BGE 100 II 352 | |||
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53. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 24 septembre 1974 dans la cause Gay contre dame Porcel. | |
Regeste |
Art. 339 aoR, Haftung des Arbeitgebers. |
Herabsetzung des Schadenersatzes wegen Mitverschuldens der Verunfallten (Erw. 2 b). |
Medizinische Invalidität und Erwerbsunfähigkeit (Erw. 5). |
Bestimmung des künftigen Erwerbsausfalles unter Berücksichtigung von Tätigkeit und Alter der Verunfallten sowie deren Absicht, in ihre Heimat zurückzukehren (Erw. 6). | |
Sachverhalt | |
A.- Manuella Porcel-Castillo, née en 1913, est entrée le 1er février 1967 au service des époux Gay, qui exploitent l'institut "Château Beau-Cèdre" à Clarens. Elle travaillait notamment dans les chambres, à la cuisine, s'occupait des nettoyages, de la lessive et du repassage. Il lui arrivait d'utiliser pour cette dernière activité une calandre chauffante à usage ménager appartenant à ses employeurs et au fonctionnement de laquelle elle avait été initiée par sa soeur. Celle-ci, qui travail lait également à l'institut, se servait de cette machine depuis 1960.
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Partie en vacances en Espagne à mi-mai 1968, dame Porcel est rentrée à Clarens le 11 juin 1968 au soir, après avoir été retardée par une grève des chemins de fer français. En l'absence des époux Gay, elle a été reçue par leur fils, qui lui a remis la clef de sa chambre. Elle a repris son travail le lendemain. Sa soeur était en congé ce jour-là. Dame Porcel a repassé seule des draps avec la calandre. Alors qu'elle passait le dernier drap dans la machine, sa main droite est restée prise sous le rouleau. Elle a dû être amputée des trois derniers doigts de la main droite, atteints de brûlures du troisième degré, la fonction du pouce et de l'index restant complète.
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Les époux Gay ont donné congé à dame Porcel pour fin novembre 1968. Celle-ci a été engagée au début de 1969 comme aide de ménage à l'Institut Maillefer à la Tour-de-Peilz, qu'elle a quitté à fin septembre 1973, à la remise de cet établissement.
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Les époux Gay avaient contracté pour leur personnel de maison, auprès de la Zurich, une police d'assurance contre les accidents prévoyant les prestations maximales suivantes: 10 000 fr. en cas d'invalidité et 2000 fr. pour les frais de traitement médical; le pourcentage d'invalidité fixé pour la perte d'un autre doigt de la main droite que le pouce ou l'index était de 8%. A l'époque, les conventions collectives dans la branche de l'hôtellerie et les exploitations analogues prévoyaient une indemnité minimale de 20 000 fr. en cas d'invalidité totale. La Zurich a payé à dame Porcel une indemnité de 2400 fr. ainsi que les frais médicaux et d'hospitalisation.
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B.- Dame Porcel a ouvert action contre les époux Gay, solidairement, en paiement de 97 518 fr. 90 avec intérêt, dont à déduire les gains réalisés au service de l'Institut Maillefer et ceux qu'elle pourrait obtenir dès son retour en Espagne.
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Les défendeurs ont offert de verser 5000 fr. à la demanderesse pour solde de tous comptes et conclu à libération des fins de la demande.
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Par jugement du 9 avril 1974, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a condamné les défendeurs à payer solidairement à la demanderesse 9240 fr. avec intérêt à 5% dès le 1er février 1971 et 33 150 fr. avec intérêt à 5% dès le 1er octobre 1973. Se fondant notamment sur une expertise technique, elle considère que les défendeurs sont entièrement responsables du dommage subi par la demanderesse, dont aucune faute n'a été établie. Elle arrête à 11 640 fr. le dommage concret, soit le manque à gagner subi par la demanderesse jusqu'au 30 septembre 1973, montant dont il faut déduire l'indemnité de 2400 fr. versée par la Zurich. Compte tenu du taux d'incapacité de travail de 31,5% que propose l'expert médical, le dommage permanent annuel de la demanderesse dès le 1er octobre 1973 peut être estimé à 3000 fr., ce qui donne un capital de 33 150 fr.
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C.- Les défendeurs recourent en réforme au Tribunal fédéral. Ils concluent à la réduction à 10 000 fr. de la créance de la demanderesse.
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L'intimée propose le rejet du recours.
