BGE 142 IV 341 | |||
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46. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause A. et B. contre U. et Ministère public central du canton de Vaud (recours en matière pénale) |
6B_895/2015 / 6B_921/2015 du 29 septembre 2016 | |
Regeste |
Art. 157 Ziff. 1 StGB; Wucher. | |
Sachverhalt | |
A. Par jugement du 18 novembre 2014, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de la Broye et du Nord vaudois a reconnu A. et B. coupables d'usure au préjudice de U.; il a condamné cette prévenue-là à quatorze mois de privation de liberté avec sursis durant deux ans, et celui-ci à deux cent quarante jours-amende au taux de 80 francs par jour, aussi avec sursis durant deux ans.
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La Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal a statué le 20 avril 2015 sur les appels des deux prévenus. Elle a rejeté les appels et confirmé le jugement.
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En substance, les faits sont constatés comme suit:
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Dès 1996, progressivement, une relation d'amitié s'est développée entre A. et U. Celle-ci ayant perdu sa mère en 2003, A. l'a aidée à vendre la propriété familiale. U. possédait désormais un capital d'environ un million de francs.
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Dès août 2003, avec son époux, A. a pris à bail et habité une maison dans le Jorat. Elle a encouragé U. à acheter cet immeuble. Le 9 juin 2004, U. en est effectivement devenue propriétaire au prix de 230'000 francs. Elle a ensuite financé des travaux de rénovation de la maison à raison d'environ 300'000 francs. A. et son époux lui ont versé un loyer de 1'000 fr. par mois de janvier 2006 à novembre 2007; avant et après ces dates, ils n'ont versé aucun loyer en raison des travaux en cours.
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U. désirait que A. pût continuer d'habiter la maison après son décès. A cette fin, elle rédigea le 20 mai 2007 un testament olographe par lequel elle léguait l'immeuble à A. Celle-ci fit remarquer que U. avait des héritiers légaux et qu'il fallait s'attendre à une contestation du legs. De plus, la légataire ne serait pas en mesure d'acquitter l'impôt successoral et elle serait donc contrainte de vendre le bien. C'est pourquoi elle a convaincu U. d'adopter une autre solution.
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B. est le fils de A. Par acte authentique du 21 février 2008, U. lui a vendu l'immeuble au prix de 200'000 francs. L'acte prévoyait que l'acquéreur accorderait un bail à loyer à A., à son époux et à la venderesse, jusqu'à leurs décès, et que le loyer s'élèverait à 1'000 francs par mois.
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B. a contracté un emprunt bancaire pour payer le prix de 200'000 francs. Le produit net de la vente, soit 189'500 fr., fut versé sur un compte bancaire ouvert au nom de U. Selon son accord avec A., ce capital devait être affecté à d'autres travaux sur l'immeuble. Du 26 février au 7 novembre 2008, habilitée par une procuration, A. a effectivement prélevé 177'322 fr. pour l'exécution de travaux.
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La vente de l'immeuble à B., avec les stipulations prévues en faveur des trois habitants de la maison, était censée réaliser l'objectif que U. voulait d'abord atteindre au moyen d'un testament. Le loyer mensuel de 1'000 francs permettrait à B. d'acquitter l'amortissement et les intérêts de l'emprunt bancaire, ainsi que les autres frais incombant au propriétaire; celui-ci considérait l'opération comme neutre pour lui.
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U. a habité la maison dès mai 2008, avec A. et son époux. Il était convenu qu'elle y serait logée, nourrie et blanchie à leurs frais, et qu'elle ne garderait à sa charge que ses assurances, ses dépenses personnelles et la nourriture de ses chiens. Sa relation avec A. s'est ensuite dégradée. En novembre de la même année, elle a déposé plainte pénale et réclamé son interdiction volontaire.
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B. Dans l'enquête pénale, un rapport d'expertise psychiatrique daté du 16 mars 2011 a mis en évidence que U. souffre notamment, depuis 1994 sinon depuis plus longtemps, d'un trouble mixte de la personnalité à traits anxieux et dépendants, et d'un trouble dépressif récurrent. Très peu autonome, elle s'est constamment appuyée sur autrui pour toute décision. Elle a ainsi dépendu, successivement, de son mari, de sa mère, de A. puis de sa tutrice. A. lui a fourni l'"étayage relationnel" dont elle avait besoin. Se sachant incapable de s'assumer seule, U. vit dans l'angoisse constante de l'abandon. Son intelligence est normale; ses facultés cognitives sont conservées et elle comprend les actes juridiques et autres démarches auxquels elle prend part. En revanche, ses capacités volitives sont gravement altérées. Redoutant un abandon ou craignant la colère de A., elle n'était pas capable de résister à ses incitations, même si elle percevait son propre désaccord. En définitive, selon le rapport, U. présente une importante altération de ses capacités à se déterminer d'après une capacité de jugement qui est globalement préservée.
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Selon un rapport d'expertise immobilière daté du 10 février 2012, la valeur vénale de l'immeuble acheté par B. était estimée à 650'000 fr.
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Sur la base de ces éléments, la Cour d'appel juge que A. et B., afin de se procurer un avantage pécuniaire disproportionné, ont exploité la faiblesse d'esprit de U. pour la déterminer à la vente d'immeuble du 21 février 2008, et qu'ils se sont par là rendus coupables d'usure selon l'art. 157 CP.
