BGer 1A.214/2006 | |||
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BGer 1A.214/2006 vom 20.04.2007 | |
Tribunale federale
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{T 0/2}
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1A.214/2006 /col
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Arrêt du 20 avril 2007
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Ire Cour de droit public
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Composition
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MM. les Juges Féraud, Président,
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Aemisegger et Fonjallaz.
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Greffière: Mme Truttmann.
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Parties
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A.________,
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recourante, représentée par Mes Laurent Moreillon
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et Miriam Mazou, avocats,
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contre
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Département des institutions et des relations extérieures du canton de Vaud, Service juridique et législatif, Château, 1014 Lausanne,
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Tribunal des assurances du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal 8, 1014 Lausanne.
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Objet
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indemnisation LAVI,
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recours de droit administratif contre le jugement du Tribunal des assurances du Tribunal cantonal du
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canton de Vaud du 23 mars 2006.
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Faits:
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A.
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A.________ avait pour fils unique B.________, né en 1967. Le 28 octobre 1999, lors de vacances en Egypte, alors que ce dernier se promenait en compagnie de C.________, l'ancien compagnon de cette dernière s'est précipité sur eux au volant de sa voiture. Après avoir été hospitalisé sur place, B.________ a été rapatrié le 5 novembre 1999 en Suisse et admis au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), où il est décédé le lendemain.
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Par jugement du 23 août 2003, la Cour criminelle de Quena en Egypte a condamné l'auteur de l'infraction à cinq ans d'emprisonnement.
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B.
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A.________ a hérité de son fils la somme de 39'172 fr. 65, sous déduction de l'impôt successoral s'élevant à 4'424 fr. 35.
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Le 26 octobre 2001, A.________ a adressé au Département des institutions et des relations extérieures du canton de Vaud (ci-après: DIRE) une demande d'indemnisation au sens de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur l'aide aux victimes d'infractions (ci-après: LAVI). Elle a sollicité l'octroi d'une somme de 50'000 fr. à titre de réparation du tort moral et d'un montant de 32'517 fr. 80 à titre de réparation de son dommage matériel, dont le détail est le suivant: frais d'avocat en Suisse (12'322 fr. 80); frais d'avocat en Egypte (4'495 fr.); forfait pour les frais de voyage au Caire (5'700 fr.); frais funéraires (10'000 fr.).
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Par décision du 23 mai 2005, le DIRE a alloué à A.________ la somme de 30'000 fr. à titre de réparation morale. Il a en revanche refusé de l'indemniser pour son dommage matériel, motif pris que la somme reçue en héritage était supérieure au dommage allégué.
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Par jugement du 23 mars 2006, le Tribunal des assurances du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal des assurances) a rejeté le recours de A.________ contre cette dernière décision.
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C.
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Agissant par la voie du recours de droit administratif, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler le jugement rendu par le Tribunal des assurances le 23 mars 2006, la décision du DIRE du 23 mai 2005 devant être réformée en ce sens que l'Etat de Vaud lui doit en plus de l'indemnité de 30'000 fr. pour tort moral, 32'517 fr. 80 à titre de réparation de son dommage matériel, avec intérêts à 5 % l'an, à compter du 26 octobre 2001. Subsidiairement, elle demande que le jugement rendu le 23 mars 2006 par le Tribunal des assurances soit annulé et que la cause soit renvoyée à cette dernière autorité pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Elle se plaint d'une violation de l'art. 14 al. 1 LAVI.
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Le Tribunal des assurances se réfère aux considérants de son jugement. Le DIRE conclut au rejet du recours et se rapporte à sa décision pour le surplus. L'Office fédéral de la justice (OFJ) a déposé ses observations. A.________ a persisté dans ses conclusions.
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Le Tribunal fédéral considère en droit:
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1.
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La décision attaquée ayant été rendue avant le 1er janvier 2007, la loi fédérale d'organisation judiciaire (OJ) demeure applicable à la présente procédure de recours (art. 132 al. 1 LTF).
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2.
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La démarche de la recourante tend à l'obtention d'une indemnité, pour son dommage matériel et son tort moral, fondée sur la LAVI. Il n'est pas contesté que cette loi est applicable et que la recourante doit être assimilée à une victime conformément à l'art. 2 al. 2 LAVI. Dirigé contre une décision (art. 5 PA) ne relevant pas des exceptions prévues aux art. 99 ss OJ (ATF 122 II 315 consid. 1 p. 317, 121 II 116 consid. 1 p. 117) et émanant de l'autorité cantonale de recours prévue à l'art. 17 LAVI, le recours de droit administratif est recevable (ATF 125 II 169 consid. 1 p. 171 et les arrêts cités).
