BGer 1P.277/2005 | |||
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BGer 1P.277/2005 vom 08.06.2005 | |
Tribunale federale
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{T 0/2}
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1P.277/2005/col
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Arrêt du 8 juin 2005
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Ire Cour de droit public
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Composition
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MM. les Juges Féraud, Président,
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Aemisegger et Fonjallaz.
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Greffier: M. Parmelin.
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Parties
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A.________,
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recourant, représenté par Me Stefan Disch, avocat,
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contre
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Ministère public du canton de Vaud,
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rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
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Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal
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du canton de Vaud,
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route du Signal 8, 1014 Lausanne.
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Objet
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demande d'indemnité pour détention injustifiée,
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recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal
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d'accusation du Tribunal cantonal du canton de
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Vaud du 15 février 2005.
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Faits:
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A.
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A.________, ressortissant macédonien né le 16 juillet 1957, a été arrêté le 16 août 2003 et détenu préventivement durant 475 jours. Il était soupçonné d'avoir participé à deux attaques à main armée commises les 23 novembre 2000 et 7 février 2001 par B.________ au préjudice de la succursale de la Banque Cantonale Vaudoise de Crissier, en procédant à des repérages. L'enquête pénale a révélé qu'il avait séjourné illégalement en Suisse et qu'il avait travaillé notamment de février 2002 à fin mars 2003 pour une entreprise de montage de la région lausannoise pour un salaire mensuel brut d'environ 3'800 fr., sans être au bénéfice d'une autorisation de travail.
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Par jugement du 2 décembre 2004, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de Lausanne a libéré A.________ des chefs d'accusation de complicité de brigandage qualifié et d'actes préparatoires à brigandage qualifié. Il l'a condamné pour infraction et contravention à la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers à la peine de 45 jours d'emprisonnement et il a ordonné son expulsion du territoire suisse pour une durée de quatre ans.
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B.
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Le 22 décembre 2004, A.________ a présenté une demande d'indemnité pour détention injustifiée auprès du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal d'accusation ou la cour cantonale). Il réclamait une indemnité de 140'000 fr., soit une somme de 64'500 fr. pour les 430 jours de détention injustifiée, une indemnité de 49'400 fr. pour la perte de gain subie, le remboursement de ses frais de défense à hauteur de 18'677.90 fr. et une indemnité pour tort moral de 8'000 fr.
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Par arrêt du 15 février 2005, le Tribunal d'accusation a partiellement admis la demande et alloué au requérant la somme de 40'000 fr., valeur échue, à la charge de l'Etat de Vaud. Il a refusé toute indemnité pour perte de gain, tenue pour abusive, et toute indemnité pour tort moral, faute pour le requérant d'avoir établi que l'enquête avait porté atteinte à sa réputation personnelle. Il a retenu que A.________ avait inutilement compliqué et retardé l'instruction de la cause en mentant jusqu'aux débats quant à son séjour en Suisse et à sa relation avec B.________. Il a considéré que ce comportement justifiait une réduction de l'indemnité en principe due au requérant pour sa détention injustifiée et ses frais de défense, estimés à 12'500 fr.
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C.
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Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt qu'il tient pour arbitraire, s'agissant du refus de lui allouer une quelconque indemnité pour perte de gain et de la réduction de l'indemnité pour détention injustifiée.
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Le Tribunal d'accusation se réfère aux considérants de son arrêt. Le Procureur général du canton de Vaud conclut au rejet du recours.
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Le Tribunal fédéral considère en droit:
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1.
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Formé en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance cantonale, le recours répond aux exigences des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ. Le recourant, dont la démarche tend à l'obtention d'une indemnité pour sa détention injustifiée fondée sur le droit cantonal, a qualité pour agir au sens de l'art. 88 OJ. Les autres conditions de recevabilité du recours de droit public sont par ailleurs réunies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière sur le fond.
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2.
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Le recourant prétend que l'art. 30 de la Constitution vaudoise du 14 avril 2003 (Cst. vaud.) reconnaîtrait à la personne détenue de manière injustifiée une réparation pleine et entière du préjudice subi, qui ne permettrait pas de réduire l'indemnité due à ce titre. Il tient en outre pour arbitraires les motifs retenus pour justifier une telle réduction.
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2.1 L'art. 30 al. 5 Cst. vaud. prévoit que toute personne ayant subi un préjudice en raison d'une privation de liberté injustifiée a le droit d'obtenir pleine réparation. Selon l'art. 67 du Code de procédure pénale vaudois, celui qui a été détenu et qui a bénéficié par la suite d'un non-lieu ou d'un acquittement peut obtenir de l'Etat une indemnité à raison du préjudice que lui a causé son incarcération.
