BGE 117 IV 27 | |||
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8. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 16 janvier 1991 dans la cause X. c. A. et B. (pourvoi en nullité) | |
Regeste |
Art. 173 bis 177 StGB; Strafbare Handlungen gegen die Ehre. | |
Sachverhalt | |
Un magazine romand a publié, sous la signature de A., en mentionnant la collaboration de B., un article consacré aux dernières années de la vie d'une vieille dame richissime. On y décrit la distance mise par celle-ci entre elle-même et ses proches et les modifications successives apportées à son testament en faveur, d'abord, de sa gouvernante X., désignée par son prénom, ainsi que des familles de l'avocat et du notaire de la vieille dame, désignés, eux, par une initiale puis, 3 jours avant sa mort, de sa gouvernante seule. De la gouvernante, l'article dit entre autres qu'elle serait à l'origine du suicide de son mari, qu'elle malmena si bien l'enfant de son mari que la garde en fut retirée au couple et qu'elle a eu des démêlés avec la justice pour des détournements de fonds. Evoquant des déclarations qu'auraient faites d'anciens amis de la défunte, l'article donne à penser que celle-ci, arrivée à un âge très avancé, se serait coupée de ceux qui constituaient jusqu'alors son entourage et qu'on lui aurait "lavé le cerveau". La question est ensuite posée de savoir si les anciens familiers de la défunte ne seraient après tout que des opportunistes intéressés par son magot et fâchés d'avoir été débusqués? Sans trancher cette question, l'article se poursuit par quelques formules frappantes désignant notamment la gouvernante comme une "sorcière" "raflant tout à l'avant-dernière heure" et se termine en ces termes: "n'appelait-elle pas sa proie 'princesse'?"
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Sur plainte de X., la gouvernante de la défunte, pour atteinte à l'honneur, le Procureur général du canton de Genève a ouvert une information limitée aux allégués concernant son passé et ordonné le classement de la procédure pénale pour le surplus. Sur recours de X., la Chambre d'accusation du canton de Genève a ordonné l'ouverture d'une information également pour l'usage du terme "sorcière" qualifié d'injurieux.
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X. se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral en soutenant que l'instruction devait également être ouverte pour le motif que l'article jette sur elle le soupçon d'avoir kidnappé la vieille dame, de lui avoir lavé le cerveau, de tout avoir raflé à l'avant-dernière heure, enfin, que la défunte ait été sa proie.
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Le Tribunal fédéral a admis le pourvoi.
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Extrait des considérants: | |
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Selon la jurisprudence, les articles 173 ss CP ne protègent que l'honneur personnel, la réputation et le sentiment d'être un homme honorable, de se comporter, en d'autres termes, comme un homme digne a coutume de le faire selon les idées généralement reçues; échappent à ces dispositions les assertions qui sont propres seulement à ternir de quelque autre manière la réputation dont jouit quelqu'un dans son entourage ou à ébranler sa confiance en lui-même: ainsi en va-t-il des critiques qui visent comme tel l'homme de métier, l'artiste ou le politicien (ATF 105 IV 195 consid. 2a, ATF 92 IV 101 consid. 2, ATF 80 IV 164 consid. 2 et les arrêts cités). Les arrêts les plus récents mettent en doute la distinction entre l'honneur interne et l'honneur externe et considèrent que l'honneur protégé par le droit pénal doit être conçu de façon générale comme un droit au respect (ATF 115 IV 44 consid. c, ATF 114 IV 16 consid. b), qui est lésé par toute allégation de fait propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'homme (ATF 105 IV 196 consid. a).
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Pour qu'il y ait diffamation (art. 173 CP), il faut une allégation de fait, et non pas un simple jugement de valeur (ATF 92 IV 98 consid. 4).
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Il n'est pas nécessaire que la personne visée soit nommément désignée, il suffit qu'elle soit reconnaissable (ATF 105 IV 117, ATF 99 IV 149 consid. 1).
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Il n'est pas nécessaire non plus que l'auteur ait affirmé des faits qui rendent méprisable la personne visée; il suffit qu'il ait jeté sur elle le soupçon d'avoir eu un comportement contraire aux règles de l'honneur ou qu'il propage - même en citant sa source ou en affirmant ne pas y croire - de telles accusations ou de tels soupçons (ATF 102 IV 181; LOGOZ, Commentaire du CPS, partie spéciale I, p. 245, n. 4).
