BGE 95 II 126 | |||
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18. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 13 mai 1969 dans la cause Hoirs de Josefa Spreuer contre Béatrice Spreuer. | |
Regeste |
Verjährung. Begriff des Dienstboten im Sinne von Art. 134 Abs. 1 Ziff. 4 OR (Erw. 1). |
Unwiderleglichkeit der von Art. 320 Abs. 2 OR aufgestellten Vermutung (Erw. 4). | |
Sachverhalt | |
A.- Edouard Spreuer, né en 1887, mécanicien, a exploité durant de nombreuses années un garage à Genève. Bien qu'il ait été inscrit au registre du commerce comme seul titulaire de l'entreprise jusqu'en 1951, il a collaboré dès 1932 avec son fils, né en 1912, mécanicien comme lui et portant le même prénom. En revanche, il est resté seul propriétaire des immeubles affectés au garage.
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Spreuer fils s'est marié en 1939 avec Béatrice Berthoud, née en 1910. Aucun enfant n'est issu de leur union. Les époux Spreuer-Berthoud ont occupé un appartement de deux pièces au deuxième étage de l'un des bâtiments de Spreuer père. Celui-ci vivait avec sa femme, née Stutz, au premier étage du même bâtiment. Les deux couples prenaient leurs repas ensemble et les époux Spreuer-Berthoud bénéficiaient en fait gratuitement de la nourriture et du logement. Le loyer, toutefois, était porté en compte, à raison de 600 fr. par an pour chaque logement, lors de l'établissement des bilans de l'entreprise exploitée par le père et le fils Spreuer. Dès 1945 en tout cas, dame Spreuer-Berthoud a travaillé au garage, assumant notamment seule tous les travaux de bureau et s'occupant de la partie administrative.
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Le 12 juillet 1951, Spreuer père et fils ont constitué une société en nom collectif. Le contrat constate que Spreuer fils est déjà propriétaire de la moitié du fonds de commerce et que l'apport de chacun des associés consiste en la moitié de l'actif et du passif de l'entreprise. Il prévoit que le décès d'un associé entraînera la dissolution, le survivant pouvant continuer seul l'exploitation à condition de désintéresser les héritiers du défunt. La constitution de la société n'a pas changé la position de dame Spreuer-Berthoud, qui a continué à travailler au garage comme auparavant. L'entreprise occupait six ou sept ouvriers.
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Spreuer fils est décédé le 26 juin 1963, sans avoir pris de dispositions pour cause de mort et laissant comme héritiers sa veuve et ses parents. L'exploitation du garage s'est poursuivie jusqu'à fin avril 1964. L'actif de l'entreprise et les immeubles ont alors été vendus à un tiers. Le 29 mai 1964, dame Spreuer-Berthoud a reçu par l'intermédiaire d'un notaire une somme de 100 000 fr. pour solde de ses droits dans la succession de son mari.
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Spreuer père est décédé le 2 octobre 1965. Sa femme, sa seule héritière, lui a survécu un peu moins de trois mois. Elle laisse comme héritiers sept frères et soeurs, qui ont accepté la succession. Dame Spreuer-Berthoud a reçu de cette hoirie une somme de 5000 fr. pour le travail accompli en faveur de ses beauxparents depuis le 1er mai 1964.
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B.- Par acte du 30 décembre 1966, dame Spreuer-Berthoud a assigné devant le Tribunal des prud'hommes de Genève les hoirs de dame Spreuer-Stutz en paiement de 75 000 fr. de salaire pour son activité dans l'entreprise du 1er mai 1959 au 30 avril 1964 et de 9000 fr., sous imputation de 5000 fr. déjà reçus, pour le travail fourni du 1er mai 1964 à fin décembre 1965. Le tribunal a admis la demande à concurrence de 12 000 fr., soit pour la période courant du 26 juin 1963 au 30 avril 1964 et l'a rejetée pour le surplus.
