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Informationen zum Dokument  BGer 4C.229/2000  Materielle Begründung
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BGer 4C.229/2000 vom 27.11.2001
 
[AZA 0/2]
 
4C.229/2000
 
Ie COUR CIVILE
 
************************
 
Séance du 27 novembre 2001
 
Présidence de M. Walter, président de la Cour.
 
Présents: M. Leu, M. Corboz, Mme Rottenberg Liatowitsch et M. Nyffeler, juges.
 
Greffière: Mme Aubry Girardin.
 
___________
 
Dans la cause qui oppose
 
Z.________, représentée par Me Antonella Cereghetti Zwahlen, avocate à Lausanne,
 
demanderesse,
 
à
 
l'État de Vaud, par le Président du Conseil d'État, à Lausanne, représenté par Me Christian Bettex, avocat à Lausanne,
 
défendeur;
 
(procès direct; responsabilité de l'État
 
pour l'activité des médecins dans un hôpital public)
 
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
 
les faits suivants:
 
A.- Née le 2 janvier 1968, Z.________ sait, depuis 1989, qu'elle est porteuse du virus du sida.
 
Dès le début de l'année 1996, elle a été suivie par le service ambulatoire de la Division des maladies infectieuses de l'hôpital X.________.
 
En mai 1996, elle a entrepris un traitement sous forme d'une bithérapie.
 
En raison d'une élévation de sa virémie, son médecin-traitant à l'hôpital X.________ lui a conseillé, au printemps 1997, de suivre une trithérapie. Celle-ci a débuté le 14 mai 1997 et a consisté dans la prise simultanée de trois médicaments: le Videx, le Zerit et le Norvir.
 
Z.________ n'a pas bien supporté ce nouveau traitement.
 
Elle a souffert de nausées, d'une perte d'appétit et de vomissements.
 
Afin d'atténuer ces effets secondaires, elle a pris, au début du mois de juin 1997, du Bellergal en automédication, à raison de deux comprimés par jour. Ce médicament était détenu par sa mère à la suite d'une ancienne prescription.
 
Z.________ a alors commencé à ressentir des paresthésies des membres inférieurs, des myalgies intenses rendant la marche difficile, des vertiges et un malaise diffus.
 
Le 6 juin 1997, elle s'est rendue en consultation à l'hôpital X.________ où il a été constaté une absence de pouls dans ses jambes.
 
Du 6 au 20 juin 1997, Z.________ a été hospitalisée aux soins intensifs et, du 20 juin au 11 juillet 1997, au service des soins continus. Les médecins ont diagnostiqué un ergotisme sévère provenant d'une interaction médicamenteuse liée à la prise simultanée de Bellergal et de Norvir.
 
Le 11 juillet 1997, Z.________ a dû être amputée du pied droit en raison d'une nécrose. Une amputation des orteils gauches a suivi en novembre 1997. Deux autres opérations ont encore été nécessaires, l'une en octobre 1998, l'autre en avril 2000.
 
B.- Le Bureau d'expertises extrajudiciaires de la FMH a été saisi du cas de Z.________. Une expertise a été confiée au Professeur Y.________, qui a rendu ses conclusions le 6 décembre 1999.
 
C.- Par demande déposée le 16 août 2000, Z.________ a introduit un procès direct devant le Tribunal fédéral, concluant à ce qu'il soit dit que l'État de Vaud est débiteur et lui doit immédiatement la somme de 2'545'592 fr.
 
avec intérêt à 5 % dès le 12 juillet 1997, sous suite de frais et dépens. Cette action en paiement tend à dédommager Z.________ du préjudice subi à la suite de la prise simultanée de Bellergal et de Norvir.
 
Le 29 août 2000, le Tribunal fédéral a admis la requête d'assistance judiciaire déposée par Z.________ pour la procédure accomplie devant lui et il a désigné Me Antonella Cereghetti Zwahlen comme avocate d'office de la demanderesse.
 
Dans sa réponse du 7 décembre 2000, l'État de Vaud a conclu au rejet des conclusions prises à son encontre, avec suite de frais et dépens.
 
