VerfassungsgeschichteVerfassungsvergleichVerfassungsrechtRechtsphilosophie
UebersichtWho-is-WhoBundesgerichtBundesverfassungsgerichtVolltextsuche...

Informationen zum Dokument  BGer 1B_17/2008  Materielle Begründung
Druckversion | Cache | Rtf-Version

Bearbeitung, zuletzt am 16.03.2020, durch: DFR-Server (automatisch)  
 
BGer 1B_17/2008 vom 26.03.2008
 
Tribunale federale
 
{T 0/2}
 
1B_17/2008
 
Arrêt du 26 mars 2008
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
MM. les Juges Féraud, Président, Aeschlimann
 
et Reeb.
 
Greffier: M. Kurz.
 
Parties
 
la société A.________,
 
la société B.________,
 
recourantes,
 
représentées par Me Alain Dubuis, avocat,
 
contre
 
C.________, représenté par Me Denis Merz, avocat,
 
D.________ et E.________, représentés par Me Bernard Geller, avocat,
 
intimés,
 
Ministère public du canton de Vaud,
 
rue de l'Université 24, 1005 Lausanne.
 
Objet
 
Procédure pénale, séquestre,
 
recours contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 10 décembre 2007.
 
Faits:
 
A.
 
Le 16 août 2006, le Juge d'instruction de l'arrondissement de La Côte a renvoyé C.________ devant le Tribunal correctionnel du même arrondissement, comme accusé d'abus de confiance, soustraction d'une chose mobilière, dommages à la propriété, escroquerie et extorsion. Il lui est en substance reproché d'avoir perçu des acomptes et autres versements de clients de son entreprise générale, et d'avoir conservé ces montants sans les reverser aux sous-traitants; il aurait aussi tenté, par d'autres moyens (soustraction de matériel, menaces diverses, augmentations de tarifs), d'obtenir des avantages indus de la part de ses clients.
 
B.
 
Par ordonnances du 17 février, 7 mars et 4 avril 2007, le Président du Tribunal d'arrondissement de La Côte a ordonné le séquestre des biens suivants:
 
- deux parcelles appartenant à A.________; un compte courant détenu par cette société auprès de la banque X.________; un compte détenu par B.________ auprès de la même banque;
 
- un deuxième compte détenu par B.________ auprès de la banque X.________;
 
- le solde d'un compte ouvert auprès de la banque Y.________.
 
Ces ordonnances sont motivées par la provenance douteuse des fonds, les besoins de l'enquête et la garantie du paiement des frais, de l'amende et d'une éventuelle créance compensatrice.
 
A la requête de B.________ et de A.________, le Président a, par ordonnance du 4 septembre 2007, annulé les séquestres. Selon l'ordonnance de renvoi, les montants conservés par l'accusé étaient de 38'400 fr., les autres aspects du litige étant soit réglés, soit d'ordre civil. Le maintien des séquestres apparaissait ainsi disproportionné. A supposer que les sociétés aient été constituées par l'accusé pour organiser son insolvabilité, c'est le droit de poursuite ou le droit civil qui devait s'appliquer. L'existence de terrains permettait, en cas de besoin, d'autres mesures conservatoires, et les montants saisis sur les comptes s'élevaient à 2000 fr. à peine.
 
Par arrêt du 10 décembre 2007, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois a admis le recours formé par les plaignants D.________ et E.________, annulé l'ordonnance du 4 septembre 2007 et maintenu les trois ordonnances de séquestre litigieuses. Le litige pénal portait sur au moins 145'670 fr., de sorte que les séquestres n'étaient pas disproportionnés. Les deux sociétés étaient dirigées par le neveu de l'accusé et détenues par ce dernier, dont les fonds avaient servi à leur constitution. Le séquestre se justifiait également dans la perspective du dédommagement des lésés et d'une créance compensatrice.
 
C.
 
Par acte du 21 janvier 2008, A.________ et B.________ forment un recours en matière pénale. Elles demandent l'annulation de l'arrêt cantonal et la confirmation de la décision présidentielle du 4 septembre 2007 annulant les séquestres, subsidiairement le renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
 
Le Tribunal d'accusation se réfère à son arrêt. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Les plaignants D.________ et E.________ concluent à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours.
 
C.________ conclut à son admission.
 
Considérant en droit:
 
1.
 
L'arrêt attaqué, qui rétablit des mesures de séquestre provisoire, est une décision rendue en matière pénale au sens de l'art. 78 al. 1 LTF. Il émane d'une autorité cantonale de dernière instance (art. 80 al. 1 LTF). Le recours est formé, dans le délai prévu à l'art. 100 al. 1 LTF, par les tiers saisis qui disposent d'un intérêt juridique (art. 81 al. 1 let. a et b LTF).
 
