BGE 82 II 216 | |||
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32. Arrêt de la Ire Cour civile du 19 mars 1956 dans la cause M. et N. contre la société anonyme X. | |
Regeste |
Aktiengesellschaft. |
Art. 697 Abs. 3 OR. Anwendbarkeit der Vorschrift auf stille Reserven? (offen gelassen). Begriff der Gefährdung der Interessen der Gesellschaft (Erw. 2). | |
Sachverhalt | |
A.- La société anonyme X. a son siège en Suisse. Elle détient la majorité des actions de la société anonyme Y., qui est domiciliée à l'étranger. Toutefois, elle ne mentionne expressément cette participation et les revenus qu'elle en tire ni dans ses comptes de profits et pertes ni dans ses bilans. Le président du conseil et l'administrateur délégué de la société Y. sont de nationalité suisse.
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M. et N. sont propriétaires de 113 actions de la société X. Par lettre du 6 mars 1953, ils demandèrent au conseil d'administration divers renseignements concernant la participation de cette entreprise à la société Y. et les revenus qu'elle en tirait. Le conseil d'administration ayant refusé de les renseigner, ils revinrent à la charge à l'assemblée générale, en demandant en outre l'autorisation d'examiner les pièces justificatives et de prendre des extraits certifiés conformes des écritures en question. Mais l'assemblée générale approuva le refus du conseil d'administration.
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B.- M. et N. actionnèrent la société X. en concluant en bref à ce qu'il fût prononcé:
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I. que la société X. avait l'obligation de les renseigner
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a) sur ses relations d'affaires avec la société Y. et sur sa participation aux bénéfices de cette dernière;
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b) sur le montant exact de cette participation aux bénéfices de la société Y. à la fin de 1952 et sur la façon dont cet élément de l'actif figure au bilan de la société X. au 31 décembre 1952;
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II. qu'ils étaient autorisés à se faire remettre des extraits certitifiés conformes de la comptabilité de la société anonyme X. et des pièces justificatives concernant la participation financière de cette société au capital social de la société Y. ainsi que les dividendes et revenus perçus par la société X. au cours de l'exercice 1952, y compris les réserves dites "flottantes", non passées par le compte de proflts et pertes de cette société.
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"1o ... la participation de la société X. dans la société Y. flgure au bilan de la première pour sa totalité sous le chapitre "Portefeuille-Titres".
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2o Etant donné que le conseil d'administration était de l'avis qu'il serait contraire aux intérêts de la société et des ses actionnaires de faire apparaître ouvertement dans le compte de profits et pertes les revenus provenant de la société Y. jusqu'au 31 décembre 1952, nous avons jugé recommandable de les passer dans la comptabilité sociale de la société X. en compte de réserve compris dans le poste "Créditeurs" au bilan, en tenant compte des exigences fiscales.
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3o (Nous déclarons) partager l'avis du conseil d'administration que la communication à des actionnaires de renseignements, sur les revenus suisses et étrangers, plus détaillés que ceux présentés dans le rapport d'exercice, peut être préjudiciable à une entreprise telle que la société X."
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La juridiction cantonale rejeta l'action. Elle considéra que les revenus que la société X. tirait de sa participation à la société Y. constituaient des réserves latentes (art. 643 CO), sur lesquelles les demandeurs ne pouvaient prétendre à des renseignements plus détaillés que ceux qui leur avaient été donnés par la société.
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C.- Contre cet arrêt, M. et N. recourent en réforme au Tribunal fédéral en reprenant les conclusions qu'ils ont formulées dans les instances cantonales.
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L'intimée propose le rejet du recours.
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Considérant en droit: | |
1. a) Les actionnaires sont renseignés en premier lieu sur les affaires de la société par le compte de profits et pertes, le bilan, le rapport des contrôleurs et le rapport de gestion, qui doivent être mis à leur disposition avant l'assemblée générale (art. 696 al. 1 CO). Ils ont donc le droit de connaître toutes les indications qui doivent figurer dans ces documents. Les recourants se fondent sur ce moyen pour se plaindre que le compte de profits et pertes et le bilan de la société anonyme X. n'indiquent pas expressément les revenus qu'elle tire de la société Y. et soient conçus de telle façon que ces revenus n'aient aucune influence apparente sur sa situation.
