BGE 146 III 142 | |||
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17. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause A. S.L. contre République bolivarienne du Vénézuela (recours en matière civile) |
4A_306/2019 du 25 mars 2020 | |
Regeste |
Art. 190 Abs. 2 lit. b IPRG; Zuständigkeit des Schiedsgerichts, Anwendungsbereich eines bilateralen Investitionsschutzabkommens. | |
Sachverhalt | |
A. A. S.L. (ci-après: A. Espagne, la recourante) est une société de droit espagnol sise à B. ayant été constituée le 15 avril 2011 par un représentant de sa société mère, C. Dans le cadre de la création de la recourante, C. a effectué un apport en nature en transférant les actions qu'elle détenait dans la filiale vénézuelienne du groupe, D. S.A. Dès lors, la recourante est propriétaire de l'intégralité des actions de D. S.A.
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Le présent litige a pour toile de fond les activités déployées par D. S.A. sur le territoire de la République bolivarienne du Vénézuela (ci-après: le Venezuela, l'intimée). La recourante fait valoir des prétentions à l'encontre de l'intimée qu'elle déduit de la convention visant à l'encouragement et la protection réciproques des investissements conclue entre l'Espagne et le Venezuela le 2 novembre 1995 ("Convenio entre el Gobierno del Reino de España y el Gobierno de la República Bolivariana de Venezuela para la Promoción y la Protección Recíproca de Inversiones"; ci-après: le TBI).
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B. Le 18 mai 2015, la recourante, se basant sur la clause arbitrale incluse dans le TBI, a introduit une procédure d'arbitrage contre l'intimée en vue d'obtenir le paiement de dommages-intérêts pour cause de violation des art. III(1), V, IV(1) du TBI. Un tribunal arbitral de trois membres a été constitué, conformément au Règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), sous l'égide de la Cour permanente d'arbitrage (CPA), et son siège fixé à Genève. L'espagnol a été désigné comme langue de l'arbitrage.
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Par sentence du 20 mai 2019, le Tribunal arbitral s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande et a mis les frais de la procédure arbitrale à la charge de la recourante.
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C. La recourante forme un recours en matière civile, pour violation de l'art. 190 al. 2 let. b de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (LDIP; RS 291), aux fins d'obtenir l'annulation de la sentence du 20 mai 2019 et la constatation de la compétence du Tribunal arbitral pour trancher au fond le litige divisant les parties. (...)
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Le Tribunal fédéral admet partiellement le recours.
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(extrait)
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Extrait des considérants: | |
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Afin de déterminer si la recourante avait effectué un acte d'investissement, le Tribunal arbitral s'est penché sur la façon dont elle avait obtenu les actions de D. S.A. détenues par elle. Il a retenu que E. et C., deux sociétés américaines, avaient investi au Venezuela à partir de 1990 et que début avril 2011, l'intégralité des actions de D. S.A. était détenue par C. Ce n'est que le 15 avril 2011 que la recourante a été constituée par un représentant de C. et que, dans le cadre de la création de la société, C. a effectué un apport en nature en transférant les actions qu'elle détenait dans D. S.A. Au regard de ces faits, le Tribunal arbitral a estimé qu'aucun transfert de valeur ("transfer of value", "transferencia de valor") n'avait été effectué entre la recourante et C. à titre de contre-prestation ("consideration", "contraprestación") pour l'obtention des actions de D. S.A. En particulier, l'obtention par C. d'actions de la recourante dans le cadre de la constitution de cette dernière ne saurait, de l'avis du Tribunal arbitral, être considérée comme une contre-prestation, au vu du fait que tant le capital que la prime d'émission des actions de la recourante ont été libérés par apport en nature et que sans le transfert par C. des actions de D. S.A., les actions de la recourante n'existeraient pas. Le Tribunal arbitral conclut qu'en l'absence de contre-prestation, la détention par la recourante de l'intégralité des actions de D. S.A. ne peut être qualifiée d'investissement au sens de l'art. I(2) du TBI. S'agissant d'éventuels investissements effectués par la recourante elle-même dans les actifs de D. S.A. allant au-delà de la simple détention des actions de cette dernière, le Tribunal arbitral a jugé que leur existence n'avait pas été démontrée.
