BGE 130 IV 106 | |||
| |||
Bearbeitung, zuletzt am 15.03.2020, durch: DFR-Server (automatisch) | |||
18. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale dans la cause X. contre Y. et Procureur général ainsi que Cour de justice du canton de Genève (pourvoi en nullité et recours de droit public) |
6P.95/2004 et 6S.270/2004 du 24 septembre 2004 | |
Regeste |
Art. 157 StGB; Wucher. | |
Sachverhalt | |
A. Par jugement du 7 novembre 2003, le Tribunal de police du canton de Genève a reconnu X. coupable d'usure (art. 157 CP) pour avoir, de mai 1997 à novembre 1999, exploité l'inexpérience, l'incapacité de jugement, la dépendance et la gêne de Y., employée de maison, à qui il a uniquement versé 300 francs par mois dès juillet 1998, alors qu'un salaire mensuel de 1'527 fr. 50 pour 50 heures hebdomadaires avait été convenu. Le Tribunal de police a condamné X. à quatre mois d'emprisonnement avec sursis durant quatre ans. Il a aussi alloué à Y. 3'000 francs à titre de réparation du tort moral et a ordonné la confiscation des avoirs de trois comptes bancaires dont X. était titulaire et leur allocation à Y.
| 1 |
B. Par arrêt du 14 juin 2004, la Chambre pénale de la Cour de justice genevoise a rejeté le recours de X. et a confirmé le jugement du Tribunal de police. Il ressort notamment ce qui suit de cet arrêt:
| 2 |
Le 14 décembre 2000, Y., née en 1975 et originaire du Ghana, a déposé plainte pénale contre X., aussi originaire du Ghana, notamment pour usure (art. 157 CP). Elle y expliquait avoir travaillé du 28 mai 1997 au 19 novembre 1999 comme employée de maison au service de X., conseiller juridique auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. Le 27 mars 1997, elle avait signé au Ghana des documents fournis par la Mission permanente de la Suisse en vue de l'obtention d'un visa. Puis elle avait signé le 8 avril 1997 à l'Ambassade de Suisse au Ghana un contrat de travail sur un formulaire pré-imprimé édité par le Département fédéral des affaires étrangères, condition préalable à l'obtention du visa et d'une carte de légitimation. Ce contrat prévoyait un salaire mensuel de 1'527 fr. 50 pour 50 heures de travail hebdomadaires, en sus du logement et de la nourriture. Ce n'est qu'à partir de juillet 1998 que X. a ouvert pour elle un compte bancaire et a commencé à lui verser 300 francs par mois. Elle n'a jamais pu retirer cet argent, X. ayant conservé son passeport, sa carte de légitimation et sa carte bancaire. L'épouse de X. lui versait 30 francs par mois à titre d'argent de poche. A l'appui de sa plainte, Y. a notamment produit le contrat de travail signé le 8 avril 1997 ainsi que le dispositif du jugement rendu par défaut le 21 juin 2000 par la juridiction des prud'hommes condamnant X. à lui payer 46'668 fr. 45 à titre de salaire et 4'674 fr. à titre d'indemnité pour licenciement avec effet immédiat.
| 3 |
X. a été inculpé le 29 novembre 2002, en particulier pour usure. A cette occasion, il a déclaré n'avoir pas payé le salaire convenu contractuellement parce que, d'entente avec Y., celle-ci était venue à Genève pour se mettre à son service plutôt comme membre de sa famille que comme employée. Selon un contrat coutumier, elle intégrait la famille de X. et, en échange, il était responsable d'elle pour la vie. Il reconnaissait toutefois avoir commis une erreur en pensant pouvoir ainsi déroger au droit suisse. Il n'avait pas tenu de décompte des heures de travail effectuées. Il a confirmé qu'il avait chargé sa soeur de lui trouver une femme de ménage susceptible de l'accompagner en Suisse.
| 4 |
Devant le Tribunal de police, X. et Y., tous deux assistés de leur avocat, ont longuement été entendus. Y. a notamment indiqué qu'elle avait auparavant travaillé durant deux ans pour son oncle au Ghana, qu'elle n'avait pas été payée pour cela, et qu'elle ne s'attendait pas à recevoir un salaire lorsqu'elle avait signé le 8 avril 1997 le contrat de travail avec X., qu'elle n'avait d'ailleurs pas lu. De son côté, ce dernier a admis être conscient que les conditions figurant dans le contrat de travail du 8 avril 1997 étaient conformes à la loi suisse et qu'en ne les respectant pas, il violait le droit suisse en la matière. Entendue comme témoin, D. a déclaré avoir habité en 1998 durant un mois avec la famille X. Selon elle, l'ambiance familiale était détendue et Y. bien traitée; elle pouvait notamment se rendre à l'église le dimanche. B., qui habitait à Genève sur le même étage que la famille X., a mentionné que Y. lui avait confectionné, pour un prix compris entre 25 et 30 fr., un petit débardeur avec une machine à coudre que lui avait offerte X.
| 5 |
C. X. forme un recours de droit public et un pourvoi en nullité au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 14 juin 2004. Il conclut à son annulation.
| 6 |
Le Tribunal fédéral a déclaré le recours de droit public irrecevable et a rejeté le pourvoi en nullité dans la mesure où il était recevable.