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3.
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Aux termes de l'art. 11 al. 1 LAVI, toute victime d'une infraction commise en Suisse peut demander une indemnisation ou une réparation morale dans le canton dans lequel l'infraction a été commise. Si le résultat s'est produit à l'étranger, la victime ne peut demander une indemnisation ou une réparation morale que si elle n'obtient pas des prestations suffisantes d'un Etat étranger (art. 11 al. 2 LAVI). Lorsqu'une personne de nationalité suisse domiciliée en Suisse est victime d'une infraction à l'étranger, elle peut demander au canton dans lequel elle est domiciliée une indemnisation ou une réparation morale si elle n'obtient pas des prestations suffisantes d'un Etat étranger (art. 11 al. 3 LAVI).
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Selon l'art. 12 al. 1 LAVI, la victime a droit à une indemnité pour le dommage qu'elle a subi si ses revenus ne dépassent pas le quadruple du montant destiné à la couverture des besoins vitaux fixé à l'art. 3b al. 1 let. a de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité (LPC; RS 831.30). Si les revenus ne dépassent pas le montant supérieur fixé par la LPC, l'indemnité couvrira intégralement le dommage; s'ils sont supérieurs à ce montant, elle sera réduite (art. 13 al. 1 LAVI). L'indemnité ne peut en aucun cas excéder 100'000 francs (art. 13 al. 3 LAVI et 4 al. 1 de l'ordonnance du 18 novembre 1992 sur l'aide aux victimes d'infractions [OAVI; RS 312.51]).
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Une somme peut également être versée à la victime à titre de réparation morale, indépendamment de son revenu, lorsque celle-ci a subi une atteinte grave et que des circonstances particulières le justifient (art. 12 al. 2 LAVI).
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4.
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En l'espèce, le Tribunal des assurances a admis que la recourante pouvait prétendre à une indemnité au sens des art. 11 ss LAVI. Il n'est en particulier pas discuté qu'aucune indemnité ne pourra vraisemblablement être obtenue de l'Etat égyptien.
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Une indemnité pour tort moral a été versée à la recourante. L'autorité cantonale a en revanche refusé d'indemniser cette dernière pour son dommage matériel, retenant que la part reçue en héritage, excédant le montant du dommage allégué, devait être prise en compte. Seule la question de l'imputation de la somme héritée en application de l'art. 14 al. 1 LAVI est dès lors litigieuse en l'occurrence.
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5.
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Le principe de la subsidiarité de l'intervention étatique est concrétisé à l'art. 14 al. 1 LAVI. Selon cette disposition, les prestations que la victime a reçues à titre de réparation du dommage matériel sont déduites du montant de l'indemnité. Les prestations reçues à titre de tort moral sont déduites de la même manière de la somme allouée à titre de réparation morale.
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Seules les prestations de tiers qui servent effectivement à compenser le dommage doivent être prises en considération. La notion de réparation du dommage matériel figurant à l'art. 14 al. 1 LAVI doit être comprise dans le sens du droit de la responsabilité civile. Par conséquent, les prestations de tiers qui sont fournies à un autre titre sont exclues. Les prestations que la victime aurait obtenues tôt ou tard (à une échéance convenue) ne peuvent dès lors en principe pas être considérées comme visant à compenser le dommage (ATF 126 II 237 consid. 6c/dd p. 246; 129 II 145 consid. 3.3.1 p. 153).
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5.1 En l'espèce, il n'est pas contesté qu'un héritage n'a pas pour but de compenser le dommage matériel consécutif à un décès.
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La fortune héritée par la recourante est certes intrinsèquement liée au décès de son fils. Sans cet événement, elle n'aurait jamais touché ce montant. Il ne saurait cependant être inféré de la jurisprudence qui vient d'être rappelée que, a contrario, toutes les prestations qui n'auraient pas été obtenues tôt ou tard devraient être automatiquement imputées sur le montant du dommage.