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3.2 La recourante estime que le Tribunal arbitral a introduit, à tort, plusieurs conditions à l'existence d'un investissement ne figurant pas à l'art. I(2) du TBI et a appliqué ces conditions de manière contraire à l'objet et au but du TBI. Selon elle, l'interprétation et l'application de l'art. I(2) par le Tribunal arbitral ne sont pas compatibles avec les exigences de l'art. 31 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (RS 0.111; ci-après: CV). Elle estime tout d'abord que, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal arbitral, le sens ordinaire des mots utilisés à l'art. I(2) du TBI n'implique aucun acte d'investissement actif. La lettre de cette disposition ne stipulant aucune restriction quant à la manière dont les avoirs doivent avoir été investis, rien ne permet d'exclure les investissements passifs et, en particulier, la situation selon laquelle l'investisseur ne fait "pas plus qu'agir comme véhicule au travers duquel l'investissement est effectué". De plus, en instaurant l'exigence d'une contre-prestation, le Tribunal arbitral n'a pas considéré l'acte d'investissement de manière autonome. De l'avis de la recourante, pareille exigence d'une contre-prestation à fournir par l'investisseur lui-même ne saurait être déduite du sens ordinaire des mots utilisés à l'art. I(2) TBI "avoirs investis par des investisseurs". A l'appui des définitions du terme "investir" en espagnol et en français, la recourante soutient que ce terme ne désigne que le fait "d'employer des avoirs dans un projet afin d'en tirer des gains" et que les avoirs faisant l'objet d'un investissement peuvent très bien avoir été obtenus dans le contexte d'une donation ou d'une succession de sujets de droit. Même en admettant qu'une contre- prestation soit nécessaire, rien ne permet d'établir que celle-ci devait être fournie par l'investisseur lui-même et non par l'entité qui le contrôle, en l'espèce C. D'ailleurs, même si la contre-prestation devait être fournie par l'investisseur lui-même, la recourante est d'avis que cette condition serait remplie en l'espèce, rien n'indiquant en effet qu'une restructuration telle que celle du cas d'espèce ne pourrait donner lieu à une contre-prestation de la part de la société nouvellement constituée. Elle réitère à ce titre l'argumentation développée devant le Tribunal arbitral selon laquelle en échange des actions de D. S.A., C. a obtenu les actions de A. Espagne. Elle précise à ce titre que, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal arbitral, l'existence d'une contre-prestation est "indépendante du fait que la recourante n'existerait pas sans le transfert des actions de D. S.A." et que l'art. I(2) du TBI n'exclut en rien pareille contre-prestation d'une société nouvellement créée envers sa société mère.
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La recourante estime que l'interprétation de l'art. I(2) TBI par le Tribunal arbitral n'est pas compatible avec le contexte de cette disposition dans le TBI. Elle évoque à ce titre l'art. I(1)(b) TBI selon lequel le terme "investisseur" inclut également les personnes morales constituées dans une partie contractante mais effectivement contrôlées par les investisseurs de l'autre partie contractante. De l'avis de la recourante, cette disposition a pour but la protection de sociétés détenant des avoirs dans l'Etat de leur incorporation une fois qu'elles passent sous le contrôle d'un investisseur de l'autre partie contractante. Or, si l'interprétation faite par le Tribunal arbitral de cette disposition devait être suivie, une société vénézuélienne ne serait pas protégée au moment de son acquisition par une société espagnole, la société vénézuélienne n'effectuant aucun acte d'investissement "actif" et ne fournissant aucune contre-prestation elle-même. La recourante se réfère également à l'art. II(3) TBI selon lequel le TBI s'applique également aux investissements faits avant son entrée en vigueur par les investisseurs d'une partie contractante en accord avec les dispositions légales de l'autre partie contractante dans leterritoire de cette dernière. Selon elle, les parties contractantes ont, par cette disposition, clairement rejeté l'idée d'attribuer une importance particulière à l'acte d'investissement. Cette disposition indique que ce n'est pas l'acte d'investissement mais bel et bien la détention d'avoirs dans l'état hôte qui est le critère déterminant afin d'obtenir la protection du TBI.
