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Informationen zum Dokument  BGer 4P.85/2005  Materielle Begründung
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BGer 4P.85/2005 vom 20.06.2005
 
Tribunale federale
 
{T 0/2}
 
4P.85/2005 /ech
 
Arrêt du 20 juin 2005
 
Ire Cour civile
 
Composition
 
M. et Mmes les juges Corboz, président, Klett et Rottenberg Liatowitsch.
 
Greffier: M. Thélin.
 
Parties
 
A.________,
 
recourant, représenté par Me Jacques Emery,
 
contre
 
Centre X.________ SA,
 
intimé, représenté par Me Dominique Lévy,
 
Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève, case postale 3688, 1211 Genève 3.
 
Objet
 
procédure civile; droit d'être entendu
 
recours de droit public contre l'arrêt de la Cour d'appel du 10 février 2005.
 
Faits:
 
A.
 
Par contrat daté du 24 février 1999, le Centre X.________ SA a engagé A.________ en qualité de coursier. Son salaire mensuel brut était fixé à 1'380 fr. pour une activité évaluée à soixante-deux heures de travail par mois. L'activité consistait à livrer des envois à la clientèle. Le coursier utilisait son propre véhicule et il percevait pour cela une indemnité mensuelle de 420 fr.
 
En raison de l'augmentation de la charge de travail, le salaire et l'indemnité furent plusieurs fois augmentés, la dernière fois, dès le 1er janvier 2001, à 2'000 fr. et 525 fr. respectivement. Par ailleurs, le coursier reçut une gratification à la fin de chacune des années 1999, 2000 et 2001, mais pas 2002.
 
Le 28 janvier 2003, l'employeuse a résilié les rapports de travail avec effet au 30 avril suivant; le coursier était immédiatement libéré de l'obligation de travailler.
 
B.
 
Le 7 juillet 2003, A.________ a ouvert action contre le Centre X.________ SA devant la juridiction des prud'hommes du canton de Genève. Sa demande tendait au paiement de 22'745 fr. en capital, soit 19'500 fr. d'arriéré de salaire et de gratification pour 2002, 2'470 fr. de frais de voiture et d'essence et 775 fr. d'autres frais. Il alléguait que la durée de son travail et les distances parcourues avaient continué d'augmenter après le début de 2001 et qu'en dépit de ses demandes réitérées, sa rétribution n'avait plus été adaptée. La demande tendait en outre à l'établissement d'un certificat de travail.
 
A l'audience de conciliation du 12 août 2003, la conciliatrice a pris une ordonnance préparatoire par laquelle les parties étaient requises de produire diverses pièces. La défenderesse devait remettre "les listes des enveloppes de février 1999 à janvier 2003, avec son mémoire de réponse, précisant le nombre de destinataires et d'enveloppes". Un délai échéant le 29 août 2003 lui était assigné à cette fin. La conciliatrice a simultanément renvoyé la cause au Tribunal des prud'hommes.
 
C.
 
Devant ce tribunal, la défenderesse a conclu au rejet de la demande. A l'audience du 9 octobre 2003, le demandeur a expliqué qu'il s'était rendu compte au mois de mars 2002 qu'il était insuffisamment payé en salaire et en frais pour le travail qu'il effectuait réellement. Les nouveaux clients auxquels il devait livrer des enveloppes étaient répartis géographiquement de telle sorte qu'il y consacrait plus de temps qu'auparavant. La défenderesse a expliqué, elle, qu'une augmentation des livraisons était effectivement intervenue "entre la fin de 1999 et le début 2000" et qu'elle s'était accompagnée d'une augmentation du salaire. Par la suite, selon ses statistiques, le nombre de destinataires auxquels le demandeur devait livrer des enveloppes n'avait pas augmenté. Le tribunal a interrogé en qualité de témoin un ancien collaborateur de la défenderesse qui avait accompli la tâche de coursier remplaçant en 1999 et 2000. Le demandeur a amplifié ses conclusions en réclamant, notamment, une indemnité pour licenciement abusif.
 
