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Informationen zum Dokument  BGer 4A_474/2012  Materielle Begründung
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BGer 4A_474/2012 vom 08.02.2013
 
Bundesgericht
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
{T 1/2}
 
4A_474/2012, 4A_478/2012, 4A_584/2012
 
Arrêt du 8 février 2013
 
Ire Cour de droit civil
 
Composition
 
Mmes et M. les Juges fédéraux Klett, Présidente,
 
Kolly et Kiss.
 
Greffière: Mme Monti.
 
 
Participants à la procédure
 
4A_474/2012
 
PNEUS ONLINE HOLDING SARL,
 
représentée par Me Alexander Troller et Me Thomas Widmer, avocats,
 
recourante,
 
contre
 
Delticom AG,
 
représentée par Me Grégoire Mangeat, avocat,
 
intimée;
 
4A_478/2012
 
Delticom AG,
 
représentée par Me Grégoire Mangeat, avocat,
 
recourante,
 
contre
 
PNEUS ONLINE HOLDING SARL,
 
représentée par Me Alexander Troller et Me Thomas Widmer, avocats,
 
intimée;
 
4A_584/2012
 
PNEUS ONLINE HOLDING SARL,
 
représentée par Me Alexander Troller et Me Thomas Widmer, avocats,
 
recourante,
 
contre
 
Delticom AG,
 
représentée par Me Grégoire Mangeat, avocat,
 
intimée.
 
Objet
 
concurrence déloyale; action en remise du gain,
 
recours en matière civile contre les arrêts rendus
 
les 22 juin et 17 août 2012 par la Chambre civile
 
de la Cour de justice du canton de Genève.
 
Faits:
 
A.
 
A.a La société PNEUS ONLINE HOLDING SARL, sise dans le canton de Genève, est titulaire depuis le 10 mai 2001 du nom de domaine www.pneus-online.com, qu'elle utilise pour vendre des pneus via Internet dans de nombreux pays européens, dont la Suisse. Elle est en outre titulaire d'une marque internationale qui combine les termes "PNEUS-ONLINE.COM" avec un élément figuratif représentant un pneu et la trace de son roulement, en forme de virage.
 
Le 15 juin 2001, l'une de ses concurrentes directes, la société anonyme Delticom AG, sise en Allemagne, a fait enregistrer le nom de domaine www.pneuonline.com.
 
En octobre 2001, la société suisse a approché l'entreprise allemande pour discuter d'une éventuelle collaboration. La première a informé la seconde qu'elle s'apprêtait à commercialiser des pneus sur les marchés suisse et français via le site www.pneus-online.com. Les négociations n'ont pas abouti.
 
Entre mai et août 2002, la société allemande a successivement fait enregistrer six noms de domaine. Quatre sont dotés de l'indication géographique "_.ch" et deux de l'indication "_.com":
 
- www.pneusonline.ch - www.pneusonline.com
 
- www.pneus-online.ch - www.pneu-online.com
 
- www.pneuonline.ch
 
- www.pneu-online.ch.
 
Les tribunaux français ont interdit à la société allemande d'utiliser les trois noms de domaine précités dotés du suffixe "_.com", par décision du 16 décembre 2005, confirmée en dernier lieu le 9 mars 2010.
 
La société allemande a encore fait enregistrer une centaine d'autres noms de domaine se terminant par l'indication géographique "_.ch" et se rapportant tous, directement ou indirectement, aux pneumatiques et à d'autres accessoires pour véhicules.
 
A.b Entre 2004 et 2010, la société allemande a utilisé deux adresses Internet pour vendre ses produits en Suisse:
 
- www.reifendirekt.ch pour les internautes germanophones, et
 
- www.pneusonline.ch (jusqu'en mai 2008), puis www.pneus-online.ch pour les internautes francophones. La page du site francophone comportait cependant l'intitulé "reifendirekt.ch".
 
Seul le site www.reifendirekt.ch offrait la possibilité de commander en ligne les produits de la société allemande. Tous les autres sites qu'elle exploitait renvoyaient, directement ou par l'intermédiaire d'un lien, vers ce site principal au moment de la commande. L'intéressé y recevait toutes informations utiles sur les prix, conditions générales de vente, modalités de livraison, etc. Les commandes enregistrées via le site pneusonline.ch, puis pneus-online.ch ont généré un chiffre d'affaires de 32'436'722 EUR pour la période du 1er janvier 2004 au 27 juillet 2010. Le bénéfice, converti en francs suisses, était de 4'483'708 francs.
 
A.c Le 11 novembre 2008, la société suisse a ouvert action en cessation de trouble devant la Cour de justice du canton de Genève. Cette autorité, par arrêt du 12 février 2010, a interdit à la société allemande d'utiliser, en relation directe ou indirecte avec la vente de pneumatiques, les quatre noms de domaine www.pneu-online.ch, www.pneus-online.ch, www. pneuonline.ch et www. pneusonline.ch. L'interdiction était assortie de la menace de peine prévue à l'art. 292 CP.
 
En substance, la cour cantonale rappelait que les règles sur la concurrence déloyale permettent à certaines conditions d'interdire l'usage d'un signe appartenant au domaine public, lorsqu'il est devenu un signe distinctif individuel par un long usage ou que son utilisation crée un risque de confusion impossible à prévenir par une indication additionnelle ou une autre mesure. En l'occurrence, les noms de domaine enregistrés par la société allemande se confondaient très facilement avec ceux de la société suisse. En commençant à utiliser sciemment, pour ses ventes en Suisse, des noms de domaine multiples et très similaires à ceux de la société suisse, la société allemande avait non seulement induit le public en erreur par la création d'un danger de confusion, mais avait de surcroît mis délibérément ce danger en place pour exploiter de manière parasitaire la réputation déjà acquise par sa concurrente sur le marché helvétique. En persistant à entretenir une confusion qu'elle pouvait facilement éviter, la société allemande parasitait le résultat du travail de la société suisse, ce qui constituait un comportement déloyal au sens des art. 2 et 3 let. d LCD.
 
