BGE 128 III 370 | |||
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67. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause A. contre B. (recours en réforme) 4C.336/2000 du 12 mars 2002 | |
Regeste |
Kaufvertrag; Gefahrenübergang beim Sukzessivlieferungsvertrag (Art. 185 Abs. 1 OR). | |
Sachverhalt | |
A.- Au printemps 1993, A., C. et D., à l'époque poseurs de sol pour le même employeur, ont conçu le projet de créer une société afin d'exploiter une entreprise dans le domaine du revêtement de sol. Un tiers, B., a accepté de financer l'opération en libérant intégralement le capital-actions de la société anonyme à constituer, divisé en 100 actions nominatives de 1'000 fr. La société a été fondée le 22 juillet 1993, sous la raison sociale X. S.A. Elle avait quatre actionnaires: B. (97 actions), D. (1 action), A. (1 action), C. (1 action). A une date inconnue, les quatre ont signé une "convention d'actionnaires" qui prévoyait ceci:
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"Monsieur B. s'engage à vendre ses titres à leur valeur nominale aux
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autres actionnaires de la société dans la proportion suivante:
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Monsieur D. 29 actions
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Monsieur C. 29 actions
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Monsieur A. 29 actions."
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Comme C. et D., A. a signé une reconnaissance de dette datée du 1er août 1993. Chacun admettait devoir 30'000 fr. à B., montant payable par mensualités de 1'000 fr. ou selon accord. Les parties ne contestent plus que leur accord constituait un contrat de vente par livraisons successives, les actions devant être transférées à raison d'une par mois contre paiement de 1'000 fr.
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La faillite de X. S.A. a été prononcée le 17 novembre 1994. La procédure de faillite, suspendue faute d'actifs, a été clôturée le 21 février 1995.
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B.- Le 12 juillet 1995, B., resté en possession de toutes les actions vendues à A., a fait notifier à A. un commandement de payer 30'000 fr. avec intérêts. Le poursuivi a fait opposition.
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Par jugement du 25 janvier 2000, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a condamné A. à payer à B. 30'000 fr., intérêts en sus.
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C.- Le Tribunal fédéral a rejeté un recours en réforme déposé par A. (ci-après: le demandeur) contre ce jugement, qu'il a confirmé.
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Extrait des considérants: | |
4. a) Selon l'art. 185 al. 1 CO, les profits et les risques de la chose passent à l'acquéreur dès la conclusion du contrat, sauf les exceptions résultant de circonstances ou de stipulations particulières ("periculum est emptoris"). Si la chose périt sans faute du vendeur entre la conclusion du contrat et son exécution, l'acheteur reste donc en principe tenu de payer le prix. Cette solution se concilie mal, sur plus d'un point, avec les principes généraux du droit des obligations suisse. Tant la jurisprudence que la doctrine préconisent en conséquence une application restrictive de la règle et une interprétation extensive des exceptions qui y sont faites (ATF 84 II 158 consid. 1b; GIGER, Commentaire bernois, n. 74 ad art. 185 CO; KOLLER, Commentaire bâlois, n. 35 ad art. 185 CO; TERCIER, Les contrats spéciaux, 2e éd., n. 618; ENGEL, Contrats de droit suisse, 2e éd., p. 57; CAVIN, Traité de droit privé suisse VII/1, p. 29; HONSELL, Schweizerisches Obligationenrecht, Besonderer Teil, 6e éd., p. 47 ss; MEYLAN, Periculum est emptoris, in Festschrift Guhl, p. 9 ss; BUCHER, Notizen zu Art. 185 OR, in RDS 89/1970 I p. 281 ss; PASCAL SCHMUTZ, Die Gefahrentragung beim Kaufvertrag nach schweizerischem und UNCITRAL-Kaufrecht, thèse Bâle 1983, p. 62 ss; LILIANE SIEBER, Gefahrtragung im Kaufrecht, thèse Zurich 1993, p. 100 ss; ORESTE CORTESI, Die Kaufpreisgefahr, thèse Zurich 1996, p. 106 ss). La loi doit toutefois être respectée. Si une application restrictive est admissible, on veillera bien sûr à ce que les exceptions ne remplacent pas la norme générale.
