BGE 89 I 166 | |||
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26. Arrêt du 1er mai 1963 dans la cause Kunz et Victor-Film SA contre Conseil d'Etat du Canton de Genève. | |
Regeste |
Art. 4 BV. | |
Sachverhalt | |
A.- Le 4 décembre 1962, le Département de justice et police du canton de Genève a interdit, de par l'art. 41 du règlement genevois du 24 novembre 1945 sur les salles de spectacle, etc., la projection, sur le territoire cantonal, du film "Les Filles du Dieu Soleil". Cette décision était ainsi motivée: "Film constituant une nette propagande pour le nudisme qui est contraire à nos moeurs et choquerait une grande partie de la population". Effectivement, la disposition précitée interdit "les spectacles contraires à la morale et à l'ordre public".
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Kunz, producteur du dit film, a recouru contre cette décision devant le Conseil d'Etat, mais il a été débouté, le 29 janvier 1963, en bref par les motifs suivants:
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En autorisant, le 5 avril 1960, la projection du film "Nous irons à l'Ile du Levant", le Conseil d'Etat a expressément réservé son attitude à l'égard de tous les autres films naturistes ou nudistes qui pourraient lui être présentés.
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Il a interdit, trois mois plus tard, la projection des "Vacances naturistes" et des "Naturistes dans la neige"; en effet, par la réclame relative à "Nous irons à l'Ile du Levant", il a pu se rendre compte que, sous le couvert de propagande pour le nudisme et le naturisme, les films de ce genre "ont un but purement commercial". De plus dans l'autorisation donnée le 5 avril 1960, "il a méconnu l'attrait exercé par ce genre de production sur un certain public composé spécialement de jeunes, qui viennent incontestablement y chercher des sensations malsaines". Après un intervalle de deux ans, il s'estime fondé à revenir sur l'opinion précédemment exprimée et à juger plus sévèrement des films naturistes ou nudistes.
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B.- Kunz et la SA Victor-Film, cette dernière en qualité de distributrice des "Filles du Dieu Soleil", ont formé un recours de droit public. Ils invoquent la violation du principe de l'égalité devant la loi et demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêté du Conseil d'Etat du 29 janvier 1963 et d'inviter cette autorité à permettre la projection, sur le territoire genevois, du film "Les Filles du Dieu Soleil".
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C.- Le Conseil d'Etat du canton de Genève conclut au rejet du recours.
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Considérant en droit: | |
Précédemment déjà, en 1960, Kunz a demandé par deux fois l'autorisation de projeter des films naturistes dans le canton de Genève. La première fois, le Conseil d'Etat, tout en réservant sa décision pour les cas futurs, a admis le film intitulé "Nous irons à l'Ile du Levant"; la seconde fois, il a interdit les "Vacances naturistes" et "Naturistes dans la Neige". Saisi par Kunz d'un recours de droit public dirigé contre cette interdiction et fondé sur la violation des art. 4 et 31 Cst., le Tribunal fédéral, statuant le 7 décembre 1960, a débouté le recourant pour le second de ces films, mais a annulé l'interdiction du premier. Dans son arrêt, il ne s'est pas prononcé sur la conformité des "Vacances naturistes" avec l'ordre et la morale publics; il a annulé la décision attaquée, par le motif qu'elle créait une inégalité de traitement. En effet, a-t-il dit, trois mois auparavant, le Conseil d'Etat avait autorisé "Nous irons à l'Ile du Levant", qui était de la même veine et laissait au spectateur une impression de même nature; il n'a pas, dans l'arrêté portant interdiction des "Vacances naturistes", exposé quelles circonstances nouvelles justifiaient un jugement plus sévère.
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Dans la présente cause, les recourants n'invoquent pas l'art. 31 Cst., à savoir le principe de la liberté du commerce, qui peut être restreint par des mesures de police destinées à protéger notamment l'ordre et la moralité publics (RO 84 I 110). Ils allèguent l'arbitraire, mais leur argumentation est essentiellement fondée sur l'inégalité de traitement: ils reprochent au Conseil d'Etat de ne s'être pas conformé à l'arrêt prononcé par le Tribunal fédéral, le 7 décembre 1960, à propos des "Vacances naturistes", c'est-à-dire de n'avoir pas justifié son refus par rapport à l'autorisation accordée, en 1960, au film "Nous irons à l'Ile du Levant".
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Ce moyen n'est pas fondé. Sans doute la décision attaquée reproche-t-elle à tort aux recourants de poursuivre des fins essentiellement commerciales sous le couvert de propagande pour le nudisme et le naturisme. Le caractère commercial d'une exploitation et notamment d'un spectacle ne saurait être répréhensible en lui-même, du point de vue de l'ordre et de la moralité publics; il ne saurait l'être que par ses modalités ou par son objet. Mais le Conseil d'Etat ne s'en est pas tenu à cet argument. Il a constaté qu'en autorisant, en 1960, le film "Nous irons à l'Ile du Levant", il a méconnu l'attrait exercé par ce genre de production sur un certain public composé spécialement de jeunes, qui vient incontestablement y chercher des sensations malsaines. Il s'estime dès lors fondé, après deux ans, à modifier son jugement et à suivre des principes plus sévères que précédemment. Il ajoute, dans sa réponse au recours, que l'autorisation accordée pour le film "Nous irons à l'Ile du Levant" constitue une exception et qu'il a interdit tous les films nudistes qui lui ont été soumis depuis 1960 - et dont il produit la liste.
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Cette argumentation n'est nullement insoutenable et justifie un changement de la pratique administrative. La moralité publique est un élément essentiel de l'ordre. Dans ce domaine, la responsabilité incombe au premier chef à l'autorité cantonale qui est, mieux que toute autre, à même de juger des circonstances locales.
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Les recourants objectent dès lors en vain que le film "Les Filles du Dieu Soleil" ne provoque pas, chez le spectateur, d'autres impressions que les "Vacances naturistes" et "Nous irons à l'Ile du Levant", précédemment autorisés. Même si tel était bien le cas, le nouvel élément d'appréciation avancé par le Conseil d'Etat n'en demeurerait pas moins décisif. On ne saurait lui reprocher de n'être soutenu par aucune preuve, notamment sur le fait que les films naturistes attireraient spécialement la jeunesse. L'autorité genevoise s'est contentée d'affirmer qu'un certain public, composé spécialement de jeunes, y vient chercher des sensations malsaines, non pas que les spectateurs sont en majorité des jeunes. Point n'est besoin de prouver une telle assertion; il est clair qu'un "certain public" peut trouver, dans les spectacles nudistes et en particulier dans la projection des films de cette catégorie, un sujet d'excitation sexuelle indésirable du point de vue de l'ordre et de la moralité publique.
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Les recourants reprochent en outre au Conseil d'Etat d'avoir avancé sa nouvelle argumentation sans en être convaincu, uniquement pour satisfaire aux exigences formulées par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 7 décembre 1960. Ce grief est manifestement dénué de toute justification; il est même téméraire.
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Enfin, on ne saurait opposer à la décision genevoise le jugement rendu par la Cour d'appel de Bâle-Ville, le 10 juin 1962. Car les circonstances peuvent varier d'un canton à l'autre. De plus, ledit jugement examine la question du point de vue de l'art. 31 Cst., règle que les recourants n'invoquent pas dans la présente espèce.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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