BGer 1P.407/2004 | |||
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BGer 1P.407/2004 vom 30.09.2004 | |
Tribunale federale
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{T 0/2}
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1P.407/2004 /col
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Arrêt du 30 septembre 2004
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Ire Cour de droit public
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Composition
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MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Fonjallaz.
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Greffier: M. Thélin.
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Parties
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A.________,
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recourant, représenté par Me Didier Plantin, avocat,
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contre
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Procureur général du canton de Genève,
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case postale 3565, 1211 Genève 3,
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Cour de justice du canton de Genève,
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Chambre pénale, case postale 3108, 1211 Genève 3.
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Objet
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condamnation pénale
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recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de justice du 14 juin 2004.
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Faits:
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A.
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La société X.________, actuellement dissoute, a fourni des services fiduciaires à une personne morale constituée aux Bahamas, Y.________. Son siège social se trouvait à Genève; A.________ était son administrateur unique, avec droit de signature individuelle.
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A l'intention de l'administration fiscale cantonale, A.________ a créé le 10 août 1999 un document intitulé "liste récapitulative" concernant l'imposition à la source des salariés étrangers. Au nom de X.________, il indiquait que celle-ci avait rétribué trois salariés étrangers pendant l'année 1998, pour un montant total de 222'000 fr.; sur ses prestations, la société avait retenu un impôt total de 25'496 fr.; après déduction d'une commission de perception de 3%, elle déclarait devoir verser 24'731 fr.10 à l'administration.
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Le versement n'étant pas intervenu, la société a reçu une sommation formelle datée du 29 mai 2000, comportant un délai d'exécution de trente jours et la menace d'une poursuite pour dettes et d'une dénonciation pénale. En dépit de cette sommation et des avertissements ultérieurs adressés à A.________ personnellement, l'impôt est resté impayé.
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B.
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Prévenu de détournement de l'impôt à la source, A.________ a comparu devant le Tribunal de police du canton de Genève. Il a fait entendre divers témoins et expliqué les rapports existant entre X.________ et Y.________; il soutenait que la liste récapitulative du 10 août 1999 avait été établie dans le cadre des services fiduciaires fournis à celle-ci et que la société gérée par lui n'avait employé aucun salarié ni versé aucune prestation imposable en 1998. Les prestations avaient été payées par Y.________ et c'est à elle qu'il incombait de retenir et verser l'impôt à la source. Statuant le 3 juin 2003, le Tribunal de police a rejeté cette argumentation; il a reconnu A.________ coupable de détournement de l'impôt à la source et l'a condamné à une amende de 5'000 fr.
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C.
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A.________ a appelé du jugement à la Cour de justice. Il a alors soutenu que les montants portés sur la liste récapitulative correspondaient à des participations au bénéfice de Y.________, prélevées par des ayants droit à ce bénéfice. C'est par erreur qu'il avait établi cette liste, compte tenu que lesdits montants, faute de correspondre à la rétribution d'une activité dépendante, ne constituaient pas des salaires assujettis à l'impôt à la source. La Cour de justice a elle aussi interrogé deux témoins produits par l'appelant. L'un d'eux ignorait la cause de ces versements mais, selon ses affirmations, il ne s'agissait pas de salaires. L'autre confirmait que les destinataires étaient des associés prélevant leur participation au bénéfice de l'entreprise.
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Par arrêt du 14 juin 2004, la Cour de justice a confirmé le jugement. Les justifications de l'appelant lui ont paru confuses et tardives. Sur la base de l'un des témoignages recueillis par le Tribunal de police, elle a constaté que les trois bénéficiaires des prestations avaient été ouvertement présentés en qualité d'employés de X.________; le verdict devait donc être confirmé sans qu'il fût nécessaire d'élucider la cause réelle des versements reçus par eux.
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D.
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Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de justice. Invoquant la protection contre l'arbitraire et le droit d'être entendu garantis, respectivement, par les art. 9 et 29 al. 2 Cst., il soutient que les juges d'appel ont violé ces dispositions en refusant de prendre en considération les témoignages aptes à confirmer sa propre version des faits.
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Invités à répondre, la Cour de justice et le Procureur général du canton de Genève ont renoncé à déposer des observations.
