VerfassungsgeschichteVerfassungsvergleichVerfassungsrechtRechtsphilosophie
UebersichtWho-is-WhoBundesgerichtBundesverfassungsgerichtVolltextsuche...

Informationen zum Dokument  BGer I 484/2004  Materielle Begründung
Druckversion | Cache | Rtf-Version

Bearbeitung, zuletzt am 16.03.2020, durch: DFR-Server (automatisch)  
 
BGer I 484/2004 vom 18.07.2005
 
Eidgenössisches Versicherungsgericht
 
Tribunale federale delle assicurazioni
 
Tribunal federal d'assicuranzas
 
Cour des assurances sociales
 
du Tribunal fédéral
 
Cause
 
{T 7}
 
I 484/04
 
Arrêt du 18 juillet 2005
 
IIIe Chambre
 
Composition
 
Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Lustenberger et Kernen. Greffière : Mme von Zwehl
 
Parties
 
S.________, recourante, représentée par Me Alain Vuithier, avocat, avenue Villamont 23, 1002 Lausanne,
 
contre
 
Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé
 
Instance précédente
 
Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne
 
(Jugement du 3 décembre 2003)
 
Faits:
 
A.
 
S.________, né en 1960, travaillait comme aide hospitalière au service de la Clinique X.________. Dès le 11 février 1999, elle s'est régulièrement trouvée en incapacité de travail pour cause de maladie. Son employeur l'a licenciée pour le 31 mai 1999. S.________ s'est annoncée à l'assurance-invalidité le 17 mai, demandant l'octroi d'une rente.
 
Dans un rapport du 21 juillet 1999, le docteur N.________, médecin traitant, a indiqué que l'assurée se plaignait épisodiquement d'épigastralgies depuis 1983 et de lombalgies. Les différents examens pratiqués avaient révélé une gastrite antrale discrète, un colon spastique, ainsi qu'une émergence conjointe de la racine L5-S1 sans signe de hernie ni de compression radiculaire; selon lui, ces troubles bénins ne justifiaient cependant pas une incapacité de travail de longue durée. En raison de l'échec des traitements entrepris, il avait adressée sa patiente à un médecin psychiatre, la doctoresse B.________, qui la suivait depuis fin mai 1999. Dans un rapport du 5 mars 2000, celle-ci a fait état d'une thymie déprimée, d'un ralentissement psychomoteur et d'une régression. Au vu des documents recueillis, l'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud (ci-après : l'office AI) a décidé de confier une expertise psychiatrique au docteur H.________. Ce médecin a posé les diagnostics de dépression anxieuse persistante (F34.1), de somatisations (F45.0) et de personnalité fragile à traits infantiles (F60.8); il a retenu une incapacité de travail totale (rapport du 5 décembre 2001). Invité à donner son avis sur le cas, le Service médical régional AI (SMR) a estimé que S.________ ne présentait aucune atteinte à la santé invalidante dans la mesure où il existait pas de comorbidité psychiatrique grave associée aux troubles somatoformes douloureux [somatisations] (rapport d'examen du 29 janvier 2002).
 
Se fondant sur l'appréciation du SMR, l'office AI a rejeté la demande de prestations par décision du 5 mars 2002.
 
B.
 
L'assurée a recouru contre cette décision devant le Tribunal des assurances du canton de Vaud, en concluant à l'octroi d'une rente d'invalidité entière. Elle a produit un rapport d'expertise du docteur L.________, psychiatre, établie à l'intention de l'assureur perte de gain de l'employeur, allant dans le même sens que l'appréciation de l'expert commis par l'office AI.
 
Après avoir requis un complément d'instruction auprès du docteur H.________, le tribunal a rejeté le recours par jugement du 3 décembre 2003, notifié aux parties le 28 juin 2004.
 
C.
 
Reprenant ses conclusions formulées en première instance, S.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement.
 
L'office AI conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.
 
Considérant en droit:
 
1.
 
Le litige porte sur le droit éventuel de la recourante à une rente de l'assurance-invalidité. A cet égard, le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales (dans leur teneur en vigueur à la date déterminante de la décision litigieuse du 5 mars 2002) et les principes jurisprudentiels en matière d'invalidité et de son évaluation chez les assurés actifs, de sorte qu'il suffit d'y renvoyer.
 
2.
 
En bref, les premiers juges ont considéré que S.________ était à même d'accomplir l'effort nécessaire pour reprendre une activité lucrative. Selon eux, les symptômes de somatisation de l'assurée avaient en grande partie un caractère réactionnel à son licenciement : avant qu'elle ne perde son emploi, il n'avait jamais été question de maladie psychiatrique, ni de prise en charge psychiatrique.
 
La recourante reproche à la juridiction cantonale d'avoir fait fi des conclusions claires des docteurs H.________ et L.________. Ces médecins avaient d'une manière concordante mis en évidence qu'elle souffrait d'une psychopathologie qui s'était installée progressivement et qui était devenue invalidante à partir de 1999.
 
3.
 
Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V 165; VSI 2001 p. 224 consid. 2b et les références; cf. aussi ATF 127 V 298 consid. 4c in fine).
 