La cour de céans a confirmé cette décision par arrêt du 19 juillet 2010. Il y est notamment constaté que les termes "Pneus" et "Online" sont de nature descriptive, et qu'il n'est pas contraire au droit fédéral de dénier tout caractère distinctif à ces mots figurant dans la marque combinée enregistrée par la société suisse; en conséquence, celle-ci ne peut se prévaloir de sa marque pour s'opposer à l'utilisation des quatre noms de domaine litigieux. Certes, la législation sur la concurrence déloyale ne saurait empêcher d'utiliser une désignation appartenant au domaine public. Il n'en demeure pas moins que des circonstances particulières peuvent faire apparaître une imitation comme déloyale, en particulier lorsque l'utilisateur induit en erreur de façon évitable quant à la provenance du produit imité, ou lorsqu'il exploite de façon parasite le renom des produits d'un concurrent. En l'espèce, il est conforme au droit fédéral d'imputer à la société allemande un comportement déloyal tombant sous le coup des art. 2 et art. 3 let. d LCD. La société allemande tente vainement de contester son intention parasitaire. L'arbitraire n'ayant pas été démontré, il est acquis que ladite société a utilisé sciemment des noms de domaine très similaires à la partie adverse et a ainsi créé délibérément un risque de confusion pour exploiter de manière parasitaire la réputation acquise par sa rivale (arrêt 4A_168/2010).
 
Dans la foulée de cet arrêt, la société allemande a cessé l'exploitation des quatre noms de domaine litigieux le 27 juillet 2010.
 
B.
 
Le 22 octobre 2010, la société suisse (ci-après: la demanderesse) a saisi la Cour de justice d'une action en paiement à l'encontre de la société allemande (ci-après: la défenderesse). Les conclusions tendaient au paiement de 1 million de francs suisses à titre de remise du gain illicitement réalisé grâce à l'utilisation des quatre noms de domaine visés par la précédente procédure (supra let. A.c). La demanderesse a par la suite augmenté ses conclusions à 5,5 millions de francs.
 
La Cour de justice a statué par arrêt du 22 juin 2012. Elle a relevé au préalable qu'elle était compétente pour statuer en instance cantonale unique, tant au regard du nouveau droit (art. 5 al. 1 let. d CPC) qu'au regard des anciens art. 12 al. 2 et art. 13 LCD et de l'ancienne procédure genevoise, qui demeurait applicable en l'occurrence (art. 404 al. 1 CPC).
 
Examinant les conditions de l'action en remise de gain de l'art. 9 al. 3 LCD, la cour cantonale a considéré que le comportement jugé déloyal dans la précédente procédure représentait une gestion d'affaires imparfaite ou intéressée, au sens de l'art. 423 CO. Le gérant était de mauvaise foi. Etait seul sujet à restitution le gain réalisé grâce aux clients qui avaient été induits à contracter avec la défenderesse sous l'effet d'une confusion avec les sites de la demanderesse. Tel était en substance le cas des clients qui avaient "choisi" l'un ou l'autre des noms de domaine litigieux pour accéder au site de vente destiné aux francophones. Etait concernée au total 7,5 % de la clientèle. Pour le surplus, la défenderesse n'avait pas apporté la preuve des frais généraux déductibles du gain brut qui, exprimé en francs suisses, s'élevait à 4'483'708 francs.
 
La défenderesse avait droit à 7,5 % de ce bénéfice, soit 336'278 francs suisses. En conséquence, la défenderesse a été condamnée à lui verser ce montant.
 
C.
 
C.a Les deux parties ont déposé un recours en matière civile au Tribunal fédéral.
 
La demanderesse PNEUS ONLINE HOLDING SARL a conclu à l'allocation de l'entier du gain réalisé avec le site litigieux utilisé pour la vente aux francophones, soit 4'483'708 fr. (recours enregistré sous n° 4A_474/2012).
 
La défenderesse Delticom AG a conclu au rejet de l'action et au renvoi de la cause à la Cour de justice pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale (recours enregistré sous n° 4A_478/2012).
 
Chaque recourante a conclu au rejet des conclusions prises par la partie adverse.
 
C.b Parallèlement, la défenderesse a déposé une demande de rectification auprès de la Cour de justice.
 
La cour cantonale a constaté une erreur de calcul manifeste dans le calcul du pourcentage de clients induits en erreur, en ce sens que 4 % de 25,6 % ajouté à 4 % de 67,31 % équivaut à 4 % de 92,91 %, soit en définitive 3,716 %, et non 7,5 % comme constaté indûment dans l'arrêt du 22 juin 2012.
 
En conséquence, la cour a rendu un arrêt rectificatif du 17 août 2012, en vertu duquel la défenderesse est condamnée à verser la somme totale de 166'614 fr. 60 (3,716 % de 4'483'708 fr.) à la demanderesse.
 
C.c Contre cette décision rectificative, la demanderesse a déposé un nouveau recours en matière civile, dans lequel elle réitère ses conclusions en paiement de 4'483'708 fr. (recours enregistré sous n° 4A_584/2012). Elle précise ne pas vouloir contester en soi la rectification, qui n'a aucune incidence sur le raisonnement tenu dans son premier recours, dont elle maintient l'intégralité des griefs; elle justifie le dépôt du second recours par les incertitudes planant au sein de la doctrine quant à la nécessité d'attaquer la décision rectifiée, lorsque l'objet de la rectification n'est pas litigieux en tant que tel.
 
