BGE 121 III 176 | |||
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37. Extrait de l'arrêt de la Ière Cour civile du 21 mars 1995 dans la cause S. contre Caves Mövenpick S.A. (recours en réforme) | |
Regeste |
Aktiengesellschaft - Haftung für die unerlaubte Handlung eines Organs (Art. 718 Abs. 3 aOR = Art. 722 OR). |
Mitverschulden des Vertragspartners, der beim Abschluss der Verträge die nach den Umständen gebotene Aufmerksamkeit im Sinne von Art. 3 Abs. 2 ZGB unterliess, ohne dass seine Bösgläubigkeit feststünde. Keine Kompensation durch ein "zusätzliches Verschulden" der Aktiengesellschaft, die das fehlbare Organ nicht genügend beaufsichtigt hätte (E. 4d). |
Berechnung des Schadenersatzes (E. 5). | |
Sachverhalt | |
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Dès 1978, X. a créé, à l'insu de Mövenpick, un immense marché parallèle de vins. Il vendait à des grossistes et à des particuliers d'énormes quantités de vins à des prix bien inférieurs aux prix officiels de Mövenpick. X. dissimulait ces actes grâce à un système de double facturation. Pour combler les déficits, X. s'est mis à offrir des vins de Bordeaux en souscription à des prix défiant toute concurrence. Les souscripteurs payaient immédiatement, mais n'étaient censés recevoir le vin que deux ans plus tard, après maturation et mise en bouteille, ce qui permettait à X. de se procurer rapidement de l'argent liquide. A terme, il fallait bien livrer le vin, ce qui entraînait de nouveaux déficits. X. a alors imaginé, dès 1983, d'offrir aux souscripteurs de revendre le vin à l'échéance pour leur compte, avec un bénéfice minimal garanti de 40%. Il a demandé à B., un client qu'il connaissait bien, de lui présenter des investisseurs susceptibles d'être intéressés par cette proposition. C'est ainsi que B. a contacté, entre autres, un administrateur de F. S.A., qui a lui-même informé son père, S.
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Par convention du 11 avril 1983, S. a acheté à Mövenpick, représentée par X. et Y., près de 4'500 bouteilles de grands vins de Bordeaux pour un montant total de 150'025 fr. La marchandise devait être déposée gratuitement dans les caves de Mövenpick, qui s'engageait pour sa part à la revendre, jusqu'au 30 avril 1985, à un prix garanti de 150'025 fr. plus 40%; si elle pouvait obtenir un prix supérieur, Mövenpick avait droit à une commission de 5% sur le profit supplémentaire réalisé par S. Le montant de 150'025 fr. a été payé par un chèque établi à l'ordre de Mövenpick, que S. a fait parvenir à X.
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Quelques mois plus tard, X. a proposé à F. S.A. un autre type de transaction: l'achat et la revente, avec un bénéfice important, de caves de restaurant. Agissant à titre fiduciaire pour un certain nombre d'investisseurs, dont S., F. S.A. a, par convention du 20 février 1984, chargé Mövenpick, toujours représentée par X. et Y., d'acheter en son nom le stock de vins du restaurant G. pour le montant de 778'775 fr., puis de le revendre jusqu'au 21 mai 1984 au prix garanti de 778'775 fr. majoré de 10,5%. Comme dans la souscription de Bordeaux primeur, Mövenpick avait droit à une commission de 5% sur le bénéfice supplémentaire réalisé par F. S.A. La participation de S. dans cette transaction s'élevait à 200'000 fr. Le 5 mars 1984, F. S.A. et Mövenpick ont passé une seconde convention, similaire à celle du 20 février 1984, qui portait sur le rachat de la cave de la société V. pour le prix de 973'561 fr. 60. F. S.A. agissait toujours à titre fiduciaire, notamment pour S., qui a investi 400'000 fr. Les montants de 778'775 fr. et 973'561 fr. 60 ont été réglés par chèques bancaires libellés à l'ordre de Mövenpick et remis en mains de X.