La reconnaissance de l'existence d'une atteinte à la santé psychique, soit aussi de troubles somatoformes douloureux persistants, suppose d'abord la présence d'un diagnostic émanant d'un expert (psychiatre) et s'appuyant lege artis sur les critères d'un système de classification reconnu (ATF 130 V 398 ss consid. 5.3 et consid. 6). Comme pour toutes les autres atteintes à la santé psychique, le diagnostic de troubles somatoformes douloureux persistants ne constitue pas encore une base suffisante pour conclure à une invalidité. Au contraire, il existe une présomption que les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets peuvent être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible. Le caractère non exigible de la réintégration dans le processus de travail peut résulter de facteurs déterminés qui, par leur intensité et leur constance, rendent la personne incapable de fournir cet effort de volonté. Dans un tel cas, en effet, l'assuré ne dispose pas des ressources nécessaires pour vaincre ses douleurs. La question de savoir si ces circonstances exceptionnelles sont réunies doit être tranchée de cas en cas à la lumière de différents critères. Au premier plan figure la présence d'une comorbidité psychiatrique importante par sa gravité, son acuité et sa durée. D'autres critères peuvent être déterminants. Ce sera le cas des affections corporelles chroniques, d'un processus maladif s'étendant sur plusieurs années sans rémission durable (symptomatologie inchangée ou progressive), d'une perte d'intégration sociale dans toutes les manifestations de la vie, d'un état psychique cristallisé, sans évolution possible au plan thérapeutique, résultant d'un processus défectueux de résolution du conflit, mais apportant un soulagement du point de vue psychique (profit primaire tiré de la maladie, fuite dans la maladie), de l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de l'art (même avec différents types de traitement), cela en dépit de l'attitude coopérative de la personne assurée (ATF 130 V 352). Plus ces critères se manifestent et imprègnent les constatations médicales, moins on admettra l'exigibilité d'un effort de volonté (Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der Sozialversicherung, in: Schmerz und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p. 77).
 
Si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact (voir Kopp/Willi/Klipstein, Im Graubereich zwischen Körper, Psyche und sozialen Schwierigkeiten, in : Schweizerische Medizinische Wochenschrift 1997, p. 1434, avec référence à une étude approfondie de Winckler et Foerster; voir sur l'ensemble du sujet consid. 1.2. destiné à la publication de l'arrêt J. du 16 décembre 2004, I 770/03).
 
4.
 
4.1
 
4.1.1 Pour rendre ses conclusions, le docteur H.________ a effectué trois entretiens personnels avec l'assurée et fait faire des tests psychologiques; il avait également à sa disposition l'ensemble du dossier médical AI. Au chapitre de son rapport intitulé «Appréciation du cas et pronostic» (page 6 et 7), le docteur H.________ a principalement mis en exergue la personnalité fragile marquée par une grave immaturité affective et des traits infantiles de S.________. D'après lui, elle lutterait depuis très longtemps, à un plan profond de sa personnalité contre des affects anxio-dépressifs de nature archaïque; les somatisations dont elle se plaignait devaient être comprises comme des «équivalents dépressifs». Au fil du temps, les défenses de l'assurée avaient commencé à s'épuiser, ce qui avait favorisé l'apparition d'une décompensation psychique chronique dont on ne pouvait attendre d'amélioration. A cela s'ajoutait le fait que S.________ s'identifiait fortement à sa mère, morte en 1980 alors qu'elle-même était enceinte de son premier enfant, et qui avait été régulièrement malade. Le docteur H.________ aboutit ainsi à la conclusion que «l'assurée souffre d'une lourde psychopathologie floride qui entrave sa capacité d'adaptation et par là même sa capacité lucrative et ce de façon chronique».
 
4.1.2 Le docteur L.________, pour sa part, a posé les diagnostics de trouble de somatisation (F45.0) et de trouble panique sans agoraphobie (F41.0). Il a noté une «discordance frappante» entre l'absence de conflits existentiels chez l'assurée et l'importance de son mal-être. Il était cependant d'avis qu'il n'y avait pas à douter de l'authenticité de ses plaintes qui, estime-t-il, ne sont pas produites intentionnellement ou feintes comme dans le trouble factice ou la simulation. L'incapacité de travail totale était donc justifiée. A la question de savoir s'il existait une comorbidité ou d'autres facteurs qui interféraient avec la maladie pour expliquer la prolongation de l'incapacité de travail, le docteur L.________ a répondu par l'affirmative : il était possible que la symptomatologie de l'assurée était l'expression de l'angoisse d'une perte de la capacité de travail de toute la famille dès lors qu'elle-même avait été licenciée, que son mari risquait aussi de perdre son emploi et que son fils avait, quant à lui, des difficultés à trouver un travail; la recherche d'un bénéfice secondaire sous la forme d'une rente AI pour un retour au Portugal était également une hypothèse qu'il laissait ouverte.
 
