BGE 136 III 225 | |||
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34. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause de Siebenthal contre Ville de Genève (recours en matière civile) |
4A_638/2009 du 1er avril 2010 | |
Regeste |
Werk-Individualität (Art. 2 URG); Schöpferprinzip (Art. 6 URG); Miturheberschaft (Art. 7 URG). | |
Sachverhalt | |
A. Christian de Siebenthal est titulaire d'un diplôme d'ingénieur-chimiste EPFL. En octobre 1978, il a été engagé par le Service d'incendie et de secours de la Ville de Genève (ci-après: SIS) en qualité de chimiste-documentaliste avec un taux d'activité de 20 %. Ses tâches au sein du SIS ont toujours été les mêmes. Selon un cahier des charges daté du 24 août 2001, l'employé devait en particulier établir les fiches de l'ouvrage intitulé "Répertoire des produits dangereux" ou "Guide orange des sapeurs-pompiers genevois" (ci-après: Guide orange) et contrôler les imprimés de ce document. Le Guide orange est un manuel d'intervention pratique destiné d'abord aux sapeurs-pompiers genevois. Pour chaque produit, il contient une description détaillée du produit lui-même et énumère les dangers qui lui sont liés, les mesures de protection personnelle, de sécurité et d'évacuation à prendre ainsi que les moyens d'extinction autorisés. Le guide est pourvu d'une reliure amovible; ses feuillets sont en papier indéchirable et résistant à l'eau.
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De 1962 à 1988, le SIS était dirigé par A., ingénieur-technicien diplômé de l'école technique de Genève et disposant d'une formation d'officier NBC (nucléaire, bactériologique, chimiste). En avril 1979, A. a rédigé une ébauche d'un répertoire des produits dangereux. Le manuscrit contenait une table des matières, un projet de préface, se terminant par les noms de Christian de Siebenthal et A., un mémento des mesures immédiates, une signalisation/identification des produits et une échelle des dangers; deux fiches de produits dangereux, dactylographiées, étaient jointes. Quelques mois plus tard, A. a demandé au Conseil administratif de la Ville de Genève un crédit spécial pour la réalisation de l'ouvrage. Tirée à 350 exemplaires et comportant 118 fiches, la première édition du Guide orange est parue en 1979. Dans la préface, A. indiquait que "la réalisation de ce guide SPG a été rendue possible grâce à la collaboration efficace de Monsieur Ch. de Siebenthal, Ingénieur-Chimiste, qui a effectué des stages dans notre service en participant aux opérations."
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Le Guide orange a été régulièrement mis à jour, au fur et à mesure que l'ONU communiquait de nouvelles données relatives aux produits dangereux. Il a été réédité en 1985, 1992 et 2003, toujours aux frais de la Ville de Genève. Sa dernière version se décline en trois volumes et comporte 990 fiches. Comme dans les éditions précédentes, les armoiries de la Ville de Genève et, en-dessous, la mention du SIS figurent sur la page de couverture. Le guide est devenu l'ouvrage de référence des sapeurs-pompiers francophones; il a été recommandé par le Ministère de l'Intérieur français et est utilisé par plusieurs industries chimiques et de transport. La préface de toutes les éditions mentionne la collaboration de Christian de Siebenthal, qui a permis la réalisation de l'ouvrage. Par ailleurs, chaque édition comporte un avant-propos rédigé et signé par Christian de Siebenthal.
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En 2004, ce dernier a appris que le maire de Genève souhaitait confier à un tiers l'édition et la commercialisation du Guide orange. Le collaborateur a alors cherché à reprendre à son compte l'exploitation scientifique et commerciale du guide. En juillet 2006, le SIS l'a informé que le maire avait écarté sa proposition.
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En octobre 2006, Christian de Siebenthal a déposé une requête de mesures provisionnelles, tendant notamment à faire interdiction à la Ville de Genève de déposer tout ou partie du Guide orange, de confier à quiconque l'édition et/ou la commercialisation de l'ouvrage, de confier à quiconque sa réimpression et/ou sa reproduction et de supprimer le lien sur le site Internet de la ville renvoyant au dit guide. Par la suite, Christian de Siebenthal a retiré sa requête, dès lors que la Ville de Genève n'avait, pour le moment, passé aucun contrat en relation avec le Guide orange et n'avait pas entamé non plus de pourparlers à ce sujet.
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En mars 2007, la Ville de Genève a résilié le contrat de travail la liant à Christian de Siebenthal, invoquant une rupture du lien de confiance à la suite du dépôt de la requête de mesures provisionnelles.
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B. Le 9 juillet 2008, Christian de Siebenthal a introduit une action tendant à faire constater qu'il est l'auteur du Guide orange. La Ville de Genève a conclu au rejet de l'action.
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Statuant le 13 novembre 2009 en instance cantonale unique, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a débouté le demandeur des fins de son action.