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Le Tribunal fédéral admet partiellement le recours.
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Extrait des considérants: | |
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a) La faute imputable à l'employeur. en l'espèce est de même nature que celle qu'a retenue le Tribunal fédéral dans l'arrêt Vuerchoz du 11 mars 1969 (RO 95 II 132 ss.). Cet arrêt rappelle que l'art. 339 CO ancien impose à l'employeur un double devoir: d'une part, il doit munir les installations et les machines dangereuses de dispositifs de sécurité adéquats selon l'état de la technique; d'autre part, il est tenu d'instruire les employés des risques auxquels ils sont exposés et de leur prescrire le comportement à adopter pour les éviter; la nature et l'étendue des précautions qui incombent à l'employeur sont déterminées dans une large mesure par la personne de l'employé, sa formation, ses capacités (consid. 1, p. 137). Le devoir de diligence de l'employeur doit être apprécié selon des exigences rigoureuses; il comprend la prévention de tout accident qui n'est pas dû à un comportement imprévisible et constitutif d'une faute grave de la victime (consid. 2, p. 140).
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Examinée à la lumière de ces principes, la responsabilité des défendeurs est manifestement engagée. Selon le rapport d'expertise, la calandre en cause ne comporte pas le dispositif de sécurité - "barrière de protection" - qui équipe obligatoirement les calandres chauffantes utilisées dans des entreprises à caractère industriel. Elle possède un débrayage que l'on peut actionner avec la main ou avec le genou en opérant une pression vers la droite, ainsi qu'un levier actionné au pied qui, en abaissant le berceau chauffant, permet de dégager un drap plissé ou une main prise. Sans réflexes rapides et conditionnés, ces manoeuvres ne peuvent cependant être efficaces parce que tardives. Les dispositifs en question sont ainsi insuffisants en ce qui concerne la sécurité du personnel servant.
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A l'instar des premiers juges, la cour de céans ne peut que se rallier aux conclusions de l'expert et admettre que la machine à l'origine de l'accident, bien que présentant un danger caractérisé, n'était pas munie des dispositifs de sécurité adéquats. La responsabilité de l'employeur est dès lors engagée; peu importe que, selon l'expert, "la majorité, sinon la totalité, des calandres à usage ménager sont construites sur la base du même principe". Le coût et la pose d'un dispositif de sécurité, qui aurait porté en 1968 le capital investi dans la machine de 1857 fr. à 2753 fr., n'était en effet pas tel que cette mesure de prévention ne pût être imposée aux défendeurs.
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Le jugement déféré constate au surplus que si la demanderesse a été initiée au fonctionnement de la calandre par sa soeur, les défendeurs "ne se sont pas souciés de son instruction" à ce sujet et qu'ils "n'ont pas attiré son attention sur les risques qui guettent le servant" de cette machine. Leur responsabilité est donc engagée à ce titre également.
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b) Le Tribunal cantonal considère qu'il n'est pas établi, ni même allégué que la demanderesse ait commis une erreur de manipulation, qu'elle ait placé sa main de manière imprudente sous la presse pour se faciliter le travail; rien ne permet selon lui d'imaginer l'existence d'une quelconque faute à la charge de la demanderesse.
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En l'absence d'une barre de sécurité arrêtant automatiquement le mouvement du cylindre, le danger propre à l'utilisation de la calandre en cause est évident. Tout usager, même non averti, doit avoir conscience qu'en avançant les doigts trop près du rouleau, il s'expose au risque qu'ils soient entraînés par le mouvement de celui-ci. Lorsque les premiers juges considèrent, pour nier l'existence d'une faute de la demanderesse, qu'il n'est pas établi ni même allégué qu'elle ait placé sa main de manière imprudente sous la presse, ils méconnaissent que l'accident n'a pu se produire qu'à la suite d'une telle imprudence. Les défendeurs ont toujours fait valoir cette faute, qui est patente; sans elle, l'accident serait inexplicable. Or des faits dont on doit présumer qu'ils se sont déroulés dans le cours naturel des choses peuvent être mis à la base d'un jugement, même s'ils ne sont pas établis par une preuve, à moins que la partie adverse n'allègue ou ne prouve des circonstances de nature à mettre leur exactitude en doute (RO 85 II 190; arrêt non publié Walker c. Hefti, du 15 mars 1974, consid. 3 c p. 12; KUMMER, n. 362 ss. ad art. 8 CC; GULDENER, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 2e éd., p. 341, 345; DESCHENAUX, Der Einleitungstitel, Schweizerisches Privatrecht II, p. 268). En l'espèce, la demanderesse n'a pas tenté de fournir une autre explication des causes de l'accident.
