BGE 125 V 237 | |||
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36. Arrêt du 16 mars 1999 dans la cause R. contre Caisse cantonale valaisanne de compensation et Tribunal des assurances du canton du Valais (voir aussi ATF 125 V 307) | |
Regeste |
Art. 18 Abs. 1 Satz 2 AHVG: Rentenberechtigung. | |
Sachverhalt | |
A.- R., née en 1953, a épousé X en 1974. Cinq enfants sont nés de cette union, de 1974 à 1985. En 1989, la famille s'est installée en Valais. La mésentente des époux s'est aggravée. L'épouse vivait recluse au domicile conjugal. Les disputes étaient fréquentes. Le mari se montrait brutal et exerçait des sévices sur la personne de sa femme.
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Le 30 janvier 1993, le mari s'en est pris violemment à son épouse. Il lui a lancé un couteau de boucher qui l'a atteinte à la cuisse; elle a été hospitalisée du 31 janvier au 8 février 1993 à la suite de l'intervention du frère de la blessée qui avait alerté la police. La patiente présentait un état de malnutrition et de multiples hématomes, d'âge variable, sur tout le corps.
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Après cette hospitalisation, l'épouse a encore été frappée par son mari, au moins deux fois; elle a été insultée et menacée de mort.
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Le 15 mars 1993, l'époux est rentré énervé de son travail, proférant des méchancetés envers sa femme. En fin de soirée, il l'a approchée, muni d'un revolver, lui déclarant qu'il l'avait acheté pour elle. Lorsque les époux se furent couchés, elle s'aperçut que l'arme était placée sous l'oreiller du mari. Ayant constaté que ce dernier s'était endormi, elle s'est saisie de l'arme et a tiré toute la munition contenue dans le revolver soit 6 coups qui ont causé la mort de la victime.
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Condamnée une première fois à la peine de trois ans d'emprisonnement par la justice valaisanne, R. a finalement été condamnée à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement, sous déduction de cent nonante-deux jours de détention préventive subie, avec sursis durant trois ans, par jugement du 2 juillet 1996 de la IIe Cour pénale du Tribunal cantonal valaisan, à la suite de la cassation du premier jugement par le Tribunal fédéral. Le pourvoi en nullité formé par la condamnée contre ce second jugement a été rejeté par arrêt du Tribunal fédéral du 29 novembre 1996.
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B.- Par décision du 18 avril 1997, la Caisse cantonale valaisanne de compensation a refusé à R. la rente de veuve qu'elle demandait, au motif qu'elle avait intentionnellement causé la mort de son mari, ce qui était objectivement un acte disproportionné sur le vu des constatations du juge pénal.
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C.- Saisi d'un recours de l'intéressée, le Tribunal cantonal valaisan des assurances l'a rejeté par jugement du 17 décembre 1997, en confirmant les motifs de l'administration.
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D.- R. interjette recours de droit administratif et conclut à l'octroi d'une rente de veuve réduite de 50%, sous suite de dépens.
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Alors que la caisse intimée conclut au rejet du recours, l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) propose non seulement de l'admettre mais d'allouer une rente de veuve non réduite à la recourante, compte tenu des larges circonstances atténuantes dont elle a bénéficié au pénal et de sa condamnation à une peine avec sursis.
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E.- La Ière Chambre du Tribunal fédéral des assurances a tenu une audience le 16 mars 1999 (...).
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Considérant en droit: | |
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Celle-ci conteste ce point de vue en faisant valoir que selon les constatations du juge pénal, elle a agi sous l'empire d'un état de nécessité putatif excusable, c'est-à-dire en croyant par erreur se trouver dans une situation de fait constituant l'état de nécessité au sens de l'art. 34 CP. En d'autres termes, la recourante estime que l'administration et les juges cantonaux auraient dû tenir compte, en lui appliquant la sanction prévue à l'art. 18 al. 1, seconde phrase LAVS, des circonstances dans lesquelles elle a été amenée à tuer son mari, véritable tyran domestique qui la traitait avec cruauté et qui avait menacé d'attenter à sa vie. Selon le juge pénal, l'état de nécessité putatif était réalisé dans son cas car elle a cru, par erreur, que le danger auquel elle était confrontée était impossible à détourner autrement qu'en tuant son mari pendant son sommeil. La recourante en déduit qu'il serait profondément injuste de lui refuser tout droit à la rente de veuve alors que, par exemple, celui qui commet un accident en état d'ébriété et se retrouve lui-même paralysé se voit octroyer une rente d'invalidité, éventuellement réduite. Elle soutient que le rôle de l'assurance sociale n'est pas de s'ériger en juge moral et "d'appliquer le respect de l'ordre public", mais bien de protéger contre des abus. C'est pourquoi, sans motiver plus avant son point de vue, elle conclut à l'octroi d'une rente de veuve réduite de 50%. En procédure cantonale, elle avait conclu à l'allocation, principalement d'une rente entière et subsidiairement d'une rente réduite de 10%.