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2.2 La notion de pleine réparation visée à l'art. 30 al. 5 Cst. vaud. s'oppose à celle d'indemnité équitable, qui renvoie à une réparation seulement partielle du dommage, comme le prévoit notamment le droit genevois (Philippe Nordmann, Les droits fondamentaux formels, in: La Constitution vaudoise du 14 avril 2003, Berne 2004, p. 137/138). Le litige ne porte cependant pas sur l'étendue respective des notions de pleine réparation ou d'indemnité équitable, mais sur la réduction de la réparation du dommage à raison d'une faute procédurale du prévenu acquitté. Or, l'exigence d'une pleine réparation n'a aucune influence sur les règles de détermination du dommage et n'exclut nullement une réduction de l'indemnité pour détention injustifiée en raison du comportement fautif du requérant au cours de la procédure pénale, comme le prévoient la majorité des codes de procédure cantonaux, que ce soit en vertu d'une disposition expresse ou, à l'instar du droit vaudois, par référence au principe général du droit déduit de l'art. 44 CO (cf. à ce sujet, Louis Gaillard, L'indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort en droit genevois, RPS 1982 p. 209).
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2.3 Une décision est arbitraire lorsqu'elle contredit clairement la situation de fait, lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou encore lorsqu'elle heurte d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle se révèle insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, ou si elle a été adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9 et les arrêts cités). De plus, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée soient insoutenables pour entraîner son annulation, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 129 I 173 consid. 3 p. 178), ce qu'il appartient au recourant de démontrer (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 124 I 247 consid. 5 p. 250).
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2.4 En l'espèce, la cour cantonale a admis que l'on ne pouvait pas reprocher au recourant, par son silence, d'avoir donné lieu à l'enquête ouverte contre lui. Elle a toutefois relevé qu'il ne s'était pas cantonné dans le silence, mais qu'il avait menti, jusqu'aux débats, quant à son séjour en Suisse et à sa relation avec B.________. Elle a estimé que, ce faisant, il avait, par sa faute, compliqué inutilement et retardé l'instruction de la cause, ce qui justifiait de réduire d'environ de moitié l'indemnité en principe due pour sa détention injustifiée.
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Selon la jurisprudence, l'attitude passive du prévenu ou de simples mensonges, qui ont seulement pour effet d'obliger l'autorité à recueillir des preuves quant aux faits contestés, ne peuvent être retenus comme motifs de réduction de la réparation due au prévenu libéré des fins de la poursuite pénale, à l'opposé de mensonges qualifiés contraignant le juge d'instruction à faire des contrôles supplémentaires de nature à prolonger la durée de la procédure (ATF 116 Ia 162 consid. 2d/aa p. 172; 112 Ib 446 consid. 4b/bb p. 456 et les arrêts cités; voir aussi l'arrêt du 3 septembre 1993 cité par Antoine Thélin, L'indemnisation du prévenu acquitté en droit vaudois, JdT 1995 III 100, p. 104). Tel est le cas du prévenu qui, par des déclarations mensongères ou des versions successives contradictoires, a engagé les enquêteurs sur de fausses pistes, nécessitant des recherches inutiles, excédant celles que la découverte des faits et preuves déterminants eût nécessité de toute manière (ATF 124 IV 1 consid. 2a p. 2; 117 IV 404 consid. 1a/bb p. 406 et les arrêts non publiés du Tribunal fédéral cités par François Jomini, La condamnation aux frais de justice du prévenu mis au bénéfice d'un non-lieu ou de l'accusé acquitté, RPS 1990 p. 363).
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A.________ a déclaré avoir rencontré fortuitement à Paris l'auteur des brigandages, peu avant qu'ils ne se fassent contrôler à la frontière franco-suisse, en novembre 2000, alors que les éléments recueillis lors de l'enquête menée en France contre B.________ révélaient qu'il était un ami proche de celui-ci et qu'ils se connaissaient à tout le moins depuis qu'ils avaient séjourné dans le même établissement pénitentiaire aux Etats-Unis. Il est donc avéré que le recourant a menti à propos des relations qu'il entretenait avec l'auteur principal des brigandages. En revanche, il n'est pas établi que ces mensonges auraient retardé ou compliqué la procédure, prolongeant d'autant la détention préventive du recourant, en imposant des investigations supplémentaires aux fins de vérifier ou de corroborer les éléments déjà disponibles pour retenir que celui-ci connaissait B.________ depuis plus longtemps qu'il ne l'avait admis. Le Tribunal d'accusation n'indique d'ailleurs pas les opérations de l'enquête qui auraient été inutilement engagées sur la base de ces mensonges.