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(résumé)
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Extrait des considérants: | |
Erwägung 4 | |
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Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 6 LDA (RS 231.1). A son avis, les critères appliqués par la Chambre civile ne sont pas pertinents pour définir la qualité d'auteur. Ainsi, le fait que le recourant ne soit pas pompier ne serait pas déterminant puisque l'ouvrage nécessitait avant tout des compétences de chimiste. Par ailleurs, les notes manuscrites de A. démontrant qu'il avait réfléchi à la conception, forme et présentation du guide, ne suffiraient pas à en faire un auteur dans la mesure où la cour cantonale ne constate pas que l'oeuvre a été effectivement réalisée sur la base de ces notes. L'obtention d'un crédit pour la publication de l'oeuvre ne serait pas non plus pertinente à cet égard. Le recourant réfute en outre n'avoir fait qu'un travail de compilation. Le travail de vulgarisation que la cour cantonale lui reconnaît tout de même donnerait du reste prise au droit d'auteur. Le recourant conteste également que le choix d'un papier indestructible et résistant à l'eau pour l'ouvrage lui-même puisse avoir une pertinence quelconque pour attribuer à une personne la qualité d'auteur. De même, celui qui définit le but de l'ouvrage, pose des critères de présentation ou donne des instructions ne saurait de ce fait être considéré comme l'auteur. Selon le recourant, la cour cantonale a ignoré enfin des éléments de sa propre décision qui démontraient qu'il avait bel et bien créé l'oeuvre concrète, comme par exemple le fait qu'il avait été chargé de mettre à exécution le projet ou le rapport de la Commission des sports le désignant comme celui qui avait élaboré le guide.
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4.2 Il n'est pas contesté que le Guide orange est une oeuvre au sens de l'art. 2 al. 1 LDA, soit une création de l'esprit qui a un caractère individuel, quelles qu'en soient la valeur ou la destination. Sont notamment des créations de l'esprit les oeuvres recourant à la langue, qu'elles soient littéraires, scientifiques ou autres (art. 2 al. 2 let. a LDA). Le critère décisif réside dans l'individualité, qui doit s'exprimer dans l'oeuvre elle-même; l'originalité, dans le sens du caractère personnel apporté par l'auteur, n'est plus nécessaire selon la LDA entrée en vigueur en juillet 1993 (ATF 134 III 166 consid. 2.1 p. 169/170; ATF 130 III 168 consid. 4.4 p. 172, ATF 130 III 714 consid. 2.1 p. 717). Le caractère individuel exigé dépend de la liberté de création dont l'auteur jouit; si la nature de l'objet ne lui laisse que peu de marge de manoeuvre, par exemple pour une oeuvre scientifique, la protection du droit d'auteur sera accordée même si le degré d'activité créatrice est faible (ATF 113 II 190 consid. 2a p. 196; ATF 117 II 466 consid. 2a p. 468; ATF 130 III 168 consid. 4.1 p. 170). L'individualité se distingue de la banalité ou du travail de routine; elle résulte de la diversité des décisions prises par l'auteur, de combinaisons surprenantes et inhabituelles, de sorte qu'il paraît exclu qu'un tiers confronté à la même tâche ait pu créer une oeuvre identique. Un compendium contenant des informations sur des médicaments a ainsi été jugé comme manquant de l'individualité requise (ATF 134 III 166 consid. 2.3.1, 2.3.2 et 2.5).
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En l'espèce, ce qui fait l'individualité du Guide orange, c'est la présentation de chaque produit chimique par fiche, comprenant l'étiquette de danger correspondante, le panneau orange avec le numéro de danger ONU, une échelle allant de 0 à 4 indiquant les dangers pour la santé (carré bleu), en cas de feu (carré rouge), lors d'instabilité chimique à la chaleur (carré jaune) et de réaction avec l'eau (carré blanc) ou avec l'air à 20° C (carré rouge et jaune), une description du produit et de ses dangers, l'indication de l'attitude à adopter en cas de feu, de déversement sur terre ou dans l'eau, d'intoxication, la mention du matériel de protection et de récupération à utiliser, les constantes physiques et, selon les produits, une barre orange simple ou double indiquant si l'évacuation de la population est à envisager ou indispensable, ainsi qu'une description de la zone à évacuer en cas de fuite toxique ou de risque d'explosion. En revanche, ni le type de reliure, ni le choix du papier sur lequel le guide est imprimé ne participent à l'individualité de l'oeuvre (cf. KAMEN TROLLER, Manuel du droit suisse des biens immatériels, 2e éd. 1996, tome I, p. 19).