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Le Tribunal fédéral considère en droit:
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1.
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En vertu de l'art. 84 al. 2 OJ, le recours de droit public n'est recevable que dans la mesure où les griefs soulevés ne peuvent pas être présentés au Tribunal fédéral par un autre moyen de droit, tel que le pourvoi en nullité à la Cour de cassation du Tribunal fédéral. Celui-ci est ouvert contre les jugements cantonaux de dernière instance relatifs à des infractions de droit pénal fédéral (art. 247, 268 ch. 1 PPF). En outre, selon l'art. 61 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID; RS 642.14), le pourvoi en nullité est aussi ouvert contre les jugements de dernière instance relatifs aux infractions de droit pénal fiscal cantonal, auxquelles s'applique le titre sixième de cette loi. Le pourvoi en nullité peut être formé pour violation du droit fédéral, sauf les droits constitutionnels (art. 269 PPF; ATF 124 IV 137 consid. 2e p. 141).
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La condamnation du recourant est fondée sur l'art. 27 al. 1 de la loi genevoise sur l'imposition à la source des personnes physiques et morales, du 23 septembre 1994 (LIS). Selon cette disposition, celui qui est tenu de percevoir l'impôt à la source et détourne à son profit, ou à celui d'un tiers, les montants perçus, est puni de l'emprisonnement ou d'une amende jusqu'à 30'000 fr. Ce libellé correspond exactement au texte de l'art. 59 al. 1 par. 2 et 3 LHID relatif à la fraude fiscale. Le préambule de la loi cantonale mentionne la loi fédérale du 14 décembre 1990; il s'agit donc d'une matière pour laquelle le canton de Genève a réalisé, en tout cas au niveau de sa législation, l'harmonisation que le droit fédéral impose notamment dans le domaine du droit pénal fiscal (art. 129 al. 1 et 2 Cst.; art. 55 à 61 LHID).
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Les cantons ont disposé d'un délai de huit ans, qui est expiré le 31 décembre 2000, pour achever l'adaptation de leur droit aux règles d'harmonisation désormais fixées par la loi fédérale (art. 72 al. 1 LHID). Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la voie du recours de droit administratif prévue par l'art. 73 LHID n'est pas ouverte contre les décisions cantonales de dernière instance concernant des obligations fiscales antérieures à cette échéance, cela même à l'égard des cantons qui avaient déjà adapté leur législation. Cela se justifie par le fait que, jusqu'à l'expiration du délai d'adaptation, les règles fédérales d'harmonisation n'étaient pas encore pleinement en vigueur et qu'il serait donc prématuré de vouloir exercer, dans le cadre du recours de droit administratif, le contrôle de leur application exacte et uniforme dans toute la Suisse (arrêt 2P.303/2001 du 6 septembre 2002, consid. 1, résumé in RF 2002 p. 801; ATF 123 II 588 consid. 2 p. 591; 128 II 56 consid. 1b p. 59; Danielle Yersin, Harmonisation fiscale: procédure, interprétation et droit transitoire, RDAF 2003 II p. 3).
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Il convient d'appliquer de la même façon l'art. 61 LHID relatif au pourvoi en nullité. En effet, il s'agit également, comme le recours de droit administratif, d'une voie de recours ordinaire destinée à assurer l'application uniforme du droit fédéral (Andreas Donatsch, Kommentar zum schweizerischen Steuerrecht, 2e éd., n. 5 ad art. 61 LHID). Dans ce contexte juridique, on ne discerne aucun motif d'adopter des solutions différentes pour les moyens de droit concernant, respectivement, le droit fiscal proprement dit et le droit pénal fiscal (arrêt 1P. 248/1999 du 18 août 1999, consid. 1). Par conséquent, compte tenu que le détournement imputé au recourant porte sur un impôt à la source échu en 1998, le pourvoi en nullité prévu par l'art. 61 LHID n'était pas ouvert en l'espèce. Ainsi, il n'est pas nécessaire de vérifier si les griefs du recours de droit public se rapportent effectivement à la constatation des faits, comme le prétend son auteur, ou s'ils mettent plutôt en cause l'application du droit; ils sont de toute manière recevables au regard de l'art. 84 al. 2 OJ.
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2.
