VerfassungsgeschichteVerfassungsvergleichVerfassungsrechtRechtsphilosophie
UebersichtWho-is-WhoBundesgerichtBundesverfassungsgerichtVolltextsuche...

Informationen zum Dokument  BGer 4C.400/2004  Materielle Begründung
Druckversion | Cache | Rtf-Version

Bearbeitung, zuletzt am 16.03.2020, durch: DFR-Server (automatisch)  
 
BGer 4C.400/2004 vom 14.02.2005
 
Tribunale federale
 
{T 0/2}
 
4C.400/2004 /ech
 
Arrêt du 14 février 2005
 
Ire Cour civile
 
Composition
 
MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Favre et Kiss.
 
Greffière: Mme Charif Feller.
 
Parties
 
A.________,
 
demandeur et recourant, représenté par Me Michel Dupuis,
 
contre
 
X.________ SA,
 
défenderesse et intimée, représentée par Me Mercedes Novier.
 
Objet
 
contrat de travail; licenciement immédiat,
 
recours en réforme contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois du 23 décembre 2003.
 
Faits:
 
A.
 
Par contrat du 23 mars 1999, X.________ SA (défenderesse), société active dans la recherche et le développement, a engagé A.________ (demandeur), dès le 1er mai 1999 et pour une durée indéterminée, en tant que "vice-président marketing".
 
Responsable à la fois du marketing et de la vente, le demandeur dirigeait une équipe et était amené à établir des rapports relatifs à la stratégie de l'entreprise et à son développement. Il a ainsi élaboré un "Projet de plan de restructuration" de l'entreprise, qu'il envisageait de présenter, le 10 décembre 1999, aux membres de la direction générale. Auparavant, soit les 5 et 8 décembre 1999, le demandeur a adressé ce projet par courrier électronique à ses collaborateurs directs et à son supérieur hiérarchique. Un employé subalterne du demandeur, bien que n'étant pas un de ses proches collaborateurs, a également trouvé le document dans son courrier électronique. Inquiet, il en a parlé à un membre de la direction, qui l'a prié de le lui transmettre.
 
Après avoir pris connaissance du contenu de ce rapport, le conseil d'administration de la défenderesse a licencié le demandeur avec effet immédiat, le 8 décembre 1999. La direction de la société ne disposait alors pas de la deuxième version du rapport, établie par le demandeur après avoir recueilli l'avis de ses collaborateurs sur la première version. Le demandeur a quitté l'entreprise le jour même. A sa demande, la défenderesse a motivé sa décision, le 20 décembre 1999. Elle exposait, en substance, que la diffusion à des collaborateurs subalternes d'un texte attaquant ouvertement, dans des termes inacceptables et insultants, l'entreprise et ses dirigeants violait gravement les obligations contractuelles et légales. Pour la défenderesse, ce texte ne reflétait pas des opinions objectives ou des arguments constructifs, mais constituait une opération destructive et menaçante et mettait en péril la bonne marche de la société avec des conséquences graves sur la motivation des employés. Le demandeur a contesté son licenciement le 5 janvier 2000.
 
B.
 
Par demande du 25 avril 2000, le demandeur a assigné la défenderesse en paiement de 165'392 fr., avec intérêts. La défenderesse a conclu reconventionnellement au paiement de 132'000 fr., plus intérêts.
 
Par jugement du 23 décembre 2003, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a rejeté la demande ainsi que les conclusions reconventionnelles de la défenderesse.
 
C.
 
Le demandeur recourt en réforme au Tribunal fédéral. Il conclut à la réforme du jugement du 23 décembre 2003 en ce sens que la défenderesse doit lui payer la somme de 165'392 fr., avec intérêts. La défenderesse propose le rejet du recours.
 
Par arrêt du 28 octobre 2004, le Président de la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a pris acte du retrait du recours que le demandeur avait déposé auprès de cette instance et qui tendait principalement à la nullité du jugement entrepris et subsidiairement à sa réforme.
 
Le Tribunal fédéral considère en droit:
 
1.
 
Le demandeur invoque la violation par la cour cantonale de la notion de juste motif au sens de l'art. 337 al. 1 CO.
 
1.1 L'employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat de travail en tout temps pour de justes motifs (art. 337 al. 1 CO). Sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (art. 337 al. 2 CO).
 
Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive. D'après la jurisprudence, les faits invoqués à l'appui d'un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement immédiat. Si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s'il a été répété malgré un avertissement. Par manquement du travailleur, on entend la violation d'une obligation découlant du contrat (ATF 130 III 28 consid. 4.1; 129 III 380 consid. 2.1, et les arrêts cités), comme par exemple le devoir de fidélité.
 