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C'est donc à tort que le Tribunal cantonal a nié l'existence d'une faute de la demanderesse. Quant à la proportion dans laquelle il convient de réduire les dommages-intérêts, le taux d'un tiers que proposent les recourants n'est pas excessif au regard de l'imprudence commise par l'intimée.
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Il est vrai que le taux d'invalidité de 31,5% fixé par l'expert médical, et adopté par le Tribunal cantonal, repose sur l'estimation du seul dommage anatomique, soit sur le pourcentage de 24% admis de manière générale par la compagnie d'assurances Zurich pour la perte des trois derniers doigts de la main droite. Selon l'expert, il convient de retenir un supplément de 7,5% pour tenir compte de "facteurs sociaux tels que: difficulté de reclassement professionnel de la patiente en raison de son âge et handicap sur le marché du travail". Les premiers juges déclarent se rallier "au taux d'incapacité de travail de 31,5% que propose l'expert médical" en considérant qu'"il ne s'agit pas là, selon l'expert lui-même, d'un taux purement médical, comme ont tenté de le soutenir les défendeurs. Au contraire, l'expert a tenu compte de l'âge de la demanderesse, du handicap que présente l'aspect de sa main pour son reclassement professionnel et sa recherche d'emploi." Ces considérations de l'autorité cantonale à l'appui de la solution adoptée montrent qu'elle n'a nullement confondu les notions de l'invalidité médicale et de l'incapacité de gain, comme le soutiennent les recourants. Elle n'a pas violé le droit fédéral en se fondant sur le taux de 31,5% proposé par l'expert médical et la cour de céans n'a aucun motif de s'écarter de cette appréciation.
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Les premiers juges constatent que la demanderesse a manifesté l'intention de rentrer en Espagne où le gain qu'elle pourrait réaliser ne serait pas supérieur à 480 fr. par mois, alors que le salaire usuel normal correspondant à son emploi serait de 850 fr. en Suisse. Ils admettent dès lors avec raison l'existence de deux causes, indépendantes de l'accident, de diminution de la capacité de gain future de la demanderesse: d'une part son âge, 60 ans au moment déterminant pour la capitalisation; d'autre part les conditions de salaire inférieures de l'Espagne. Mais la réduction de la perte de gain mensuelle de 267 fr. 50 à 250 fr. ne tient pas suffisamment compte de ces deux facteurs.
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Selon l'expérience générale de la vie, une femme âgée de 60 ans ne trouvera pas jusqu'à la fin de la durée moyenne d'activité - de 14,29 ans d'après STAUFFER/SCHAETZLE (Barwerttafeln, 3e éd., p. 193) - un emploi d'aide de ménage, rémunéré comme si elle était dans la force de l'âge. Compte tenu de l'entretien et du logement, la demanderesse aurait nécessairement dû tabler sur une réduction sensible de son salaire en espèces dans un avenir plus ou moins proche, ce qu'il faut prendre en considération (cf. RO 99 II 212 in initio; OFTINGER, Haftpflichtrecht, 2e éd., I p. 191; STAUFFER/SCHAETZLE, op.cit., p. 155), sans pour autant faire "abstraction de tout calcul de capitalisation", comme le proposent les recourants. Il convient en outre de tenir compte de l'intention manifestée par la recourante de retourner en Espagne, où elle utilisera le capital qui lui sera alloué, de manière à ce qu'elle ne jouisse pas d'une situation pécuniaire meilleure que celle qu'elle aurait eue en Suisse (cf. RO 97 II 131 s. consid. 6 i.f., 135 consid. 10 i.f.). Ces deux facteurs justifient la fixation d'une perte de gain mensuelle de 200 fr. comme base de calcul de l'indemnité pour atteinte à l'avenir économique de la demanderesse consécutive à l'accident. Capitalisée selon la table 20 de STAUFFER/SCHAETZLE (op. cit., p. 197, pour une femme de 60 ans, coefficient 1105), la perte annuelle de 2400 fr. représente 26520 fr. Après la réduction de 1/3 pour la faute de la demanderesse, celle-ci a droit à une indemnité de 17 860 fr., avec intérêt à 5% dès le 1er octobre 1973.
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