BGer 8C_363/2010 | |||
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BGer 8C_363/2010 vom 29.03.2011 | |
Bundesgericht
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Tribunal fédéral
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Tribunale federale
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{T 0/2}
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8C_363/2010
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Arrêt du 29 mars 2011
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Ire Cour de droit social
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Composition
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MM. les Juges Ursprung, Président, Frésard et Maillard.
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Greffière: Mme von Zwehl.
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Participants à la procédure | |
Helsana Assurances SA, Droit des assurances Romandie, avenue de Provence 15, 1001 Lausanne,
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recourante,
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contre
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T.________,
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représentée par Me Philippe Currat, avocat,
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intimée.
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Objet
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Assurance-accidents (participation à une rixe, provocation),
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recours contre le jugement du Tribunal cantonal genevois des assurances sociales du 9 mars 2010.
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Faits:
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A.
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T.________, née en 1966, travaillait depuis le 1er juin 2003 en tant qu'assistante de bureau à un taux d'activité de 80 % pour la société X.________ SA, dont l'administrateur président était son père, A.________, né en 1935. A ce titre, la prénommée était assurée contre le risque d'accidents professionnels et non professionnels auprès de La Suisse Assurances (ci-après : La Suisse), dont le portefeuille a été repris par Helsana Assurances SA (ci-après : Helsana).
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Le 14 août 2004, en début de soirée, T.________, accompagnée de ses deux enfants, est entrée dans la villa de ses parents, tandis que son mari l'attendait à l'extérieur. Elle souhaitait notamment obtenir de son père une augmentation de son temps de travail ainsi qu'un complément de salaire de 2'000 fr. Une dispute a éclaté entre la fille et le père dans le hall à ce sujet. A un certain moment, A.________ est monté à l'étage dans sa chambre pour couper court à la discussion. Sa fille l'a suivi. Lorsqu'elle est entrée dans la chambre où son père s'était retiré, celui-ci tenait à la main un revolver. T.________ a alors reculé et s'est rendue dans une chambre attenante. Alors qu'elle tentait de s'échapper par les escaliers, son père a tiré dans sa direction à cinq reprises. Celui-ci a encore appuyé à deux reprises sur la détente de l'arme en direction de l'époux de T.________, qui était arrivé à son secours, mais aucun coup de feu n'est parti, le chargeur étant vide. La prénommée est devenue paraplégique à la suite de ses blessures. Une procédure pénale a été ouverte contre A.________.
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Par décision du 29 octobre 2004, La Suisse a informé T.________ qu'elle réduirait de 80 % ses prestations en espèces (indemnité journalière, rente, indemnité pour atteinte à l'intégrité et allocation pour impotent) en application de l'art. 49 al. 2 OLAA. Cette réduction était motivée par le fait que l'assurée s'était exposée à un grave danger en s'engageant dans une violente dispute avec son père et en le menaçant, ce qui avait conduit celui-ci à se servir de son arme contre elle. Saisie d'une opposition, La Suisse a suspendu l'instruction de la procédure jusqu'à droit connu au pénal (lettre du 12 janvier 2005).
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Par décision du 13 septembre 2006, Helsana a reconnu à T.________ le droit à une rente d'invalidité complémentaire de 100 % et à une allocation pour impotent de degré faible dès le 1er avril 2006, ainsi qu'à une indemnité pour atteinte à l'intégrité d'un taux de 90 %. Toutes ces prestations étaient réduites de 80 % compte tenu de la décision du 29 octobre 2004. L'assurée a formé opposition contre cette décision.
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Par arrêt du 20 juin 2008, la Cour d'assises du canton de Genève a reconnu A.________ coupable de tentative de meurtre (pour les coups de feu tirés sur sa fille) et de crime impossible de meurtre (pour avoir tiré sur son gendre alors que l'arme n'était plus chargée) et l'a condamné à une peine privative de liberté de trois ans, dont six mois sans sursis. La Cour a retenu une responsabilité restreinte du père à la suite des conclusions d'une expertise médicale.
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Le 10 novembre 2008, Helsana a rendu une décision sur opposition, par laquelle elle a accordé à l'assurée une allocation pour impotent de degré moyen et fixé la réduction des prestations en espèces à 50 %. Elle n'a pas alloué de dépens et confirmé pour le surplus les décisions des 29 octobre 2004 et 13 septembre 2006.
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B.
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L'assurée a recouru contre la décision sur opposition du 10 novembre 2008 de Helsana devant le Tribunal cantonal genevois des assurances sociales (aujourd'hui : Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales).