1.2 Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). Il applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC). A cet effet, il prendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position et la responsabilité du travailleur, la nature et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l'importance des manquements. Le Tribunal fédéral ne revoit qu'avec réserve la décision d'équité prise en dernière instance cantonale. Il intervient lorsque celle-ci s'écarte sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, ou lorsqu'elle s'appuie sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu'elle n'a pas tenu compte d'éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; il sanctionnera en outre les décisions rendues en vertu d'un pouvoir d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 32; 129 III 380 consid. 2 p. 382 et les arrêts cités).
 
2.
 
2.1 Le manquement reproché au demandeur consiste en la violation par celui-ci de son devoir de fidélité à l'égard de son employeur. A raison de cette obligation, le travailleur est tenu de sauvegarder les intérêts légitimes de son employeur (art. 321a al. 1 CO) et, par conséquent, de s'abstenir de tout ce qui peut lui nuire (cf. ATF 117 II 74 consid. 4a; 560 consid. 3b). Le comportement des cadres doit être apprécié avec une rigueur accrue en raison du crédit particulier et de la responsabilité que leur confère leur fonction dans l'entreprise (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 31 et l'arrêt cité). Il a ainsi été jugé qu'un cadre qui manifestait clairement son intention de changer d'emploi aussi vite que possible peu après le début de son contrat de travail conclu pour une durée de deux ans violait son devoir de fidélité (ATF 117 II 560 consid. 3a). Les rapports de confiance sont à la base du contrat de travail; s'ils sont ébranlés ou détruits, notamment en raison de la violation du devoir de fidélité du travailleur, ils peuvent même aller jusqu'à légitimer la cessation immédiate des rapports de travail (ATF 127 III 86 consid. 2c).
 
2.2 Pour déterminer s'il existait, en l'espèce, un manquement du demandeur justifiant un licenciement immédiat, la cour cantonale a, en premier lieu, examiné le contenu du rapport incriminé.
 
Elle a d'abord constaté, de manière qui lie le Tribunal fédéral en instance de réforme (cf. art. 63 al. 2 OJ), que le demandeur avait émis des critiques dans le cadre de son travail et qu'il avait à plusieurs reprises fait oralement part de ses observations à la direction. La cour cantonale a relevé qu'il entrait a priori dans les attributions du demandeur, en tant que directeur du marketing, d'émettre des propositions de restructuration, surtout dans un climat économique relativement tendu.
 
Elle a toutefois retenu que la mesure de la critique a été largement dépassée dans le rapport incriminé, le demandeur y qualifiant les membres de la direction d'incapables, de menteurs pathologiques et y usant de menaces, voire de chantage. Le jugement entrepris cite les extraits suivants dudit rapport:
 
"... si je ne reçois pas un nombre normal d'actions ..., je n'hésiterais pas - comme en grande partie mon équipe - à aller voir si l'herbe est plus verte ailleurs ... ma loyauté et celle de beaucoup d'autres personnes envers [la société] est relativement mince. Un fait qui pourrait entraîner (séduire) les concurrents à tirer avantage d'une telle situation".
 
La cour cantonale a encore relevé que le demandeur n'a pas hésité à écrire dans son rapport initial qu'il ouvrira aux membres de son équipe les portes dans d'autres sociétés et qu'il refusera de cacher le moindre fait aux investisseurs potentiels, ajoutant que les médias et les clients étaient une proie rêvée.
 
2.3 La cour cantonale a retenu comme deuxième élément constituant un manquement du demandeur, qui justifiait son licenciement immédiat, la transmission du rapport incriminé à ses collaborateurs directs, dont l'un n'était que depuis peu employé de la société défenderesse, ainsi qu'à un collaborateur subalterne qui ne faisait pas partie de ses proches collaborateurs. La cour cantonale s'est appuyée sur un arrêt du Tribunal fédéral (ATF 127 III 86 consid. 2), selon lequel le cadre qui, après quelques mois d'activité, fait état de ses dissensions avec la direction auprès de ses subordonnés, tout en annonçant à son employeur qu'il s'oppose à travailler avec la nouvelle direction et qu'il projette de quitter son emploi, rompt le lien de confiance indispensable à toute relation de travail et viole son devoir de fidélité.
 
2.4 Enfin, le jugement cantonal a pris en considération le contexte économique qui entourait la société au moment où le rapport lui est parvenu, à savoir sa future entrée en bourse et son besoin constant de fonds assurant son développement. Pour la cour cantonale, les propos du demandeur consistant à vouloir dénigrer la société auprès de tiers - clients et investisseurs - suffisaient à rompre les liens de confiance, même si le demandeur n'avait pas passé à l'acte.
 
3.
 
