BGE 147 IV 232 | |||
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26. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause A. contre Ministère public de la République et canton de Genève (recours en matière pénale) |
6B_1398/2020 du 10 mars 2021 | |
Regeste |
Art. 291 StGB, Art. 115 AIG, Rückführungsrichtlinie 2008/115/CE; Verweisungsbruch, Freiheitsstrafe. | |
Sachverhalt | |
A. Par jugement du 6 juillet 2020, le Tribunal de police de la République et canton de Genève (Tribunal de police) a déclaré A. coupable de rupture de ban (art. 291 CP) pour la période du 12 janvier au 16 mars 2020, l'a acquitté de ce chef d'accusation pour la période du 17 mars au 31 mai 2020 et l'a condamné à une peine privative de liberté de neuf mois ainsi qu'aux frais de la procédure.
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B. Statuant sur appel de A., la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise l'a rejeté par arrêt du 28 octobre 2020 et a confirmé le jugement de première instance.
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En substance, l'arrêt attaqué se fonde sur les faits suivants.
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B.a A., ressortissant algérien né en 1989, séjourne sans autorisation en Suisse depuis 2010, où il n'a pas de domicile connu. Il fait l'objet d'une interdiction d'entrer sur le territoire, notifiée le 26 février 2016, valable jusqu'au 22 février 2021.
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Le 23 mai 2018, le Tribunal de police a condamné A. pour vol, entrée illégale, séjour illégal et contravention à l'art. 19a LStup (RS 812.121) à une peine privative de liberté de 120 jours ainsi qu'à une amende de 100 fr. et a ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans (art. 66abis CP).
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L'Office cantonal de la population du canton de Genève l'a sommé de quitter le territoire suisse d'ici le 23 juillet 2018.
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B.b Etant néanmoins demeuré en Suisse, A. a été condamné par le Ministère public, puis par le Tribunal de police, pour rupture de ban, les 5 août et 12 décembre 2018, à des peines privatives de liberté de respectivement 180 jours et neuf mois.
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B.c Le 31 mai 2020, A. a été interpellé à Thônex par les gardes-frontières, auxquels il a déclaré n'avoir jamais quitté la Suisse.
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C. A. forme un recours au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal du 28 octobre 2020 et conclut, avec suite de dépens, à ce qu'il soit condamné à une peine pécuniaire de 0 jour-amende fixé à 10 fr. le jour, à ce que sa libération immédiate soit ordonnée et à la condamnation du canton de Genève à lui payer la somme de 200 fr. par jour de détention illicite subi depuis le 31 mai 2020. Il sollicite en outre le bénéfice de l'assistance judiciaire.
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D. Invités à se déterminer sur le recours, la cour cantonale s'est référée aux considérants de son arrêt en formulant des observations, cependant que le Ministère public ne s'est pas déterminé dans le délai fixé. A. a répliqué par courrier du 22 février 2021.
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Extrait des considérants: | |
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Les art. 66a et 66abis CP régissent l'expulsion pénale (respectivement obligatoire ou facultative) du ressortissant étranger condamné pour un crime ou un délit (cf. notamment catalogue d'infractions de l'art. 66a al. 1 CP).
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La rupture de ban suppose la réunion de trois conditions: une décision d'expulsion, la transgression de celle-ci et l'intention. L'infraction est consommée si l'auteur reste en Suisse après l'entrée en force de la décision, alors qu'il a le devoir de partir ou s'il y entre pendant la durée de validité de l'expulsion (arrêts 6B_1191/2019 du 4 décembre 2019 consid. 5.1; 6B_559/2008 du 12 septembre 2008 consid. 2.2; ATF 70 IV 174, qui conserve sa pertinence pour les étrangers expulsés). La rupture de ban est un délit continu qui est réalisé aussi longtemps que dure le séjour illicite ( ATF 135 IV 6 consid. 3.2 p. 9; ATF 104 IV 186 consid. 1b p. 188; arrêt 6B_559/2008 du 12 septembre 2008 consid. 2.2).
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Le délit ne peut être commis que par un ressortissant étranger (respectivement un apatride; MARCO MIGNOLI, in StGB, Annotierter Kommentar, 2020, n° 2 ad art. 291 CP; FREYTAG/BÜRGIN, in Basler Kommentar, Strafrecht, vol. II, 4e éd. 2019, n° 15 ad art. 291 CP; TRECHSEL/ VEST, in Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 3e éd. 2018, n° 2 ad art. 291 CP; DONATSCH/THOMMEN/WOHLERS, Strafrecht IV, Delikte gegen die Allgemeinheit, 5e éd. 2017, p. 418 s.; BERNARD CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, 3e éd. 2010, n° 4 ad art. 291 CP).
