BGE 126 IV 107 | |||
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17. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 21 février 2000 dans la cause X. contre Procureur général du canton de Genève (pourvoi en nullité) | |
Regeste |
Art. 268 BStP; Art. 58 i.V.m. Art. 59 Ziff. 1 Abs. 1 in fine StGB; Aushändigung beschlagnahmter Gegenstände zur Wiederherstellung des rechtmässigen Zustandes, kantonales Rechtsmittel. | |
Sachverhalt | |
A.- Au début des années 1990, des documents appelés "Prime Bank Guarantees" pour un montant supérieur à un milliard de dollars ont été émis de manière frauduleuse au nom de la Banka Y. en liquidation. Certains l'ont été à l'ordre de Z. SA, société anonyme avec un capital-actions de 50'000 francs administrée par X. Le 11 mars 1994, la Security and Exchange Commission aux États-Unis d'Amérique a mis en garde les investisseurs potentiels sur la non-validité de ces documents. Le 31 mars 1994, la Banque Nationale tchèque a nommé un administrateur pour les récupérer en vue de leur élimination. Parallèlement, la Banka Y. en liquidation a entrepris, sans succès, diverses démarches auprès de X. pour obtenir la restitution des "Prime Bank Guarantees" en possession de Z. SA.
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> B.- Le 11 mai 1994, la Banka Y. en liquidation a déposé plainte pénale auprès du Procureur général du canton de Genève contre X. pour tentative d'escroquerie et pour tentative d'extorsion; elle lui reprochait d'avoir exigé une compensation financière en échange de la restitution des "Prime Bank Guarantees".
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Dans sa plainte pénale, la Banka Y. en liquidation a sollicité la saisie de toutes les "Prime Bank Guarantees" en possession de X. et de tout tiers. Donnant suite à cette requête, le Procureur général a saisi un certain nombre de ces documents auprès de X. lui-même, auprès de J., notaire à Genève, qui les détenait pour le compte de X., et, enfin, auprès de W., à Zurich, avocat d'un nommé R.
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Aucune inculpation n'a été prononcée dans le cadre de cette affaire. La Banka Y. en liquidation a renoncé à solliciter l'inculpation de X. Par courrier du 23 mars 1999, elle a néanmoins requis du Juge d'instruction la restitution réelle, la confiscation ou la destruction physique des "Prime Bank Guarantees", motif pris qu'à défaut, elle ne pouvait achever sa liquidation et le bouclement de ses états comptables. Le 28 septembre 1999, la Banka Y. en liquidation a confirmé sa requête auprès du Procureur général. Seul X. s'y est opposé.
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C.- Par décision du 9 novembre 1999 rendue en application de l'art. 58 CP, le Procureur général a estimé que l'identification de l'origine des documents saisis était claire et que, partant, une procédure de confiscation n'était pas nécessaire. Il a donc ordonné la restitution de toutes les "Prime Bank Guarantees" saisies à leur propriétaire, à savoir la Banka Y. en liquidation. Parallèlement, il a classé la plainte pénale déposée par celle-ci faute d'inculpation ou de prévention suffisante.
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Considérant en droit: | |
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a) En vertu de l'art. 268 ch. 1 1ère phrase PPF (RS 312.0), le pourvoi est recevable contre les jugements qui ne peuvent pas donner lieu à un recours de droit cantonal pour violation du droit fédéral. Par jugements, il faut entendre, comme le dit expressément le texte allemand, les jugements rendus par des tribunaux ("Urteile der Gerichte"), c'est-à-dire par des tribunaux indépendants au sens de l'art. 6 ch. 1 CEDH (RS 0.101) (ATF 117 IV 84 consid. 1d).
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Comme le Tribunal fédéral l'a déjà relevé, il est douteux que le Procureur général genevois puisse, d'une manière générale, être assimilé à un tribunal indépendant (ATF 108 IV 154 consid. 2b in fine). Quoi qu'il en soit, il ne saurait l'être dans la présente procédure où, avant de rendre l'ordonnance attaquée, il a agi en qualité de procureur en ordonnant une saisie à titre conservatoire (art. 115A CPP/GE) et une instruction préparatoire.