3.1 Contrairement à ce qu'allègue le demandeur, le contenu du rapport est pertinent pour examiner s'il y a eu transgression du devoir de fidélité. Tout en comportant des passages relatifs à l'analyse de la situation économique de la société, le texte incriminé contenait une critique virulente de la direction, en des termes insultants, ainsi que des doléances sous forme de menaces. A supposer qu'elles aient été fondées, ces observations, compte tenu de leur formulation incorrecte (cf. arrêt 4C.19/2000 du 6 novembre 2000, consid. 3c; Aubert, Commentaire romand, n. 11 ad art. 321a CO; Staehelin/Vischer, Zürcher Kommentar, n. 19 et 21 ad art. 321a CO; Rehbinder, Berner Kommentar, n. 3 ad art. 321a CO, p.128 ), n'avaient en aucun cas leur place dans un document censé constituer un support de travail pour une éventuelle restructuration.
 
3.2 En tant que cadre supérieur, engagé par la demanderesse depuis seulement sept mois, le demandeur a manifestement perdu de vue qu'il était également chargé de représenter son employeur vis-à-vis de ses subordonnés. C'est à bon droit que le jugement cantonal s'est appuyé sur l'ATF 127 III 86 consid. 2c p. 89 in fine, applicable par analogie, la notion de devoir de fidélité demeurant la même, indépendamment du caractère (immédiat ou non) du licenciement en cause. Les dissensions et revendications du demandeur n'avaient pas à figurer, et encore moins sous cette forme virulente, voire méprisante (consid. 3.1 ci-avant), dans un "Projet de plan de restructuration", soumis, à ce titre, à des collaborateurs qui tout en étant proches du demandeur n'en restaient pas moins ses subordonnés. Le demandeur, qui élaborait des rapports à l'intention de la direction, ne pouvait pas dans ces conditions prétendre que l'information contenue dans le texte incriminé devait, pour la bonne marche de l'entreprise, être transmise à ses proches collaborateurs (cf. arrêt 4C.19/2000 du 6 novembre 2000, consid. 3b/cc qui concerne cependant la transmission d'informations à un tiers). Au demeurant, il importe peu que le demandeur n'ait pas voulu, comme il le prétend, communiquer le rapport à l'employé subalterne qui, en définitive, l'a transmis à la direction; en effet, la diffusion par courrier électronique comportait un risque, puisqu'elle rendait incontrôlable l'accessibilité à ce texte, laquelle est donc exclusivement imputable au demandeur.
 
En bref, le texte incriminé ne reflète pas la sauvegarde des intérêts légitimes de l'employeur, mais exprime avant tout l'intention du demandeur de nuire à la défenderesse (cf. arrêt 4C.19/2000 du 6 novembre 2000, consid. 3c) en laquelle il ne croyait du reste plus, ce dont il a fait part à ses subordonnés, suscitant ainsi un vif malaise et entravant la bonne marche de la société, comme il ressort des faits souverainement établis par la cour cantonale (art. 63 al. 2 OJ).
 
3.3 La cour cantonale a encore constaté qu'avant d'établir ledit document l'attitude directe du demandeur avait déjà dérangé les fondateurs et la direction, et que sa manière de voir les choses avait déjà provoqué des tensions, sans pour autant donner lieu à un avertissement quelconque. Elle a cependant relevé que les précédents rapports du demandeur avaient été présentés à un moment où la situation de l'entreprise était beaucoup moins critique, alors que le rapport incriminé tombait dans une phase délicate pour la société, qui risquait, si les clients ou les investisseurs venaient à perdre confiance en elle, d'être en péril. Le demandeur, qui était au courant de la situation, a, sur ce point aussi, délibérément envisagé de nuire à la réputation de la société (consid. 2.4 ci-avant; cf. arrêt 4C.19/2000 du 6 novembre 2000, consid. 3c). Il a ainsi détruit le lien de confiance, indispensable à toute relation de travail, dans une mesure qui justifiait la cessation immédiate des rapports de travail, sans avertissement préalable (cf. ATF 127 III 86 consid. 2c).
 
Cela étant, il n'y a pas lieu de s'écarter de la solution retenue par la cour cantonale, qui s'est fondée sur des critères déterminants et n'a pas abusé de son pouvoir d'appréciation pour établir l'existence de justes motifs.
 
4.
 
Comme la valeur litigieuse, selon les prétentions du demandeur à l'ouverture de l'action (ATF 115 II 30 consid. 5b), dépasse 30'000 fr., la procédure n'est pas gratuite (art. 343 al. 2 et 3 CO). Au vu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la charge du demandeur, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Le recours est rejeté.
 
2.
 
Un émolument judiciaire de 5'500 fr. est mis à la charge du demandeur.
 
3.
 
Le demandeur versera à la défenderesse une indemnité de 6'500 fr. à titre de dépens.
 
4.
 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois.
 
Lausanne, le 14 février 2005
 
Au nom de la Ire Cour civile
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le président: La greffière:
 
© 1994-2020 Das Fallrecht (DFR).