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Selon l'art. 959 CO, le compte d'exploitation et le bilan annuel doivent être complets, clairs et faciles à consulter, afin que les intéressés puissent se rendre compte aussi exactement que possible de la situation économique de l'entreprise. Mais l'art. 663 CO porte une atteinte sensible au principe de la clarté et de la sincérité du bilan. Il permet en effet à l'administration d'attribuer à des éléments de l'actif une valeur inférieure à celle qu'ils ont au jour où le bilan est dressé et de constituer d'autres réserves latentes dans la mesure nécessaire pour assurer d'une manière durable la prospérité de l'entreprise ou la répartition d'un dividende aussi constant que possible. Or l'intimée explique précisément que les revenus qu'elle tire de la société Y. ont été constitués en réserves latentes, en ce sens qu'un montant correspondant a été inscrit fictivement au compte "créditeurs" du bilan.
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b) Les recourants prétendent cependant qu'en l'espèce, la raison pour laquelle l'intimée dissimule les revenus qu'elle reçoit de la société Y. dépasse le but que la loi assigne aux réserves latentes. En effet - disent-ils - ce n'est pas pour assurer la prospérité durable de la société ou le versement d'un dividende constant que l'intimée refuse de faire apparaître ces revenus dans les comptes soumis aux actionnaires; en réalité, cette société veut se soustraire aux prescriptions étrangères sur le transfert des fonds et, ainsi qu'elle l'admet elle-même, éviter d'être critiquée, en raison des bénéfices que lui procure la société Y., dans le pays où celle-ci a son siège. L'intimée concède qu'elle a intérêt à dissimuler les revenus qu'elle tire de la société Y., mais elle ajoute que la constitution de ces biens en réserves latentes sert également à atteindre les buts prévus par l'art. 663 al. 2 CO.
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La question de savoir si, dans un cas concret, la constitution de réserves latentes se justifie par le désir d'assurer à la société une prospérité durable et aux actionnaires un dividende constant relève essentiellement de l'expérience commerciale. Les personnes les mieux placées pour résoudre cette question sont celles qui sont en rapports étroits avec la société, savoir les administrateurs et les actionnaires. Lors donc que le conseil d'administration estime devoir constituer des réserves latentes et que l'assemblée générale approuve la gestion et le bilan, le juge ne devra intervenir que si ces décisions sont manifestement inconciliables avec l'art. 663 al. 2 CO (cf. par analogie RO 54 II 29, 82 II 150).
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En l'espèce, les recourants n'ont pas démontré que la constitution de réserves latentes ne pût se justifier par le désir d'assurer de façon durable la prospérité de la société et de permettre le versement d'un dividende aussi constant que possible. Sans doute l'intimée est-elle aujourd'hui dans une situation florissante, mais il est notoire que ce ne fut pas toujours le cas et qu'elle a même dû réduire son capital-actions. Dès lors, il est compréhensible que le conseil d'administration veuille consolider la base financière de la société en créant des réserves latentes relativement importantes. Quant au fait que l'intimée aurait d'autres raisons pour que les revenus qu'elle tire de la société Y. restent ignorés du public, cela importe peu. Si les conditions de l'art. 663 al. 2 CO sont remplies, une société peut choisir librement les biens au moyen desquels elle entend constituer des réserves latentes.
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c) Les recourants allèguent en outre qu'on ne saurait, comme l'a fait l'intimée, créer des réserves latentes en inscrivant des dettes fictives au passif de la société. Cette question est controversée en doctrine (cf. notamment BÜRGI, CO, ad art. 662 et 663, rem. 67 et 68; FOLLIET, Le bilan dans les sociétés anonymes, 6e éd., p. 342 et suiv.; SCHUCANY, Kommentar zum schweizerischen Aktienrecht, ad art. 663, rem. 2). Mais il n'est pas nécessaire de la résoudre en l'espèce. Les recourants, en effet, n'attaquent pas le bilan comme tel mais se plaignent seulement d'être privés des renseignements que ce document devrait leur fournir. Or, à cet égard, le moyen qu'ils tirent de la prétendue fausseté du bilan est inopérant. Car l'intimée aurait pu constituer les mêmes réserves latentes en attribuant à certains éléments de l'actif, par exemple aux comptes "Immeubles", "Portefeuille" et "Débiteurs", une valeur inférieure à leur valeur réelle. Un tel bilan serait sans aucun doute conforme à la loi et pourtant il n'apprendrait aux recourants rien de plus que ce qu'ils peuvent tirer du bilan qu'ils critiquent. En particulier, ils n'en sauraient pas davantage sur les bénéfices de la société Y. ni même sur la situation générale de l'intimée.