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En effet, la fonction de la somme versée est cardinale, cette dernière devant nécessairement être destinée à couvrir le dommage subi (ATF 126 II 237 consid. 6c/dd p. 247). Contrairement à ce que prétend l'OFJ, le fait que le principe de la congruence ne s'applique pas en la matière (ATF 129 II 145 consid. 3.4 p. 154 s.) ne saurait faire obstacle à l'application de ce postulat, car il s'agit de deux problématiques clairement distinctes.
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Au demeurant, le Tribunal fédéral a déjà jugé que la somme provenant d'une pure assurance de capitaux versée à la victime indirecte en vertu du droit matrimonial et du droit des successions ne devait pas être imputée (ATF 126 II 237 consid. 6d/aa p. 248).
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5.2 Au surplus, l'imputation d'un héritage sur le dommage matériel ne correspond manifestement pas à la volonté du législateur. L'art. 1 OAVI ne mentionne pas cette hypothèse, puisque les seuls tiers auxquels il est fait référence sont l'auteur de l'infraction et les assurances. Les recommandations pour l'application de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (disponibles sur www.opferhilfe-schweiz.ch) ne sont pas plus explicites.
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Le Message concernant l'initiative populaire "sur l'indemnisation des victimes d'actes de violence criminels" précise que les prestations LAVI sont destinées aux victimes qui ne disposent pas d'assurances sociales ou qui n'ont pas conclu de contrats d'assurance qui couvrent les conséquences financières d'une infraction (FF 1983 III 923). A propos du contre-projet à l'initiative, le caractère subsidiaire de l'aide financière de l'Etat a été souligné et il a été confirmé que celui-ci ne devait intervenir que si la victime ne pouvait pas obtenir réparation du dommage d'une autre manière. Les dommages-intérêts versés par le délinquant ou un tiers ainsi que les prestations d'assurances privées ou sociales étaient mentionnés à cet égard (FF 1983 III 930).
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Le Message concernant la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI) du 25 avril 1990 cite également seuls l'auteur de l'infraction et les assurances sociales ou privées (FF 1990 II 924, 941).
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5.3 L'art. 14 al. 1 LAVI n'autorise donc pas l'imputation de la part successorale sur le montant du dommage. A noter au surplus qu'en l'espèce la recourante ne réclame pas d'indemnité pour perte de soutien. On peut au demeurant encore se demander dans quelle mesure le de cujus devrait véritablement être considéré comme un tiers au sens de l'art. 14 LAVI.
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5.4 Selon l'art. 124 Cst., la Confédération et les cantons veillent à ce que les victimes d'une infraction portant atteinte à leur intégrité physique, psychique ou sexuelle bénéficient d'une aide et reçoivent une juste indemnité si elles connaissent des difficultés matérielles en raison de l'infraction. Le versement d'une indemnité est donc limité aux personnes qui connaissent une situation financière difficile (FF 1990 II 938). En l'espèce, le fait de ne pas imputer l'héritage reçu sur le dommage allégué n'est pas contraire à ce principe. Il se justifie en revanche de prendre en compte la part de l'héritage dans le calcul du revenu déterminant pour établir si la recourante peut prétendre à une indemnité (art. 12, 13 LAVI et 3c al. 1 let. c LPC). Cette solution n'est dès lors en rien choquante, contrairement à l'avis exprimé par l'OFJ.
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5.5 En déduisant l'héritage reçu et en refusant en conséquence de verser une indemnité à la recourante pour son dommage matériel, le Tribunal des assurances a dès lors violé l'art. 14 al. 1 LAVI. Les autorités cantonales devront cependant encore examiner si la recourante peut prétendre à une indemnité au regard de ses revenus déterminants. Lors de son nouvel examen, elles prendront également, le cas échéant, en considération la remarque de l'OFJ concernant les frais funéraires. Il apparaît effectivement que seuls 5'000 fr. étaient à la charge de la recourante.
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6.
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Il s'ensuit que le recours de droit administratif doit être admis et la décision attaquée annulée. Le canton de Vaud, qui succombe, est dispensé des frais judiciaires (art. 156 al. 2 OJ). Il versera en revanche une indemnité de dépens à la recourante qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 159 al. 1 OJ).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours de droit administratif est admis et la décision attaquée est annulée.
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2.
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Il est statué sans frais.
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3.
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L'Etat de Vaud versera à la recourante une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.
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4.
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Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, au Département des institutions et des relations extérieures, Service juridique et législatif, et au Tribunal des assurances du Tribunal cantonal du canton de Vaud ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice, Division principale du droit public.
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Lausanne, le 20 avril 2007
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le président: La greffière:
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