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Une décision est arbitraire, donc contraire à l'art. 9 Cst., lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si sa décision apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision soient insoutenables; encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat. A cet égard, il ne suffit pas non plus qu'une solution différente de celle retenue par l'autorité cantonale puisse être tenue pour également concevable, ou apparaisse même préférable (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 II 259 consid. 5 p. 280/281; 127 I 54 consid. 2b p. 56).
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Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. confère à toute personne le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, d'avoir accès au dossier, d'offrir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, de participer à l'administration des preuves et de se déterminer à leur propos (ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56; 126 I 97 consid. 2b p. 102; 124 I 241 consid. 2 p. 242).
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3.
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L'imposition à la source des travailleurs assujettis selon les art. 1 et 7 LIS porte sur tous leurs revenus bruts provenant d'une activité pour le compte d'autrui (art. 2 LIS). Le débiteur d'un revenu ainsi imposable a l'obligation de retenir l'impôt au moment de la prestation, de verser périodiquement les impôts retenus à l'autorité fiscale cantonale et d'établir à son intention les relevés y relatifs (art. 18 al. 1 let. a et c LIS). Il doit notamment établir la liste récapitulative de toutes les retenues effectuées durant l'année civile (art. 7 al. 4 du règlement d'application prévu par l'art. 19 LIS). Il a le droit de prélever une commission de perception de 3% des impôts retenus (art. 18 al. 4 LIS). S'il conteste l'assujettissement à l'impôt à la source, il lui incombe de réclamer une décision avant le 31 mars de l'année suivante (art. 23 al. 1 LIS).
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L'exigibilité de la prétention fiscale n'est donc pas subordonnée à une décision de taxation à prendre par l'autorité (Claudio Allidi, La riscossione delle imposte: principali aspetti, in Lezioni di diritto fiscale svizzero, Bellinzone 1999, p. 292). Le débiteur de la prestation imposable est au contraire soumis à un système d'auto-taxation étroitement analogue à celui de la TVA où, selon les art. 46 et 47 de la loi fédérale régissant la taxe sur la valeur ajoutée (LTVA; RS 641.20), l'assujetti doit déclarer et verser spontanément, à la fin de chaque période de décompte, l'impôt dont il est débiteur. Or, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral concernant la TVA, l'assujetti est lié par une déclaration qu'il a faite sans exprimer aucune réserve au sujet de l'existence ou de l'étendue de l'obligation fiscale, avec cette conséquence que sa déclaration lui est opposable de la même manière qu'une décision de taxation définitive et qu'il n'est plus autorisé à mettre en doute cette obligation (arrêt 2A.320/2002 du 2 juin 2003, consid. 3.4.3.2 à 3.4.3.4, résumé in RF 2003 p. 797).
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En raison de l'analogie existant dans les systèmes de perception de la TVA et de l'impôt à la source, il n'est pas arbitraire d'admettre qu'une liste récapitulative telle que celle établie le 10 août 1999 fait foi de l'obligation fiscale qui y est déclarée, en ce sens que l'auteur de ce document ne peut plus utilement contester que les prestations énumérées soient assujetties à l'impôt à la source. Sur la base de cette liste, la Cour de justice aurait donc pu retenir sans plus de discussion, et sans violer l'art. 9 Cst., que le recourant avait valablement perçu 25'496 fr. au titre de l'impôt à la source et qu'il aurait dû verser 24'731 fr.10 à l'administration. Par conséquent, les juges d'appel n'ont pas non plus violé cette disposition constitutionnelle en écartant les témoignages tendant à mettre en doute le versement de revenus imposables selon l'art. 2 LIS. Enfin, le recourant a obtenu l'administration des preuves qu'il offrait et il a pu développer ses arguments; l'arrêt attaqué n'est donc pas non plus contraire à l'art. 29 al. 2 Cst.
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Le recours de droit public se révèle mal fondé, ce qui entraîne son rejet.
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4.
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A titre de partie qui succombe, le recourant doit acquitter l'émolument judiciaire.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est rejeté.
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2.
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Le recourant acquittera un émolument judiciaire de 2'000 fr.
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3.
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Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Procureur général et à la Cour de justice du canton de Genève.
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Lausanne, le 30 septembre 2004
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le président: Le greffier:
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