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De plus, en admettant que le recourant avait menti s'agissant de son séjour en Suisse, la cour cantonale s'écarte du jugement du Tribunal correctionnel du 2 décembre 2004, lequel retient que A.________ a reconnu s'être trouvé en situation irrégulière en Suisse et avoir travaillé au noir lors de sa première audition. Le recourant a certes par la suite nié avoir séjourné et travaillé illégalement en Suisse, pour finalement refuser de répondre aux questions du juge d'instruction. Ses dénégations ont nécessité l'audition de trois témoins et des recherches qui ont permis de retrouver l'employeur qui avait engagé le prévenu de février 2002 à fin mars 2003. Ces investigations auraient de toute manière dû être mises en oeuvre pour établir l'étendue de l'infraction, même si le prévenu avait nié avoir séjourné et travaillé illégalement en Suisse, comme l'a retenu la cour cantonale. Au demeurant, l'infraction et la contravention à la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers ne permettait pas de fonder à elle seule la détention préventive du recourant, à tout le moins au-delà d'une brève durée.
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2.5 En définitive, le Tribunal d'accusation ne pouvait de manière soutenable justifier une réduction de l'indemnité normalement due pour la détention injustifiée en se fondant sur l'attitude du requérant au cours de la procédure pénale. Sur ce point, le recours se révèle bien fondé.
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3.
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A.________ s'en prend également au refus de lui allouer une quelconque indemnité pour la perte de gain, qu'il tient pour arbitraire.
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Il n'exerçait toutefois aucune activité lucrative en Suisse lorsqu'il a été interpellé, puis incarcéré. S'il a déclaré travailler en Macédoine lors de sa seconde audition, il n'a donné aucune indication sur l'activité déployée et le revenu qu'il en retirait. Il n'est donc pas établi que sa détention préventive aurait eu pour effet d'interrompre une activité professionnelle rémunérée, propre à justifier l'allocation d'une indemnité pour la perte de salaire ainsi occasionnée. De plus, le recourant ne démontre pas qu'il aurait été en mesure de trouver un travail rémunéré du même genre que celui qu'il a occupé en Suisse de février 2002 à avril 2003, pour prétendre à une indemnité pour perte de gain, fondée sur un salaire net de 3'450 fr. L'occupation d'un emploi de même nature et de rémunération comparable en Suisse supposait l'octroi préalable d'une autorisation de séjour et de travail qu'il n'aurait pas pu obtenir compte tenu de la décision d'interdiction d'entrée en Suisse prise à son encontre le 15 avril 2002 pour une durée de cinq ans. L'éventualité de trouver un emploi stable dans un pays voisin impliquait également l'octroi d'une autorisation de travail; elle était trop aléatoire pour être retenue. Enfin, le recourant aurait certes en principe été en mesure de travailler sans délai dans son pays d'origine, mais il n'indique pas quel type d'emploi il aurait pu occuper et quel revenu il aurait pu en retirer. En l'absence de ces éléments qu'il lui appartenait de fournir, la détermination équitable d'un gain manqué, selon le principe de l'art. 42 al. 2 CO appliqué par analogie, n'entre pas en considération. Le Tribunal d'accusation n'a donc pas fait preuve d'arbitraire en refusant toute indemnité de ce chef. Pour le surplus, en l'absence de tout grief à ce propos, le Tribunal fédéral n'a pas à examiner d'office si le refus d'allouer au recourant une indemnité pour tort moral échappe au grief d'arbitraire (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 128 III 50 consid. 1c p. 53/54).
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4.
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Les considérants qui précèdent conduisent à l'admission partielle du recours, dans la mesure où il est recevable, et à l'annulation de l'arrêt attaqué.
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Le recourant, qui n'obtient que partiellement gain de cause, doit supporter un émolument judiciaire réduit (art. 156 al. 1 et 3 OJ). Le canton de Vaud est dispensé des frais judiciaires (art. 156 al. 2 OJ). Il versera en revanche des dépens réduits au recourant qui était assisté d'un mandataire professionnel (art. 159 al. 1 OJ).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est partiellement admis, dans la mesure où il est recevable, et l'arrêt attaqué est annulé.
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2.
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Un émolument judiciaire de 1'500 fr. est mis à la charge du recourant.
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3.
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Une indemnité de 1'000 fr. est allouée au recourant à titre de dépens, à la charge du canton de Vaud.
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4.
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Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, ainsi qu'au Ministère public et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
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Lausanne, le 8 juin 2005
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le président: Le greffier:
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© 1994-2020 Das Fallrecht (DFR). |