BGE 120 II 105 | |||
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23. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 22 février 1994 dans la cause Société immobilière X. contre sieurs S. (recours en réforme) | |
Regeste |
Art. 271 OR. Anfechtbarkeit einer Kündigung, die gegen den Grundsatz von Treu und Glauben verstösst. | |
Sachverhalt | |
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Le 25 janvier 1990, le gérant de la bailleresse a résilié les baux pour leur prochaine échéance contractuelle, soit le 31 décembre 1990. Les locataires ont saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers d'une requête tendant à l'annulation des congés et à la prolongation des baux. Le 29 avril 1991, la Commission de conciliation a rendu deux décisions dans lesquelles elle relève, pour chacun des locataires, que "l'unique motif de résiliation du bail consistait dans la volonté de la société propriétaire de relouer plus cher l'appartement concerné à d'autres locataires".
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B.- Le 8 mai 1991, les locataires ont introduit une action visant principalement à l'annulation des congés et, subsidiairement, à la prolongation des baux pour une durée de quatre ans.
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Par jugements du 12 décembre 1991, le Tribunal des baux et loyers du canton de Genève a confirmé la validité des congés et accordé aux locataires une première prolongation de bail de deux ans jusqu'au 31 décembre 1992, la possibilité leur étant laissée de présenter une deuxième requête de prolongation.
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Statuant sur appels des locataires et sur appels incidents de la bailleresse, la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève, par deux arrêts du 2 avril 1993, a mis à néant les jugements de première instance et annulé les congés donnés par la défenderesse aux demandeurs.
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C.- La défenderesse a interjeté deux recours en réforme en concluant à l'annulation des arrêts cantonaux et à la constatation de la validité des congés litigieux.
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Après avoir joint les deux recours, le Tribunal fédéral les a admis. En conséquence, il a annulé les arrêts attaqués et renvoyé les causes à la cour cantonale pour nouveaux jugements dans le sens des considérants.
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Extrait des considérants: | |
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a) Aux termes de l'art. 271 al. 1 CO, le congé est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi. Cette disposition, qui peut être invoquée tant par le bailleur que par le locataire (BARBEY, Commentaire du droit du bail, Chapitre III: Protection contre les congés concernant les baux d'habitation et de locaux commerciaux, n. 65 ad Introduction et n. 6 ad art. 271-271a CO; LACHAT/MICHELI, Le nouveau droit du bail, 2e éd., p. 324), a pour fondement l'art. 34septies Cst. qui charge la Confédération de légiférer, notamment, sur l'annulabilité des congés "abusifs". La différence de vocabulaire entre ces deux normes ne trahit aucune intention particulière du législateur, la portée d'une distinction entre l'abus de droit et l'acte contraire à la bonne foi n'ayant pas été approfondie au cours des travaux préparatoires (BARBEY, op.cit., n. 11 ad art. 271-271a CO). Il est généralement admis, dans la doctrine, que le législateur a entendu rattacher le critère constitutionnel d'abus à la clause générale de l'art. 2 CC, qui consacre à la fois l'exigence du respect de la bonne foi (al. 1) et l'interdiction de l'abus de droit (al. 2; JUNOD, Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, vol. II, n. 34 ad art. 34septies; BARBEY, op.cit., n. 17 ad art. 271-271a CO; LACHAT/MICHELI, op.cit., p. 323; ZIHLMANN, Das neue Mietrecht, p. 189; Droit suisse du bail à loyer, Commentaire de l'Union suisse des professionnels de l'immobilier (traduction française) [ci-après: Commentaire de l'USPI], n. 6 ad art. 271 CO; ENGEL, Contrats de droit suisse, p. 187; TERCIER, La partie spéciale du Code des obligations, n. 1252). Ce rattachement, que d'aucuns ne jugent pas satisfaisant (BARBEY, op.cit., n. 18 à 30 ad art. 271-271a CO, qui propose de faire appel à la notion de bonnes moeurs ou de recourir, dans certaines hypothèses, aux principes de l'art. 336 CO relatif à la résiliation abusive du contrat de travail [n. 40 à 51 ad art. 271-271a CO]; MENGE, Kündigung und Kündigungsschutz bei der Miete von Wohn- und Geschäftsraümlichkeiten, thèse Bâle 1993, p. 55, qui voit dans la bonne foi de l'art. 271 al. 1 CO une notion autonome), correspond à celui que le Tribunal fédéral a opéré dans les arrêts se rapportant à la disposition controversée (ATF 120 II 32, consid. 4; arrêt non publié du 18 mars 1992, reproduit in mietrechtspraxis [mp] 1993, p. 28 ss, consid. 2), en conformité avec sa jurisprudence antérieure (ATF 113 II 68 consid. 3, ATF 109 II 153 consid. 4).