4.2
 
4.2.1 Lorsqu'on se trouve en présence d'un diagnostic de somatisation (ou troubles somatoformes douloureux) comme c'est le cas ici, la question décisive à laquelle l'expert psychiatre doit répondre est celle de savoir si la personne concernée possède en elle suffisamment de ressources psychiques pour faire face à ses douleurs et réintégrer le circuit économique. Si l'expert psychiatre est à cet égard libre de procéder de la façon qu'il considère la plus opportune, il doit à tout le moins fournir les éléments nécessaires permettant à l'administration ou au juge de déterminer l'incidence des troubles somatoformes douloureux sur la capacité de travail de l'assuré à l'aune des critères dégagés par la jurisprudence (voir consid. 3 supra). De toute façon générale, on rappellera qu'il est attendu de l'expert médecin, dont la mission diffère ici clairement de celle du médecin traitant, notamment qu'il procède à un examen objectif de la situation médicale de la personne expertisée et qu'il donne une description circonstanciée des motifs à la base de l'avis qu'il exprime (pour plus de détails à ce sujet, Jacques Meine, L'expert et l'expertise - critères de validité de l'expertise médicale, éd. Médecine & Hygiène, 2002; voir aussi arrêt S. du 26 juin 2003, I 671/02, consid. 5.2 et les références citées).
 
4.2.2 En l'occurrence, ni le rapport d'expertise du docteur H.________, ni celui du docteur L.________ ne permettent de statuer à satisfaction sur le caractère invalidant ou non des troubles somatoformes douloureux présentés par la recourante. Ces médecins n'ont en effet pas recueilli les données qui permettraient de faire application des critères jurisprudentiels en la matière. Tout d'abord, on ne peut pas juger en pleine connaissance de cause de l'existence ou de l'absence d'une comorbidité psychiatrique. Certes, le docteur H.________ a-t-il retenu une dépression anxieuse persistante ainsi qu'une personnalité fragile à traits infantiles. Il n'a toutefois pas fait mention des éléments pertinents au plan psychiatrique qui l'ont conduit à poser un tel diagnostic, ni décrit en quoi et dans quelle mesure ces atteintes auraient une répercussion sur les divers aspects de la vie de l'assurée. Aussi n'est-il pas possible de se faire une opinion sur leur acuité, sans parler du fait qu'elles n'ont pas trouvé d'écho auprès du docteur L.________. On peut en tout cas s'interroger sur la portée de la conclusion du docteur H.________ selon laquelle l'assurée présenterait une «grave psychopathologie». S'agissant, ensuite, de l'exigibilité d'une reprise du travail, on peut se demander si les deux médecins psychiatres n'ont pas attaché une importance prépondérante à la manière dont S.________ elle-même ressent et assume ses facultés de travail - alors qu'il y a lieu d'établir la mesure de ce qui est raisonnablement exigible d'un assuré le plus objectivement possible -, ainsi qu'à des circonstances étrangères à l'état de santé de la prénommée (par exemple la situation économique des autres membres de la famille). En revanche, d'autres critères qui sont déterminants pour fonder un pronostic défavorable (comme la perte d'intégration sociale dans toutes les manifestations de la vie, un éventuel conflit intra-psychique ou encore une situation de conflit externe) n'ont été que superficiellement, voire même pas du tout, abordés. Enfin, on constate que la question du profit secondaire tiré de la maladie (c'est-à-dire le désir subjectif de se voir accorder une rente) a été soulevée par le docteur L.________ sans que celui-ci n'ait voulu l'approfondir, tandis que le docteur H.________ n'a pas examiné la situation de l'assurée sous cet angle. Or cette question a son importance dans les cas de somatisation en ce sens que s'il existe suffisamment d'indices de cet ordre, cela doit en règle générale conduire au refus des prestations (Meyer-Blaser, op. cit., p.86).
 
4.3 Dès lors que plusieurs aspects liés à l'évaluation du caractère invalidant des troubles somatoformes douloureux de la recourante ne sont pas élucidés et que l'on ne saurait pas non plus conclure que celle-ci jouit d'une pleine capacité de travail comme l'ont estimé les premiers juges, il est nécessaire de mettre en oeuvre une nouvelle expertise psychiatrique. Puisque l'office AI a déjà recueilli deux rapports d'expertise qui, comme on vient de le voir, ne permettent pas de trancher le litige, il se justifie ici d'ordonner une expertise judiciaire. La cause sera par conséquent renvoyée à la juridiction cantonale pour ce faire. Dans cette mesure, le recours se révèle bien fondé.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:
 
1.
 
Le recours est admis en ce sens que le jugement du 3 décembre 2003 du Tribunal des assurances du canton de Vaud est annulé, la cause étant renvoyé à cette juridiction pour qu'elle procède conformément aux considérants.
 
2.
 
Il n'est pas perçu de frais de justice.
 
3.
 
L'office intimé versera à la recourante une indemnité de dépens de 2'000 fr. (taxe à la valeur ajoutée comprise) pour l'instance fédérale.
 
4.
 
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.
 
Lucerne, le 18 juillet 2005
 
Au nom du Tribunal fédéral des assurances
 
La Présidente de la IIIe Chambre: La Greffière:
 
© 1994-2020 Das Fallrecht (DFR).