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L'art. 115 al. 1 let. a et b de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l'intégration (LEI; RS 142.20), qui réprime de manière générale le fait d'entrer ou de résider en Suisse illégalement, revêt un caractère subsidiaire par rapport à la rupture de ban, qui sanctionne la transgression d'une décision d'expulsion, judiciaire ou administrative, par le fait d'entrer ou de rester en Suisse au mépris d'une telle décision ( ATF 104 IV 186 consid 5b p. 191; ATF 100 IV 244 consid. 1 p. 245 s.; arrêt 6B_11/2009 du 31 mars 2009 consid. 4.1 concernant l'ancien droit des étrangers [art. 23 al. 1 par. 4 LSEE; RO 49 279]). L'art. 291 CP n'est ainsi applicable qu'à celui qui contrevient à une expulsion, ce qui n'est notamment pas le cas si l'auteur a fait l'objet d'un refoulement, d'un renvoi, d'une interdiction d'entrée ou du non-renouvellement d'une autorisation de séjour. A défaut de contrevenir à une expulsion, c'est l'art. 115 LEI qui s'applique (en lien avec l'ancien droit: ATF 100 IV 244 consid. 1 p. 246; arrêt 6B_11/2009 du 31 mars 2009 consid. 4.1; cf. CORBOZ, op. cit., nos 20 et 32 ad art. 291 CP). Il est admis en doctrine que le comportement réprimé par l'art. 115 al. 1 (let. a et b) LEI consistant à entrer ou rester en Suisse en violation d'une règle administrative est identique à celui réprimé par l'art. 291 CP (AUDE BICHOVSKY, in Commentaire romand, Code pénal, vol. II, 2017, n° 12 ad art. 291 CP; CORBOZ, op. cit., n° 20 ad art. 291 CP; cf. GAËLLE SAUTHIER, in Code annoté de droit des migrations, vol. II: Loi sur les étrangers [LEtr], 2017, p. 1308 en lien avec l'art. 115 LEI). Ainsi, celui qui commet une rupture de ban en demeurant en Suisse malgré une décision d'expulsion, réalise également les éléments constitutifs du séjour illégal au sens de l'art. 115 al. 1 let. b LEI, disposition qui a un caractère subsidiaire par rapport à l'art. 291 CP (cf. MIGNOLI, op. cit., n° 9 ad art. 291 CP; BICHOVSKY, op. cit., n° 26 ad art. 291 CP; CORBOZ, op. cit., n° 32 ad art. 291 CP; cf. sous l'ancien droit: ATF 104 IV 186 consid. 5b p. 191).
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Les juridictions suisses doivent faire leur possible pour mettre en oeuvre la jurisprudence européenne relative à cette directive ( ATF 143 IV 264 consid. 2.1 p. 266).
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La Directive 2008/115 pose le principe de la priorité des mesures de refoulement sur le prononcé d'une peine privative de liberté du ressortissant d'un pays tiers qui est en séjour illégal (cf. ATF 143 IV 249 consid. 1.4.3 p. 254, consid. 1.5 p. 256 et consid. 1.9 p. 261; arrêt 6B_1365/2019 du 11 mars 2020 consid. 2.3.1 et 2.3.4). Un tel genre de peine ne peut entrer en ligne de compte que lorsque toutes les mesures raisonnables pour l'exécution de la décision de retour ont été entreprises (cf. art. 6, 7, 8, 15 et 16 de la Directive 2008/115; ATF 143 IV 249 consid. 1.9 p. 260).
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Le Tribunal fédéral a toutefois jugé que la Directive sur le retour ne s'opposait pas à la condamnation à une peine privative de liberté pour non-respect d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée, prononcée en raison du comportement de l'intéressé troublant ou menaçant la sécurité et l'ordre publics (art. 119 al. 1 cum art. 74 al. 1 let. a LEI [anciennement LEtr]) commis en concours avec un séjour illégal, indépendamment des mesures mises en oeuvre pour le renvoi effectif de l'intéressé ( ATF 143 IV 264 consid. 2 et 3; cf. arrêts 6B_1189/2015 du 13 octobre 2016 consid. 2.1 et 6B_320/ 2013 du 29 août 2013 consid. 3; cf. également ANDREAS ZÜND, in Migrationsrecht, Kommentar, 5e éd. 2019, n° 12 ad art. 115 LEI et n° 2 ad art. 119 LEI). Cette approche a été suivie dans d'autres cas de séjour illégal commis en concours avec le non-respect d'une interdiction de périmètre fondée sur l'art. 74 al. 1 let. a LEI (art. 115 al. 1 let. b cum 119 al. 1 LEI [anciennement LEtr]; arrêts 6B_912/2017 du 4 octobre 2017 consid. 1.2; 6B_1078/2016 du 29 août 2017 consid. 2) ou avec l'exercice d'une activité lucrative sans autorisation (art. 115 al. 1 let. b cum 115 al. 1 let. c LEI [anciennement LEtr]; arrêts 6B_118/2017 du 14 juillet 2017 consid. 4.4; 6B_196/2012 du 24 janvier 2013 consid. 2.2).