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Si elles établissent une relation entre l'art. 271 al. 1 CO et l'art. 2 CC, la jurisprudence et la doctrine dominante ne se préoccupent guère, en revanche, de déterminer si la protection accordée par la disposition topique du Code des obligations découle du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) ou de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC); elles se bornent généralement à ranger la disposition en cause dans cette dernière catégorie, sans motiver plus avant leur choix (voir les auteurs et les arrêts précités; d'un autre avis: ZELLER, Zum Begriff der Missbraüchlichkeit im Schweizerischen Privatrecht, in RDS 1990 I 261ss, 272). Il est vrai que le législateur n'a pas distingué avec suffisamment de clarté les deux principes que contient l'art. 2 CC (Commentaire de l'USPI, loc.cit.) et auxquels sont dévolues des fonctions différentes: une double fonction interprétative et complétive pour le principe de la bonne foi, une fonction corrective pour le principe sanctionnant l'abus de droit (sur cette question, cf. MERZ, n. 17 ss ad art. 2 CC, et DESCHENAUX, Le Titre préliminaire du Code civil, in Traité de droit civil suisse, t. II/1, p. 135 ss, 139 et passim). L'intérêt pratique d'une telle distinction dogmatique ne saurait toutefois être surestimé. En effet, non seulement ces deux principes font appel à des notions juridiques de caractère général (la bonne foi et l'abus), dont il est difficile de fixer les contours une fois pour toutes, mais, surtout, de chacun d'eux peuvent être déduites des limites au libre exercice du droit de résiliation (contra: BARBEY, op.cit., n. 28 ad art. 271-271a CO, pour qui l'art. 2 al. 1 CC n'est pas applicable en matière de résiliation ordinaire du bail): les cas typiques d'abus de droit - absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, utilisation contraire à son but d'une institution juridique, disproportion grossière des intérêts en présence, exercice d'un droit sans ménagement, attitude contradictoire (cf. MERZ, op.cit., n. 340 ss ad art. 2 CC; DESCHENAUX, op.cit., p. 168 ss; BARBEY, op.cit., n. 24 ad art. 271-271a CO) - justifient assurément l'annulation d'un congé, étant précisé qu'il n'est pas nécessaire que l'attitude de l'auteur de celui-ci puisse être qualifiée d'abus de droit "manifeste", au sens de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 120 II 32, consid. 4; BARBEY, op.cit., n. 30 ad art. 271-271a CO); mais la résiliation du bail peut aussi être annulée si le motif sur lequel elle repose s'avère incompatible avec les règles de la bonne foi qui régissent le rapport de confiance inhérent à la relation contractuelle existante (par exemple, un congé donné à un locataire en raison de sa couleur de peau).