Le 26 janvier 2001, Z.________ a répliqué, en confirmant les conclusions formulées dans sa demande.
 
L'État de Vaud a limité sa duplique du 9 mars 2001 aux nouveaux allégués soulevés dans la réplique.
 
L'audience préparatoire s'est tenue le 3 avril 2001. Le juge délégué a décidé, avec l'accord des parties, que l'instruction de la cause porterait dans un premier temps uniquement sur le principe de la responsabilité de l'État de Vaud, la détermination de la quotité du dommage étant laissée, s'il y avait lieu, à une phase ultérieure de la procédure.
 
Lors de l'audience d'administration des preuves du 12 juin 2001, les témoins désignés par les parties ont été entendus, àsavoir :
 
- le docteur A.________, médecin, spécialisé dans les
 
trithérapies;
 
- Madame B.________, pasteure;
 
- Monsieur C.________;
 
- Monsieur D.________;
 
- la doctoresse E.________, médecin-traitant à l'hôpital
 
X.________ de Z.________ au moment des faits;
 
- le docteur G.________, médecin, chef de clinique
 
adjoint du Département concerné de l'hôpital
 
X.________, au moment des faits.
 
L'Etat de Vaud a renoncé à l'audition de l'un de ses témoins, qui n'avait pu se présenter lors de la séance du 12 juin 2001.
 
Par ordonnance du 4 juillet 2001, le juge délégué a prononcé la clôture de la procédure probatoire concernant le principe de la responsabilité de l'État de Vaud, les parties ayant eu l'occasion de produire leurs pièces et de faire citer leurs témoins sur ce point.
 
Comme l'avocate de Z.________ n'a pas opté pour le dépôt d'un mémoire final, les parties ont été invitées à plaider sur la responsabilité de l'État de Vaud devant le Tribunal fédéral.
 
Lors des plaidoiries qui se sont tenues à l'audience de ce jour, tant Z.________ (la demanderesse) que l'État de Vaud (le défendeur) ont confirmé les conclusions prises en début de procédure.
 
Considérant en droit :
 
1.- La recevabilité de l'action est examinée d'office (art. 3 al. 1 PCF).
 
a) La possibilité pour un particulier de saisir, à certaines conditions, directement le Tribunal fédéral en cas de litige avec un canton reposait sur l'art. 42 al. 1 OJ. Par modification du 23 juin 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2001, cette voie de droit a été abrogée, sans que le législateur ne prévoie de dispositions transitoires (RO 2000 p. 2719 ss). Il convient par conséquent d'appliquer le principe général qui se dégage de l'art. 171 al. 1 OJ, selon lequel les anciennes dispositions en matière de compétence restent applicables aux affaires portées devant le Tribunal fédéral avant l'entrée en vigueur du nouveau droit (cf. Jean-François Poudret/Suzette Sandoz, COJ V, Berne 1992, art. 171 OJ no 1). La recevabilité de la demande sera donc examinée sous l'angle de l'art. 42 aOJ.
 
b) Dirigée contre un canton, la présente action est de nature civile au sens de l'art. 42 al. 1 aOJ (ATF 118 II 206 consid. 2c; 111 II 149 consid. 1) et porte sur une valeur litigieuse de plus de 8'000 fr.; en outre, il n'apparaît pas que la demanderesse ait saisi la juridiction cantonale avant d'introduire son action devant le Tribunal fédéral, ce que le défendeur n'allègue du reste nullement, de sorte que la requête a été déposée en temps utile en regard de l'art. 42 aOJ (cf. ATF 118 II 206 consid. 2b). Il convient donc d'entrer en matière.
 