La défenderesse conclut au rejet de ce recours.
 
Les écritures déposées par les deux parties sont identiques à celles déposées dans la première procédure 4A_474/2012. Les parties le reconnaissent du reste expressément.
 
Considérant en droit:
 
1.
 
Vu la connexité évidente des recours, il se justifie de joindre les procédures. Plutôt que de traiter successivement chaque recours, les griefs de l'une et l'autre partie seront examinés dans l'ordre logique qu'ils impliquent.
 
2.
 
La demanderesse a interjeté un nouveau recours contre l'arrêt rectificatif, en reformulant l'intégralité des griefs soulevés dans son premier recours visant la décision du 22 juin 2012. Elle précise agir par précaution.
 
Selon la jurisprudence publiée antérieure à l'unification de la procédure civile, l'arrêt rectificatif fait courir un nouveau délai de recours, mais uniquement pour les points concernés par la rectification, à l'exclusion des moyens que les parties auraient pu et dû invoquer à l'encontre du premier arrêt (cf. ATF 131 III 164 consid. 1.2.3 et 137 III 86 consid. 1.2 p. 87; 119 II 482 consid. 3; 117 II 508 consid. 1a). Des commentateurs du CPC confirment ce principe (PHILIPPE SCHWEIZER, in CPC, Code de procédure civile commenté, 2011, n° 24 ad art. 334 CPC; NICOLAS HERZOG, in Basler Kommentar, 2010, n° 17 ad art. 334 CPC), à juste titre. Le fait que l'art. 334 al. 4 CPC prévoie une notification de la décision rectifiée, et partant, une nouvelle possibilité de recours contre celle-ci, n'est nullement de nature à remettre en cause la jurisprudence précitée, réputée exprimer un principe de procédure (cf. ATF 69 IV 54 consid. 1 i.f. p. 57 s.; contra DUCROT/FUX, Nouvelles législations relatives à l'organisation judiciaire et à la procédure civile [...], RVJ 2011 p. 120 s.). De l'avis d'un auteur, le recours déjà pendant dirigé contre le premier jugement entaché d'erreur n'est pas systématiquement privé d'objet par le nouvel arrêt rectificatif. Lorsque la rectification concerne un point du jugement qui n'est pas visé par le recours, respectivement ne revêt aucune incidence sur le recours, celui-ci doit logiquement continuer à déployer ses effets (MARTIN H. STERCHI, in Berner Kommentar, 2012, n° 14 ad art. 334 CPC). Ce point de vue est en harmonie avec le principe selon lequel l'arrêt rectificatif rétroagit, de sorte que le jugement rectifié est d'emblée valable (ATF 69 IV 54 consid. 1 p. 57 i.f.). Prima facie, il n'apparaît techniquement pas nécessaire de "valider" le premier recours visant une décision erronée par le dépôt d'un second recours déposé après la sentence rectifiant l'erreur.
 
Quoi qu'il en soit, il est vain de discuter plus avant la recevabilité du second recours de la demanderesse, respectivement la portée de l'écriture déposée sous cet intitulé. En effet, les parties ont en tout point confirmé les opinions exprimées dans la première procédure initiée par le recours enregistré sous n° 4A_474/2012, lequel est recevable sur le principe, tout comme le recours formé par la défenderesse.
 
L'on se contentera de relever que dans cette affaire de concurrence déloyale, la Cour de justice a statué en instance cantonale unique, tant au regard de l'ancien droit (cf. arrêt du 22 juin 2012, p. 12) que du nouveau (art. 5 al. 1 let. d CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ/GE - RSG E 2 05). Sa décision peut donc directement être déférée au Tribunal fédéral (cf. art. 75 al. 2 let. a LTF).
 
3.
 
Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), hormis les droits fondamentaux. Pour ceux-ci - notamment la prohibition de l'arbitraire consacrée à l'art. 9 Cst. - prévaut le principe de l'allégation, en ce sens que le recourant doit expressément soulever le grief et exposer de manière claire et circonstanciée, si possible documentée, en quoi consiste la violation du droit ou principe invoqué (art. 106 al. 2 LTF; ATF 134 II 244 consid. 2.2; 133 II 249 consid. 1.4.2). Des critiques de type purement appellatoire ne sont pas admissibles. Le grief doit être développé dans le recours même, un renvoi à d'autres écritures ou à des pièces n'étant pas admissible (ATF 133 II 396 consid. 3.1).
 
Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'écarter des constatations de l'autorité cantonale que si elles ont été établies de façon manifestement inexacte - c'est-à-dire arbitraire (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).
 
L'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération, ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral n'annulera la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou qu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 137 I 1 consid. 2.4).
 
4.
 
La demanderesse intente une action en remise de gain. Il convient d'en préciser les conditions théoriques.
 
4.1 Selon l'art. 9 LCD, la personne qui, par un acte de concurrence déloyale, est atteinte ou menacée d'être atteinte dans sa clientèle, sa réputation, ses affaires ou ses intérêts économiques (al. 1) peut exiger du juge diverses mesures, dont "la remise du gain selon les dispositions sur la gestion d'affaires" (al. 3). Est plus exactement visée la gestion d'affaires dite imparfaite ou intéressée, au sens de l'art. 423 CO (cf. Message du 18 mai 1983 à l'appui d'une loi fédérale contre la concurrence déloyale, FF 1983 II 1110; PHILIPPE SPITZ, Haftung für Wettbewerbshandlungen [ci-après Haftung], in Aktuelle Entwicklungen im Haftungsrecht, [Peter Jung éd.] 2007, p. 247 n. 83; CARL BAUDENBACHER, Lauterkeitsrecht, 2001, n° 256 ad art. 9 LCD; cf. aussi arrêt 4C.101/2003 du 17 juillet 2003 consid. 6.2, in sic! 2004 p. 90, en matière de droit d'auteur).
 