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b) aa) Le congé donné par le bailleur en vue d'obtenir d'un nouveau locataire un loyer plus élevé, mais non abusif, ne saurait, en règle générale, constituer un abus de droit - hormis le cas d'une éventuelle attitude contradictoire de l'intéressé -, pas plus d'ailleurs, sous la même réserve, que la résiliation du bail par le locataire qui s'est vu offrir un logement meilleur marché que celui qu'il occupe. Il reste à examiner si le principe de la bonne foi impose des limites à cette manifestation de la liberté contractuelle et, singulièrement, s'il est conciliable avec un congé donné pour un motif d'ordre économique. Un tel examen suppose naturellement la constatation préalable que le nouveau droit du bail, contrairement à l'ancien (ATF 99 II 50 consid. 1 et les références), ne se désintéresse pas des motifs de la résiliation du bail, ce que confirme l'art. 271 al. 2 CO qui prescrit la motivation du congé si l'autre partie le demande (cf. OR-ZIHLMANN, n. 3 et 6 ad art. 271 CO; contra: GUHL/MERZ/KOLLER, Das Schweizerische Obligationenrecht, 8e éd., p. 407). De fait, celui qui résilie le bail ne doit pas pouvoir échapper à semblable examen en se contentant de taire la raison qui l'a poussé à se libérer de ses engagements contractuels.
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Autant que l'on puisse en juger, les auteurs qui se sont penchés sur la question inclinent plutôt à ne pas considérer, en principe, comme contraire aux règles de la bonne foi le congé donné pour un motif de nature économique, du moment que la loi ne défend à personne de rentabiliser au mieux son bien dans les limites qu'elle fixe (BARBEY, op.cit., n. 232/233 ad art. 271-271a CO; Commentaire de l'USPI, n. 17 ss ad art. 271 CO; OR-ZIHLMANN, n. 10 ad art. 271a CO; BROGLIN, Pratique récente en matière d'annulation du congé et de prolongation du bail, in 7e Séminaire sur le droit du bail, Neuchâtel 1992, p. 8 in fine). La même conclusion peut être tirée indirectement de l'ATF 110 II 249 consid. 4 où le Tribunal fédéral, dans le cadre d'une procédure en prolongation de bail, n'a pas estimé arbitraire la décision de l'autorité cantonale d'accorder plus de poids à l'intérêt légitime du locataire à faire prolonger le bail qu'à celui des bailleurs à louer leur immeuble à un loyer plus élevé et pour une durée plus longue (p. 254 in fine/255). ZWICKER (Die Anfechtung der Kündigung nach dem neuen Schweizerischen Mietrecht, in L'Expert-comptable suisse, 1990, p. 267 ss, 271) apparaît plus réservé, même s'il ne professe pas formellement l'opinion inverse, puisqu'il se demande si l'on ne pourrait pas voir une fraude à la loi dans le fait pour le bailleur de résilier le bail afin de réaliser, par le biais d'un changement de locataire, un but - soit une augmentation de loyer abusive au regard de la méthode de calcul relative - qu'il ne pourrait pas atteindre sans le consentement du locataire actuel. Enfin, LACHAT/STOLL (Das neue Mietrecht für die Praxis, 3e éd., p. 343, note de pied 26), soutiennent, quant à eux, en se référant au dernier auteur cité, qu'un congé signifié dans de telles conditions peut contrevenir aux règles de la bonne foi lorsqu'il existe une disproportion manifeste entre les intérêts pécuniaires du bailleur et ceux du locataire.
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bb) Sous l'angle des règles de la bonne foi, on ne saurait sanctionner par principe un congé donné pour des motifs économiques. L'ordre juridique actuel permet au bailleur d'optimaliser son rendement dans les limites fixées par la loi (art. 269 et 269a CO) et au locataire de satisfaire ses besoins en y consacrant le moins d'argent possible. Les travaux préparatoires ne laissent aucun doute quant à la volonté du législateur sur ce point (pour les références, cf. BARBEY, op.cit., n. 232 ad art. 271-271a CO) et leur importance est d'autant plus grande qu'ils se rapportent à une loi récente (ATF 118 II 307 consid. 3a, ATF 116 II 525 consid. 2b). Une restriction au libre exercice du droit de résiliation ne peut ainsi être déduite abstraitement de la loi; elle découlera tout au plus des rapports spécifiques unissant les parties à un contrat de bail déterminé et trouvera, le cas échéant, sa justification dans la confiance que l'un des partenaires contractuels aura pu éveiller chez l'autre, par exemple en lui indiquant de manière informelle que le bail serait de longue durée.