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La recourante fait valoir que l'interprétation de l'art. I(2) du TBI par le Tribunal arbitral n'est pas compatible avec l'objet et le but du traité. Elle évoque notamment le préambule du TBI selon lequel le but du traité est d'encourager et protéger les investissements d'investisseurs d'une partie contractante sur le territoire de l'autre partie contractante en créant des conditions favorables à cet égard, pareilles conditions s'appliquant expressément non seulement aux investissements futurs mais également aux investissements déjà réalisés. Si l'interprétation du Tribunal arbitral devait être suivie, de nombreux investissements, tels que ceux effectués dans le contexte de restructurations, ne seraient pas protégés, ce qui serait incompatible avec le but du TBI. De plus, pareille interprétation mènerait à des distinctions absurdes. Elle impliquerait en effet qu'une société faisant l'acquisition d'actions d'une société locale serait protégée si elle effectuait cette acquisition immédiatement après avoir été constituée, mais ne le serait en revanche pas si l'investissement était réalisé au moment même de sa création par une société mère. Dans le cas d'espèce, si C. avait, dans un premier temps, créé la recourante en investissant ses propres fonds avant, dans un deuxième temps, de lui transférer les actions de D. S.A. en échange des fonds qu'elle venait d'investir, le Tribunal arbitral aurait reconnu l'existence d'un investissement protégé, un acte d'investissement actif avec contre-prestation ayant été effectué. Or, une interprétation ayant pour effet que deux scénarios reflétant exactement la même réalité économique aboutissant à des résultats différents ne saurait être suivie. Elle contraindrait les investisseurs ayant effectué des investissements ne remplissant pas les exigences artificielles du Tribunal arbitral à avoir recours à des transactions tout aussi artificielles pour pouvoir prétendre à la protection du traité.
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Enfin, la recourante fait valoir que l'interprétation de l'art. I(2) du TBI est en contradiction avec la jurisprudence constante des tribunaux arbitraux en matière d'arbitrage d'investissement. Elle se réfère à différentes sentences arbitrales dans lesquelles la protection de traités d'investissement a été conférée à des investissements indirects ainsi qu'à l'arrêt 4A_65/2018 du 11 décembre 2018 traitant notamment de cette question en lien avec le traité bilatéral d'investissement entre l'Allemagne et l'Inde. Or, instaurer l'exigence d'un acte d'investissement actif reviendrait, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal arbitral, à ne pas garantir la protection d'investissements indirects. La recourante cite différentes décisions arbitrales, dont une traitant du TBI, dans lesquelles les tribunaux arbitraux n'ont soit pas jugé nécessaire d'examiner si une contre-prestation avait été fournie dans le cadre de l'investissement, soit explicitement rejeté l'argument selon lequel une telle contre-prestation était nécessaire. Il en va de même de l'exigence d'un acte d'investissement actif.
