er mars, c'est-à-dire dès le premier mois postérieur au prononcé de l'arrêt Müller et que, par conséquent, elle abandonnait les retenues et restituerait celles qui avaient été faites à partir de cette date, mais non pas antérieurement. Invoquant les instructions reçues de la direction générale, elle a confirmé, le 19 septembre 1957, qu'elle ne pouvait restituer les retenues opérées antérieurement au prononcé de l'arrêt Müller.
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B.- Le 23 septembre 1957, Monnard a assigné les CFF devant le Tribunal fédéral en remboursement des sommes indûment retenues sur son salaire par imputation de la rente servie par l'Assurance militaire fédérale avec effet rétroactif au 1er juin 1956. Dans sa demande et sa réplique, Monnard argumente en résumé comme il suit:
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L'imputation de la rente servie par l'Assurance militaire fédérale sur le traitement du demandeur est contraire aux principes posés dans l'arrêt Müller (précité). Les CFF l'ont reconnu pour la période postérieure au 1er mars 1957; ils doivent l'admettre aussi pour la période antérieure. L'art. 18 Cst., qui institue l'Assurance militaire, fait également obstacle à l'imputation. Enfin le demandeur invoque les impératifs de l'éthique et de l'équité élémentaire. Travaillant, comme les autres ouvriers, 48 heures par semaine, il a droit à son traitement intégral.
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C.- Dans sa réponse et sa duplique, la direction générale des CFF conclut au rejet de la demande. Elle allègue en bref:
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La décision prise à l'égard de Monnard est conforme à l'ordre général de service concernant les invalides partiels, du 2 avril 1943 (en abrégé: OGS du 2 avril 1943), texte qui émane de la direction générale et se fonde sur les art. 62 StF et 6 ch. 1 et 12 du règlement d'exécution, du 15 février 1946, de la loi fédérale sur les chemins de fer fédéraux. Les principes posés par l'arrêt Müller n'auraient pas obligé l'administration à modifier sa pratique qui était d'imputer sur les traitements et les salaires les rentes servies par l'Assurance militaire fédérale. Si elle l'a fait à partir du 1er mars 1957, c'est par mesure de complaisance et à titre bénévole. Müller, du reste, n'était pas dans la même situation que Monnard; en particulier, il avait la qualité de fonctionnaire des douanes, soumis à la loi sur le statut des fonctionnaires. Enfin la restitution à titre rétroactif, pour la période antérieure au prononcé de l'arrêt Müller, créerait un précédent qui se répercuterait sur de nombreux cas semblables. Au surplus, en engageant un ouvrier qui présentait une invalidité de 20%, les CFF ont assumé des risques qui sont compensés par l'imputation de la rente.
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D.- Interpellés par le Juge délégué, les défendeurs ont encore fourni, par lettre du 3 avril 1958, des explications sur la force obligatoire de l'OGS du 2 avril 1943.
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Considérant en droit: | |
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Il s'agit donc de savoir si, pour la période considérée allant du 1er juin 1956 au 1er mars 1957, pendant laquelle Monnard était ouvrier auxiliaire des CFF, la législation à laquelle il était soumis comme tel permettait l'imputation sur son salaire de la rente qu'il touchait de l'Assurance militaire fédérale.
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"Lorsqu'un agent touche une rente de la caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNAL) ou de l'assurance militaire, son traitement doit être fixé, s'il continue d'être occupé par l'administration, de telle manière qu'il ne bénéficie pas, dans un emploi de même rang ou de rang inférieur, d'une meilleure situation que s'il n'avait pas subi d'accident ou n'était pas tombé malade au service militaire. Par conséquent, la rente doit être, le cas échéant, imputée en tout ou en partie sur le traitement."
