BGE 106 II 208 | |||
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41. Arrêt de la Ire Cour civile du 21 octobre 1980 dans la cause Chabod et Luini contre dame Schneeberger (recours en réforme) | |
Regeste |
Haftung des Werkeigentümers (Art. 58 OR). | |
Sachverhalt | |
A.- Les époux Maurice et Léonie Schneeberger étaient concierges des immeubles nos 38, 40 et 42 de l'avenue Reller, à Corsier. D'entente avec dame Voegeli, concierge des immeubles 32, 34 et 36 de la même rue, Maurice Schneeberger s'est engagé en 1975 à tondre le gazon de la toiture du bâtiment no 36 dont Arnold Chabod et Hugo Luini sont copropriétaires. Les deux concierges sont convenus de cet arrangement, car dame Voegeli souffrait du vertige.
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L'immeuble no 36 comporte neuf étages; il a une toiture plate, qui a été recouverte de gazon à la demande de la commune de Corsier. Un muret haut d'environ 25 cm, dans le prolongement des façades, entoure cette surface gazonnée et bosselée. L'accès au toit n'est en principe pas autorisé au public. Il se fait par une trappe, une échelle et une porte verrouillée, dont Schneeberger et dame Voegeli avaient chacun une clef.
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Schneeberger tondait le gazon deux à trois fois par mois avec une tondeuse à coussin d'air. Dans l'après-midi du 7 juin 1977, alors qu'il s'y occupait pour la première fois de l'année, il a basculé dans le vide à l'angle sud-est du toit et s'est écrasé sur le balcon du sixième étage, après une chute de quelque 10 m. Il est décédé durant son transfert de l'hôpital de Vevey à celui de Lausanne.
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B.- Léonie Schneeberger a ouvert action contre Chabod et Luini en paiement de 229'475 fr. avec intérêt à 5% dès le 7 juin 1977.
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Les défendeurs ont conclu à libération.
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Par jugement du 17 avril 1980, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a condamné les défendeurs à payer solidairement à la demanderesse 132'071 fr. avec intérêt à 5% dès le 7 juin 1977. Elle a admis la responsabilité des défendeurs fondée sur l'art. 58 CO, mais elle a opéré une réduction de 20% pour faute concurrente de la victime.
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Chabod a été déclaré en faillite le 5 mars 1980.
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Le Tribunal fédéral a admis partiellement le recours et ramené à 110'060 fr. en capital la somme due par les défendeurs à la demanderesse.
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Considérant en droit: | |
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a) Pour juger si un ouvrage souffre d'un vice de construction, il faut se référer au but qui lui est assigné, car il n'a pas à être adapté à un usage contraire à sa destination. Un ouvrage est donc défectueux lorsqu'il n'offre pas une sécurité suffisante pour l'usage auquel il est destiné (ATF 100 II 139 consid. 4, ATF 94 II 153 consid. 3 et les arrêts cités).
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S'agissant d'un toit gazonné, la tonte régulière du gazon, à raison de deux ou trois fois par mois durant la belle saison, constitue un usage conforme à la destination de l'ouvrage; on doit en effet procéder à cette activité régulière pour maintenir le toit dans un état convenable (cf., sur cette notion d'usage lié au maintien en bon état d'un ouvrage, ATF 94 II 153 s. consid. 3). Un tel toit doit donc présenter une sécurité suffisante pour que le gazon puisse être tondu sans danger.
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Le propriétaire n'est certes pas tenu de prendre des mesures de précaution contre n'importe quel risque; il doit seulement parer au danger qui résulte de la nature et de l'emploi normal de l'ouvrage, soit en l'occurrence d'une tonte de gazon devant s'effectuer jusqu'au bord du toit. Il n'a pas à tenir compte, en revanche, des risques dont la réalisation est peu vraisemblable, ni de ceux qu'un minimum de prudence permet d'écarter. L'application de ce principe dépend aussi de la gravité du risque et de la facilité avec laquelle il peut être prévenu: l'obligation du propriétaire (comme celle de l'employeur selon l'art. 328 CO, ou 339 aCO) sera appréciée plus sévèrement si le risque est grave et si la technique offre les moyens d'y parer sans grands frais (ATF 90 II 229 s. consid. 2b).