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C. Agissant chacun par la voie du recours en matière pénale, A. et B. requièrent le Tribunal fédéral de les acquitter de toute prévention.
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Une demande d'assistance judiciaire est jointe au recours de A.
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Le Ministère public, la Cour d'appel et l'intimée U. ont été invités à répondre aux recours. La Cour d'appel n'a pas présenté d'observations; le Ministère public et l'intimée concluent au rejet des deux recours.
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Les deux recourants ont spontanément déposé des répliques qui ont été transmises à l'intimée; celle-ci a déclaré renoncer à des prises de position supplémentaires.
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Extrait des considérants: | |
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Selon la jurisprudence, il résulte du libellé "en échange d'une prestation" que cette disposition pénale ne vise pas celui qui, même en exploitant la capacité de jugement déficiente d'autrui, se fait accorder des avantages pécuniaires sans lui-même accorder de contrepartie. En particulier, celui qui capte une donation ne commet pas le crime d'usure, et son acte n'est pas non plus punissable à un autre titre, parce qu'il ne fournit lui-même aucune prestation. Une personne qui s'était fait remettre d'importantes sommes d'argent a ainsi été acquittée du crime d'usure parce que ces sommes étaient des donations; contrairement à l'appréciation de la juridiction cantonale, elles ne se trouvaient pas dans un rapport d'échange avec de modestes travaux de secrétariat que la donataire avait accomplis pour le donateur (ATF 111 IV 139; voir aussi ATF 130 IV 106 consid. 7.2 p. 109).
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Cette interprétation littérale de la loi n'est pas critiquée en doctrine mais celle-ci tiendrait pour souhaitable que la captation d'une donation ou d'une institution d'héritier soit elle aussi réprimée (PHILIPPE WEISSENBERGER, in Commentaire bâlois, Strafrecht, vol. II, 3e éd. 2013, n° 32 ad art. 157 CP; URSULA CASSANI, Liberté contractuelle et protection pénale de la partie faible: l'usure, une infraction en quête de sens, in Le contrat dans tous ses états, François Bellanger et al. [éd.] 2004, p. 135, 139 et 140).
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Dans la présente contestation, parmi divers moyens, les recourants soutiennent qu'ils n'ont accordé aucune prestation en échange de l'immeuble dont B. est devenu propriétaire, et qu'ils doivent donc être acquittés du crime d'usure.
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Dans l'acte de vente et d'achat, B. a promis un bail à loyer en faveur de A., de son époux et de la venderesse, tel que ceux-ci pourraient habiter la maison jusqu'à la fin de leurs jours. B. s'est ainsi obligé à céder l'usage de l'immeuble, aux termes de l'art. 253 CO. Or, avant la conclusion du contrat, cet usage ne lui appartenait pas; il appartenait à la venderesse avec la propriété de l'immeuble. Sous les modalités convenues, celle-ci a simplement conservé l'usage qu'elle avait déjà, et elle n'a cédé qu'une propriété dépouillée de l'usage qui, d'ordinaire, en est un élément. L'usage promis à A., à son époux et à la venderesse ne saurait donc, non plus, être considéré comme une contrepartie de la propriété cédée à B.
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La Cour d'appel retient que le bail à loyer ainsi promis ne diminue pas la valeur de l'immeuble parce qu'il n'est pas annoté sur le registre foncier. Il n'est pas nécessaire de vérifier ce point puisque la promesse du bail n'est de toute manière pas une contrepartie de la propriété cédée à B.
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U. a habité la maison dès mai 2008, avec A. et son époux. Il était convenu qu'elle y serait logée, nourrie et blanchie à leurs frais, et qu'elle ne garderait à sa charge que ses assurances, ses dépenses personnelles et la nourriture de ses chiens. La Cour d'appel n'a pas constaté que ces prestations en nature aient été promises à U. déjà avant la conclusion du contrat de vente; on ne saurait donc y voir, non plus, une contrepartie du transfert de propriété.
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La Cour d'appel juge erronément qu'il y a eu contrat onéreux et échange de prestations entre B. et U.; celle-ci s'est au contraire dessaisie de la propriété sans contrepartie.
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Il est indiscutable qu'en cédant l'immeuble à B., U. a accordé des avantages pécuniaires, aux termes de l'art. 157 ch. 1 CP, dont le montant total atteint environ 530'000 fr. entre le prix d'achat payé par elle le 9 juin 2004 et la campagne de travaux qu'elle a financée après. Cependant, lors de cette cession, ni A. ni son fils B. ne lui ont ni remis ni promis aucune contrepartie sur le plan économique. Conformément à leur argumentation, au regard de cette disposition légale et de la jurisprudence y relative, cela suffit à exclure leur condamnation pour usure; il n'est pas nécessaire de discuter les autres moyens qu'ils développent contre cette condamnation. Les recours en matière pénale se révèlent fondés et leurs auteurs doivent être acquittés de la prévention d'usure. La cause sera renvoyée à la Cour d'appel pour statuer à nouveau sur les frais et indemnités des procédures de première instance et d'appel. (...)
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