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b) Au demeurant, même si le Procureur général devait être considéré comme un tribunal, le pourvoi contre sa décision n'en serait pas moins exclu.
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aa) Selon l'art. 268 ch. 1 1ère phrase PPF, le pourvoi n'est recevable que contre les jugements ne pouvant pas donner lieu à un recours de droit cantonal; c'est le principe de l'épuisement des voies de recours cantonales. Aux termes de l'art. 268 ch. 1 2ème phrase PPF, les jugements des tribunaux inférieurs qui statuent en instance cantonale unique ne sont pas susceptibles de pourvoi en nullité; sont inférieurs au sens de cette disposition les tribunaux dont les jugements peuvent, sous réserve de certaines exceptions, faire l'objet d'un recours ordinaire selon le droit cantonal (ATF 92 IV 152).
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bb) A Genève, certaines décisions du Procureur général, énumérées par le code de procédure pénale, peuvent faire l'objet d'un recours à la Chambre d'accusation qui jouit d'une cognition entière (art. 190A CPP/GE). La jurisprudence cantonale a précisé que l'énumération était limitative; mais elle a admis des exceptions pour des décisions présentant une telle similitude avec celles énumérées, qu'un refus d'entrer en matière revêtirait un formalisme excessif. La Chambre d'accusation est ainsi entrée en matière sur un recours portant sur la levée d'une saisie, hypothèse qui n'est pas énumérée par le code; elle l'a fait au motif que la levée avait été prononcée par le Procureur général simultanément à une ordonnance de classement et que, dès lors, elle apparaissait comme la conséquence de ce classement (MARTINE HEYER/BRIGITTE MONTI, Procédure pénale genevoise, Chambre d'accusation, Exposé de la jurisprudence 1990-1998, SJ 1999 p. 188; PIERRE DINICHERT/BERNARD BERTOSSA/LOUIS GAILLARD, Procédure pénale genevoise, SJ 198, p. 489, ch. 7.8).
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En l'espèce, la décision attaquée semble bien avoir été rendue à la suite du classement de la procédure pénale, et elle lève la saisie litigieuse. En ordonnant toutefois la restitution des documents saisis, non pas à ceux auprès de qui ils ont été saisis mais au vrai propriétaire en rétablissement de ses droits, elle va au-delà de la simple levée de la saisie. Il n'apparaît pas que la jurisprudence cantonale ait déjà tranché la recevabilité d'un recours contre une telle décision.
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La décision attaquée ne contient aucune indication sur une voie de recours cantonale. Les recourants allèguent qu'une telle voie n'existe pas, ce que le Procureur général ne conteste d'ailleurs pas; l'intimée, par contre, se réfère à la décision citée ci-dessus et soutient que cette voie existe. La question, qui relève du droit cantonal, peut toutefois rester indécise.
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cc) L'ordonnance litigieuse, fondée sur l'art. 58 CP et appliquant par analogie l'art 59 ch. 1 al. 1 in fine CP, a pour objet la restitution d'objets, produits d'une infraction, à leur propriétaire en rétablissement de ses droits. En vertu des art. 58 ss CP, les décisions en matière de confiscation sont de la compétence du juge; par juge, il faut entendre un tribunal impartial au sens de l'art. 6 ch. 1 CEDH (Arrêt du 24 novembre 1997 consid. 2a, publié in Revue fribourgeoise de jurisprudence (RFJ) 1998 p. 87; 108 IV 154 consid. 2; SCHMID, Kommentar Einziehung, vol. I, Zurich 1998, § 1, ad art. 58 CP, p. 59, n. 87; SCHMID, note ad Arrêt du 24 novembre 1997, RFJ 1998 p. 92). Cela n'exclut pas qu'une décision de confiscation puisse émaner d'une autorité administrative; dans la mesure où il exige une décision du juge, le droit fédéral est respecté si la décision de l'autorité administrative peut faire l'objet d'un recours auprès d'un juge jouissant d'une pleine cognition en fait et en droit (SCHMID, op. cit., § 1, ad art. 58 CP, p. 59, n. 87; SCHWERI, Eidgenössische Nichtigkeitsbeschwerde in Strafsachen, Berne 1993, p. 68, n. 161). Le droit fédéral impose ainsi au canton de prévoir une voie de recours ordinaire contre la décision de confiscation prise par une autorité administrative.