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4.3 Selon le principe du créateur (Schöpferprinzip), l'auteur est la personne physique qui a créé l'oeuvre (art. 6 LDA). La création d'une oeuvre dans le cadre d'un contrat de travail n'empêche pas l'employé d'acquérir le statut d'auteur (cf. RÉMY WYLER, Droit du travail, 2e éd. 2008, p. 383; DANIEL ALDER, Urheberrecht und Arbeitsvertrag, in Urhebervertragsrecht, Magda Streuli-Youssef [éd.], 2006,p. 475; KAMEN TROLLER, Précis du droit suisse des biens immatériels, 2e éd. 2006, p. 253; KATHARINA RÜDLINGER, Der Urheber im Arbeitsverhältnis aus rechtsvergleichender Sicht, 1995, p. 70). S'il est une personne physique, l'employeur ne sera coauteur que s'il a fourni un apport créatif original; tel ne sera pas le cas s'il se borne à exprimer certains voeux ou à donner quelques lignes directrices (WYLER, op. cit., p. 383). De manière générale, est coauteur celui qui concourt de façon effective à la détermination définitive de l'oeuvre ou à sa réalisation; la contribution du coauteur peut résider dans la forme ou dans la structure du contenu, pour autant que son apport revête l'individualité nécessaire (TROLLER, Précis, op. cit., p. 254). Le coauteur doit faire preuve d'une collaboration créatrice; celui qui exécute simplement les instructions d'un autre, sans qu'une marge de manoeuvre ne soit laissée à sa propre créativité, n'est pas un coauteur, mais un auxiliaire (BARRELET/EGLOFF, Le nouveau droit d'auteur, 3e éd. 2008, n° 4 ad art. 7 LDA p. 37).
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Comme déjà relevé, le caractère individuel de l'oeuvre réside en l'espèce dans la disposition originale de la matière, par fiches d'intervention comprenant pour chaque produit en tout cas une étiquette chimique, le numéro ONU, une échelle des dangers, une description du produit et des dangers qui lui sont liés, différentes rubriques indiquant aux intervenants comment agir au mieux selon les situations, ainsi qu'une indication des constantes.
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Selon l'arrêt attaqué, le recourant n'est ni auteur, ni coauteur du Guide orange, car il devait suivre les instructions données par A. La cour cantonale observe par ailleurs que celui-ci avait posé des critères, notamment de présentation. A ce propos, l'arrêt entrepris n'est guère précis. Il est simplement fait état d'instructions, sans que l'on sache exactement sur quoi elles portaient. De même, les critères de présentation posés par A. ne sont pas énumérés. En particulier, la cour cantonale ne constate nulle part que A. aurait décidé seul des éléments qui figurent en définitive sur les fiches d'intervention. Certes, elle se réfère aux notes manuscrites rédigées par A. en avril 1979 qui, selon elle, démontrent que l'intéressé avait mûrement réfléchi à la conception, forme et présentation du guide. En réalité, sous la plume du chef du SIS, on trouve un titre, une table des matières, une préface, un mémento des mesures immédiates, une signalisation et identification des produits selon les panneaux oranges et les étiquettes de danger, ainsi que l'échelle des dangers; les deux exemples de fiches qui suivent ces notes sont dactylographiées et rien ne permet d'attribuer le choix de leur structure au seul A. On le peut d'autant moins que, au bas de son projet de préface, le chef du SIS a écrit de sa main le nom du recourant à côté du sien. En conséquence, il ne résulte pas des faits constatés dans l'arrêt attaqué que A. avait fixé seul la disposition originale de la matière et que la tâche du recourant était celle d'un simple auxiliaire chargé de remplir des rubriques prédéterminées.
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Cela étant, il est incontesté que c'est bien le recourant qui a rédigé les fiches composant le Guide orange. Certes, pas plus que pour A., les faits constatés dans l'arrêt cantonal ne laissent apparaître que la forme et la structure des fiches et du guide en général ont été déterminées exclusivement par le recourant. A cet égard, le recourant fait grief à la cour cantonale d'avoir violé l'art. 8 CC en refusant une expertise permettant de dater les projets de fiches qu'il avait produits. Dans la mesure où, selon le recourant lui-même, ces exemples ont été dactylographiés alors qu'il travaillait déjà au SIS, on ne voit pas comment une datation plus précise démontrerait qu'il a choisi seul les informations à faire figurer dans la fiche. Le moyen est mal fondé.
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Il n'en demeure pas moins que la Chambre civile relève elle-même qu'en 1978, le SIS a engagé le recourant en qualité de chimiste-documentaliste précisément "afin de réaliser et de mettre à jour les fiches du 'Guide Orange'"; or, à ce moment-là, aucun répertoire de produits dangereux n'existait. La cour cantonale retient également que le recourant a été "chargé, notamment en raison de ses très grandes compétences professionnelles, de mettre à exécution le projet, en compilant les données chimiques, les vulgarisant et les rendant utiles pour les besoins des sapeurs-pompiers." Plus loin, elle relève que le recourant "a largement participé à la réalisation des fiches dudit guide et que ses compétences, ainsi que son enthousiasme pour ce domaine, ont contribué à la qualité et la renommée du guide." Au surplus, la collaboration du recourant à la réalisation du guide a été louée dans la préface de toutes les éditions de l'ouvrage. Le recourant a également rédigé et signé l'avant-propos de chaque édition. Enfin, comme relevé plus haut, la paternité de l'oeuvre ne peut être attribuée uniquement à A.
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Dans ces conditions, la cour cantonale ne pouvait pas, sans violer le droit fédéral, dénier au recourant tout apport créatif au Guide orange et le réduire à un auxiliaire n'ayant eu aucune prise sur les choix qui font l'individualité de l'oeuvre. Il s'ensuit que la qualité de coauteur du Guide orange doit être reconnue au recourant. L'arrêt attaqué sera réformé dans ce sens.
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