BGE 106 II 341 | |||
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65. Arrêt de la IIe Cour civile du 18 décembre 1980 dans la cause City Carburoil Fribourg S.A. contre Etat de Fribourg (recours en réforme) | |
Regeste |
Haftung für die Grundbuchführung, Art. 955 Abs. 1 ZGB. | |
Sachverhalt | |
A.- Par acte authentique du 26 mai 1977, la commune de Grolley a vendu à la société City Carburoil Fribourg S.A. (ci-après: Carburoil S.A.) l'immeuble art. 563 du registre foncier, d'une superficie de 35'300 m2 selon l'indication figurant au feuillet du grand livre. L'acte de vente reprend cette surface et fixe le prix à 11 fr. le m2, soit au total à 388'300 fr.
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Le 26 septembre 1977, le géomètre Jean Hodler, à Fribourg, a établi un procès-verbal de correction de surface de la parcelle vendue. Ce document révèle que l'aire réelle de l'immeuble art. 563 du registre foncier de la commune de Grolley est de 30'080 m2, soit 5'220 m2 de moins que la superficie indiquée dans le grand livre et reprise dans l'acte de vente du 26 mai 1977.
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Le cadastre-minute de la commune de Grolley, qui date de 1917 et sur la base duquel a été établi le grand livre, mentionne pour l'art. 563 une superficie de 3 hectares et 53 centiares, soit 30'053 m2, et de 8 poses et 139 perches, soit 30'051 m2. C'est à la suite d'une erreur de transcription que le chiffre de 35'300 m2 a été porté dans le grand livre du registre foncier.
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Carburoil S.A. a réclamé à la commune de Grolley le remboursement de la somme de 57'420 fr. (11 x 5'220) correspondant au prix du terrain manquant. La venderesse a refusé toute restitution en invoquant l'art. 219 al. 2 CO.
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B.- Le 25 janvier 1978, Carburoil S.A. a introduit contre l'Etat de Fribourg une action fondée sur l'art. 955 CC, en paiement de 57'420 fr. avec intérêt à 5% dès le 26 mai 1977.
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Le 3 mai 1979, le Tribunal civil de l'arrondissement de la Sarine a rejeté l'action. La Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg a confirmé ce jugement par arrêt du 22 avril 1980.
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C.- La demanderesse recourt en réforme au Tribunal fédéral en reprenant ses conclusions de première instance.
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Le Tribunal fédéral admet le recours, annule l'arrêt attaqué et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouveau jugement dans le sens des considérants.
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Considérant en droit: | |
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Le litige porte ici sur la notion de "tenue du registre foncier". Les juridictions cantonales considèrent qu'une erreur de transcription de la surface d'un immeuble sur le feuillet du grand livre, sous la rubrique description, ne rentre pas dans cette notion. La demanderesse soutient au contraire qu'une telle erreur engage la responsabilité du canton selon l'art. 955 CC.
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a) Selon la doctrine, sur laquelle se fondent les juridictions cantonales, il faut entendre par tenue du registre foncier l'ensemble de l'activité que les préposés déploient pour assurer la publicité foncière; cette activité ne s'étend pas aux simples indications de fait figurant dans l'état descriptif (nom local, genre de culture, bâtiment, estimations), qui ne participent pas à la foi publique et ne produisent aucun des effets spécifiques du registre foncier, même pas celui d'une simple présomption d'exactitude (art. 9 CC); il en va ainsi également de l'indication de la surface: c'est la contenance résultant des limites tracées aux plans qui est déterminante et non pas la donnée chiffrée que fournit l'état descriptif; il n'y a dès lors pas de place pour une responsabilité de l'Etat à raison d'inexactitudes portant sur des indications de ce genre (DESCHENAUX, La responsabilité pour la tenue du registre foncier, RNRF 1978 p. 129 ss., 144; cf. aussi FRIEDRICH, Fehler in der Grundbuchvermessung, ihre Folgen und ihre Behebung, RNRF 1977 p. 138 s.; JENNY, Die Verantwortlichkeit im Grundbuchwesen, RNRF 1965 p. 86).
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b) Les principes suivants ressortent de la jurisprudence du Tribunal fédéral:
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Les termes "résultant d'une tenue irrégulière du registre foncier" ("durch rechtswidrige Führung des Grundbuches") ont été ajoutés par la Commission d'experts au texte de l'avant-projet du Département fédéral de justice et police pour préciser que la responsabilité des cantons ne s'étendait pas à la mensuration cadastrale et aux estimations. Ni cette ajonction, ni la mise au point rédactionnelle intervenue par la suite ne devaient changer quoi que ce fût à l'idée initiale d'une responsabilité de l'Etat couvrant toute violation par un fonctionnaire du registre foncier des devoirs de sa charge; en particulier, on n'a jamais entendu limiter cette responsabilité aux violations portant sur des inscriptions au grand livre (ATF 57 II 569s.). Le principe de la foi publique, dont découle la protection de l'acquéreur de bonne foi, s'étend non seulement aux inscriptions au sens étroit, c'est-à-dire aux inscriptions dans le grand livre, mais aussi aux plans, qui définissent les limites des fonds. Contrairement aux indications sur la dénomination, le genre de culture, les bâtiments, estimations, etc., qui ne portent que sur la nature et les particularités de l'immeuble et ne participent dès lors pas à la foi publique, la définition des limites appartient à la fixation du contenu du droit lui-même, de même que l'inscription relative à la nature de ce droit et à la portée réelle des attributs qui en découlent (ATF 44 II 467). La tenue du registre foncier ne se limite pas à celle du grand livre et des registres accessoires, elle comprend aussi la délivrance d'extraits du registre foncier prévus par les art. 105 ORF et 825 al. 2 CC, laquelle constitue une fonction officielle du conservateur (ATF 53 II 372).