L'art. 423 CO vise l'ingérence inadmissible dans les affaires d'autrui et en règle les conséquences. Le gérant a la volonté de traiter l'affaire d'autrui comme la sienne propre et de s'en approprier les profits. Il agit de manière illicite en commettant un acte d'usurpation (Geschäftsanmassung; arrêt précité 4C.101/2003 consid. 6.2; ATF 126 III 69 consid. 2a; 97 II 169 consid. 3a spéc. p. 176; JÖRG SCHMID, Zürcher Kommentar [ci-après: ZüKo], 3e éd. 1993, n° 14 ad art. 423 CO; ANNE HÉRITIER LACHAT, in Commentaire romand, 2e éd. 2012, n° 3 ad art. 423 CO).
 
Il n'est pas aisé de délimiter les contours de la notion d'usurpation de l'affaire d'autrui liée à l'art. 423 CO. La difficulté est encore accrue en cas de renvoi tel que celui prévu notamment à l'art. 9 al. 3 LCD, art. 28a al. 3 CC ou art. 55 al. 2 LPM (RS 232.11); il faut alors se demander jusqu'à quel point l'acte prohibé par la législation spéciale doit répondre à la notion d'appropriation de l'affaire d'autrui au sens de l'art. 423 CO. En matière de protection de la personnalité, il a été jugé qu'une atteinte par articles de presse pouvait donner lieu à une action en remise de gain, nonobstant le fait que la victime n'aurait évidemment pas entrepris une campagne de presse contre elle-même (cf. ATF 133 III 153 consid. 2.4 p. 158 s.). Des questions du même ordre se posent en matière de concurrence déloyale (SPITZ, Haftung, p. 247, en particulier note infrapaginale 155; même auteur, in Bundesgesetz gegen den unlauteren Wettbewerb [ci-après: UWG], 2010, n° 187 ss ad art. 9 LCD).
 
Comme exemples d'acte susceptible de fonder une action en remise de gain, la doctrine cite en premier lieu l'exploitation d'une prestation d'autrui (art. 5 LCD) et la violation du secret de fabrication ou du secret d'affaires (art. 6 LCD) (SPITZ, Haftung, p. 248; BAUDENBACHER, op. cit., n° 257 ad art. 9 LCD; dans ce sens aussi Message précité, FF 1983 II 1110). Sont aussi mentionnés les cas d'imitation (SPITZ, ibidem), l'usurpation de nom (BAUDENBACHER, ibidem), la violation du droit au signe distinctif (DAVID/JACOBS, Schweizerisches Wettbewerbsrecht, 5e éd. 2012, p. 172 n. 521), ou les méthodes de vente ou de publicité propres à faire naître une confusion au sens de l'art. 3 let. d LCD (LUCAS DAVID, Reformauswirkungen des neuen UWG aus der Sicht der Praxis, in Das UWG auf neuer Grundlage, 1989, p. 108; BAUDENBACHER, ibidem; SCHMID, Die Geschäftsführung ohne Auftrag, 1992 [cité ci-après GoA], p. 347 s. n. 1087, où l'auteur relève de possibles problèmes, et ZüKo, n° 62 ad art. 423 CO). Les avis sont nuancés en cas d'incitation à rompre un contrat (art. 4 let. a LCD). Un auteur estime qu'il n'y a pas d'usurpation de l'affaire d'autrui, mais gestion de sa propre affaire (BAUDENBACHER, ibidem). Un autre auteur admet qu'il peut y avoir usurpation lorsque l'auteur déloyal, en détournant le client, retire des avantages qui auraient contractuellement dû revenir à la victime (SCHMID, ZüKo, n° 63 ad art. 423 CO). Dans certains cas, il n'y a pas à proprement parler gestion de l'affaire du lésé, mais atteinte à ses affaires (SPITZ, UWG, n° 189 ad art. 9 LCD).
 
4.2 L'art. 423 CO soumet à restitution les profits qui "résultent" de la gestion intéressée. Le maître doit ainsi rapporter la preuve d'un lien de causalité entre l'usurpation de l'affaire d'autrui et les profits nets réalisés. S'agissant du degré de preuve requis, la vraisemblance prépondérante suffit (cf. ATF 133 III 153 consid. 3.3; 133 III 81 consid. 4.2.2). L'exigence d'un rapport de causalité permet d'éviter qu'une définition large de la gestion d'affaires conduise à des résultats choquants (cf. CHRISTINE CHAPPUIS, La restitution des profits illégitimes, 1991, p. 12 s.).
 
Des questions délicates peuvent se poser lorsque les profits sont imputables non pas exclusivement à l'ingérence illicite, mais à un concours de causes ("Kombinationseingriff") incluant des éléments tels que le marketing adroit du gérant, un bon réseau de distribution, la qualité des services offerts, les prix avantageux pratiqués, l'utilisation licite de la marque du gérant, son savoir-faire, etc. Selon une opinion majoritaire, seule la part de gain imputable à la gestion d'affaires non autorisée est sujette à restitution (cf. ATF 35 II 643 consid. 11 i.f. p. 660; RETO M. JENNY, Die Eingriffskondiktion bei Immaterialgüterrechtsverletzungen, 2005, p. 156-157 et les auteurs cités en note infrapaginale 830; YANIV BENHAMOU, Dommages-intérêts sous forme de remise du gain suite à la violation du droit d'auteur, sic! 2009 p. 900 s., avec des réserves; RALPH SCHLOSSER, La mise en ?uvre de la protection en droit des marques: aperçu à la lumière de la jurisprudence récente, SJ 2004 II 13). Le juge détermine selon sa libre appréciation l'impact des différents facteurs sur le profit réalisé. En cas de doute quant au poids des différentes causes, il faut se prononcer contre le gérant (SCHMID, GoA, p. 272 s.).
 