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Erwägung 3.4 | |
3.4.1 Saisi du grief fondé sur l'art. 190 al. 2 let. b LDIP, le Tribunal fédéral examine librement les questions de droit, y compris les questions préalables, qui déterminent la compétence ou l'incompétence du tribunal arbitral. Ainsi a-t-il été notamment amené à déterminer le sens que revêtaient les termes "investissement", "investisseur" ou "investir" dans différents traités bilatéraux d'investissement (ATF 144 III 559 consid. 4; arrêts 4A_65/2018 du 11 décembre 2018 consid. 2.4.1; 4A_616/2015 du 20 septembre 2016 consid. 3). Il en fera de même dans la présente affaire s'agissant des termes litigieux "investisseur" ("investor", "inversor") et "investissement" ("investment", "inversión") figurant à l'art. I(2) du TBI. Cette interprétation s'effectuera conformément aux règles de la CV (ATF 144 III 559 consid. 4; ATF 141 III 495 consid. 3.5.1 p. 503). On notera à cet égard que le fait que le Venezuela n'a pas ratifié cette convention ne fait pas obstacle au recours aux règles d'interprétation stipulées dans celle-ci en l'espèce, ces règles ayant codifié le droit international coutumier en ce qui concerne l'interprétation des traités internationaux (ATF 138 II 254 consid. 3.1; arrêt 4A_65/2018 du 11 novembre 2018 consid. 2.4.1). Ni le tribunal arbitral ni les parties n'ont d'ailleurs remis en question le recours à la CV dans le cadre de l'interprétation du TBI.
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Erwägung 3.4.2 | |
3.4.2.1 Tant le Tribunal arbitral que la recourante se réfèrent à maintes reprises à la définition d'"investissement" contenue à l'art. I(2) du TBI. Cette définition se lit, en espagnol et dans sa traduction anglaise, comme suit:
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"Por "inversiones" se designa todo tipo de activos, invertidos por inversores de una Parte Contratante en el territorio de la otra Parte Contratante y, en particular, aunque no exclusivamente, los siguientes:
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a) Acciones, títulos, obligaciones y cualquier otra forma de participación en sociedades [...]"
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"The term 'investments' means any kind of assets invested by investors of one Contracting Party in the territory of the other Contracting Party and in particular, although not exclusively, the following assets:
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a) Shares, securities, bonds and any other form of participation in companies [...]".
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Se fondant pour l'essentiel sur cette clause, particulièrement sur la formule "any kind of assets invested by investors of one Contracting Party" ("todo tipo de activos invertidos por inversores de una Parte Contratante"), ainsi que sur des formules semblables contenues dans les articles III(1), IV(1), V(1) du TBI, le Tribunal arbitral a retenu qu'il était nécessaire qu'un investisseur effectue un acte d'investissement afin de bénéficier de la protection du traité. Si le Tribunal arbitral dit ne pas vouloir exclure du champ d'application du TBI les investissements indirects, il juge nécessaire que l'acte d'investissement ait été effectué par l'investisseur lui-même.
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3.4.2.2 Dans la décision récente citée par la recourante et ayant pour objet un différend opposant une société allemande à la République de l'Inde, le Tribunal fédéral a constaté qu'il n'existait, à ce jour, aucune définition abstraite, définitive et unanimement acceptée de la notion d'investissement dans les traités internationaux à caractère bilatéral ou multilatéral relatifs à la protection et à la promotion des investissements. Relevant que l'investissement n'a pas nécessairement la même signification sous l'angle du droit et sous celui de l'économie et que sa définition juridique varie d'un tribunal arbitral à l'autre, sans parler des multiples opinions doctrinales professées à son sujet, le Tribunal fédéral a considéré qu'il convenait de privilégier une approche pragmatique de la question en interprétant cette notion de bonne foi à partir du texte du traité examiné, suivant le sens ordinaire des termes pertinents considérés dans leur contexte ainsi qu'à la lumière de l'objet et du but du traité (arrêt 4A_65/2018 du 11 décembre 2018 consid. 3.2.1.2.3). On notera à cet égard que le Tribunal arbitral lui-même a refusé de se référer à la jurisprudence du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) s'agissant de la définition du terme "investissement", pointant du doigt l'absence de cohérence de celle-ci.