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Tant la souscription d'avril 1983 que les rachats de caves de l'hiver 1984 étaient fictifs en ce sens que Mövenpick n'a jamais disposé des vins à l'intention des investisseurs. En réalité, il ne s'agissait que d'un moyen pour X. de se procurer de l'argent, pour ses besoins propres ou pour combler les déficits creusés dans les caisses de la société. Mövenpick a eu connaissance des malversations commises par le directeur-adjoint dans le courant de mars 1984. Les pouvoirs conférés à celui-ci ont été radiés du registre du commerce le 21 mars 1984. En décembre 1984, F. S.A. a cédé à S., à concurrence de 600'000 fr., les droits qu'elle possédait en vertu des conventions des 20 février et 5 mars 1984.
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B.- Par demande du 14 février 1985, S. a ouvert action contre Mövenpick en paiement de 900'035 fr., plus intérêts à 6%. Le 11 février 1993, le Tribunal de première instance du canton de Genève a jugé que la responsabilité délictuelle de la défenderesse était engagée et a admis la demande à concurrence de 750'025 fr., plus intérêts à 5%. Statuant le 15 avril 1994 sur appel de Mövenpick et appel incident de S., la Cour de justice civile a mis à néant le jugement attaqué et débouté le demandeur de toutes ses conclusions.
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C.- S. interjette un recours en réforme; il reprend les conclusions en paiement formulées en première instance.
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Le Tribunal fédéral a admis partiellement le recours.
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Extrait des considérants: | |
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a) Aux termes de l'art. 718 al. 3 aCO (art. 722 CO), la société anonyme répond des actes illicites commis par une personne autorisée à la gérer ou à la représenter dans la gestion des affaires sociales. Il s'agit là d'un cas d'application de l'art. 55 al. 2 CC, qui institue le principe de la responsabilité de la personne morale pour les actes illicites de ses organes (ATF 105 II 289 consid. 5, ATF 89 II 239 consid. 8 p. 250).
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Les personnes dont les actes peuvent engager la responsabilité délictuelle de la société anonyme sont non seulement les organes au sens formel - membres du conseil d'administration, directeurs - mais également les organes au sens matériel, c'est-à-dire les personnes qui ont la compétence de prendre des décisions indépendantes et qui participent ainsi effectivement à la gestion des affaires sociales (ATF 101 Ib 422 consid. 5a p. 436, ATF 87 II 184 consid. 2 p. 187/188; WATTER, Commentaire bâlois (ci-après: commentaire), n. 7 ad art. 722 CO; BÜRGI, Commentaire zurichois, n. 20 ad art. 718 aCO). Pour que la responsabilité de la société soit engagée, il n'est pas nécessaire que l'organe en cause ait le pouvoir de la représenter; il suffit que l'acte entre, par un rapport fonctionnel, dans le cadre général des attributions de l'organe. La personne morale ne répond donc pas de l'acte commis par un organe à titre privé, même s'il a eu lieu à l'occasion de la gestion des affaires sociales (ATF 105 II 289 consid. 5a et b, ATF 101 Ib 422 consid. 5b p. 436/437; WATTER, commentaire, n. 9 ad art. 722 CO). En revanche, il importe peu que l'organe ait agi dans son intérêt personnel, et non dans celui de la société (ATF 105 II 289 consid. 7, ATF 89 II 239 consid. 9).
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Pour le reste, la prétention fondée sur l'art. 718 al. 3 aCO est soumise aux conditions habituelles de la responsabilité aquilienne, soit un dommage, un acte illicite, une faute et un lien de causalité adéquate entre l'acte incriminé et le préjudice (WATTER, commentaire, n. 4 ad art. 722 CO).
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b) Directeur-adjoint de la défenderesse, X. avait manifestement la qualité d'organe lorsqu'il a signé les conventions de février/mars 1984. En revanche, il convient d'examiner si cette qualité doit également lui être reconnue pour la signature de la convention du 11 avril 1983, à une époque où il était fondé de procuration.