La question de la causalité suscite des discussions. Il est notamment objecté qu'il ne peut y avoir de causalité partagée (verteilende Kausalität; cf. JENNY, op. cit., p. 157 s. et les réf.); se pose aussi la question du recours à la théorie de la causalité adéquate (cf. CHAPPUIS, op. cit., p. 49).
 
4.3 La jurisprudence exige en outre que le gérant soit de mauvaise foi (cf. au surplus infra, consid. 8.1).
 
5.
 
5.1 La défenderesse soutient que dans le cadre d'une action en remise de gain, il ne suffisait pas d'établir un risque de confusion lié à l'utilisation des noms de domaine litigieux (sur la notion de nom de domaine, cf. ATF 128 III 353 consid. 3); encore fallait-il prouver une confusion effective, condition qu'aurait méconnue la cour cantonale. La demanderesse plaide pour sa part que la simple utilisation déloyale des noms de domaine suffisait à fonder un droit à la remise de gain.
 
5.2 Il est acquis que la défenderesse a eu un comportement déloyal au sens de l'art. 3 let. d LCD en utilisant sciemment des noms de domaine très similaires à celui de la demanderesse, et en créant ainsi délibérément un risque de confusion pour exploiter de façon parasitaire la réputation déjà acquise par la demanderesse sur le marché helvétique. Cette dernière prétend au gain réalisé sur la totalité des commandes contractées via le site internet correspondant au nom de domaine litigieux pneusonline.ch (jusqu'en mai 2008), puis pneus-online.ch (cf. au surplus infra consid. 7.1).
 
La Cour de justice a constaté que tous les clients n'avaient "pas été induits à contracter avec la défenderesse par l'effet d'une confusion avec les sites de la demanderesse". Elle s'est attachée à déterminer le pourcentage de clients sous l'empire d'une telle confusion. Elle l'a fixé à 3,716 % et a admis l'action à concurrence de cette proportion du gain réalisé, en précisant que les achats effectués par les autres clients n'avaient pas de rapport de causalité avec l'acte de concurrence déloyale et n'entraient pas en considération pour la restitution du gain.
 
En d'autres termes, la Cour de justice a admis le droit à la remise de gain uniquement lorsque l'utilisation déloyale du nom de domaine constituait le motif de la conclusion du contrat générateur de profit. En posant un tel principe, la cour cantonale n'a pas enfreint les art. 9 al. 3 LCD et 423 CO. Il faut admettre qu'une ingérence de ce type dans la sphère d'autrui est suffisante pour réaliser les conditions de l'action en remise de gain.
 
Pour le surplus, c'est une question de fait que de déterminer les motifs de conclure un contrat, respectivement de savoir si les clients ont été induits à contracter en raison d'une confusion causée par des noms de domaine très semblables, ou si des éléments étaient propres à dissiper cette confusion. Ce sont en réalité exclusivement ces questions de fait qui divisent les parties. A cet égard, le Tribunal fédéral ne peut entrer en matière qu'aux conditions restrictives rappelées ci-dessus (consid. 3).
 
6.
 
6.1 La défenderesse conteste qu'il y ait eu confusion effective dans l'esprit de sa clientèle et reproche à la demanderesse de n'avoir pas rapporté la preuve d'un lien de causalité entre l'utilisation déloyale des quatre noms de domaine litigieux et les gains réalisés grâce au site francophone.
 
6.1.1 En substance, la Cour de justice est partie du principe que les clients ayant d'emblée utilisé l'un des quatre noms de domaine litigieux (pneusonline.ch, pneus-online.ch, pneuonline.ch ou pneu-online.ch) pour accéder au site de vente et passer commande avaient été induits à contracter sous l'emprise d'une confusion avec le nom de domaine de la demanderesse. Il est par ailleurs constant que celle-ci avait déjà acquis une réputation sur le marché helvétique.
 
6.1.2 La défenderesse n'explique pas en quoi ce raisonnement serait arbitraire. Elle reproche aux juges cantonaux d'avoir ignoré le témoignage d'un garagiste qui lui était affilié, avant de s'affilier à la demanderesse. Le témoin en question a indiqué avoir été dirigé à plusieurs reprises sur le site de la défenderesse après avoir inséré les termes "pneusonline" dans la barre de recherche ou d'adresse. Il affirme s'être rendu compte de sa méprise avant de passer commande, en raison de la présentation graphique très différente des sites des deux concurrentes, notamment sur le plan des couleurs (cf. arrêt du 22 juin 2012, p. 10 let. m).
 
Le témoignage unique d'un professionnel de la branche ayant successivement travaillé pour les deux parties ne suffit pas à établir qu'il était arbitraire de retenir une confusion effective, respectivement un lien de causalité entre l'utilisation déloyale du nom de domaine très similaire et la conclusion du contrat. Pour le surplus, l'état de fait ne contient pas de description précise des sites qui permettrait d'apprécier si un client lambda normalement attentif était en mesure d'identifier les deux entreprises. Il n'y a dès lors pas à examiner la question plus avant.
 
6.2 La défenderesse reproche en outre aux juges genevois d'avoir négligé les autres facteurs susceptibles d'influencer une décision d'achat, tels que l'attractivité des prix, la qualité des services, etc. Elle relève que la demanderesse elle-même avait admis une déduction de 10 % sur le bénéfice réalisé pour tenir compte de tels facteurs. En ignorant ces aspects, les juges auraient violé l'art. 423 CO.
 