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3.4.2.3 À titre liminaire, il convient de noter que c'est à raison que le Tribunal arbitral a estimé que la question déterminante en l'espèce n'était pas celle de la protection d'investissements indirects. En effet, la recourante détient elle-même les actions de D. S.A. qui lui ont été transmises par C. au moment de sa fondation. Ainsi, la recourante ne saurait tirer argument de l'arrêt 4A_65/2018 du 11 décembre 2018 dans lequel le Tribunal fédéral a notamment eu à se prononcer sur la question de la protection, sous l'égide du traité bilatéral d'investissement conclu entre l'Inde et l'Allemagne, d'investissements en Inde effectués par une société allemande par l'intermédiaire de sa filiale de Singapour. En l'espèce, il importe peu de savoir si les investisseurs indirects peuvent aspirer à la protection du TBI, la recourante ne détenant pas les actions de D. S.A. par l'intermédiaire d'une autre société. Contrairement à ce qu'allègue la recourante, l'exigence déduite par le Tribunal arbitral du TBI d'un acte actif d'investissement par l'investisseur lui-même n'exclut pas toute forme d'investissements indirects mais uniquement les investissements - directs ou indirects - ne réunissant pas ces conditions. En d'autres termes, les considérations du Tribunal arbitral ne se rapportent pas à la qualité directe ou indirecte de l'investissement mais à d'autres éléments dont il sera question par la suite.
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3.4.2.4 Comme évoqué, l'argumentation du Tribunal arbitral se fonde essentiellement sur la lettre du TBI. Le Tribunal a accordé une importance particulière à la tournure "investis par des investisseurs d'une Partie Contractante" (art. I(2) TBI) ainsi qu'aux formules similaires des art. III(I), IV(I) et V(I) TBI et en a déduit la nécessité d'un acte d'investissement actif de la part de l'investisseur. La ligne argumentative du Tribunal arbitral semble, à première vue, particulièrement simple et dénuée d'ambiguïté: la recourante n'ayant pas elle-même activement fait l'acquisition des actions de D. S.A. en l'échange d'une contre-prestation, elle ne saurait prétendre à la protection du TBI. Derrière cette interprétation essentiellement littérale du TBI semble toutefois se dessiner une argumentation plus complexe ayant trait à la source des investissements et la façon dont ceux-ci ont été structurés au sein de la multinationale A. Il n'est pas anodin à ce titre de constater que le Tribunal arbitral, dans le cadre de ses courts développements sur la question de l'investissement indirect, a précisé que le capital et le savoir-faire investis sur le territoire vénézuélien provenaient de deux sociétés américaines non protégées par le TBI ("two U.S. companies that are not protected by the Treaty", "dos sociedades de los Estados Unidos, no protegidas por el Tratado"). Ce qui semble véritablement conduire le Tribunal arbitral à nier à la recourante un droit à la protection des investissements litigieux réside dans le fait que l'acte d'investissement - tel que l'a défini le Tribunal arbitral - n'a pas été effectué par une société espagnole mais par une ou plusieurs société(s) américaine(s) du même groupe. En instaurant l'exigence d'une contre-prestation ("consideration", "contraprestación") à fournir par l'entité juridique espagnole elle-même, le Tribunal arbitral semble se livrer à une analyse matérielle de la provenance des fonds investis sous couvert du critère "formel" d'un acte d'investissement actif. Si le Tribunal arbitral reconnaît en effet que les actions de D. S.A. constituent en soi indiscutablement un "investissement" et que la recourante, société sise en Espagne, remplit les critères nécessaires afin d'être considérée comme "investisseur" au sens du TBI, il nie à cette dernière le droit à la protection en raison du fait que l'acte initial d'investissement, soit vraisemblablement la création ou le rachat de l'entité vénézuélienne, a été effectué par une ou plusieurs sociétés d'un Etat tiers. En d'autres termes, c'est bel et bien le fait que la participation dans la filiale vénézuélienne du groupe, initialement détenue par une société sise aux Etats-Unis, a été transférée à une société espagnole nouvellement créée dans le cadre d'une restructuration dont le but était précisément d'obtenir la protection du TBI, qui semble constituer l'élément décisif ayant conduit le Tribunal arbitral à nier à la recourante la protection du TBI.