Statuant par un jugement du 3 novembre 2003, le Tribunal des prud'hommes a condamné la défenderesse à payer, en capital, la somme brute de 12'150 fr. pour complément de salaire, soumise aux déductions sociales, et la somme nette de 2'470 fr. pour frais de voiture et d'essence. Ces montants portaient intérêt au taux de 5% dès l'introduction de la demande. La défenderesse devait, de plus, délivrer un certificat de travail complet au demandeur. Toutes les autres prétentions élevées contre elle, en particulier celles concernant la gratification, étaient rejetées.
 
Le tribunal a constaté que le nombre des enveloppes à distribuer par le coursier n'avait pas sensiblement augmenté. En revanche, les destinataires étaient domiciliés de plus en plus loin du centre de Genève, ce qui avait provoqué un accroissement important de la durée du travail, également au cours des années 2001 et 2002. Le salaire brut de 2'000 fr. correspondait à septante-quatre heures de travail. Pour une durée moyenne de nonante-deux heures, de janvier 2001 à janvier 2003 inclusivement, le salaire aurait dû s'élever, en proportion, à 2'486 fr. La différence de 486 fr., cumulée sur ces vingt-cinq mois, devait être allouée au demandeur. Un calcul similaire aboutissait au complément du 2'470 fr. pour frais de voiture et d'essence.
 
D.
 
La défenderesse a appelé du jugement afin d'obtenir le rejet complet de la demande. Le demandeur a usé de l'appel incident afin d'obtenir l'admission intégrale de ses propres conclusions. Dans son mémoire de réponse et d'appel incident daté du 2 août 2004, il a fait valoir que la défenderesse n'avait pas donné suite à l'ordonnance du 12 août 2003 tendant à ce qu'elle produisît la liste des enveloppes et de leurs destinataires; il en inférait que les faits allégués par lui, contestés par l'autre partie, devaient être tenus pour établis conformément à l'art. 186 al. 2 LPC gen.
 
La Cour d'appel s'est prononcée le 10 février 2005. Hormis l'obligation de fournir un certificat de travail, elle a donné entièrement gain de cause à la défenderesse. A son avis, le demandeur n'avait pas prouvé une augmentation de sa charge de travail après la plus récente adaptation de son salaire et de son indemnisation. Les tableaux et graphiques qu'il avait produits à cette fin n'étaient pas concluants car il les avait créés lui-même pour les produire plus de deux mois après le licenciement, et la défenderesse n'avait pas eu l'occasion de les vérifier pendant les rapports de travail. Ces documents comportaient en outre des lacunes et des invraisemblances. Les statistiques produites par la défenderesse révélaient, elles, une diminution des livraisons en 2001, suivie d'une nouvelle augmentation en 2002. Les augmentations antérieures avaient été valablement compensées par des augmentations de salaire et un accroissement supplémentaire des heures de travail n'était pas établi. Le même raisonnement s'appliquait à l'indemnité.
 
La motivation de l'arrêt ne comporte aucune allusion à l'ordonnance préparatoire du 12 août 2003.
 
E.
 
Agissant par la voie du recours de droit public, le demandeur requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour d'appel. Invoquant les art. 9 et 29 al. 2 Cst., il se plaint d'une violation de son droit d'être entendu et d'une application arbitraire de l'art. 186 al. 2 LPC gen.
 
Invitée à répondre, la défenderesse et intimée conclut au rejet du recours. La Cour d'appel a présenté des observations tendant également au rejet du recours.
 
Le Tribunal fédéral considère en droit:
 
1.
 