6.2.1 La Cour de justice a résumé ainsi les écritures des parties: La demande visait l'intégralité du gain réalisé via le site internet pneusonline.ch (puis pneus-online.ch). Dans sa réponse, la défenderesse a objecté que les clients ayant transité par l'un ou l'autre des sites litigieux ne les avaient pas nécessairement choisis en raison du nom de domaine; une fois redirigés vers le site principal reifendirekt.ch, ils avaient décidé de passer commande sur la base de différents facteurs tels que le prix, la qualité du service, la proximité du garagiste partenaire ou encore la réputation de la défenderesse. La demanderesse a répliqué que lorsque le client parvenait sur un site doté d'un nom de domaine litigieux, il croyait avoir affaire à elle et non à une concurrente, de sorte qu'il n'avait plus guère besoin d'être convaincu par le service ou les prix pour passer commande. La demanderesse a tout au plus concédé un abattement de 10 % sur le gain revendiqué [i.e. 4'483'708 francs suisses], pour tenir compte de l'attrait propre exercé par sa concurrente.
 
6.2.2 La demanderesse a certes admis une réduction de 10 % pour tenir compte de facteurs concurrents. Toutefois, elle prétendait à l'intégralité du gain réalisé avec le site internet litigieux, point sur lequel elle a nettement succombé. En outre, la défenderesse ne prétend pas que la cour aurait appliqué arbitrairement une règle de procédure cantonale régissant les aveux. Il faut en inférer que les juges genevois n'étaient pas liés par les déclarations de la demanderesse.
 
La défenderesse allègue que les conditions qu'elle offrait, telles que prix, choix et genre de produits proposés, modalités de livraison, ont influé sur la décision de ses clients. Toutefois, l'état de fait, qui n'est l'objet d'aucun grief, ne contient rien à ce sujet. Il ne permet pas de constater que la défenderesse, sur tous ces aspects, se serait démarquée de la demanderesse, au point que ces facteurs-là, plutôt que l'attrait du nom de domaine, auraient en définitive convaincu le client de contracter. Si le juge peut fixer selon sa libre appréciation l'incidence de tels facteurs sur la décision d'achat, la défenderesse n'était pas dispensée d'apporter des preuves ou indices de preuve démontrant que ses services se démarquaient de ceux offerts par la demanderesse, notamment au niveau des prix proposés. Dès lors qu'elle ne l'a pas fait, elle ne saurait reprocher à la Cour de justice de n'avoir pas retenu l'influence secondaire - ou même principale - de facteurs autres que l'attrait du nom de domaine dans la décision d'achat des clients. Le grief ne peut qu'être rejeté.
 
7.
 
Il reste à examiner les moyens de fait dirigés contre le chiffre de 3,716 % retenu comme pourcentage de clients victimes d'une confusion des sites internet. Il convient d'exposer au préalable comment la Cour de justice est parvenue à ce taux.
 
7.1 Pour vendre ses produits en Suisse aux internautes francophones, la défenderesse utilisait l'un des quatre noms de domaine litigieux, à savoir www.pneusonline.ch jusqu'en mai 2008, puis www.pneus-online.ch. Les trois autres noms de domaine litigieux étaient aussi actifs. La défenderesse disposait en outre de multiples autres sites répondant à des noms de domaine dotés du suffixe "_.ch". Toutefois, seul le site www.reifendirekt.ch permettait de passer commande en ligne. Tous les autres sites renvoyaient vers celui-ci, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un lien.
 
Les internautes ayant acheté un bien via le site francophone pneusonline.ch, puis pneus-online.ch, avaient cinq possibilités d'y accéder:
 
- directement, en utilisant l'adresse URL du site;
 
- via les autres sites de la défenderesse;
 
- via un moteur de recherche;
 
- via la lettre d'information électronique que la défenderesse adressait à ses clients;
 
- via des liens publicitaires que la défenderesse faisait apparaître sur des sites tiers.
 
Selon des statistiques afférentes aux années 2007-2010, 25,6 % des clients ont transité par un moteur de recherche; 6,99 % ont profité du lien de la lettre d'information électronique et 0,09 % ont utilisé les liens publicitaires.
 
Par ailleurs, des données statistiques mensuelles couvrant la période de juillet 2008 à décembre 2009 révèlent que seul un faible pourcentage des internautes ayant transité par l'un des quelque cent noms de domaine "_.ch" de la défenderesse ont eu recours aux noms de domaine litigieux pour accéder soit au site www.reifendirekt.ch (...), soit au site www.pneus-online.ch (en moyenne 4 % pour la période considérée).
 
La Cour de justice a tiré les déductions suivantes de ces données:
 
"(...) il apparaît, pour la période 2007-2010, que seulement 25,6 % des clients ont transité par un moteur de recherche, tandis que 6,99 % ont profité du lien de la "newsletter" et 0,09 % des liens publicitaires, soit un total de 32,69 %.
 
Il faut en déduire que tous les autres (67,31 %) ont accédé aux sites litigieux, soit directement, soit via les autres noms de domaine de la défenderesse. Or, selon les statistiques de celle-ci toujours, pour la période juillet 2008-décembre 2009 (...), ce ne sont que 4 % des internautes qui ont accédé directement aux sites par les noms de domaine litigieux, tandis que les autres n'y sont parvenus que par renvoi des autres noms de domaine de la défenderesse, en particulier plus de 70 % par les sites www.reifendirekt.ch et www. reifendirekt.ch/reifen.html.
 