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Ce texte vise aussi bien le traitement d'un fonctionnaire que les appointements d'un employé ou le salaire d'un ouvrier. L'application du ch. 19 de l'OGS du 2 avril 1943 permettrait manifestement d'opérer en l'espèce l'imputation litigieuse. L'attribution de la rente date du 29 août 1956. Le demandeur, qui était alors ouvrier auxiliaire, a continué d'être occupé au même titre jusqu'à la fin de la période sur laquelle porte la contestation.
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Le ch. 19 de l'OGS du 2 avril 1943 n'apparaît cependant pas comme une simple disposition d'exécution, puisque, comme il résulte de l'arrêt Müller précité et de ce qu'on a montré plus haut (consid. 2), il ne correspond à aucun principe légal applicable aux agents de la Confédération en général ou à ceux des CFF en particulier. Il s'agit au contraire d'une disposition fondamentale qui crée le statut des personnes appartenant à la seconde de ces catégories et qui excède les pouvoirs réglementaires de l'administration.
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La loi fédérale du 1er février 1923 concernant l'organisation et l'administration des CFF, encore en vigueur au moment où la direction générale a donné l'OGS du 2 avril 1943, confère au conseil d'administration, en particulier, le pouvoir d'arrêter l'organisation générale de l'administration et les attributions des divers services (art. 9 al. 1 ch. 4). Elle prescrit cependant (art. 9 al. 2) que l'ordonnance d'exécution, qu'il appartenait au Conseil fédéral de rendre (art. 33), "précise les attributions du conseil d'administration" (cf. art. 31 al. 1). L'ordonnance du Conseil fédéral du 9 octobre 1923 (art. 3, 4o, lit. c) donne pouvoir au conseil d'administration d'élaborer "des règlements sur les traitements et les salaires du personnel, dans le cadre de la législation sur les traitements" (cf. art. 31 al. 1 de la loi du 1er février 1923). Il semble donc s'être agi là d'un pouvoir essentiellement réglementaire.
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Depuis le 1er janvier 1928, cependant, date de l'entrée en vigueur de la loi fédérale du 30 juin 1927 sur le statut des fonctionnaires, le pouvoir de fixer les rapports de service des personnes qui, comme le demandeur, sont employées par la Confédération sans avoir la qualité de fonctionnaires, appartient au Conseil fédéral, sous réserve de l'application par analogie de certaines dispositions spécialement prévues pour les fonctionnaires (art. 62 al. 2). Le Conseil fédéral est en outre autorisé à déléguer sa compétence "aux services qui lui sont subordonnés". C'est ce qu'il a fait en faveur de l'administration des chemins de fer fédéraux (sans préciser davantage) par un arrêté du 31 juillet 1936 (ACF autorisant l'administration des CFF à régler les rapports de service des agents n'ayant pas qualité de fonctionnaires), mais en prévoyant toutefois que les prescriptions édictées de par cette délégation de pouvoirs seraient soumises à son approbation.
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La loi fédérale du 24 juin 1944 sur les chemins de fer fédéraux, qui a abrogé (art. 22 lit. c) celle du 1er février 1923, précitée, attribue à l'Assemblée fédérale le pouvoir de légiférer sur les rapports de service du personnel, mais elle laisse subsister (cf. art. 22) la délégation législative inscrite, en faveur du Conseil fédéral, à l'art. 62 StF. Elle maintient en outre (art. 10 lit. b) le pouvoir réglementaire du conseil d'administration touchant les rapports de service du personnel. De plus, dans le règlement d'exécution du 15 février 1946 (art. 6 ch.11), le Conseil fédéral a de nouveau délégué la compétence que lui attribue l'art. 62 StF, mais en précisant que c'est en faveur du conseil d'administration. Comme dans son arrêté du 31 juillet 1936, il a cependant réservé expressément sa ratification.