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3.4.2.5 Le TBI ne fournit ni de critères distinctifs ni de caractéristiques d'un "investissement". La définition qu'il contient de ce terme (cf. supra, consid. 3.4.2.1) correspond à une définition très classique et courante assimilant un investissement à tout type d'actifs "investis" sur le territoire de l'autre partie contractante (asset-based definition ; MOLINUEVO, International Disputes in Investment in Services, 2012, p. 47 ss; BISCHOFF/HAPP, in The Notion of Investment, in International Investment Law, Bungenberg/Griebel/Hobe/Reinisch [éd.], 2015,p. 500 ss, n. 8 ss). Cette définition centrée sur la notion d'"actif" comprend une clause générale ("any kind of assets", "todo tipo de activos") ainsi qu'une liste exemplative d'investissements comprenant notamment toute forme de participations dans des sociétés locales. Comparée à d'autres types de définitions contenues dans certains traités bilatéraux d'investissement, cette définition se distingue par son ouverture. Abstraction faite de la formule litigieuse "investis par des investisseurs", force est de constater que cette définition ne contient aucune restriction ou exigence particulière au sujet de la nature des investissements protégés. Il semblerait, au contraire, que les Etats contractants aient cherché à inclure une large palette d'investissements, prenant notamment le soin d'insister sur le caractère non exhaustif de la liste - pourtant fournie - d'exemples d'actifs à considérer comme des investissements ("in particular, although not exclusively, the following assets [...]", "[...] en particular, aunque no exclusivamente, los siguientes [...]").
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3.4.2.6 Il n'est pas rare que des traités d'investissement contiennent des clauses limitatives visant à restreindre leur champ de protection. En particulier, par le biais de "denial of benefits clauses", les Etats contractants peuvent se prémunir contre la pratique consistant pour une personne d'un Etat tiers à changer de nationalité ou invoquer une autre nationalité dans le but d'obtenir la protection d'un traité d'investissement ("treaty shopping"). Tel est le cas, par exemple, lorsqu'un investissement est structuré d'une manière telle à ce qu'il soit protégé par un traité, par exemple par le biais de la constitution d'une société sur le territoire d'un Etat contractant chargée d'effectuer ou de détenir les investissements d'un groupe dans l'autre Etat contractant.
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Afin de restreindre un usage jugé abusif d'un traité, les parties contractantes peuvent notamment exclure de sa protection tout investisseur n'ayant pas de liens économiques avec le pays dont il invoque la nationalité ou toute société dont le capital est (intégralement) détenu par des personnes de pays tiers (cf. sur toute la question HOFFMANN, in Denial of Benefits, Bungenberg/Griebel/Hobe/Reinisch [éd.], 2015, p. 598 ss). De manière similaire, les Etats contractants peuvent prévoir dans les traités d'investissement des clauses ayant pour objet la provenance des fonds investis ("origin of capital clauses"). Pareilles clauses peuvent, par exemple, stipuler que les investissements doivent impérativement avoir été effectués avec des moyens de provenance étrangère ou les moyens propres de l'investisseur protégé afin que l'investissement jouisse de la protection du traité (GRUBENMANN, Der Begriff der Investition in Schiedsgerichts-verfahren in der ICSID-Schiedsgerichtsbarkeit, 2009, p. 220 ss). De manière plus générale, il est admis que les Etats contractants disposent - et font régulièrement usage - de possibilités diverses et variées d'exclure ou limiter la pratique du "treaty shopping". En sus des clauses susmentionnées, ils peuvent en effet par exemple inclure dans le préambule l'exigence de la réciprocité de la protection et en spécifier les contours ou clarifier par le biais de formules adéquates dans les définitions d'investisseur et d'investissement que certaines pratiques de planification stratégique ne conduisent pas à la protection du traité (cf. sur toute la question BAUMGARTNER, Treaty Shopping in International Investment Law, 2016, p. 235 ss).