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Par jugement du 9 mars 2010, le tribunal cantonal a admis le recours et annulé les décisions des 29 octobre 2004 et 10 novembre 2008. Il a constaté que l'assurée a droit à des prestations en espèces non réduites dès le 15 août 2004 avec intérêts à 5 % dès le 15 août 2006, et renvoyé la cause à l'intimée pour calcul des prestations dues et instruction complémentaire au sens des considérants.
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Entre-temps, la Cour d'assises du canton de Genève a statué sur les conclusions civiles. Par arrêt du 30 avril 2009, elle a condamné A.________ à payer notamment une indemnité pour tort moral réduite de 20 %, considérant que la victime avait commis une faute concomitante en s'obstinant à vouloir imposer à son père une discussion à laquelle il voulait échapper. Saisie d'un recours, la Cour de cassation genevoise a supprimé cette réduction (arrêt du 4 décembre 2009). A.________ a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre cet arrêt.
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C.
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Helsana interjette un recours en matière de droit public contre le jugement cantonal du 9 mars 2010, dont elle requiert l'annulation.
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T.________ conclut au rejet du recours. L'Office fédéral de la santé publique a renoncé à se déterminer.
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Considérant en droit:
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1.
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1.1 En l'espèce, le tribunal cantonal a statué sur deux rapports juridiques distincts, à savoir, d'une part, sur la réduction des prestations en espèces dues à l'assurée et, d'autre part, sur le droit de celle-ci à prétendre des dépens en procédure d'opposition. Helsana conteste les deux points dans son recours. Bien que le dispositif du jugement attaqué lui renvoie la cause sur l'un et l'autre de ces objets (voir chiffre 4), il y a lieu de distinguer le renvoi qui porte sur le calcul du droit aux prestations de celui qui concerne le droit aux dépens.
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1.2 Sur la question principale de l'étendue du droit aux prestations, le renvoi a pour seul but la mise en oeuvre de ce qui a été décidé par l'autorité cantonale. Il incombe à la recourante de calculer les prestations déjà reconnues sans réduction. L'arrêt cantonal doit donc être considéré sur ce point comme un jugement final au sens de l'art. 90 LTF, même s'il renvoie la cause à l'administration. Il doit, en revanche, être qualifié de décision incidente selon l'art. 93 al. 1 LTF sur la question accessoire des dépens puisque le tribunal cantonal ordonne à Helsana de procéder à une instruction complémentaire sur les conditions mises à l'allocation exceptionnelle de dépens dans le cadre de la procédure d'opposition (cf. art. 52 al. 3 LPGA; ATF 130 V 570). Un recours contre une décision incidente n'est recevable que si celle-ci peut causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). Comme l'assureur-accident dispose cependant encore d'une latitude de décision quant à la solution à apporter sur le droit de l'assurée aux dépens, il y a lieu de nier l'existence d'un préjudice irréparable. Helsana ne fait d'ailleurs valoir aucun argument dans le sens contraire.
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1.3 Il s'ensuit que le recours est recevable uniquement sur le bien-fondé de la réduction des prestations en espèces selon l'art. 49 al. 2 let. a et/ou let. b OLAA.
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2.
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Dans la procédure de recours concernant une prestation en espèces de l'assurance-accidents, le Tribunal fédéral n'est pas lié par l'état de fait constaté par la juridiction précédente (cf. art. 97 al. 2 et 105 al. 3 LTF).
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3.
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3.1 Selon l'art. 49 al. 2 OLAA, édicté par le Conseil fédéral en vertu de la délégation de compétence de l'art. 39 LAA, les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d'accident non professionnel survenu - notamment - lors d'une participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l'assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu'il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu'il venait en aide à une personne sans défense (let. a), ou encore lors de dangers auxquels l'assuré s'expose en provoquant gravement autrui (let. b).
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3.2 Les premiers juges ont correctement exposé la jurisprudence relative à ces notions, de sorte qu'on peut renvoyer à leurs considérants. On rappellera qu'il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l'attitude de l'assuré - qui doit être qualifié de participation à une rixe ou à une bagarre - n'apparaît pas comme une cause essentielle de l'accident ou si la provocation n'est pas de nature, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à entraîner la réaction de violence, l'assureur-accidents n'est pas autorisé à réduire ses prestations d'assurance. Une telle réduction ne se justifie que si la personne assurée a reconnu ou devait reconnaître le risque de s'exposer à un danger (voir notamment JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L'assurance-accidents obligatoire in : Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 2ème éd., 2007, no 319 et ss, et les références).
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4.