| 7 |
Extrait des considérants: | |
II. Pourvoi en nullité
| 8 |
9 | |
10 | |
11 | |
L'infraction consiste à obtenir ou à se faire promettre une contre-prestation disproportionnée en exploitant la faiblesse de l'autre partie (ATF 111 IV 139 consid. 3a p. 140/141). Selon le texte légal, l'auteur doit obtenir l'avantage patrimonial "en échange d'une prestation". L'usure ne peut donc intervenir que dans le cadre d'un contrat onéreux (ATF 111 IV 139 consid. 3c p. 142). L'avantage pécuniaire obtenu doit être en disproportion évidente, sur le plan économique, avec la prestation fournie. L'évaluation doit être objective (cf. BERNARD Corboz, Les infractions en droit suisse, vol. I, Berne 2002, art. 157 CP n. 31 et 32).
| 12 |
L'infraction est intentionnelle. Le dol éventuel suffit. Il faut donc que l'auteur sache, au moins sous la forme du dol éventuel, que l'autre partie se trouve dans une situation de faiblesse. Il doit également connaître, au moins sous la forme du dol éventuel, la disproportion entre les prestations. Enfin, il doit avoir conscience, au moins sous la forme du dol éventuel, que la situation de faiblesse motive l'autre partie à accepter la disproportion évidente entre les prestations (cf. CORBOZ, op. cit., art. 157 CP n. 45 ss).
| 13 |
14 | |
Pour la Chambre pénale, l'intimée réalisait plusieurs des situations de faiblesse (gêne, dépendance, inexpérience) décrites à l'art. 157 CP.
| 15 |
En ce qui concerne plus spécifiquement l'inexpérience, il doit s'agir d'une inexpérience générale se rapportant au domaine des affaires et non pas d'une inexpérience relative au contrat en cause (cf. CORBOZ, op. cit., art. 157 CP n. 21; JOSÉ HURTADO POZO, Partie spéciale I, 3e éd., Zurich 1997, § 49 n. 1222; STEFAN TRECHSEL, Kurzkommentar, 2e éd., Zurich 1997, art. 157 CP n. 3; PHILIPPE WEISSENBERGER, Basler Kommentar, Strafgesetzbuch II, 2003, art. 157 CP n. 13).
| 16 |
La Chambre pénale a indiqué que l'intimée était âgée de vingt-deux ans au moment de venir en Suisse et qu'elle n'avait jamais quitté son pays natal; qu'elle n'était pas en mesure de réaliser que son travail méritait un salaire pour avoir auparavant travaillé durant deux ans pour son oncle sans être payée. Sur la base de ces constatations, il apparaît donc que l'intimée méconnaissait totalement le domaine des relations de travail en droit suisse et son droit à être rémunérée. Aussi, est-ce à bon escient que la Chambre pénale a conclu à l'inexpérience de l'intimée. La situation de faiblesse étant réalisée pour ce motif, il n'est pas nécessaire d'examiner si elle l'est également pour d'autres raisons car celles-ci ne pourraient qu'avoir une incidence sur la peine (cf. CORBOZ, op. cit., art. 157 CP n. 10), que le recourant ne critique pas en tant que telle.
| 17 |
18 | |
L'intimée travaillait 50 heures par semaine dans le ménage du recourant. En contrepartie, elle était logée, nourrie et, dès juin 1998, a touché 300 francs par mois à titre de salaire. Le contrat signé le 8 avril 1997 prévoyait une rémunération mensuelle de 1'527 fr. 50 en sus du logement et de la nourriture. L'intimée n'a pas lu ce contrat et ignorait son droit à une rémunération.
| 19 |
Il est incontestable que l'intimée a fourni une prestation qui représente une valeur économique. De la sorte, le recourant a obtenu un avantage pécuniaire. En soi, il est vrai que le contrat signé le 8 avril 1997, qui prévoit pour l'intimée une rémunération de 1'527 fr. 50 en sus du logement et de la nourriture, n'apparaît pas usuraire. Toutefois, le Tribunal de police a mentionné que le recourant y avait dérogé unilatéralement en sachant que l'intimée ne protesterait pas. Il ressort en outre des constatations cantonales que l'intimée ne réalisait pas la portée du document signé. Autrement dit, le recourant a obtenu d'elle qu'elle travaille pour lui à d'autres conditions que celles auxquelles il s'était initialement engagé par écrit. Il s'est ainsi fait accorder un avantage pécuniaire en parvenant à modifier l'équilibre contractuel. C'est cette modification du contrat de travail qui est pertinente pour l'application de l'art. 157 CP. Il saute aux yeux que l'avantage retiré par le recourant est largement disproportionné, sur le plan économique, avec la prestation qu'il a concrètement fournie en échange. Il faut aussi reconnaître que c'est en exploitant l'inexpérience de l'intimée qu'il a pu obtenir un tel avantage. Les critiques du recourant sont infondées dans la mesure où elles sont recevables.
| 20 |
21 | |
Selon les constatations cantonales, le recourant savait que l'intimée ne protesterait pas face à l'exploitation, raison pour laquelle il a abusé de cette situation. Il savait aussi que le travail fourni par l'intimée méritait un salaire. Il en découle que le recourant, à tout le moins, a envisagé et accepté que l'état de faiblesse de l'intimée soit à l'origine de sa soumission aux conditions de travail imposées. L'élément intentionnel est réalisé.
| 22 |
23 | |
© 1994-2020 Das Fallrecht (DFR). |