2.- a) Selon la jurisprudence, le traitement des malades dans les hôpitaux publics ne se rattache pas à l'exercice d'une industrie (ATF 122 III 101 consid. 2a/aa p. 104; 115 Ib 175 consid. 2 p. 179). En vertu de l'art. 61 CO, les cantons sont donc autorisés à soumettre la responsabilité des médecins engagés dans un hôpital public, pour le dommage ou le tort moral qu'ils causent dans l'exercice de leur charge, au droit public cantonal (ATF 122 III 101 consid. 2a/bb p. 104 s.; 115 Ib 175 consid. 2). Il importe peu, sous cet angle, que cette activité relève de l'exercice de la puissance publique ou qu'elle constitue seulement un service d'intérêt général (cf. en ce sens: Ulrich Zimmerli, Die Verantwortung für den Patienten im öffentlichen Spital, Bulletin des médecins suisses 1991 p. 612 ss, 613; contra notamment:
 
Eugen Bucher, Das Horror-Konstrukt der "Zwangsmedikation", RJB 2001 P. 764 ss, 772; sur cette problématique, cf.
 
Jean-Daniel Rumpf, Médecins et patients dans les hôpitaux publics, thèse Lausanne 1990, p. 118 ss).
 
b) En droit vaudois, la responsabilité des médecins hospitaliers est régie par la loi vaudoise du 16 mai 1961 sur la responsabilité de l'État, des communes et de leurs agents (ci-après: LREC; Rumpf, op. cit. , p. 188). Il en va de même pour les médecins assistants (cf. art. 6 du règlement du 27 avril 1988 sur les médecins assistants engagés par l'État, renvoyant à l'art. 30 al. 1 de la loi du 9 juin 1947 sur le statut général des fonctions publiques cantonales, qui lui-même se réfère à la LREC).
 
Aux termes de l'art. 4 LREC, l'État et les corporations communales répondent du dommage que leurs agents causent à des tiers d'une manière illicite. Cette disposition a été interprétée en ce sens qu'une faute des agents publics n'est pas exigée; un acte illicite, un dommage et un lien de causalité adéquate suffisent à engager la responsabilité de l'État (arrêt du Tribunal fédéral 18 janvier 1980 dans la cause X. contre Etat de Vaud, publié in SJ 1981 p. 225, consid. 2c).
 
c) En l'espèce, il ressort du dossier médical produit que la demanderesse, qui a dû se faire amputer du pied droit et des orteils gauches, a subi un préjudice, ce qui n'est du reste pas remis en cause. En revanche, l'ampleur de ce préjudice et les différents postes dont la demanderesse exige réparation sont contestés par le défendeur. Cette question relève de la fixation du dommage et n'a pas à être tranchée dans la présente décision.
 
Il est également admis que les lésions dont a souffert la demanderesse sont dues à une interaction médicamenteuse liée à la prise simultanée de Norvir et de Bellergal.
 
Dans ce contexte, le principe de la responsabilité du défendeur en vertu de l'art. 4 LREC revient à déterminer si un acte illicite a été commis par les médecins de l'hôpital en relation avec l'interaction médicamenteuse dont a été victime la demanderesse et, le cas échéant, si cet acte est dans un rapport de causalité adéquate avec les lésions subies.
 
Dans l'hypothèse où ces deux éléments devaient être établis, il conviendrait encore de se demander dans quelle mesure la victime pourrait devoir supporter les conséquences de son propre comportement.
 
3.- S'agissant de l'illicéité, la demanderesse allègue exclusivement une violation du devoir d'information des médecins, leur reprochant de ne pas l'avoir renseignée de manière adéquate sur les risques qu'il y avait à prendre, sans avis médical, un autre médicament en même temps que le Norvir.
 
Le défendeur allègue, pour sa part, que la patiente a été suffisamment mise en garde contre les dangers d'une automédication.
 
a) La notion d'illicéité est la même en droit privé fédéral et en droit public cantonal de la responsabilité (Monika Gattiker, Die Widerrechtlichkeit des ärztlichen Eingriffs nach schweizerischem Zivilrecht, thèse Zurich 1999, p. 122; Heinz Hausheer, Unsorgfältige ärtzliche Behandlung, in Schaden-Haftung-Versicherung, Bâle 1999, no 15.70 note 143). Selon la jurisprudence, un comportement est illicite s'il est contraire à un devoir légal général, soit parce qu'il porte atteinte à un droit absolu du lésé, soit parce qu'il enfreint une injonction ou une interdiction écrite ou non écrite de l'ordre légal destinée à protéger le bien juridique atteint (ATF 123 II 577 consid. 4c p. 581 et les arrêts cités).
 