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La responsabilité des cantons pour le dommage résultant de la tenue du registre foncier ne se rattache pas seulement aux effets du registre en faveur des tiers de bonne foi; elle se justifie également par la considération générale que tous les actes juridiques portant sur des immeubles ne peuvent s'accomplir que par l'intermédiaire de la tenue du registre foncier (ATF 51 II 389).
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c) La conception restrictive des juridictions fribourgeoises et de la doctrine sur laquelle elles se fondent n'est pas satisfaisante ni justifiée au regard de la ratio legis et de la jurisprudence.
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L'examen des travaux préparatoires, en particulier de l'exposé des motifs de l'avant-projet du Département fédéral de justice et police (Berne 1902, tome troisième, Droits réels, p. 331) et des délibérations de la Commission d'experts (procès-verbaux 4 p. 342 à 345) révèle la volonté d'instituer une responsabilité primaire et causale de l'Etat à raison des actes illicites des fonctionnaires du registre foncier, sauf les actes de mensuration et d'estimation. Il ne permet pas d'admettre que cette responsabilité se limite aux actes qui participent à la foi publique attachée au registre foncier. L'exposé des motifs relève au contraire que si "la désignation extérieure des immeubles - l'état de fait de chacun d'eux - ... n'a pas de portée juridique ..., une désignation erronée pourra entraîner la responsabilité du conservateur ou celle de l'Etat" (op.cit., p. 312 s.). Nier la responsabilité de l'Etat dans un cas typique d'irrégularité commise par un fonctionnaire dans la tenue du registre foncier, comme l'erreur de transcription de la surface constatée en l'espèce, serait incompatible avec le souci du législateur de protéger la personne lésée parce qu'elle s'est fiée aux indications du registre foncier.
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Une telle solution s'écarterait de la ligne tracée par la jurisprudence du Tribunal fédéral (citée sous lettre b ci-dessus), qui n'a certes pas eu l'occasion de trancher un cas semblable, mais qui s'est prononcée pour une responsabilité englobant toute violation par un fonctionnaire du registre foncier des devoirs de sa charge à l'égard de tiers (ATF 57 II 570).
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Le rejet de la présente action en responsabilité se heurte également à la réglementation consacrée par l'art. 219 al. 2 CO, qui prive l'acheteur de son droit à la garantie à l'égard du vendeur - à moins que celui-ci ne s'y soit expressément obligé -, si l'immeuble vendu n'a pas la contenance portée au registre foncier d'après une mensuration officielle. Cette réglementation repose sur l'idée que les deux parties peuvent s'en remettre de bonne foi aux indications portées au registre foncier (ATF 87 II 248; BECKER, n. 4 ad art. 219; CAVIN, Traité de droit privé suisse VII, 1, p. 134). Elle doit avoir pour corollaire la responsabilité de l'Etat lorsque cette confiance est trompée par suite d'un manquement d'un fonctionnaire préposé à la tenue dudit registre. Contrairement à l'opinion de la Cour cantonale, la fixation légale des conditions de la garantie du vendeur n'est pas pour autant vidée de sens, car cette garantie entre seule en considération pour une erreur de mensuration n'engageant pas la responsabilité du canton. Quant à l'action en invalidation de la vente fondée sur l'art. 24 al. 1 ch. 4 CO qui est ouverte à l'acheteur lorsque la surface indiquée est un élément essentiel du contrat, elle ne lui est d'aucun secours s'il entend conserver l'immeuble et réclamer une réduction du prix correspondant à la moins-value.
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L'exclusion de la responsabilité au cas particulier irait d'ailleurs à l'encontre de la conception, qui prévaut de plus en plus aujourd'hui, selon laquelle l'Etat répond des actes illicites commis par ses agents dans l'exercice de leur charge (GRISEL, Droit administratif suisse, p. 417 ss.).
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Il y a dès lors lieu d'admettre en l'espèce la responsabilité de principe du défendeur à l'égard de la demanderesse, du fait de l'erreur de transcription de la surface de l'immeuble art. 563 du registre foncier de la commune de Grolley.
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La demanderesse part de l'idée qu'elle aurait payé 57'420 fr. de moins, le prix au m2 étant arrêté par le contrat de vente, si les parties s'étaient fondées sur la surface réelle et non pas sur la contenance portée au registre foncier. Mais dans une lettre de son conseil du 28 novembre 1977, la commune de Grolley avait fait valoir que si elle entendait se mettre au bénéfice de l'art. 219 al. 2 CO, "c'est que le prix de vente avait été fixé d'une façon globale et que, si le Conseil communal avait su que la contenance d'une parcelle de terrain était moins grande qu'elle ne ressortait du registre foncier, le prix unitaire eût été augmenté".
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L'arrêt attaqué ne contient aucune constatation de fait qui permettrait au Tribunal fédéral de se prononcer sur cette divergence de vue et de déterminer le dommage subi par la demanderesse du fait de la tenue irrégulière du registre foncier. Il y a dès lors lieu de renvoyer la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle complète ses constatations et fixe le dommage dont la réparation incombe au défendeur.
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