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En l'espèce, le risque de chute d'une personne appelée à circuler de long en large pour tondre le gazon jusqu'au bord du toit est loin d'être négligeable ou peu vraisemblable et apparaît à chacun. La nature bosselée de la surface gazonnée et la nécessité de se déplacer en tous sens en maniant une tondeuse peut sans conteste favoriser une chute ou une glissade. Compte tenu de la gravité du risque (chute d'une grande hauteur) et du coût réduit que représente un grillage ou une protection semblable, l'autorité cantonale a considéré à juste titre que l'existence d'un seul muret de 25 cm de hauteur constituait un vice de construction.
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b) Le défaut d'un ouvrage n'engage pas la responsabilité du propriétaire s'il ne peut provoquer d'accident lorsque les usagers ont un comportement raisonnable et font preuve de l'attention qu'on peut normalement attendre d'eux (ATF 91 II 209 consid. 3e). Les défendeurs se réfèrent manifestement à ce principe lorsqu'ils font valoir que le danger était évident pour la victime et qu'elle pouvait aisément éviter tout risque de chute en manoeuvrant la tondeuse sans s'approcher à moins de 1,50 m du bord de la toiture, comme aurait dû le faire un spécialiste appelé à travailler sur un toit et connaissant les particularités de sa machine.
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La jurisprudence précitée ne s'applique toutefois que dans le cas d'un défaut mineur (untergeordneter, geringfügiger Mangel: ATF 91 II 209, ATF 66 II 111). Or, on ne saurait considérer comme tel l'absence de protection contre le risque de chute du haut d'un immeuble de neuf étages. Au surplus, il ne s'agit pas d'une situation où l'usage du toit, soit son entretien, ne peut être que le fait d'un spécialiste formé pour le travail au-dessus du vide, familiarisé avec ses dangers et ayant appris à se prémunir contre eux (couvreur, laveur de vitres en plein ciel, monteur d'antennes, d'échafaudages ou de poteaux, etc.). L'usage en cause était au contraire le fait d'un concierge ou d'un jardinier, soit d'une personne dont l'activité courante se déploie dans des lieux ou dans un environnement dépourvu de dangers aussi sérieux que celui constitué par la proximité constante du vide. L'activité de tonte à laquelle se livrait cette personne en l'espèce était semblable à celle qui s'exerce sans danger au sol, et qui ne nécessite aucunement d'éviter de circuler sur les bords du gazon. Les automatismes dans les trajets, les déambulations et les modes de tonte peuvent ressurgir au sommet d'un immeuble même chez une personne prudente.
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c) Quant à savoir si et dans quelle mesure le toit était accessible au public, la question est sans pertinence ici. L'existence d'un vice de construction est en effet admise en l'espèce dans le cadre d'un usage et d'une destination du toit n'impliquant pas un accès du public à l'ouvrage. Il n'y a dès lors pas lieu d'examiner le bien-fondé des considérants du jugement déféré sur cette question.
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La victime, qui tondait le gazon sur le toit du bâtiment en cause pour la troisième année consécutive, était parfaitement consciente du danger de ce travail, effectué au sommet d'un immeuble de neuf étages, sur un terrain bosselé et simplement bordé par un muret de 25 cm, visiblement impropre à retenir une personne perdant l'équilibre au cours de son activité.
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L'évidence et la gravité du danger lui imposaient une attention particulièrement soutenue, une vigilance d'autant plus grande qu'elle s'approchait du bord de la toiture. En reculant perpendiculairement à la façade sud ou en longeant celle-ci, alors que son activité lui permettait de se tenir en face et à une certaine distance du bord de ladite façade, la victime a manifestement manqué à ce devoir d'attention. Cette imprudence justifie de réduire dans une plus forte mesure que ne l'a fait l'autorité cantonale, soit à raison d'un tiers au lieu de 20%, les dommages-intérêts alloués à la demanderesse. Les défendeurs doivent dès lors à celle-ci 110'060 fr. (2/3 de 165'089 fr.), avec intérêt à 5% dès le 7 juin 1977.
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