Il n'existe aucune raison d'attribuer une répartition différente pour les internautes (25,6 % ...) qui ont transité par un moteur de recherche, puis cliqué sur un des sites trouvés. L'on peut dès lors considérer, sous l'angle de la vraisemblance prépondérante, que 4 % des internautes sur ces 25,6 % ont "choisi" les sites litigieux, de même que les 4 % du solde de 67,31 %. Les autres clients n'ont pas été induits en erreur ou attirés par ces sites litigieux (...)."
 
En définitive, la Cour de justice a retenu que le taux de clients induits en erreur était de 3,716 % (4% de 25,6 % + 4 % de 67,31 % = 4 % de 92,91 %, soit 3,716 %).
 
7.2
 
7.2.1 La demanderesse reproche à la Cour de justice d'avoir versé dans l'arbitraire en considérant que le pourcentage de clients ayant directement accédé au site de vente doté d'un des quatre noms de domaine litigieux était identique à celui des clients ayant transité par un site doté d'un des trois autres noms de domaine litigieux, à savoir 4 %. La cour cantonale aurait violé son droit d'être entendu en ne motivant pas sa décision sur ce point.
 
7.2.2 Ce dernier moyen, d'ordre formel, peut d'emblée être rejeté, dès lors que la décision attaquée permet de comprendre le raisonnement opéré par la cour cantonale. Le juge n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les arguments invoqués par les parties et peut se limiter à ceux qui, sans arbitraire, apparaissent pertinents (ATF 133 III 439 consid. 3.3).
 
7.2.3 Les parties ne contestent pas qu'il existait cinq possibilités de parvenir au site de vente destiné aux francophones, et que 67,31 % des clients y ont accédé en utilisant l'un des nombreux noms de domaine de la défenderesse.
 
Ce pourcentage de 67,31 % regroupe plus précisément trois sous-groupes de clients: ceux qui ont directement accédé au site de vente (i.e. www.pneusonline.ch, puis www.pneus-online.ch); ceux qui ont transité par un site doté d'un des trois autres noms de domaine litigieux; et enfin, ceux qui ont utilisé un autre nom de domaine non visé par l'action en cessation de trouble.
 
La Cour de justice a résumé en ces termes les statistiques 2008-2009:
 
"(...) seul un faible pourcentage des internautes ayant transité par l'un des quelque cent noms de domaine ".ch" a eu recours aux noms de domaine litigieux pour accéder soit au site 'www.reifendirekt.ch' (p. ex. 1,8 % en juillet 2008, 1 % en août 2008, 0,5 % en septembre 2008, 0,4 % en novembre 2008, 0,3 % en janvier 2009, 0,5 % en juin 2009, 0,2 % en novembre 2009), soit au site 'www.pneus-online.ch' ([...], en moyenne 4 % environ en 18 mois)".
 
La tournure employée par la Cour de justice n'exclut pas que, dans les 4 % de clients ayant "eu recours aux noms de domaine litigieux" pour accéder au site de vente www.pneus-online.ch, figuraient aussi les acheteurs ayant introduit directement cette adresse, et non pas seulement ceux qui avaient utilisé l'un des trois autres noms de domaine litigieux. Cette tournure n'exclut en tout cas pas que les pourcentages - inférieurs - concernant l'accès au site principal "reifendirekt.ch" comprennent les clients ayant directement utilisé l'adresse pneus-online.ch. La demanderesse ne prétend pas que le contraire résulterait des pièces topiques, dont elle ne dit mot. Elle ne soutient pas non plus que d'autres pièces du dossier permettraient de retenir un pourcentage supérieur à 4 % s'agissant des clients parvenus directement sur le site de vente francophone. A défaut d'autres éléments probants, l'on ne discerne pas en quoi il serait arbitraire de considérer que la proportion de clients ayant utilisé directement l'adresse pneus-online.ch est la même que celle des clients ayant utilisé l'un des trois autres noms litigieux, tous très semblables au précité. La demanderesse ne le plaide du reste pas.
 
7.3
 
7.3.1 Pour sa part, la défenderesse reproche aux juges genevois d'avoir appliqué ce même pourcentage de 4 % aux 25,6 % des clients ayant transité par un moteur de recherche, alors que les statistiques de Google produites sous pièce 22 démontreraient que moins de 1 % des utilisateurs de ce moteur de recherche auraient choisi l'un des noms de domaine litigieux. La Cour aurait en outre enfreint son devoir de motivation.
 
7.3.2 Le dernier moyen est infondé. Le juge n'a pas à passer en revue tous les moyens de preuve soumis, ni à expliquer pour quels motifs il les retient ou les écarte. Il suffit que l'on comprenne dans les grandes lignes quels éléments ont sous-tendu son appréciation.
 
7.3.3 Le moteur de recherche Google propose des statistiques sur l'utilisation des mots-clés introduits par les internautes (Google Trends, anciennement Google Insights for Search). Selon les explications données par Google, cet outil permet d'introduire un terme de recherche spécifique et d'obtenir la probabilité relative qu'un internaute pris au hasard dans une région donnée utiliserait ledit terme. Les chiffres indiqués ne correspondent pas au volume de recherche absolu, car les données sont normalisées et présentées sur une échelle de 0 à 100. Lorsqu'un terme de recherche ne génère pas un trafic suffisant, il n'apparaît pas dans les données recueillies.
 
Utilisant cet outil, la défenderesse a effectué une première recherche pour la période de janvier à juillet 2010 sur le territoire suisse. Il en ressort que les quatre mots-clés "pneu-online", "pneuonline", "pneus-online" et "pneusonline" ont un volume de recherche de 0, contre un volume de 57 pour "reifendirekt". Une seconde recherche, couvrant la période de janvier 2004 à juillet 2010 sur le même territoire, révèle une occurrence de 0 pour "pneusonline", de 43 pour "pneu", de 16 pour "pneus", de 30 pour "reifen" et de 6 pour "reifendirekt".
 