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On doit conclure de là que les renseignements demandés par M. et N. ne doivent pas nécessairement leur être fournis par les documents que la société est tenue de mettre à la disposition des actionnaires en vertu de l'art. 696 al. 1 CO. Ce premier moyen n'est donc pas fondé.
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Dans l'exercice des droits que lui confère l'art. 697 CO, l'actionnaire ne doit pas poursuivre des buts égoïstes, contraires à l'intérêt général de la société et des autres actionnaires. En l'occurrence, les recourants soutiennent que, si les renseignements qu'ils désirent leur sont fournis, la valeur vénale de toutes les actions augmentera de façon sensible. Il s'agit là d'un but qui, en soi, ne va pas à l'encontre des intérêts généraux des actionnaires.
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Cependant, le juge ne peut obliger le conseil d'administration à fournir les renseignements demandés que si une telle décision ne compromet pas les intérêts de la société. Pour les recourants, les affaires que la société a ainsi le droit de garder secrètes comprennent uniquement celles que les concurrents pourraient exploiter à leur profit (renseignements techniques, organisation, clients, etc.) et l'art. 697 al. 3 CO ne vise pas les questions financières. Mais cette interprétation se heurte au texte même de cette disposition et est du reste contradictoire; il se peut en effet que les commerçants puissent exploiter à leur profit les renseignements de nature financière qu'ils obtiennent sur leurs concurrents. En réalité, comme la juridiction cantonale l'a exposé, le secret des affaires, tel que l'entend l'art. 697 al. 3 CO, couvre tous les faits de la vie économique que l'intérêt légitime de la société commande de ne pas divulguer (cf. RO 65 I 333). Pour que les renseignements doivent être refusés, il suffit donc, même si le requérant a en vue l'intérêt général des actionnaires, que celui-ci soit moins grand que l'intérêt de la société à refuser les indicacations demandées. A cet égard, on ne saurait exiger de la société la preuve stricte de son intérêt. Car elle ne pourrait fréquemment l'apporter qu'en divulguant les faits qu'elle veut précisément tenir cachés. Dès lors, il doit suffire que la société anonyme rende vraisemblable l'intérêt qui lui commande de refuser les renseignements demandés.
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En l'espèce, il ressort du dossier que la société Y. est considérée, dans l'Etat où elle a son siège, comme une société étrangère et qu'elle a été violemment attaquée dans ce pays, où on lui reprochait d'exercer un monopole sur le marché et de réaliser des bénéfices exagérés. Elle a donc intérêt - et cet intérêt est aussi celui de l'intimée - à dissimuler au public une partie de ses bénéfices, dans la mesure tout au moins où ceux-ci sont transférés en Suisse. Il est très vraisemblable en effet que, si les clients de la société Y. connaissaient le chiffre exact de ses bénéfices, ils pourraient se fonder sur ces indications pour s'attaquer à ses tarifs; ses concurrents en tireraient également profit. Et la position de ces adversaires - que ce soit devant l'opinion publique ou devant les autorités - serait sensiblement renforcée par le fait qu'ils pourraient taxer la société Y. d'entreprise étrangère, dont la plus grande partie des bénéfices ne reste pas dans le pays où elle a son siège. Dès lors, il est à tout le moins vraisemblable que l'intérêt de l'intimée à tenir ces indications secrètes est plus grand que celui des recourants à recevoir les renseignements qu'ils désirent.
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Les premiers juges ont considéré en outre que la divulgation des bénéfices transférés en Suisse exposerait l'intimée ou la société Y. à des mesures fiscales propres à provoquer des pertes considérables. De leur côté, les recourants affirment que l'intimée refuse les renseignements demandés parce qu'elle a fait entrer en Suisse les montants en cause par un moyen contraire aux lois étrangères et ils soutiennent que de telles opérations ne sauraient être protégées par le secret des affaires. Mais il n'est pas nécessaire de juger cette question puisque, de toute façon, l'intimée a le droit, pour les raisons qui viennent d'être exposées, de refuser aux recourants les renseignements qu'ils demandent.
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Ainsi, on doit admettre qu'en obligeant la société X. à fournir les indications requises par M. et N., on compromettrait ses intérêts. Dès lors l'action doit être rejetée même si l'art. 697 CO est applicable en l'espèce.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral
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