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Ainsi, les problématiques du "treaty shopping" et de la provenance des fonds investis, qui constituent le véritable noeud du présent litige, sont connues et discutées dans le domaine de la protection d'investissements internationaux. Nombre d'Etats désirant se prémunir contre l'utilisation abusive de traités d'investissement ont exclu, par le biais de clauses expresses, du champ d'application de ceux-ci des investissements structurés au sein d'un groupe de sociétés de manière à obtenir la protection du traité pour des investissements effectués avec des fonds provenant d'Etats tiers. On notera à cet égard, à titre d'exemple, que le Traité du 17 décembre 1994 sur la Charte de l'énergie (RS 0.730.0; Energy Charter Treaty), ratifié par une cinquantaine de pays dont l'Espagne, prévoit en son article 17 ce qui suit:
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"Chaque partie contractante se réserve le droit de refuser le bénéfice de la présente partie: (1) à toute entité juridique si les citoyens ou les ressortissants d'un État tiers sont propriétaires ou ont le contrôle de cette entité et si celle-ci n'exerce pas d'activités commerciales substantielles dans la zone de la partie contractante dans laquelle elle est constituée ou (2) à un investissement si la partie contractante qui refuse établit qu'il s'agit d'un investissement d'un État tiers avec lequel ou à l'égard duquel (a) elle n'entretient pas de relations diplomatiques ou (b) adopte ou maintient des mesures qui (i) interdisent des transactions avec les investisseurs de cet État ou (ii) seraient enfreintes ou contournées si les avantages prévus dans la présente partie étaient accordés aux investisseurs de cet État ou à leurs investissements."
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Autre exemple, le Traité d'investissement pour le Marché commun de l'Afrique australe et orientale(Investment Agreement for the COMESA Common Investment Area) du 23 mai 2007, ratifié par un grand nombre d'Etats africains, précise qu'une personne morale contrôlée par des étrangers doit déployer une activité commerciale importante sur le territoire de l'Etat membre dans lequel elle est constituée afin de revêtir la qualité d'investisseur au sens du traité (art. 1(4)).
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Nombreux sont les traités bilatéraux d'investissement ratifiés avant ou après le TBI contenant des clauses ou formules limitatives similaires. À titre d'exemples, on peut citer le Traité bilatéral d'investissement du 4 mars 1994 conclu entre les Etats-Unis et l'Ukraine, qui prévoit en son article I.2 que chaque Etat contractant peut refuser d'accorder les avantages découlant du traité à une société contrôlée par des personnes d'un Etat tiers si la société n'a pas d'activités commerciales d'importance sur le territoire de l'autre Etat contractant ou s'il n'entretient pas de relations commerciales avec l'Etat dont ces personnes sont les ressortissants, ou le Traité du 17 octobre 2001 entre l'Autriche et l'Arménie sur l'encouragement et la protection des investissements dont l'art. 10 a pour objet une réserve similaire (cf. pour plus d'exemples BAUMGARTNER, op. cit., p. 235 ss; HOFFMANN, op. cit., p. 599 ss).
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Force est de constater que le TBI ne contient aucune clause de ce type. Il ne prévoit aucune disposition pouvant être assimilée à une "denial of benefit clause" ou "origin of capital clause" ni aucune autre disposition instaurant des conditions supplémentaires afin qu'un actif détenu par un investisseur d'un des Etats contractants soit considéré comme un investissement au sens du traité, ceci alors même que pareilles clauses étaient déjà courantes au moment de la conclusion du TBI, en novembre 1995. De nombreux pays, dont l'Espagne, ayant déjà signé des traités internationaux d'investissement comprenant une restriction explicite du champ d'application visant à se prémunir du "treaty shopping", il doit être admis que les Etats contractants du TBI ont renoncé en connaissance de cause à inclure une telle disposition limitative dans le traité. Ainsi, en l'absence de dispositions contraires expresses dans un traité d'investissement, il est raisonnable de partir du principe que seule la nationalité du détenteur de l'investissement fait foi et non l'origine d'une éventuelle contre-prestation à effectuer au moment de l'investissement.