En l'occurrence, le litige ne porte pas sur le point de savoir si, en présence d'une atteinte à l'intégrité corporelle en elle-même illicite commise par le médecin (Heileingriff), le patient a valablement consenti à l'acte médical effectué. On ne se trouve donc pas dans une situation où le praticien, pour se libérer de sa responsabilité, doit démontrer l'existence d'un fait justificatif (cf. ATF 117 Ib 197 consid. 2a; 115 Ib 175 consid. 2b p. 181; 113 Ib 420 consid. 2 et 4). Il convient uniquement de se demander si le médecin avait, dans le cas d'espèce, l'obligation d'informer la patiente du risque d'interactions médicamenteuses liées au Norvir et si celui-ci a effectivement violé cette injonction, commettant alors un acte illicite.
 
aa) D'après l'art. 21 de la loi vaudoise du 29 mai 1985 sur la santé publique, le médecin a l'obligation, sous réserve des cas où l'information risquerait de perturber gravement le patient (al. 3), de le renseigner de manière compréhensible sur son état, le but des examens qu'il subit, les traitements envisagés et le pronostic (al. 1); il doit en particulier informer le patient sur les risques importants que pourraient entraîner les examens et les traitements prévus (al. 2). Ce devoir résulte également des obligations contractuelles du médecin (ATF 119 II 456 consid. 2a; 116 II 519 consid. 3b; cf. Wolfgang Wiegand, Commentaire bâlois, no 34 ad art. 97 CO; Rolf H. Weber, Commentaire bernois, no 67 ss ad art. 97 CO). La jurisprudence a précisé que le médecin doit renseigner le patient ou son représentant, dans le cadre d'un traitement, sur le comportement thérapeutique correct à adopter et attirer son attention sur les dangers connus - Sicherungsaufklärung - (ATF 116 II 519 consid. 3b p. 521 s.; cf. également Hausheer, op. cit. , no 15.10). Ainsi, lorsqu'il prescrit un médicament, le praticien doit avertir le patient des risques particuliers induits par celui-ci (Wolfgang Wiegand, Die Aufklärung bei medizinischer Behandlung, Recht 1993 p. 149 ss, 158; du même auteur, Die Aufklärungspflicht und die Folgen ihrer Verletzung, in Handbuch des Arztrechts, Zurich 1994, p. 128 et 192; Beat Eisner, Die Aufklärungspflicht des Arztes, Berne 1992, p. 177; Gattiker, op. cit. , p. 137). Cette obligation d'information du médecin est également reconnue dans les législations qui nous entourent (cf.
 
en droit allemand: Dieter Giesen, Arzthaftungsrecht, 4e éd.
 
Tübingen 1995, p. 69 no 81; Ernst Ankermann, Haftung für fehlerhaften oder fehlenden ärztlichen Rat, in Festschrift für Erich Steffen, Berlin 1995, p. 1 ss, 4 s.; en droit français: Jean Penneau, La responsabilité médicale, Paris 1977, p. 58 et 63; en droit italien: Mauro Bilancetti, La responsabilità penale e civile del medico, Milan 1996, p. 144).
 
Comme toutes les obligations découlant du devoir de diligence du médecin, les exigences en la matière ne peuvent être fixées de manière générale, mais dépendent des circonstances du cas d'espèce (cf. ATF 120 II 248 consid. 2c). En l'occurrence, les médecins entendus comme témoins ont tous souligné les risques d'interactions médicamenteuses lors de l'absorption de Norvir, ce qui était connu en 1997, au moment où ce médicament a été prescrit à la demanderesse. Le docteur G.________ a même indiqué qu'un danger d'interaction existait avec 60 % des médicaments sur le marché. Depuis 1996 en tout cas, le fabricant du Norvir a d'ailleurs édité et fourni des cartes comportant une mise en garde et une liste des médicaments contre-indiqués que le médecin pouvait distribuer à ses patients. Il en découle que le devoir d'information du médecin lors de la prescription de Norvir, s'il n'impliquait pas forcément la remise de la carte établie par le fabriquant, comportait en tous les cas l'obligation d'attirer expressément l'attention de ses patients sur les risques d'interactions médicamenteuses et sur la nécessité de prendre un avis médical avant l'absorption de tout autre médicament. Ce devoir correspond du reste aux instructions données par le chef de clinique adjoint du service hospitalier concerné au moment des faits.
 