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Dans une affaire récente, la CJUE a traité de la conformité d'une disposition pénale nationale incriminant le "séjour irrégulier qualifié", avec la Directive 2008/115 (arrêt CJUE du 17 septembre 2020 C-806/18 JZ). La disposition examinée (art. 197 du Code pénal néerlandais) prévoit en substance que le ressortissant étranger qui séjourne sur le territoire national alors qu'il sait ou a des raisons sérieuses de croire qu'il a été déclaré indésirable ou qu'il a fait l'objet d'une interdiction d'entrée en application de la loi sur les étrangers (cf. art. 66 a par. 7 de la loi néerlandaise sur les étrangers) est puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée maximale de six mois. La CJUE a rappelé que la Directive 2008/115 n'exclut pas l'application de dispositions pénales, réglant, dans le respect des principes de la directive et de son objectif, la situation dans laquelle les mesures coercitives n'ont pas permis de parvenir à l'éloignement d'un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier. Par conséquent, cette directive ne s'oppose pas à une réglementation nationale permettant l'emprisonnement d'un ressortissant d'un pays tiers auquel la procédure de retour établie par ladite directive a été appliquée et qui séjourne irrégulièrement sur le territoire de l'Etat membre concerné sans motif justifié (arrêt JZ précité, points 28 et 38 en lien avec l'arrêt C-329/11 Achughbabian précité). Sur la base de cette considération, la CJUE a jugé qu'il était loisible aux États membres de prévoir une telle peine à l'égard de ceux, parmi ces ressortissants, qui par exemple ont des antécédents pénaux ou représentent un danger pour l'ordre public ou la sécurité nationale (arrêt JZ précité, point 38).
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1.6 Si la rupture de ban est un délit contre l'autorité publique (cf. notamment: TRECHSEL/VEST, op. cit., n° 1 ad art. 291 CP; BICHOVSKY, op. cit., n° 2 ad art. 291 CP; CORBOZ, op. cit., n° 1 ad art. 291 CP), le comportement appréhendé est - hormis la transgression intentionnelle d'une décision d'expulsion - identique à celui du séjour illégal et ne peut être commis que par un étranger (art. 115 al. 1 let. b LEI; cf. supra consid. 1.1 in fine). Le ressortissant étranger séjourne ainsi de manière irrégulière sur le territoire suisse après qu'un ordre de quitter le territoire national lui a été notifié.
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Or l'art. 291 CP présente les mêmes caractéristiques que la disposition pénale néerlandaise examinée dans le cadre de l'arrêt de la CJUE précité (arrêt JZ; cf. supra consid. 1.4 in fine). Ainsi, l'interdiction d'entrée prévue par le droit néerlandais, notamment lorsque le ressortissant étranger est condamné en raison d'une infraction pour laquelle il encourt une peine d'emprisonnement de trois ans ou plus (art. 66 a par. 7 let. a de la loi néerlandaise sur les étrangers), s'apparente à l'expulsion pénale prévue en droit suisse (art. 66a et 66abis CP).
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La jurisprudence constante de la CJUE, selon laquelle la Directive 2008/115 s'oppose à l'emprisonnement d'un ressortissant étranger au seul motif qu'il séjourne irrégulièrement sur le territoire malgré un ordre de le quitter, vise précisément ce cas de figure. Dans pareille situation, une peine privative de liberté ne peut être infligée que si toutes les mesures raisonnables ont été entreprises en vue de l'éloignement, respectivement si celui-ci a échoué en raison du comportement de l'intéressé (cf. supra consid. 1.2 et 1.4).
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Aussi, la jurisprudence européenne précitée, dont il ressort que l'emprisonnement ne peut entrer en ligne de compte que lorsque la procédure de retour établie par la directive a été appliquée, doit être transposée au cas d'espèce.
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Aussi, faute de mise en oeuvre de mesures de renvoi ou d'échec de celles-ci, la cour cantonale ne pouvait condamner le recourant à une peine privative de liberté pour avoir séjourné illégalement en Suisse malgré une décision d'expulsion, sans violer les principes dégagés par la jurisprudence européenne et fédérale relative à la Directive 2008/115.
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La cour cantonale ne saurait fonder la peine privative de liberté malgré le défaut de mesures en vue du renvoi du recourant sur l'arrêt publié aux ATF 143 IV 264 . La violation d'une interdiction de périmètre (art. 119 al. 1 LEI) prononcée en vertu de l'art. 74 al. 1 let. a LEI a pour but de maintenir l'intéressé éloigné d'une région déterminée, en particulier d'un lieu de trafic de drogue (ZÜND, op. cit., n° 2 ad art. 119 LEI). En revanche, lorsqu'une interdiction de périmètre est prononcée en lien avec la mise en oeuvre du renvoi ou de l'expulsion (cf. art. 74 al. 1 let. b LEI), son non-respect s'apparente à la transgression d'une décision d'expulsion au sens de l'art. 291 CP. Or, dans ce cas de figure, la Directive sur le retour s'oppose à une condamnation à une peine privative de liberté, en l'absence de mesures prises en vue du renvoi ou de l'expulsion (cf. ATF 143 IV 264 consid. 2.6.2 p. 269).
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Contrairement à ce que relève la cour cantonale dans ses déterminations, les considérants qui précèdent n'empêchent pas systématiquement le juge pénal de prononcer une peine privative de liberté en cas de rupture de ban comme le prévoit l'art. 291 CP, mais cela implique que les mesures nécessaires ont été mises en oeuvre pour exécuter le renvoi.
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