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Selon les constatations de l'autorité cantonale, la promotion de X. en tant que fondé de procuration s'est accompagnée du titre de "directeur de vente de la Suisse romande". X. jouissait de fait d'une très grande autonomie dans la gestion du cellier de Bursins. Ainsi, alors que les ventes s'effectuaient en principe au comptant ou à trente jours, le directeur de vente était autorisé à accorder des délais de paiement plus longs et à conclure des contrats écrits d'un montant supérieur à 20'000 fr. C'est du reste à X. que la direction de la défenderesse attribuait le mérite d'avoir décuplé le chiffre d'affaires en cinq ans. Il ressort ainsi clairement des constatations cantonales que X., déjà lorsqu'il était fondé de procuration, participait effectivement à la gestion des affaires de la défenderesse. Ses actes illicites éventuels sont donc propres à engager la responsabilité de la société anonyme.
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En outre, la conclusion des trois contrats entrait dans le cadre général des compétences de X., qui n'a pas agi à titre privé bien qu'il poursuivît un intérêt personnel.
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Quant à Y., il a, selon les constatations cantonales, signé les documents présentés par son supérieur sans en prendre connaissance; le rôle exact joué par le fondé de procuration est toutefois sans importance en l'espèce. En effet, X. était indéniablement l'instigateur, la "cheville ouvrière" des conventions litigieuses; or, le fait qu'il ne disposait que de la signature collective n'empêche pas que ses actes soient imputés à la société (ATF 105 II 289 consid. 5b, 89 II 239 consid. 8).
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c) Par des contrats factices, X. a amené le demandeur et F. S.A. à lui remettre des chèques qui ont soit disparu, soit servi à combler des déficits causés par des malversations antérieures. Ce faisant, il a manifestement agi de manière illicite; l'intention délictueuse n'est au surplus pas contestable. Quant aux cocontractants, ils se sont trouvés délestés de 150'025 fr., respectivement 1'752'336 fr. 60 sans contrepartie; ils ont donc subi un dommage qui est en lien de causalité adéquate avec les agissements de X. Les conditions de la responsabilité délictuelle de la défenderesse sont bel et bien réalisées.
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d) A ce stade du raisonnement, il convient de s'interroger sur l'éventuelle incidence, en matière délictuelle, du défaut de diligence au sens de l'art. 3 al. 2 CC reproché au demandeur et à F. S.A.
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L'art. 3 CC se réfère aux hypothèses où la loi fait dépendre de la bonne foi "la naissance ou les effets d'un droit". Plus précisément, dans certaines circonstances données, la loi protège la bonne foi d'une personne en supprimant ou en atténuant les conséquences défavorables pour elle d'un vice juridique (DESCHENAUX, Le Titre préliminaire du Code civil, in Traité de droit privé suisse, vol. II, 1, p. 204/205). Ainsi, en vertu des art. 459 al. 1 CO et 718 al. 1 et 2 aCO, la bonne foi du tiers remédie au dépassement ou à l'abus du pouvoir de représentation du fondé de procuration ou de l'organe: l'acte engage la société malgré le vice.
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Dans le cas présent, l'examen de la bonne foi du demandeur et de F. S.A. avait un sens pour déterminer si les conventions du 11 avril 1983, du 20 février 1984 et du 5 mars 1984 liaient ou non la défenderesse. En revanche, la bonne foi du lésé n'est pas une condition de la responsabilité délictuelle de la personne morale. C'est pourquoi, même lorsque le tiers ne peut pas invoquer sa bonne foi, la société anonyme peut être amenée à réparer le dommage causé par l'acte illicite de son organe (ZOBL, Probleme der organschaftlichen Vertretungsmacht, in ZBJV/RJB 125/1989, p. 300/301; WATTER, Die Verpflichtung der AG durch rechtsgeschäftliches Handeln ihrer Stellvertreter, Prokuristen und Organe speziell bei sog. "Missbrauch der Vertretungsmacht", thèse Zurich 1985 [ci-après: thèse], p. 187 ss).