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b) Mettre les risques à la charge de l'acheteur durant la période s'écoulant entre l'acte générateur d'obligations - ou la conclusion du contrat de vente - et l'acte de disposition - soit le transfert de propriété en exécution du contrat - est contraire au principe général selon lequel le propriétaire supporte les risques (et les profits) de la chose ("casum sentit dominus" ou "res perit domino"). La règle et ses exceptions s'expliquent cependant historiquement, si l'on se rappelle pourquoi et comment l'art. 185 CO a été introduit dans notre code.
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aa) L'obligation demeurant à l'acheteur de payer le prix d'une chose qu'il ne reçoit pas, ou "risque du prix", trouve son origine dans le droit romain classique (Inst. III, 23, 3). Codifiée par Justinien (Instit. de emptio venditio Par. 4: "emptoris damnum est, et tenetur pretium solvere"), la règle devait déjà rencontrer plusieurs critiques émanant de juristes romains. Dans le but de compenser un régime trop avantageux pour le vendeur, on a mis à la charge de celui-ci la surveillance de la chose, la "custodia"; l'acheteur était ainsi délivré du "risque du prix" dans certaines circonstances, par exemple en cas de vol de la chose avant sa livraison. La jurisprudence humaniste (Cujaz) a jugé la règle obsolète, en raison de son incompatibilité avec le principe fondamental qui veut que ce soit celui qui dispose de la chose et en tire donc les profits qui supporte également les risques (car même si, comme c'est le cas avec l'actuel art. 185 CO, on ne fait pas seulement passer les risques, mais aussi les profits, à l'acquéreur dès la conclusion du contrat, ce dernier n'en demeure pas moins privé de la jouissance de la chose avant la livraison [cf. ZIMMERMANN, The Law of Obligations, p. 281 ss; HONSELL, op. cit., p. 48 s.; BUCHER, op. cit., p. 289 s.]). Malgré cela, la règle "periculum est emptoris" a été défendue par les pandectistes; pour WINDSCHEID, selon la théorie du contrat d'aliénation ("Veräusserungsvertrag"), dès le contrat parfait et avant toute tradition, la chose devrait être considérée, sur le plan économique, comme n'appartenant plus au patrimoine du vendeur, mais comme partie du patrimoine de l'acheteur (WINDSCHEID/KIPP, Lehrbuch des Pandektenrechts, 8e éd., par. 321 note de pied de page n. 19a et par. 390; dans le même sens déjà POTHIER, Traité du contrat de vente et des retraits, éd. Siffrein, tome 3, p. 187 ss, spéc. p. 189, qui précise que la cause de l'obligation de payer le prix de vente n'est pas la remise de la chose par le vendeur, mais l'engagement de celui-ci à remettre ou faire remettre la chose à l'acheteur; cf. aussi MEYLAN, ibidem; CORTESI, op. cit., p. 15 ss).
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Bien que la vente ait été considérée dans le droit romain comme un contrat consensuel, le "risque du prix" s'explique en réalité moins par le fait qu'il s'agisse d'un contrat d'aliénation que parce que les ventes se concluaient à l'époque avant tout sur les places de marché, de sorte que l'acte générateur d'obligations et l'acte de disposition coïncidaient la plupart du temps. Dans ce type de vente, si la conclusion et l'exécution du contrat sont séparées, c'est en général dans l'intérêt de l'acheteur, soit que ce dernier ne puisse immédiatement emporter la chose, soit qu'il ne soit pas en mesure de verser aussitôt le prix convenu. Dans de telles conditions, mettre les risques à la charge de l'acheteur se justifie pleinement (ZIMMERMANN, op. cit., p. 290 s.; BUCHER, op. cit., p. 292 s.).