bb) Dans le cas présent, la demanderesse a subi une atteinte sérieuse à sa santé en absorbant, en automédication, du Bellergal, alors qu'elle prenait déjà du Norvir. Interrogée sur les informations dispensées à la demanderesse, son médecin-traitant à l'hôpital a déclaré qu'elle avait prescrit assez souvent des trithérapies et qu'elle avait pour habitude d'informer les patients du risque d'interactions médicamenteuses avec le Norvir. Cependant, elle ne parvenait pas à se souvenir précisément si elle avait bien avisé la demanderesse.
 
Il en résulte que, si un avertissement oral était en principe donné aux patients, il est parfaitement plausible que, dans la routine du travail quotidien, celui-ci ait été omis. En tous les cas, rien dans les déclarations du médecin ne permet de déduire que la demanderesse ait reçu une mise en garde adéquate. Le comportement de la victime tend à démontrer l'inverse. En effet, il ressort du dossier que la demanderesse est une femme intelligente, qui avait pour habitude de suivre les indications données par les médecins. Elle n'a du reste pas arrêté sa trithérapie, malgré les effets secondaires ressentis, comme l'imposait le traitement. Qu'elle n'ait pas hésité à s'administrer, de son propre chef, un autre médicament dans ces circonstances constitue ainsi un élément qui, ajouté aux déclarations de son médecin-traitant lors de son témoignage, permet de tenir pour établi qu'elle n'a pas été mise en garde contre les dangers d'interactions médicamenteuses avec le Norvir, ni de la nécessité de demander un avis médical avant d'absorber tout autre médicament.
 
Comme le défendeur admet lui-même que la carte éditée par le fabricant et comportant les médicaments contre-indiqués n'était en principe pas distribuée aux patients, il n'y a pas lieu de se demander si la remise de ce document à la demanderesse aurait pu, en l'occurrence, constituer un avertissement suffisant. Quant aux notices d'information concernant divers médicaments dont le Norvir qui étaient à disposition des patients dans la salle d'attente, ainsi que la mise en garde figurant sur la notice d'emballage de ce médicament, elles ne sauraient représenter des éléments de nature à suppléer au défaut d'avis du médecin. En effet, c'est au praticien qu'incombe le devoir de renseigner et celui-ci ne saurait se libérer en exigeant de son patient qu'il se documente lui-même ou qu'il lise les prescriptions médicales figurant sur la notice d'emballage du médicament (cf. Gattiker, op. cit. , p. 143).
 
Enfin, l'expertise extrajudiciaire de la FMH du 6 décembre 1999, qui conclut à l'absence d'erreur médicale, n'est d'aucun secours du défendeur, dès lors que l'expert est parti de la prémisse que, comme tous les patients, la demanderesse avait été mise en garde contre les dangers d'une prise de médicaments sans consultation médicale, alors que, comme on vient de le voir, c'est le contraire qui est retenu.
 
Par conséquent, l'existence d'un acte illicite à la charge du défendeur doit être admise, de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'interroger sur la répartition du fardeau de la preuve entre les parties.
 
4.- Comme le manquement reproché au médecin consiste dans une omission, l'établissement du lien de causalité revient à se demander si l'accomplissement de l'acte omis aurait empêché la survenance du résultat dommageable (causalité hypothétique) (Heinrich Honsell, Schweizerisches Haftpflichtrecht, 3e éd. Zurich 2000, § 3 no 35; Hausheer, op.
 
cit. , no 15.76). En cette matière, la jurisprudence n'exige pas une preuve stricte. Il suffit que le juge parvienne à la conviction qu'une vraisemblance prépondérante plaide pour un certain cours des événements (ATF 115 II 440 consid. 6a.
 
p. 449 s.).
 