Selon la jurisprudence, le séquestre probatoire ou conservatoire de valeurs patrimoniales cause un dommage irréparable, dans la mesure où le détenteur se trouve privé temporairement de la libre disposition des valeurs saisies (ATF 89 I 185 consid. 4 p. 187; cf. aussi ATF 126 I 97 consid. 1b p. 101; 118 II 369 consid. 1 p. 371; 108 II 69 consid. 1 p. 71, et les arrêts cités). Le recours est par conséquent recevable sous l'angle de l'art. 93 let. a LTF (ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141).
 
2.
 
Selon les recourantes, la provenance délictueuse des biens séquestrés ne serait pas suffisamment vraisemblable. Le litige aurait un aspect civil prépondérant. Rien ne permettrait d'affirmer que les recourantes auraient été créées dans un but abusif. L'argent ayant servi à leur constitution proviendrait des comptes professionnels de C.________ et de sa société, de sorte qu'il ne saurait s'agir exclusivement des fonds versés par les plaignants. Faute d'une correspondance établie entre ces fonds et les avoirs des recourantes, il ne pourrait y avoir ni confiscation, ni créance compensatrice.
 
2.1 Dans le cas d'un recours dirigé, comme en l'espèce, contre une mesure provisionnelle, seule peut être invoquée la violation de droits fondamentaux (art. 98 LTF). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, les griefs soulevés à cet égard doivent être suffisamment motivés (ATF 133 III 393 consid. 6 p. 397). S'agissant de l'établissement des faits et de l'application du droit cantonal, le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral est limité, pratiquement, à l'arbitraire (art. 97 al. 1 LTF; même arrêt, consid. 7.1).
 
2.2 L'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue en dernière instance cantonale que si elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou si elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. Il ne suffit pas que la motivation de la décision soit insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 17; 131 I 217 consid. 2.1 p. 219, 57 consid. 2 p. 61; 129 I 173 consid. 3.1 p. 178).
 
2.3
 
Le séquestre pénal est une mesure conservatoire provisoire destinée à préserver les objets ou valeurs que le juge du fond pourrait être amené à confisquer ou qui pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice. En l'espèce, l'arrêt cantonal est fondé sur l'art. 223 CPP/VD, disposition selon laquelle le juge a le droit de séquestrer tout ce qui peut avoir servi ou avoir été destiné à commettre l'infraction, tout ce qui paraît en avoir été le produit ainsi que tout ce qui peut concourir à la manifestation de la vérité. En l'occurrence, il s'agit de la saisie conservatoire du produit présumé de l'infraction (producta sceleris). Comme cela ressort du texte de l'art. 223 CPP/VD, une telle mesure est fondée sur la vraisemblance; elle porte sur des objets dont on peut admettre, prima facie, qu'ils pourront être confisqués en application du droit pénal fédéral (cf. Piquerez, Commentaire du Code de procédure pénale jurassien p. 555; voir aussi SJ 1990 p. 443). Une simple probabilité suffit car, à l'instar de toute mesure provisionnelle, la saisie se rapporte à des prétentions encore incertaines; en outre, le juge doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire, ce qui exclut qu'il résolve des questions juridiques complexes ou qu'il attende d'être renseigné de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 99; 103 Ia 8 consid. III/1c p. 13; 101 Ia 325 consid. 2c p. 327). Le séquestre pénal se justifie aussi longtemps que subsiste une probabilité de confiscation (SJ 1994 p. 90 et 102).
 
2.4 En l'occurrence, les recourantes ne contestent pas que le montant des sommes détournées s'élève à quelque 145'000 fr., et non à 38'400 fr. comme l'a estimé le Président. Il n'est pas contesté non plus que les deux sociétés ont été créées par l'accusé au moyen de ses propres fonds. Il n'est donc nullement arbitraire de retenir qu'il existe une unité économique entre les sociétés et leur actionnaire unique, lequel dispose d'un large pouvoir de gestion sur les sociétés recourantes et peut librement disposer des biens et valeurs saisis. Cela permet d'envisager une application des art. 70 ou 71 CP, et de considérer que les biens séquestrés appartiennent effectivement "à la personne concernée" au sens de l'art. 71 al. 3 CP. Les recourantes n'exposent pas en quoi les aspects civils du litige empêcheraient le prononcé de mesures provisoires. L'arrêt attaqué n'a par conséquent rien d'arbitraire.
 
3.
 
Le recours doit par conséquent être rejeté, aux frais de ses auteurs (art. 66 al. 1 LTF). Conformément à l'art. 68 al. 1 LTF, une indemnité de dépens est allouée aux intimés D.________ et E.________, à la charge solidaire des recourantes.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Le recours est rejeté.
 
2.
 
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge des recourantes.
 
3.
 
Une indemnité de dépens de 1500 fr. est allouée aux intimés D.________ et E.________, à la charge solidaire des recourantes.
 
4.
 
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Ministère public et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
 
Lausanne, le 26 mars 2008
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président: Le Greffier:
 
Féraud Kurz
 
© 1994-2020 Das Fallrecht (DFR).