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Cette exigence vaut aussi en matière de restitution à l'ayant droit. L'art. 59 ch. 1 al. 1 CP ne prévoit pas d'exception à l'exigence d'une décision du juge, et on ne voit pas ce qui le justifierait. Dès lors qu'il s'agit de trancher des questions de droit civil afin de déterminer l'ayant droit à qui remettre les objets saisis, les parties, en cas de litige, ont droit à ce qu'un tribunal indépendant tranche (art. 6 ch. 1 CEDH). Tel est aussi l'avis de la doctrine (SCHMID, op. cit., § 2, ad art. 59 CP, p. 127, n. 72 et § 1, ad art. 58 CP, p. 62, n. 93).
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dd) Selon le droit fédéral, l'ordonnance querellée devait donc faire l'objet d'un recours ordinaire à une autorité judiciaire cantonale (ATF 119 II 183 consid. 5; ATF 125 I 406 consid. 3a). Il s'ensuit que les voies de recours cantonales n'ont pas été épuisées. Les recourants, en se fondant sur le droit fédéral et nonobstant le défaut de réglementation cantonale, auraient dû interjeter un recours auprès de la Chambre d'accusation ou, éventuellement, auprès d'une autre autorité judiciaire cantonale. Si l'autorité cantonale était entrée en matière, sa décision sur le fond aurait, cas échéant, pu faire l'objet d'un pourvoi; et si elle n'était pas entrée en matière, sa décision d'irrecevabilité aurait pu faire l'objet d'un pourvoi pour violation des art. 58 ss CP.
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A noter que si le droit fédéral n'imposait pas une voie de recours, le Procureur général, dont plusieurs décisions sont susceptibles de recours à la Chambre d'accusation, aurait statué comme tribunal inférieur en instance cantonale unique. Dans cette hypothèse, les exigences de l'art. 268 ch. 1 PPF ne seraient pas non plus remplies.
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c) En vertu de l'art. 268 ch. 3 PPF, le pourvoi est aussi ouvert contre les prononcés pénaux des autorités administratives qui ne peuvent pas donner lieu à un recours auprès des tribunaux. Cette hypothèse n'est pas non plus donnée dès lors que le droit fédéral ouvre la voie d'un recours à une autorité judiciaire cantonale.
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d) La décision attaquée ne remplissant pas les conditions posées à l'art. 268 PPF, le recours n'est en principe pas recevable. Toutefois, dans une affaire ayant fait l'objet d'un arrêt publié, le Tribunal fédéral a admis la recevabilité d'un pourvoi dirigé contre une ordonnance du Procureur général genevois fondée sur les art. 58 et 59 aCP (ATF 108 IV 154 consid. 1b). Les recourants pouvaient s'y fier; le pourvoi ne saurait partant être déclaré irrecevable pour défaut de décision attaquable.
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4. Comme déjà relevé, le droit fédéral ne s'oppose pas à ce que la décision de restitution au sens de l'art. 59 ch. 1 al. 1 in fine CP soit rendue par le Procureur général; sa décision devait néanmoins pouvoir être soumise à une autorité judiciaire cantonale ayant pleine cognition en fait et en droit. Avant que celle-ci ne se soit prononcée, il n'appartient pas au Tribunal fédéral d'examiner les griefs de fond soulevés par les recourants. Le mémoire de pourvoi est partant transmis à la Chambre d'accusation genevoise qui, dans la mesure où il est recevable, s'en saisira ou désignera le juge qui, en vertu du droit cantonal, est compétent pour en connaître (ATF 125 I 406 consid. 3a).
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