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Hormis le régime particulier de l'article 27 CP (voir ATF 106 IV 164 consid. 3), le journaliste ne jouit d'aucun privilège lorsqu'il porte une atteinte à l'honneur par la voie de la presse (ATF 105 IV 119 consid. 2a et l'arrêt cité). Ce n'est que dans la mesure où la loi lui en laisse la latitude, ce qui est le cas pour dire s'il y a motifs suffisants, intérêt public ou respect du devoir de vérification des informations, que le juge peut tenir compte de la situation et de la mission particulière de la presse, ainsi que des buts poursuivis (ATF ATF 104 IV 14 consid. c). L'interprétation des éléments constitutifs de l'infraction réprimée par l'art. 173 CP doit être la même à l'endroit de quiconque, qu'il ait agi par la voie de la presse ou non (ATF 104 IV 14 consid. c).
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S'agissant de déterminer si un texte contient une atteinte à l'honneur, il ne faut pas se fonder sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon le sens que le lecteur non prévenu doit, dans les circonstances données, lui attribuer (ATF 105 IV 113 consid. 2, 196 consid. a et l'arrêt cité). Le texte doit être analysé non seulement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui découle du texte dans son ensemble (ATF 105 IV 197; LOGOZ, op.cit., p. 244, n. 3b). Il n'est pas rare qu'une accumulation de petites touches, qui apparaissent insignifiantes si on les considère isolément, conduisent à dresser un portrait haïssable.
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d) Il apparaît d'emblée en l'espèce que l'autorité cantonale a analysé les expressions utilisées en les examinant séparément, mais en perdant de vue le sens général de l'article.
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Un lecteur non prévenu retient manifestement de la lecture de cet article que des gens sans scrupule se sont peut-être employés à isoler une vieille dame de son entourage pour, exploitant sa faiblesse due à l'âge, lui soutirer son argent. Pour qu'il y ait atteinte à l'honneur punissable, il n'est pas nécessaire d'avancer des actes pénalement répréhensibles, il suffit d'alléguer des faits qui rendent méprisable la personne visée. Le comportement consistant à isoler une dame âgée pour lui soutirer son argent en exploitant son état de faiblesse est assurément méprisable. L'article a clairement pour but de susciter chez le lecteur un sentiment d'indignation ou de révolte.
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Selon les principes qui viennent d'être rappelés, il importe peu que les auteurs de l'article aient cité leurs sources ou qu'ils aient émis des réserves; la manière dont ils ont conclu leur texte laisse en tout cas planer un soupçon.
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Pour ce qui est des personnes qui auraient adopté ce comportement méprisable, l'article évoque trois figures: la gouvernante, le notaire et l'avocat. L'article se concentre progressivement sur la personne de la gouvernante, présentée par des renseignements défavorables, dont on dit en définitive qu'elle aurait "tout raflé". L'article laisse ainsi planer le soupçon que la gouvernante aurait adopté le comportement méprisable qui est décrit.
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Désignée par son prénom et sa fonction auprès de la défunte, la plaignante est suffisamment reconnaissable. S'il est vrai que l'adjectif "kidnappée" figure entre guillemets et que le lavage de cerveau ne doit sans doute pas être compris au pied de la lettre, ces termes décrivent bien l'activité consistant à isoler la victime de son entourage et à exercer sur elle une pression psychologique en profitant de la faiblesse due à l'âge. Il s'agit de faits, soit plus précisément d'un comportement, contraires aux règles de l'honneur et dont la plaignante est soupçonnée. En donnant à penser que la plaignante avait "tout raflé" à l'avant-dernière heure et que la vieille dame avait été sa proie, l'article jette sur la plaignante le soupçon d'avoir eu un comportement et un mobile méprisables.
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Le Ministère public cantonal n'a ouvert l'information que sur des faits précis, relativement faciles à vérifier, mais qui ne jouent qu'un rôle secondaire si l'on considère l'article dans son ensemble. Le point principal est que l'on jette sur la plaignante le soupçon d'avoir isolé la vieille dame de son entourage et, en exploitant sa faiblesse due à l'âge, de lui avoir soutiré son argent. En déniant sur ce point l'existence d'une atteinte à l'honneur à l'encontre de la plaignante, l'autorité cantonale a violé l'article 173 ch. 1 al. 1 CP. Il n'y a pas lieu de se prononcer, au stade de l'ouverture d'une information, sur le rôle exact joué par la collaboratrice B., ni sur l'admissibilité de la preuve de vérité ou la véracité des faits.
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