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3.4.2.7 Le Tribunal arbitral veut priver la recourante, une société espagnole détenant une participation dans une société vénézuélienne, de la protection du TBI en raison du fait que ledit investissement a été initialement effectué par une société sise dans un Etat tiers avant d'être transféré à la recourante, une société dont tout porte à croire qu'elle a été constituée à des fins stratégiques. Or, rien ne permet de dégager du TBI la volonté des Etats contractants d'exclure pareil investissement de son champ d'application. En effet, ceux-ci ont non seulement prévu une définition particulièrement large et ouverte du terme "investissement" mais ont également renoncé à inclure des dispositions instaurant des exigences supplémentaires visant à se prémunir contre la pratique du "treaty shopping" ou ayant pour objet la provenance des fonds investis alors même que pareilles clauses sont répandues dans la pratique de l'investissement international. Rien ne permet de déduire de la formule "investis par des investisseurs" l'exigence d'un investissement actif devant impérativement avoir été effectué par l'investisseur lui-même en échange d'une contre-prestation. Bien au contraire, le TBI ne contient pas d'exigences allant au-delà de la détention par un investisseur d'une partie contractante d'actifs sur le territoire de l'autre partie contractante. Dès lors, le Tribunal arbitral ne peut être suivi lorsqu'il se fonde sur des conditions supplémentaires, dont il estime qu'elles ne sont pas remplies en l'espèce, pour se déclarer incompétent.
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3.4.2.8 L'absence de clauses limitatives dans un traité d'investissement ne signifie toutefois pas que des pratiques visant à bénéficier de manière abusive de la protection de ce traité devraient être tolérées par les Etats contractants. En effet, l'interdiction de l'abus de droit est un principe général reconnu internationalement et faisant partie de l'ordre public matériel suisse (ATF 138 III 322 consid. 4; ATF 132 III 389 consid. 2.2.1). Délimiter les contours de ce principe, ce qui revient dans ce contexte en premier lieu à tracer la limite entre planification légitime d'acquisition de nationalité ("legitimate nationality planning") et abus de traité ("treaty abuse"), est un exercice difficile auquel doivent régulièrement se livrer les tribunaux arbitraux dans des litiges d'investissement (cf. sur toute la question BAUMGARTNER, op. cit., p. 197 ff.).
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Dans le cadre de cette analyse, l'aspect temporel est déterminant. En effet, afin d'établir si l'acquisition de nationalité, par exemple par le biais de la création d'une société sur le territoire d'un Etat contractant et du transfert de l'investissement à cette société, constitue une pratique abusive, il est nécessaire d'examiner le moment auquel celle-ci a été effectuée par rapport à un litige spécifique opposant l'investisseur à l'un des États contractants. Il doit être noté à cet égard que si l'acquisition s'effectue après le début du litige, la question d'un éventuel abus de droit semble sans pertinence, le tribunal arbitral étant amené en pareilles circonstances à décliner sa compétence faute de juridiction ratione temporis. L'objection de l'abus de droit peut en revanche s'avérer décisive lorsque l'opération litigieuse a été effectuée en vue d'un litige spécifique à venir. Il doit en effet être admis que la protection d'un traité d'investissement doit être refusée à un investisseur lorsque celui-ci effectue une opération d'acquisition de nationalité à un moment où le litige donnant lieu à la procédure d'arbitrage était prévisible (voraussehbar, foreseeable) et que cette opération doit être considérée, selon les règles de la bonne foi, comme ayant été effectuée en vue de ce litige (BAUMGARTNER, op. cit., p. 226). Il n'y a pas lieu pour la Cour de céans de tenter d'établir des critères généraux permettant de déterminer la prévisibilité d'un litige. Il appartiendra au Tribunal arbitral d'examiner cet aspect dans le cadre du traitement de l'objection de l'intimée relative à un prétendu abus de droit de la recourante.
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