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b) L'OFAS soutient un autre raisonnement: faisant usage de la liberté d'appréciation que lui laisse l'art. 18 al. 1, seconde phrase LAVS - plus large, à cet égard, que l'art. 38 al. 1 LAA - il déclare que dans tous les cas d'application de cette disposition légale qui lui sont soumis conformément au ch. m. 3410 de ses directives concernant les rentes (DR), il s'est inspiré des principes sur lesquels, d'après lui, repose la jurisprudence relative à l'art. 41 LAI. En vertu de cette jurisprudence, la rente est suspendue pendant l'exécution de la peine privative de liberté puis versée à nouveau dès la remise en liberté. Dès lors, le degré de culpabilité retenu sur le plan pénal constitue la limite pour le refus de prestations. Sur le plan pénal, le degré de culpabilité, de même que la gravité de la faute, constituent des éléments déterminants pour l'appréciation du délit commis. C'est pourquoi, l'OFAS déclare qu'il n'a jamais "infligé une sanction administrative" qui dépasse la durée de la peine privative de liberté car, dit-il, il n'appartient pas aux organes de la sécurité sociale "de continuer à pénaliser une personne alors même que, d'un point de vue pénal, l'acte commis a été réprimé et la peine exécutée". En l'espèce, la recourante ayant été condamnée à une peine d'emprisonnement avec sursis, il ne se justifie pas, selon la pratique de l'office, de suspendre le versement de la rente de veuve ni, à fortiori, de lui refuser tout droit à cette prestation. Même la solution proposée par la recourante, à savoir une réduction de la rente de 50%, se révèle contraire à cette pratique de l'autorité fédérale de surveillance qui estime, en conséquence, que la rente de veuve à laquelle la recourante a droit doit lui être versée "tout à fait normalement".
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De même, la comparaison que prétend faire l'autorité de surveillance entre la suspension du droit à la rente en vertu de l'art. 18 al. 1, seconde phrase LAVS et la suspension du droit à la rente d'invalidité durant l'exécution d'une peine privative de liberté, tombe à faux. Le Tribunal fédéral des assurances a, en effet, clairement affirmé que la suspension du droit à la rente d'invalidité pendant l'incarcération de l'assuré résulte de l'existence même de cette incarcération, fût-ce à titre préventif et avant toute condamnation, et non pas de la culpabilité de l'assuré. Car, ainsi que le précise cette jurisprudence, il ne s'agit en aucun cas d'une sorte de peine accessoire, au sens des art. 51 ss CP, laquelle n'aurait aucun fondement légal (ATF 116 V 326; cf. aussi VSI 1998, p. 188 consid. 2a et les références).
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4. Comme d'autres normes du droit des assurances sociales sanctionnant le comportement fautif de l'ayant droit, l'art. 18 al. 1, seconde phrase LAVS, a pour but d'épargner à la communauté des assurés des charges qui pourraient être évitées. Il est formulé de telle manière que les organes d'application de la loi bénéficient d'un large pouvoir d'appréciation. Comme le démontrent les travaux préparatoires, il existe en effet un étroit parallélisme entre cette disposition de la LAVS et l'art. 7 al. 1 LAI (FF 1958 II 1310). Or, aux termes du message du Conseil fédéral relatif à un projet de loi sur l'assurance-invalidité ainsi qu'à un projet de loi modifiant celle sur l'assurance-vieillesse et survivants du 24 octobre 1958, l'art. 7 LAI a été rédigé "dans le souci d'offrir aux organes d'exécution une marge d'appréciation aussi large que possible, afin qu'ils puissent, dans cet épineux domaine, tenir compte des particularités du cas d'espèce sans être liés par des règles impératives. La disposition en question revêt par conséquent un caractère non impératif, et les diverses sanctions, qui vont de la réduction temporaire à la suppression définitive, ont été prévues sous une forme toute générale" (FF 1958 II 1187 sv.). Par ailleurs, la proposition du Conseil fédéral - formulée dans la seconde phrase du projet d'art. 7 al. 1 LAI et la troisième du projet d'art. 18 al. 1 LAVS - de retirer définitivement les rentes dans les cas particulièrement graves (FF 1958 II 1320, 1340) a été rejetée par la Commission du Conseil des Etats (procès-verbal de la séance des 9 et 10 avril 1959, p. 25 ss).