En l'espèce, rien n'indique que la demanderesse ait eu une propension à ne pas respecter les indications données par ses médecins. Au contraire, le défendeur souligne lui-même que cette patiente a suivi régulièrement le traitement prescrit, qui était particulièrement astreignant. On peut donc considérer que, si la demanderesse avait expressément été avisée par son médecin traitant des risques d'interactions médicamenteuses avec le Norvir et de la nécessité de ne pas prendre d'autres médicaments sans avis médical, elle n'aurait, selon toute vraisemblance, pas absorbé de son propre chef du Bellergal sans en référer à son médecin traitant.
 
Le lien de causalité hypothétique entre le défaut d'information et l'atteinte à la santé dont se plaint la demanderesse doit donc être tenu pour établi.
 
5.- Il reste à déterminer dans quelle mesure le comportement de la demanderesse peut influencer la responsabilité du défendeur.
 
Il est clair que la demanderesse n'a elle-même pas eu une attitude exempte de tout reproche. En effet, alors qu'elle venait de commencer une trithérapie, elle a pris du Bellergal en automédication qui avait été prescrit à sa mère.
 
Or, ce médicament n'est dispensé que sur ordonnance, ce qui signifie qu'il n'est pas anodin, mais qu'un médecin doit contrôler son administration et qu'il peut comporter des contre-indications (cf. Erwin Deutsch, Medizinrecht, 4e éd. Berlin 1999, p. 502). La demanderesse aurait donc dû être particulièrement attentive avant de l'absorber, et ce peu importe que le médicament lui ait été fourni directement par sa mère ou qu'il se soit trouvé dans la pharmacie familiale. Elle a été d'autant plus négligente qu'elle suivait déjà un traitement nécessitant une médication lourde, dont elle ressentait les effets puissants, ce qui aurait dû la dissuader d'ingurgiter spontanément un médicament supplémentaire. En outre, elle ne pouvait ignorer que la trithérapie tend à combiner les effets de trois substances médicamenteuses, de sorte qu'elle aurait dû penser qu'il pouvait être dangereux d'y associer un nouveau produit sans demander l'avis de son médecin.
 
Un tel comportement témoigne certes d'une grande légèreté, mais il ne laisse pas apparaître une faute de la demanderesse si lourde et si déraisonnable qu'elle relègue le manquement imputable au médecin à l'arrière-plan, au point qu'il n'apparaisse plus comme la cause adéquate du dommage (cf. ATF 123 III 306 consid. 5b p. 314; 116 II 422 consid. 3, 519 consid. 4b p. 524; 108 II 51 consid. 3 p. 54). Son attitude n'est donc pas de nature à interrompre le lien de causalité adéquate retenu entre le défaut d'information et les lésions subies.
 
En revanche, il y aura lieu de tenir compte de la faute concomitante de la demanderesse lors de la fixation des dommages-intérêts. Bien que celle-ci soit laissée à une phase ultérieure de la procédure, on peut d'ores et déjà indiquer qu'en regard des circonstances qui viennent d'être énumérées, le comportement fautif de la demanderesse justifiera de réduire les dommages-intérêts auxquels elle pourrait prétendre de 50 %.
 
6.- Par conséquent, la responsabilité de l'Etat de Vaud est en principe engagée. La procédure doit ainsi se poursuivre, afin de déterminer le montant des dommages-intérêts et de l'indemnité pour tort moral auquel peut prétendre la demanderesse. Les frais et dépens seront fixés lors du jugement final.
 
Par ces motifs,
 
le Tribunal fédéral :
 
1. Admet le principe de la responsabilité du défendeur concernant l'interaction médicamenteuse subie par la demanderesse.
 
2. Dit que la suite de la procédure sera déterminée par ordonnance séparée du juge délégué.
 
3. Dit que les frais et dépens seront fixés dans le jugement final.
 
4. Communique la présente décision en copie aux mandataires des parties.
 
__________
 
Lausanne, le 27 novembre 2001 ECH
 
Au nom de la Ie Cour civile
 
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
 
Le Président, La Greffière,
 
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