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Statuant le 5 décembre 1968, la Chambre d'appel des prud'hommes a réformé ce jugement et alloué à la demanderesse, en plus des 12 000 fr. adjugés en première instance, un montant de 30 000 fr. pour le travail effectué du 1er mai 1959 au 26 juin 1963. Rejetant l'exception de prescription, la cour cantonale a estimé en bref que des circonstances particulières justifiaient en l'espèce l'application de l'art. 320 al. 2 CO, soit notamment l'intensité du travail, le fait qu'il était accompli non pas pour le mari seulement, mais pour une société à laquelle le mari n'était intéressé que pour moitié et de laquelle il ne recevait qu'un très modeste salaire.
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C.- Les hoirs de dame Josefa Spreuer-Stutz recourent en réforme et requièrent que la demanderesse soit totalement déboutée. L'intimée conclut au rejet du recours.
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Considérant en droit: | |
1. Les recourants soutiennent que la demande est prescrite. Ils ont tort. Comme l'a relevé la cour cantonale, citant l'arrêt Brenn (RO 90 II 443 s.), il faut entendre par domestique, au sens de l'art. 134 ch. 4 CO, non seulement celui qui travaille dans le ménage, mais aussi celui qui déploie son activité dans une entreprise que l'employeur exploite en connexion étroite avec son ménage et qui vit dans la communauté domestique de l'employeur, comme un membre de la famille. Tel était le cas de la demanderesse, épouse et bru des deux associés qui recouraient à ses services et dont les deux ménages, vivant sous le même toit et prenant leurs repas ensemble, formaient une communauté domestique. Les égards que la demanderesse devait à son mari et à son beau-père lui interdisaient de formuler une réclamation contre la société sous forme d'un commandement de payer. Les considérations qui ont dicté la règle de l'art. 134 ch. 4 CO valent également pour sa situation.
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Une telle activité excède l'aide que prévoit l'art. 161 CC, même si la demanderesse était déchargée d'une partie de ses travaux ménagers. Ce n'est cependant pas décisif pour la question à juger (RO 82 II 96).
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b) Dame Spreuer travaillait pour une société en nom collectif dont son mari était l'un des associés. Sans doute Spreuer était-il fils unique et l'intérêt à la prospérité de l'entreprise se confondait-il virtuellement avec son propre intérêt, puisqu'il était appelé à succéder à ses parents. Il n'en demeure pas moins qu'il n'avait qu'une part dans la société et pour le reste une simple expectative. Il percevait un salaire, fort modeste, qui ne comprenait certainement pas le travail de sa femme. Ainsi 1,"aide", au sens de l'art. 161 CC, que la demanderesse lui aurait apportée était-elle tout à fait indirecte. Pour une moitié au moins, l'activité de celle-ci profitait à son beau-père. On ignore pour le surplus si les bénéfices comptabilisés par la société étaient distribués: la cour cantonale tient pour probable qu'ils ont servi en partie à amortir le prix des immeubles, propriété de Spreuer père.
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Le présente cause diffère ainsi profondément des cas précédemment jugés, où l'activité de la femme profitait directement et exclusivement au mari, soit à l'union conjugale. Ici, le travail de la demanderesse a été fourni à la société en nom collectif. Le fait que le mari était membre de cette société n'exclut pas que, selon une appréciation objective des circonstances de la cause, un tel travail ne devait être fourni que contre salaire. Si, comme en l'espèce, l'associé perçoit en vertu du contrat un salaire, qui constitue une créance contre la société (art. 558 al. 3, 560 CO), à plus forte raison le conjoint de cet associé peut-il se voir reconnaître un droit à un salaire.
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c) L'arrêt déféré constate au surplus qu'à la différence des cas visés par les arrêts précités, l'activité de la demanderesse n'a guère procuré au ménage Spreuer fils l'avantage financier auquel il aurait pu prétendre en raison de la qualité d'associé du mari et du travail effectivement fourni: le salaire perçu était fort modeste, les conditions de logement l'étaient également et une partie des bénéfices au moins était affectée à l'amortissement du prix des immeubles propriété de Spreuer père. La demanderesse n'a donc pas trouvé la compensation de ses efforts dans une aisance accrue. La contrepartie du travail qu'elle a fourni à la société résidait principalement, si ce n'est exclusivement, dans l'expectative que les droits successoraux du mari représentaient. Elle était donc indirecte, à terme et éventuelle.