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Cela étant, le fait que l'art. 18 al. 1, seconde phrase LAVS est rédigé - comme l'art. 7 al. 1 LAI - sous la forme d'une norme potestative ("Kann-Vorschrift") ne permet toutefois pas d'inférer que les organes d'exécution ont la liberté de décider si une sanction doit ou non être prononcée. Ceux-ci ont seulement la compétence - c'est-à-dire le droit et l'obligation - de prononcer une sanction lorsque les conditions légales sont réunies (cf. ATF 111 V 194 sv. consid. 4a).
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En dépit du parallélisme existant entre les deux dispositions, les art. 7 al. 1 LAI et 18 al. 1, seconde phrase LAVS concernent toutefois des états de fait différents, de sorte que la jurisprudence ci-dessus exposée ne peut être transposée mutatis mutandis à la seconde de ces dispositions. L'art. 7 al. 1 LAI repose en effet sur l'idée que l'incapacité de travail découlant de l'atteinte à la santé peut se modifier postérieurement à l'octroi de la rente. Dans ce cas, les conséquences de la faute sur l'atteinte à la santé peuvent, au cours du temps, perdre de leur importance face à l'ensemble des autres facteurs dont découle le dommage. Tel n'est évidemment pas le cas en ce qui concerne l'homicide sur la personne d'un assuré, d'où la nécessité de rechercher d'autres critères pour fixer la sanction adéquate.
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b) Cela étant, il n'en demeure pas moins que le juge des assurances sociales n'est pas lié par le jugement pénal en ce qui concerne la sanction. Sur ce plan, il doit observer le principe de proportionnalité (ATF 108 V 252 consid. 3a et les références; cf. aussi ATF 122 V 380 consid. 2b/cc, ATF 119 V 254 consid. 3a et les arrêts cités; ALFRED MAURER, Schweizerisches Sozialversicherungsrecht, vol. 1: Allgemeiner Teil, Berne 1979, p. 170). La jurisprudence a précisé la signification de ce principe en posant une double exigence: il faut, d'une part, que le moyen utilisé soit propre à atteindre le but recherché et apparaisse nécessaire au regard de la fin envisagée et, d'autre part, qu'il existe un rapport raisonnable entre le résultat prévu et les restrictions à la liberté qu'il nécessite (ATF 124 I 115 consid. 4c/aa, ATF 123 I 121 consid. 4e, ATF 119 Ia 353 consid. 2a et les références). Or, il est conforme à ce principe de considérer que la qualification d'homicide criminel au sens de l'art. 9 al. 1 CP doit conduire, en principe, à la sanction la plus grave de celles qui sont prévues à l'art. 18 al. 1, seconde phrase LAVS.
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Cette éventualité est réalisée pour les crimes de meurtre (art. 111 CP), d'assassinat (art. 112 CP), de meurtre passionnel (art. 113 CP), d'incitation et d'assistance au suicide (art. 115 CP). A cet égard, un meurtre passionnel reste un meurtre même si, par définition, l'auteur bénéficie de circonstances atténuantes propres aux éléments constitutifs de cette infraction. Par conséquent, le meurtre passionnel commis par un auteur dont la responsabilité n'est pas atténuée en application de l'art. 11 CP justifie, en principe, la sanction la plus grave de celles prévues à l'art. 18 al. 1, seconde phrase LAVS.