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bb) En droit comparé, on relèvera que l'Autriche et l'Allemagne n'ont pas repris la règle romaine. Conformément au principe de tradition, ces ordres juridiques ne font passer le risque qu'avec la remise de la chose à l'acheteur (§ 446 al. 1 BGB; § 1048 ss en relation avec § 164 ABGB). La France et l'Italie ont en revanche conservé le principe de droit commun, mais il faut observer que, dans ces deux pays, les contrats sont purement consensuels, la vente étant déjà translative de propriété (art. 1138, 1583, 1624 CC fr.; art. 922 et 1376 CC it.).
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La législation suisse constitue quant à elle une solution de compromis. Durant les travaux parlementaires, les camps étaient divisés quant à l'effet translatif de propriété de la vente, la majorité alémanique voulant adopter le système allemand, alors que la minorité romande défendait le régime appliqué en France; la minorité est finalement parvenue à faire adopter la règle "res perit emptori" sur le modèle français. Ainsi, selon notre code des obligations, la propriété ne passe qu'avec la possession (ou l'inscription au registre foncier pour les immeubles), alors que les risques passent à l'acheteur dès la conclusion du contrat (CORTESI, op. cit., p. 11 ss.; BUCHER, op. cit., p. 288 s.).
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c) C'est dans ce contexte que les rapports entre la règle et les exceptions de l'art. 185 CO doivent se comprendre. L'art. 185 al. 1 CO consacre une règle prévue à l'origine pour les ventes sur les marchés; les exceptions aménagées avaient pour objets les cas où la séparation temporelle entre l'acte obligationnel et l'acte de disposition intervenait non pas dans l'intérêt de l'acheteur, mais seulement ou de manière prépondérante dans celui du vendeur. Les exceptions reconnues jusqu'ici semblent se situer toutes sur cette ligne. Hormis les hypothèses expressément réglées aux al. 2 et 3 de l'art. 185 CO ainsi que les stipulations particulières mentionnées à l'al. 1, ce sont la vente à double, l'obligation alternative avec droit d'option au vendeur (art. 72 CO), la vente d'une chose non en possession du vendeur, ou les contrats mixtes, en particulier la vente d'une automobile comprenant la reprise d'une voiture usagée (SCHMUTZ, op. cit., p. 52 ss; SIEBER, op. cit., p. 76 ss; CORTESI, op. cit., p. 112 ss.). Dans toutes ces hypothèses - à l'exception peut-être des contrats mixtes qui ne nous intéressent pas ici -, l'acheteur se trouve empêché pour des circonstances imputables au vendeur de disposer de la chose vendue avant la livraison ou ne peut veiller à la sécurité de sa nouvelle acquisition de manière adéquate (CAVIN, op. cit., p. 34; GIGER, Commentaire bernois, n. 75 ad art. 185 CO; SCHMUTZ, op. cit., p. 53; SIEBER, op. cit., p. 77).
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d) Le demandeur invoque le fait que le contrat prévoyait des livraisons successives, sur près de deux ans et demi. A elle seule, cette circonstance ne constitue toutefois pas une raison suffisante pour faire exception en l'espèce à la règle "periculum est emptoris". Les livraisons différées n'ont en effet pas été prévues dans l'intérêt du vendeur, mais bien dans celui des acheteurs. Selon les constatations souveraines de la cour cantonale (art. 63 al. 2 OJ), le demandeur et ses associés ne disposaient pas des moyens financiers nécessaires pour fonder leur société, et c'est le défendeur qui a fourni l'intégralité du capital social. La thèse du prêt, soutenue en première instance par le défendeur - qui aurait possédé une partie des actions à titre de gage - vient d'ailleurs corroborer cette analyse des rapports entre les parties. Dans la mesure où ce sont le demandeur et ses associés qui ont fondé leur société et exploité celle-ci, le défendeur apparaît comme un pur bailleur de fonds et non un entrepreneur, même s'il était propriétaire économique de la société. Encore que cela n'ait pas été soutenu par les parties, on pourrait même se demander si l'on n'est pas en présence d'un acte fiduciaire, dans lequel le demandeur et ses associés comme fiduciants représentés indirectement, supporteraient le risque économique de l'affaiblissement ou de la perte de l'affaire, pour autant que - ce qui doit être exclu ici - le défendeur ne puisse être tenu pour responsable de la déconfiture.
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