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Il suit de là que depuis le 1er janvier 1928, date de l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur le statut des fonctionnaires, le Conseil fédéral détient, par délégation du législateur, le pouvoir de fixer le statut des personnes employées par la Confédération - et en particulier par les CFF - sans avoir la qualité de fonctionnaires. A partir du 6 août 1936, il a lui-même délégué ce pouvoir à l'administration des CFF, mais il s'est dès lors expressément réservé le droit de ratification. La délégation de compétence en faveur de l'administration des CFF est donc incomplète. Le Conseil fédéral a entendu se réserver un droit de contrôle, afin de mieux assurer l'égalité entre les agents de la Confédération et, sans doute aussi, de veiller à l'opportunité politique des dispositions prises. Lorsque les CFF règlent le statut des agents non fonctionnaires par des prescriptions fondamentales, c'est-à-dire en faisant usage de leur pouvoir proprement législatif, leurs actes ne peuvent dès lors prendre force de loi et entrer en vigueur qu'après ratification par le Conseil fédéral auquel, par l'art. 62 StF, les Chambres fédérales ont délégué leur pouvoir, sous certaines réserves qui ne jouent aucun rôle en l'espèce, mais sans exiger de ratification de leur part.
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Par conséquent, la prescription insérée sous le ch. 19 de l'OGS, du 2 avril 1943, relevant - comme on l'a montré - du pouvoir législatif, n'aurait pu prendre force et entrer en vigueur qu'après ratification par le Conseil fédéral. Or les défendeurs admettent eux-mêmes que cette ratification n'a pas eu lieu. C'est donc à tort qu'ils ont pratiqué la défalcation litigieuse, qu'aucune disposition légale n'autorisait.
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5. Il est vrai qu'au moment où les CFF ont pratiqué les imputations litigieuses, le Tribunal fédéral n'avait pas encore jugé qu'aucun principe général, dans le statut des fonctionnaires, ne permet de défalquer les rentes servies par l'assurance militaire fédérale lorsque l'agent fournit toutes les prestations de service que lui impose son poste. Au contraire, selon la jurisprudence alors existante (RO 62 I 43; 78 I 182), on pouvait admettre un tel principe, de sorte que le ch. 19 de l'OGS du 2 avril 1943 apparaissait comme une simple règle d'exécution, applicable au recourant, même sans avoir été approuvée par le Conseil fédéral.
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Il n'en allait plus de même après le prononcé de l'arrêt Müller, qui, par une nouvelle interprétation de la loi, faisait apparaître injustifiées toutes les imputations, sur le salaire de Monnard, de la rente servie par l'assurance militaire fédérale, qu'elles soient antérieures ou postérieures audit arrêt. Car il ne s'agissait pas d'une modification de la loi, qui aurait pu n'avoir aucune force rétroactive, mais d'un changement dans l'interprétation, qui créait nécessairement une contradiction avec les actes conformes à l'ancienne jurisprudence.
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L'administration est par conséquent revenue sur ses imputations, mais seulement sur celles qui étaient postérieures à l'arrêt Müller. Pour qu'elle pût ainsi modifier ses actes, il fallait ou bien qu'il existât un motif de revision ou bien que ces actes ne procédassent pas de décisions passées en force. La première de ces hypothèses est exclue parce qu'un changement de jurisprudence ne constitue pas, en principe, un motif de revision. La seconde, en revanche, se vérifie en l'espèce, car l'imputation pratiquée par simple retenue sur le traitement, en vertu de l'art. 19 de l'OGS du 2 avril 1943, ne peut être tenue pour une décision formelle, participant de la chose jugée.
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Les mêmes conclusions s'imposent pour les imputations antérieures. L'administration aurait donc dû, pour elles aussi, ordonner la restitution des sommes retenues. Seule la prescription du droit au salaire aurait pu y faire obstacle. Mais les intimés eux-mêmes n'allèguent pas qu'il en soit ainsi. On ne trouve du reste aucun texte spécial qui fixe cette prescription pour les ouvriers auxiliaires des CFF, ni pour les autres agents de la Confédération. Si l'on admettait que les principes généraux du droit civil s'appliquent sur ce point, à titre subsidiaire, le délai serait de cinq ans selon l'art. 128 ch. 3 CO.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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