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L'autorité cantonale a nié aussi bien la participation à un rixe ou une bagarre, que la grave provocation. En substance, elle a jugé que rien dans l'attitude de T.________ envers son père le 14 août 2004 - ni la dispute verbale qu'elle avait engagée avec lui dans le hall de la maison, ni ses demandes régulières d'un soutien financier plus important, ni même l'insistance dont elle avait fait preuve en le poursuivant dans sa chambre pour obtenir une discussion avec lui - n'était propre, objectivement, à provoquer l'acte de violence commis contre elle. L'autorité cantonale a relevé en particulier qu'il n'y avait eu ni menace ni échange de coups de part et d'autre au cours de la dispute et que A.________ ne s'était jamais montré violent auparavant.
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5.
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Pour la recourante, l'altercation du 14 août 2004, considérée dans son ensemble, recelait le risque de déboucher sur des actes de violence. Le drame s'était déroulé dans un contexte d'agressivité qui sortait de l'ordinaire et qui avait brutalement dégénéré. C'était l'aboutissement d'un litige sans fin qui opposait le père à sa fille au sujet du soutien financier qu'elle réclamait depuis des années et qu'il ne voulait pas ou ne pouvait pas satisfaire au-delà de certaines limites. Par ailleurs, la Cour d'assises avait admis une faute concomitante de l'assurée, au motif que celle-ci s'était mise en danger en poursuivant son père jusque dans sa chambre.
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L'intimée, de son côté, réfute cette argumentation et se réfère à l'arrêt 4A_66/2010 rendu le 27 mai 2010 par le Tribunal fédéral, qui rejette le recours de son père contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genève (litige qui portait sur la réduction de l'indemnité pour tort moral en raison d'une faute concomitante).
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6.
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En l'occurrence, la seule question qui se pose - comme l'a vu l'autorité cantonale - est de savoir si le comportement de l'assurée envers son père le 14 août 2004 peut être considéré comme une cause essentielle, respectivement adéquate, des blessures par tirs de révolver dont elle a été victime de la part de celui-ci.
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Sur une éventuelle faute concomitante de T.________, la Ire Cour de droit civil du Tribunal fédéral a émis les considérations suivantes :
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«En l'espèce, [T.________], en entrant obstinément dans la chambre de son père pour une discussion que celui-ci souhaitait éviter, pouvait s'attendre, surtout qu'il ne s'était jamais montré physiquement violent par le passé, à ce qu'il soit fâché, à ce qu'il se dérobe à toute discussion, reste muet ou même la mette à la porte. On ne pouvait en revanche pas du tout s'attendre, face à une intrusion assez banale dans les querelles familiales, à ce que son père la reçoive un révolver à la main, puis la poursuive et tire sur elle en acceptant l'éventualité de la tuer, alors même qu'elle essayait alors de s'enfuir. La réaction du père est tellement extraordinaire, inattendue et disproportionnée qu'elle relègue à l'arrière-plan le rôle causal joué par l'obstination de la fille et apparaît comme la seule cause des terribles lésions subies par celle-ci. Lorsqu'un membre d'une famille entre dans la chambre d'un autre en insistant pour avoir une discussion orageuse, on ne peut pas s'attendre, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à ce que l'autre réagisse en lui logeant des balles dans la peau. Dans une telle situation, le comportement reproché à la victime n'est pas dans une relation adéquate avec le résultat qui est survenu. Sous l'angle de l'adéquation, le comportement extraordinaire du recourant a rompu le rapport naturel d'enchaînement des faits entre l'attitude reprochée à l'intimée et le résultat survenu. La cour cantonale n'a donc pas violé le droit fédéral en concluant qu'il n'y avait pas de rapport de causalité adéquate, ce qui exclut une réduction de l'indemnité pour cause de faute concomitante.» (arrêt 4A_66/2010 du 27 mai 2010, consid. 2.3.2).
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Ces considérations sont valables mutatis mutandis s'agissant de la réduction des prestations en espèce en application de l'art. 49 al. 2 OLAA. La thèse de l'intimée n'est pas soutenable au regard des faits établis par les juges précédents. Le recours est mal fondé.
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7.
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La recourante, qui succombe, supportera les frais de justice (art. 66 al. 1 LTF). L'intimée a droit à des dépens à charge de l'assureur-accidents (art. 68 al. 1 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Dans la mesure où il est recevable, le recours est rejeté.
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2.
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Les frais de justice, arrêtés à 750 fr., sont mis à la charge de la recourante.
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3.
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La recourante versera à l'intimée la somme de 2'800 fr. à titre de dépens pour la dernière instance.
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4.
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Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique.
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Lucerne, le 29 mars 2011
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Au nom de la Ire Cour de droit social
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président: La Greffière:
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Ursprung von Zwehl
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