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A titre de faute concomitante, la négligence du tiers sera néanmoins un facteur qui influera sur le calcul des dommages-intérêts; si le tiers est véritablement de mauvaise foi, par exemple en cas de collusion avec l'organe de la société anonyme, il y aura même rupture du lien de causalité adéquate, supprimant toute prétention en dommages-intérêts (WATTER, commentaire, n. 10 ad art. 722 CO; le même, thèse, n. 245 et 246, p. 193/194; ZOBL, op.cit., p. 301).
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En revanche, contrairement à l'opinion défendue par WATTER (thèse, n. 247, p. 194), une éventuelle "faute additionnelle" de la personne morale - en particulier un défaut de surveillance de l'organe - n'a pas à être prise en compte dans la détermination des dommages-intérêts et ne peut donc pas compenser, même partiellement, la faute concomitante du lésé. En effet, si elle dispose bien de la capacité délictuelle, la personne morale, en tant que création du droit, agit exclusivement par l'intermédiaire de personnes physiques, ses organes; ces derniers sont des parties de la personne morale, et non des tiers dont elle répond civilement (ATF 111 II 429 consid. 2d p. 439/440 et les références). Dans le système de l'art. 718 al. 3 aCO, la société anonyme répond du comportement délictuel de son organe comme s'il était le sien. Il s'agit d'une responsabilité légale pour un comportement imputé à la personne morale par une fiction, et non d'une responsabilité causale pour l'acte d'autrui (cf. art. 55 CO par exemple; OFTINGER/STARK, Schweizerisches Haftpflichtrecht, II/1, p. 277, note 18). L'art. 718 al. 3 aCO n'est dès lors pas une norme de responsabilité civile, mais une norme d'imputation, en ce sens que le comportement d'une partie - l'organe - est imputé directement au tout, la société anonyme (cf. KELLER, Haftpflicht im Privatrecht, 5e éd., tome I, p. 119). Cette construction juridique exclut que la société anonyme réponde, de par la loi, du comportement fautif d'un organe et que, de surcroît, sa responsabilité soit aggravée, en cas de faute concomitante du lésé, parce qu'elle n'a pas empêché l'acte délictueux en question.
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a) Le préjudice correspond en tout cas au montant investi directement par le demandeur en exécution de la convention du 11 avril 1983 (150'025 fr.), ainsi qu'à la part des investissements de F. S.A. cédée au demandeur (600'000 fr.), soit 750'025 fr. au total. Comme il a été privé de la jouissance d'un capital, le demandeur a droit au surplus à la réparation du préjudice en résultant. A cet égard, il ne justifie d'aucune manière le taux d'intérêt de 6% auquel il prétend. Dans ces conditions, il y a lieu de se fonder sur le taux annuel de 5% fixé par l'art. 73 al. 1 CO pour l'intérêt compensatoire (DESCHENAUX/TERCIER, La responsabilité civile, 2e éd., n. 38 ss, p. 222). Les intérêts sont dus, respectivement, dès le 11 avril 1983, le 20 février 1984 et le 5 mars 1984, dates de la remise des chèques à X.
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b) Il a été relevé au considérant 3 ci-dessus que ni le demandeur, ni les organes de F. S.A. - dont le comportement est imputable au demandeur - n'avaient fait preuve de l'attention commandée par les circonstances. Ils ont commis une négligence qui, sans être grave, ne saurait être qualifiée de légère. Dans ces circonstances, il se justifie de réduire d'un quart le montant des dommages-intérêts dus au demandeur. Sa prétention se décompose dès lors de la manière suivante:
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- 112'518 fr. 75, plus intérêts à 5% dès le 11 avril 1983;
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- 150'000 fr., plus intérêts à 5% dès le 20 février 1984;
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