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d) Vu ces circonstances, considérées dans leur ensemble, l'activité de la demanderesse se situe trop en dehors de l'aide qu'une femme est juridiquement tenue d'apporter à son mari pour que puisse être écartée la présomption de l'art. 320 al.2 CO. En soi, le travail qu'elle a fourni méritait salaire. Si elle avait élevé une prétention dans ce sens au cours de ses premières années d'activité, elle aurait pu invoquer cette disposition avec de bons motifs.
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Cette conclusion s'imposerait en effet si, comme le faisait l'art. 338 al. 2 a CO, l'art. 320 al. 2 se bornait à déduire de la prestation des services et de leur acceptation la présomption, réfragable, d'une convention tacite, d'une promesse tacite de rémunération. Mais, de l'avis de la doctrine, il a une autre portée. Selon OSER/SCHÖNENBERGER (Kommentar, N. 3 a 6 ad art. 320), l'acceptation d'un travail aux conditions posées par cette disposition constitue la présomption irréfragable de l'existence d'un contrat de travail et, partant, de l'obligation de rémunérer les services rendus. Dès que les conditions de l'art. 320 al. 2 CO sont réunies, la cause du travail fourni est présumée être le contrat de travail et non un autre rapport de droit. La volonté intime des parties n'est pas déterminante. VON TUHR, § 21, 7, exprime la même opinion. La doctrine allemande s'exprime aussi dans ce sens au sujet du § 612 BGB, dont la teneur est semblable à celle de l'art. 320 al. 2 CO. Ainsi LEHMANN, dans Enneccerus-Lehmann, 15e éd., Tübingen 1954, § 145 I 3 a) et note 3, relève que ce qui est déterminant, c'est la situation de fait objective (die objektive Sachlage) et non l'opinion des parties. LARENZ (Lehrbuch des Schuldrechts, II 5e éd., München und Berlin 1962, p. 176) et la doctrine qu'il invoque se prononcent plus nettement encore: le salaire est dû de par la loi: le § 612 n'institue pas une simple règle d'interprétation, mais une obligation légale de payer le salaire au même titre que si un contrat de travail avait été conclu.
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Ainsi entendu, l'art. 320 al. 2 CO permet d'apporter, en équité, un tempérament à la rigueur de la situation de celui qui qui n'a pas réclamé de salaire parce qu'il comptait être rétribué ultérieurement d'une autre manière et qui voit déçue cette attente légitime à la suite d'un événement imprévu. Le Tribunal fédéral a déjà consacré cette interprétation, implicitement tout au moins, dans l'arrêt Brenn (RO 90 II 443 s.): un fils majeur ayant travaillé dans l'entreprise de son père n'avait pas réclamé de salaire pendant plusieurs années, "car il pouvait supposer que le commerce de son père lui reviendrait, au plus tard à la mort de celui-ci, et qu'à cette occasion il lui serait tenu compte équitablement de ses services". S'il pouvait s'attendre à être désintéressé à ce moment-là, ses services doivent être également réputés onéreux dans le cas de son prédécès. Ainsi, peu importe que les parties aient en fait renoncé momentanément de part et d'autre à une rémunération. Il faut et il suffit, pour que le salaire soit dû, qu'il s'agisse d'un travail qui, selon les circonstances objectives, devait normalement être rétribué.
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Les mêmes motifs doivent conduire ici au même résultat. La demanderesse, par son activité intense et suivie, a contribué à la prospérité de l'entreprise qui constitue la plus grande part du patrimoine de sa belle-mère. Alors qu'elle pouvait raisonnablement compter que ce patrimoine reviendrait à son mari et qu'elle en tirerait indirectement un avantage qui la paierait de ses efforts, elle le voit échoir à des tiers qui n'ont en rien contribué à le constituer. L'interprétation que donne la doctrine de l'art. 320 al. 2 CO et que consacre, dans sa solution, l'arrêt Brenn, permet de corriger cette situation et conduit à reconnaître en principe le droit de la demanderesse à un salaire.
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