VerfassungsgeschichteVerfassungsvergleichVerfassungsrechtRechtsphilosophie
UebersichtWho-is-WhoBundesgerichtBundesverfassungsgerichtVolltextsuche...

Informationen zum Dokument  BGer 5P.188/2006  Materielle Begründung
Druckversion | Cache | Rtf-Version

Bearbeitung, zuletzt am 16.03.2020, durch: DFR-Server (automatisch)  
 
BGer 5P.188/2006 vom 21.09.2006
 
Tribunale federale
 
{T 0/2}
 
5P.188/2006 /frs
 
Arrêt du 21 septembre 2006
 
IIe Cour civile
 
Composition
 
MM. et Mme les Juges Raselli, Président,
 
Hohl et Gardaz, Juge suppléant.
 
Greffier: M. Braconi.
 
Parties
 
Dame X.________,
 
recourante, représentée par Me Charles Poncet, avocat,
 
contre
 
X.________,
 
intimé, représenté par Mes Pierre-Alain Schmidt et Pascal Marti, avocats,
 
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.
 
Objet
 
art. 9 Cst. (mesures protectrices de l'union conjugale),
 
recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre
 
civile de la Cour de justice du canton de Genève du
 
17 mars 2006.
 
Faits:
 
A.
 
X.________ et dame X.________ se sont mariés le 12 juillet 1990 au Grand-Saconnex (GE). Deux filles sont issues de leur union: A.________, née le 4 mars 1992, et B.________, née le 26 août 1997.
 
B.
 
Le 7 décembre 2004, dame X.________ a saisi le Tribunal de première instance de Genève d'une requête de mesures protectrices de l'union conjugale. Par jugement du 2 août 2005, ce tribunal a autorisé les époux à vivre séparés (ch. 1); attribué la jouissance exclusive de la villa conjugale à l'épouse (ch. 2); confié à celle-ci la garde des enfants (ch. 3); réservé au père un droit de visite élargi, à raison d'un week-end sur deux, en alternance avec un jour par semaine, du mardi soir au mercredi matin, et durant la moitié des vacances (ch. 4); condamné X.________ à verser à son épouse pour l'entretien de la famille, allocations familiales non comprises, une contribution de 15'000 fr. par mois - intérêts, amortissements et assurance bâtiment non compris (ch. 7) - à dater de l'entrée en force du jugement (ch. 6), ainsi que la somme de 3'500 fr. en sus des montants déjà versés du 1er novembre 2004 jusqu'à l'entrée en force du jugement (ch. 5), enfin une provision ad litem de 5'000 fr. (ch. 8).
 
Statuant le 17 mars 2006 sur l'appel interjeté par chacune des parties, la Cour de justice du canton de Genève a annulé les chiffres 5 à 8 de cette décision et condamné le mari:
 
- à verser à sa femme, par mois et d'avance, allocations familiales ou d'études non comprises, la somme de 12'000 fr. pour l'entretien de la famille, dès le 1er novembre 2004, sous imputation des montants déjà versés à ce titre;
 
- à s'acquitter, en sus de la contribution d'entretien, des intérêts, des amortissements et de l'assurance-bâtiment de la villa de C.________;
 
- à payer à sa femme une provision ad litem de 8'000 fr.
 
C.
 
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral pour violation de l'art. 9 Cst., l'épouse conclut à l'annulation de cet arrêt.
 
L'intimé propose le rejet du recours; l'autorité cantonale se réfère aux considérants de sa décision.
 
Le Tribunal fédéral considère en droit:
 
1.
 
Le Tribunal fédéral contrôle d'office et librement la recevabilité des recours dont il est saisi (ATF 132 III 291 consid. 1 p. 292; 131 III 667 consid. 1 p. 668 et les arrêts cités).
 
1.1 Prise en application de l'art. 176 al. 1 CC, la décision attaquée ne constitue pas une décision finale au sens de l'art. 48 al. 1 OJ, de sorte qu'elle n'est pas susceptible d'un recours en réforme (ATF 127 III 474 consid. 2 p. 476 ss et les citations). Les moyens invoqués ne pouvant pas être soumis par une autre voie au Tribunal fédéral, la condition de subsidiarité du recours de droit public est remplie (art. 84 al. 2 OJ).
 
1.2 Déposé en temps utile à l'encontre d'une décision finale rendue en dernière instance cantonale, le recours est également recevable sous l'angle des art. 86 al. 1, 87 (a contrario) et 89 al. 1 OJ.
 
2.
 
La recourante se plaint d'arbitraire (art. 9 Cst.) dans l'appréciation des preuves et l'établissement des faits.
 
2.1 D'après la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et incontesté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; il ne suffit pas qu'une solution différente paraisse concevable, voire préférable; la décision attaquée n'est, en outre, annulée que si elle se révèle arbitraire, non seulement dans sa motivation, mais également dans son résultat (ATF 132 III 209 consid. 2.1 p. 211 et les citations).
 
De pratique constante, le Tribunal fédéral se montre réservé dans le domaine de l'établissement des faits et de l'appréciation des preuves, vu le large pouvoir qu'il reconnaît en la matière aux juridictions cantonales (ATF 120 Ia 31 consid. 4b p. 40; 104 Ia 381 consid. 9 p. 399 et les arrêts cités); il n'intervient, du chef de l'art. 9 Cst., que si le juge du fait a abusé de ce pouvoir, notamment lorsqu'il méconnaît des preuves pertinentes ou qu'il n'en tient arbitrairement pas compte, lorsque des constatations de fait sont manifestement fausses, ou encore lorsque l'appréciation des preuves apparaît tout à fait insoutenable (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 I 81 consid. 2 p. 86; 127 I 38 consid. 2a p. 41 et la jurisprudence citée).
 