Le recours de droit public au Tribunal fédéral peut être exercé contre une décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ). En règle générale, la décision attaquée doit avoir mis fin à la procédure antérieure (art. 87 OJ) et n'être susceptible d'aucun autre recours cantonal ou fédéral apte à redresser l'inconstitutionnalité que l'on dénonce (art. 84 al. 2, 86 al. 1 OJ). Ces exigences sont satisfaites en l'espèce; en particulier, le recours en réforme au Tribunal fédéral n'est pas recevable pour violation des droits constitutionnels (art. 43 al. 1 OJ). L'exigence d'un intérêt actuel, pratique et juridiquement protégé à l'annulation de la décision attaquée (art. 88 OJ) est également satisfaite; les conditions légales concernant la forme et le délai du recours (art. 30, 89 et 90 OJ) sont aussi observées.
 
2.
 
Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. confère à toute personne le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, d'avoir accès au dossier, d'offrir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, de participer à l'administration des preuves et de se déterminer à leur propos (ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56; 126 I 97 consid. 2b p. 102; 124 I 241 consid. 2 p. 242). La disposition précitée confère également le droit d'exiger, en principe, qu'une telle décision soit motivée. Cette garantie-ci tend à donner à la personne touchée les moyens d'apprécier la portée du prononcé et de le contester efficacement, s'il y a lieu, dans une instance supérieure. Elle tend aussi à éviter que l'autorité ne se laisse guider par des considérations subjectives ou étrangères à la cause; elle contribue, par là, à prévenir une décision arbitraire. L'objet et la précision des indications que l'autorité doit fournir dépend de la nature de l'affaire et des circonstances particulières du cas; néanmoins, en règle générale, il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs qui l'ont guidée, sans qu'elle soit tenue de répondre à tous les arguments présentés (ATF 112 Ia 107 consid. 2b p. 109; voir aussi ATF 129 I 232 consid. 3.2 p. 236; 126 I 97 consid. 2b p. 102).
 
Une décision est arbitraire, donc contraire à l'art. 9 Cst., lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si sa décision apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision soient insoutenables; encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat. A cet égard, il ne suffit pas non plus qu'une solution différente de celle retenue par l'autorité cantonale puisse être tenue pour également concevable, ou apparaisse même préférable (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 II 259 consid. 5 p. 280/281; 127 I 54 consid. 2b p. 56).
 
3.
 
Selon l'art. 186 al. 2 LPC gen., le juge peut ordonner à la partie qui détient une pièce utile à la solution du litige, même si le fardeau de la preuve ne lui incombe pas, de produire cette pièce. En cas de refus sans motif légitime, le fait allégué par la partie adverse peut être tenu pour avéré. Cette disposition fait partie des règles générales de la procédure civile qui sont applicables à titre supplétif devant la juridiction des prud'hommes, selon le renvoi de l'art. 11 al. 1 de la loi genevoise du 25 février 1999 concernant cette juridiction, dans la mesure compatible avec les exigences de simplicité et de rapidité propres à celle-ci.
 
L'ordonnance préparatoire du 12 août 2003 n'imposait pas à l'intimée de produire un document préexistant et détenu par elle; elle lui imposait plutôt de créer et produire un document nouveau, contenant certains renseignements qu'elle était en mesure de fournir. Autrement dit, elle était invitée à répondre par écrit à une question qui lui avait été soumise à l'audience. Or, l'interrogatoire des parties appartient aussi, avec la remise de pièces, aux moyens de preuve ordinaires de la procédure civile, selon les art. 206 et ss LPC gen. Parmi ces dernières dispositions, l'art. 211 LPC gen. prévoit également que si une partie refuse de répondre, les faits allégués contre elle peuvent être tenus pour avérés. Il n'est donc pas douteux que dans la présente affaire, le refus de fournir les renseignements requis puisse éventuellement entraîner, au détriment de l'intimée, la conséquence prévue par les art. 186 al. 2, 2e phrase, ou 211 LPC gen. Nul n'a contesté, d'ailleurs, la validité de l'ordonnance.
 