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Cela étant, pour être admissible, une résiliation dictée par des considérations d'ordre économique ne doit pas servir de prétexte à la poursuite d'un but illicite. Il faut donc que le bailleur soit en mesure d'exiger du nouveau locataire un loyer supérieur au loyer payé jusque-là par le preneur congédié. En d'autres termes, le congé est annulable si l'application de la méthode de calcul absolue permet d'exclure l'hypothèse que le bailleur puisse majorer légalement le loyer, parce que celui-ci est déjà conforme aux prix du marché et lui procure un rendement suffisant. Dans une telle situation, ce n'est pas le principe de la bonne foi stricto sensu qui entre en ligne de compte, mais l'interdiction de l'abus de droit que méconnaît toute résiliation ne constituant qu'un prétexte. Au demeurant, ce dernier principe fera toujours office de soupape de sûreté et pourra justifier exceptionnellement, suivant les circonstances, l'annulation d'un congé donné par le bailleur afin d'obtenir un rendement plus élevé, mais non abusif, de l'objet loué. Tel pourrait être le cas, par exemple, si le bailleur ne disposant que d'une réserve de hausse insignifiante n'en faisait pas moins usage afin de se débarrasser commodément, par ce biais-là, d'un locataire qui ne lui conviendrait plus.
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Pour le reste, on rappellera qu'à certaines conditions, le locataire s'opposera avec succès à une résiliation du bail, fût-elle conforme aux règles de la bonne foi, en sollicitant une prolongation de celui-ci (art. 272 ss CO; cf. l' ATF 110 II 249 consid. 4 précité).
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c) Appliquées au cas particulier, les considérations précédentes conduisent à constater que la cour cantonale a violé le droit fédéral en jugeant incompatible avec les règles de la bonne foi, au sens de l'art. 271 al. 1 CO, tout congé motivé par la simple volonté du bailleur d'augmenter le loyer de l'appartement loué. En revanche, comme il est établi que la résiliation des baux n'a nullement servi en l'occurrence à imposer aux demandeurs une adaptation des loyers des appartements qu'ils occupent, la Chambre d'appel a renoncé avec raison à faire application de l'art. 271a al. 1 let. b CO dans la présente espèce (OR-ZIHLMANN, n. 10 ad art. 271a CO; BROGLIN, ibid.; voir aussi l' ATF 115 II 83 au sujet des dispositions similaires de l'ancien droit du bail).
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Dans ces conditions, il y a lieu d'annuler les arrêts attaqués et de renvoyer la cause à la cour cantonale pour qu'elle détermine, en établissant d'office les faits pertinents (art. 274d al. 3 CO; ATF 118 II 50 consid. 2a) et en utilisant les critères de calcul propres à la méthode absolue, si la défenderesse pourrait relouer plus cher les appartements pris à bail par les demandeurs. En cas de réponse affirmative, elle devra admettre la validité des congés litigieux et se prononcer sur la question de la prolongation du bail, qui formait l'objet de l'appel incident de la défenderesse. Dans l'hypothèse inverse, elle annulera les congés sur la base de l'art. 271 al. 1 CO. Au cas où, nonobstant l'application de la maxime d'office, un doute subsisterait quant à la possibilité de majorer les loyers en cause, la défenderesse en supporterait les conséquences. En effet, même si le fardeau de la preuve d'un congé contraire aux règles de la bonne foi incombe au demandeur à l'action en annulation, la partie qui résilie a le devoir de contribuer loyalement à la manifestation de la vérité en fournissant tous les éléments en sa possession nécessaires à la vérification du motif invoqué par elle (BARBEY, op.cit., n. 202 et 319 ad art. 271-271a CO). Lorsque ce motif consiste dans le désir de majorer le loyer, il est normal, et du reste conforme aux prescriptions de l'art. 274d al. 3 CO, que le bailleur produise toutes les pièces pertinentes et, s'il ne le fait pas, qu'il doive se laisser opposer l'absence de preuve du motif de congé allégué par lui.
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