2.2 La procédure de mesures protectrices de l'union conjugale est une procédure sommaire, qui tend à une décision rapide; elle ne comporte qu'une administration restreinte des preuves et ne permet pas une élucidation complète de la situation de fait (ATF 127 III 474 consid. 2b/bb p. 478 et les références; Hasenböhler, Basler Kommentar, 2e éd., n. 2 ad art. 179 CC). L'autorité de chose jugée des décisions prononcées dans cette matière n'est que limitée, vu la possibilité de les modifier en cas de faits nouveaux (Hasenböhler, ibidem).
 
3.
 
La Cour de justice n'a pas appliqué la méthode dite du "minimum vital avec répartition de l'excédent", mais celle dite du "maintien du niveau de vie antérieur", d'après laquelle, en présence d'une situation financière favorable, le juge doit se fonder sur les dépenses nécessaires au maintien du train de vie mené par les époux jusqu'à la séparation. Dès lors, elle a admis que les "revenus annuels moyens connus" du mari s'élevaient à 255'963 fr., à savoir 21'330 fr. par mois, sans compter les revenus qu'il perçoit à l'étranger pour les sociétés dont il est l'administrateur, "ressources dont on ignore l'importance"; quant aux dépenses de la famille, elles se montent mensuellement à 13'653 fr., auxquels il faut ajouter un montant de 3'700 fr. pour les impôts, ce qui porte le budget à 17'353 fr. par mois. En regard des revenus et des charges de la maison familiale (i.e. 2'070 fr.), force est d'admettre que la situation financière du mari ne permet pas de faire face aux dépenses de son épouse; s'il est exact que les gains retirés des sociétés qu'il administre ne sont pas connus, "l'instruction sur mesures protectrices ne permet pas de retenir qu'il s'agirait de sommes très importantes". Cela étant, même une contribution de 15'000 fr. est excessive et doit être réduite à 12'000 fr., en plus du paiement des intérêts, des amortissements et de l'assurance-bâtiment de la villa.
 
3.1 Ce raisonnement n'est pas soutenable. La juridiction cantonale ne pouvait pas commencer par apprécier le train de vie de la famille sur la base des dépenses effectives, pour abandonner ensuite cette méthode et fixer, en fonction des revenus "connus" du mari, une pension mensuelle de 12'000 fr. sans aucune motivation; s'étant basée sur les revenus "connus", alors qu'elle a procédé à une évaluation du train de vie, elle aurait dû en déduire que les revenus réels étaient beaucoup plus élevés. En effet, comme le souligne pertinemment la recourante, les revenus de son époux devaient en toute logique être pour le moins équivalents aux dépenses nécessitées par le train de vie. Pour réfuter cet argument, l'intimé objecte que ses revenus "n'ont jamais couvert entièrement le budget de la famille", motif pour lequel il touchait une "aide financière de sa mère". Sur ce point, les magistrats cantonaux ont certes admis la réalité des versements, mais, pour le reste, ils ont considéré que leur "origine n'[était] pas identifiable", autrement dit que l'allégation du mari n'était pas corroborée par les relevés bancaires produits. L'intimé ne démontre pas d'une manière motivée qu'une telle conclusion procéderait d'une lecture manifestement insoutenable des pièces en question (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 128 III 4 consid. 4c/aa p. 7 et les références citées).
 
3.2 L'arrêt déféré est entaché, par surcroît, d'autres erreurs:
 
3.2.1 L'autorité précédente a constaté que l'épouse avait libre accès à un compte joint que les époux avaient ouvert auprès de la HSBC, dont elle retirait entre 5'500 fr. et 6'500 fr. en moyenne par mois; elle disposait, en outre, d'une autre carte de crédit avec laquelle elle réglait des dépenses mensuelles de 2'700 fr. en moyenne; enfin, elle est titulaire d'un compte privé auprès du Crédit Suisse, que son mari alimentait à raison de 2'600 fr. par mois jusqu'à la séparation. Puisqu'ils se sont expressément fondés sur la méthode dite du "maintien du niveau de vie antérieur", les juges cantonaux ne pouvaient, sans arbitraire, faire complètement abstraction de ce dernier montant.
 
3.2.2 L'autorité cantonale a ajouté aux divers revenus annuels du mari (254'352 fr.) la somme de 1'611 fr.25 au titre de "revenu de la fortune mobilière"; or, ce montant correspond au produit mensuel. Elle devait ainsi retenir un revenu (arrondi) de 273'686 fr. par année (254'352 fr. + 19'334 fr.), à savoir 22'807 fr., et non 21'330 fr., par mois. Quoi qu'en dise l'intimé, cette différence (1'477 fr.) n'est pas le fruit d'une erreur de calcul commise à l'occasion d'une fixation ex aequo et bono de la contribution d'entretien, mais bien lors de l'application d'une méthode précise (celle du "maintien du niveau de vie antérieur") s'appuyant sur des données effectives et chiffrées en détail (sur cette distinction: arrêt 5P.361/2006 du 19 janvier 2006, consid. 2.4, non publié aux ATF 132 III 209).
 
4.
 
Vu ce qui précède, le présent recours doit être admis et l'arrêt attaqué annulé. Les frais et dépens sont à la charge de l'intimé, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.
 
2.
 
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge de l'intimé.
 
3.
 
L'intimé versera à la recourante une indemnité de 3'500 fr. à titre de dépens.
 
4.
 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
 
Lausanne, le 21 septembre 2006
 
Au nom de la IIe Cour civile
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président: Le Greffier:
 
© 1994-2020 Das Fallrecht (DFR).