D'un refus de répondre à une question du juge, ou de produire une pièce, il ne résulte pas que les faits allégués par l'adverse partie doivent être de plein droit et dans leur entier tenus pour établis. Les dispositions précitées n'ont pas pour objet d'instituer un régime de preuve légale en pareil cas. Un régime de ce genre serait de toute manière incompatible avec la maxime inquisitoire et le principe de la libre appréciation des preuves que l'art. 343 al. 4 CO impose dans les contestations entre employeurs et travailleurs. Le juge doit seulement, dans le cadre de l'appréciation de l'ensemble des preuves disponibles, régie par le principe de la libre appréciation selon l'art. 196 LPC gen., prendre en considération l'attitude de la partie qui refuse la collaboration demandée. Ce régime correspond à celui qui est généralement consacré dans les procédures civiles soumises au principe de la libre appréciation des preuves (Fabienne Hohl, Procédure civile, tome I, Berne 2001, ch. 1111 p. 213).
 
4.
 
La Cour d'appel retient qu'une augmentation des livraisons est intervenue pendant les années 1999 à 2001 et que la charge de travail correspondante a été dûment compensée par des hausses du salaire et de l'indemnité. Elle constate qu'aucune hausse de salaire n'a été accordée pendant les années 2002 et 2003 et elle juge nécessaire de "déterminer s'il y a eu une augmentation du temps de travail qui n'aurait pas été compensée par une augmentation de salaire pendant ces années". Elle résout cette question de fait par la négative. Elle considère que les documents établis et produits par le recourant sont dépourvus de force probante; elle relève aussi que selon les statistiques de l'intimée, "le nombre des livraisons a diminué en 2001 pour augmenter à nouveau en 2002".
 
Cette motivation passe sous silence que selon l'argumentation du recourant, l'augmentation du temps de travail n'était pas seulement imputable à un accroissement du nombre des livraisons. Le recourant faisait aussi état de la nécessité d'accomplir des trajets plus longs en raison de la dispersion accrue de la clientèle dans le voisinage de Genève. Or, le cas échéant, cette circonstance était effectivement de nature à entraîner un temps de travail et des frais plus importants. Les renseignements à fournir selon l'ordonnance du 12 août 2003, avec la liste des enveloppes et de leurs destinataires, étaient aussi destinés à permettre l'élucidation de ce point de fait particulier, distinct de l'augmentation des livraisons survenue pendant les années 1999 à 2001. L'intimée n'a pas fourni ces renseignements et elle n'a pas non plus tenté de justifier cette omission. Dans l'appréciation des preuves, selon les dispositions de droit cantonal précitées, cette attitude pouvait éventuellement entraîner une constatation favorable au recourant et, ainsi, influencer le sort de l'appel principal. Il s'imposait donc, dans la motivation de l'arrêt, d'indiquer succinctement pourquoi la Cour jugeait que les allégations du recourant devaient être rejetées en dépit de cet élément. Celui-ci était d'ailleurs expressément invoqué dans le mémoire adressé à la Cour. En l'absence de toute explication à ce sujet, le recourant est fondé à se plaindre d'une motivation insuffisante au regard de l'art. 29 al. 2 Cst. Le recours de droit public sera donc admis pour violation de cette disposition constitutionnelle.
 
5.
 
A titre de partie qui succombe, l'intimée doit acquitter les dépens à allouer à la partie qui obtient gain de cause. Compte tenu que le montant initial de la demande était inférieur au plafond de 30'000 fr. prévu par l'art. 343 al. 2 CO, le Tribunal fédéral ne perçoit pas d'émolument judiciaire.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.
 
2.
 
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
 
3.
 
L'intimée acquittera une indemnité de 2'000 fr. à verser au recourant à titre de dépens.
 
4.
 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.
 
Lausanne, le 20 juin 2005
 
Au nom de la Ire Cour civile
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le président: Le greffier:
 
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