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Au demeurant, cette solution est conforme au principe selon lequel une assurance - et l'AVS est une assurance, tout particulièrement dans le cas du décès de l'assuré - ne peut couvrir que la conséquence d'événements dont la survenance n'a pas été exclusivement provoquée par la volonté de l'assuré ou du bénéficiaire, c'est-à-dire de l'ayant droit à une rente de survivant (cf. GUSTAVO SCARTAZZINI, Les rapports de causalité dans le droit suisse de la sécurité sociale, thèse Genève, Bâle 1991, p. 318 sv.). Aussi, l'art. 18 al. 1, seconde phrase LAVS exprime-t-il un principe général qui vaut pour l'ensemble de l'ordre juridique et d'après lequel il y a abus de droit notamment lorsqu'une institution est utilisée, de façon contraire au droit, pour la réalisation d'intérêts que cette institution n'a pas pour but de protéger (ATF 122 II 198 consid. 2c/ee et les références; cf. aussi ATFA 1951 p. 209; PIERRE MOOR, Droit administratif, vol. I: Les fondements généraux, 2e éd., Berne 1994, p. 434 s.; ULRICH HÄFELIN/GEORG MÜLLER, Grundriss des Allgemeinen Verwaltungsrechts, 3e éd., Zurich 1998, no 598 p. 145; PASCAL MAHON, Prétentions abusives en matière d'assurance, in: RSA 62/1994 p. 313 s.).
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c) Il faut cependant réserver l'hypothèse, où les éléments constitutifs de l'homicide criminel sont certes réunis mais où le crime n'est néanmoins pas punissable parce que l'auteur a agi dans le cadre d'un devoir de fonction au sens de l'art. 32 CP, en état de légitime défense au sens de l'art. 33 CP ou dans un état de nécessité au sens de l'art. 34 CP. Dans ce cas, le refus définitif de la prestation de survivant (rente de veuf, de veuve ou d'orphelin) pourrait, étant donné l'ensemble des circonstances du cas concret, contrevenir à l'exigence d'un rapport raisonnable entre le but visé à l'art. 18 al. 1, seconde phrase LAVS et les rigueurs qu'il entraîne pour l'ayant droit.
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7. a) En l'espèce, le juge pénal a reconnu R. coupable de meurtre passionnel (art. 113 CP), en raison de l'état de profond désarroi dans lequel elle se trouvait lorsqu'elle a abattu son mari: seule, fréquemment battue, sans soutien, vivant dans un pays où elle ne pouvait nouer des contacts sociaux en raison de l'attitude égoïste de son époux, elle avait été amenée à agir afin d'échapper à la cruauté de son mari, lequel, pensait-elle, était fermement décidé à la tuer. Par ailleurs, il a jugé que la recourante avait agi en état de nécessité putatif (art. 19 et 34 CP), dans la mesure où elle s'était crue, par erreur, confrontée à un danger impossible à détourner autrement que par l'accomplissement d'un meurtre. La cour a considéré que la vie conjugale n'avait été que violence et exactions, peur et menaces, injures et abandon. Aussi, l'apparition, dans un tel contexte, d'une arme à feu, que la victime avait expressément déclaré être destinée à l'exécution de sa femme, permettait d'expliquer que celle-ci avait pu croire, à tort, que le danger était impossible à détourner autrement qu'en tuant son mari. Sur le vu des autres moyens dont elle disposait objectivement pour écarter le danger (la fuite, la demande de protection de la police, des services sociaux, des autorités judiciaires, d'un avocat, de sa famille ou de celle de son mari), son geste a été considéré néanmoins comme disproportionné, de sorte que le juge pénal a nié le caractère non punissable de l'infraction. Il a toutefois atténué la peine, compte tenu du fait que l'erreur était excusable (ATF 122 IV 7 sv. consid. 4).
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b) Vu ce qui précède, un refus pur et simple de la rente de survivant n'apparaît pas justifié dans le cas particulier, bien que la recourante ait été jugée coupable de meurtre passionnel. En effet, sur le vu des constatations de fait du juge pénal - dont il n'existe pas de motif de s'écarter -, l'application de la sanction la plus grave de celles qui sont prévues à l'art. 18 al. 1, seconde phrase LAVS apparaît disproportionnée par rapport au but de cette disposition légale. Tout bien pesé, il apparaît que pour mieux tenir compte de la situation personnelle de la recourante, ainsi que des circonstances dans lesquelles elle a été amenée à accomplir son geste, l'octroi d'une rente réduite de 50% est plus apte à atteindre ce but.
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En revanche, les circonstances du cas concret ne commandent pas d'assujettir cette réduction à une limitation dans le temps, comme l'autorise l'art. 18 al. 1, seconde phrase LAVS. De telles circonstances pourraient prévaloir notamment dans les éventualités où, étant donné la longue durée prévisible d'octroi de la rente de survivant, le maintien de la réduction entraînerait une sanction trop sévère au regard du principe de proportionnalité. Tel n'est toutefois pas le cas en l'espèce.
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