7.3.4 L'indication d'un volume de recherche de 0 ne signifie pas que le terme en question n'aurait fait l'objet d'aucune recherche sur Google, comme le reconnaît la défenderesse. En outre, celle-ci a effectué son sondage en introduisant les noms de domaine de second niveau (i.e pneus-online, pneusonline, pneu-online et pneuonline). Or, il faut aussi envisager le cas de l'internaute qui, tout en ayant déjà entendu parler de la demanderesse, effectue une recherche moins précise, avec des termes tels que "pneus on line" "pneus en ligne", "pneu", "pneus", etc. Les données livrées par la défenderesse ne démontrent pas que la Cour de justice aurait versé dans l'arbitraire en se fondant exclusivement sur les tableaux statistiques évoqués ci-dessus (consid. 7.1). Pour le surplus, la défenderesse ne prétend pas que sur ces seules bases, il était arbitraire de considérer que 4 % des 25,6 % de clients utilisateurs d'un moteur de recherche avaient "choisi" les sites litigieux. Enfin, aucun moyen n'est formulé quant au degré de preuve appliqué. Il s'ensuit le rejet du grief.
 
7.4 En définitive, le pourcentage retenu s'agissant des clients victimes d'une confusion effective (3,716 %) ne prête pas à critique sous l'angle de l'arbitraire.
 
Les parties ne formulent pas d'autre moyen qui s'opposerait à ce que l'obligation de restitution porte sur 3,716 % du gain de 4'483'708 francs.
 
8.
 
La défenderesse conteste avoir agi de mauvaise foi; une autre condition de l'action en remise de gain ferait donc défaut.
 
8.1 Selon la jurisprudence actuelle, l'art. 423 CO ne trouve application que si le gérant a agi de mauvaise foi (arrêts 4A_456/2010 du 18 avril 2011 consid. 4, rés. JT 2012 II 116; 4C.290/2005 du 12 avril 2006 consid. 3.1, in sic! 2006 p. 774; 4C.101/2003 précité consid. 6.2, in sic! 2004 p. 90; ATF 129 III 422 consid. 4 p. 425; cf. aussi ATF 126 III 382 consid. 4b/aa p. 384 et 126 III 69 consid. 2a; 119 II 40 consid. 2b i.f. p. 43). Ce point de vue est discuté en doctrine (cf. par ex. JENNY, op. cit., p. 139 ss et les réf. citées).
 
Agit de mauvaise foi celui qui sait ou devrait savoir qu'il s'immisce dans la sphère d'autrui sans avoir de motif pour le faire (ATF 126 III 69 consid. 2a). La personne qui, confrontée à des circonstances difficiles à apprécier, adopte une opinion erronée, mais soutenable, peut se prévaloir de sa bonne foi (arrêt 4C.101/2003 précité consid. 6.3; ATF 94 II 297 consid. 5h). La preuve de la mauvaise foi incombe au maître (arrêt 4C.101/2003 précité consid. 6.2, in sic! 2004 p. 90).
 
8.2 La défenderesse développe l'argument suivant: elle a fait enregistrer en 2002 des noms de domaine génériques, dans la lignée de celui qu'elle avait déposé de bonne foi en juin 2001. Il n'est pas démontré qu'en 2002, les termes "pneus online" revêtaient une quelconque force distinctive. Dès lors, l'enregistrement de noms de domaine similaires ne pouvait être opéré de mauvaise foi, comme l'ont retenu à juste titre des décisions du Centre d'arbitrage de l'OMPI et du Centre belge d'arbitrage.
 
8.3 La défenderesse ne peut rien déduire de ces décisions, dont on sait tout au plus qu'elles portent sur des faits différents, se fondent sur des réglementations particulières et n'ont pas modifié la conviction des juges genevois quant à la mauvaise foi de la défenderesse (cf. arrêt du 22 juin 2012, p. 17 § 3).
 
Il est constant qu'en date du 10 mai 2001, la demanderesse a fait enregistrer le nom de domaine www.pneus-online.com. Un mois après, soit le 15 juin 2001, la défenderesse a fait enregistrer le nom www.pneuonline.com. En octobre 2001, la première a proposé à la seconde une éventuelle collaboration; elle a révélé son intention de commercialiser des pneus sous son nom de domaine. Entre mai et août 2002, la défenderesse a fait enregistrer les quatre noms de domaine litigieux, puis bien d'autres ultérieurement, tous centrés sur la vente de pneus. Il ressort encore de l'arrêt attaqué, de manière à lier la cour de céans, que la défenderesse a verrouillé la quasi-totalité des noms de domaine imaginables en cette matière, afin d'empêcher sa concurrente d'étendre ses parts de marché en Suisse; elle a utilisé sciemment des noms de domaine multiples très semblables à celui de la demanderesse, mettant délibérément en place un risque de confusion pour exploiter de façon parasitaire la réputation déjà acquise par sa concurrente.
 
Pris dans leur ensemble, ces éléments excluent d'inférer que la défenderesse était confrontée à des circonstances difficiles à apprécier et qui pouvaient légitimement lui faire accroire qu'elle était en droit d'agir. Le seul fait que les noms de domaine enregistrés relèvent du domaine public ne saurait conduire à la conclusion automatique que la défenderesse était de bonne foi. Il s'ensuit le rejet du grief.
 
9.
 
En définitive, tous les moyens liés à l'obligation de remise de gain et à son étendue sont rejetés. En conséquence, la somme totale de 166'614 fr. 60 allouée à la demanderesse ne peut qu'être confirmée.
 
10.
 
10.1 Dans un ultime grief, la défenderesse se plaint d'une application arbitraire de l'ancienne réglementation cantonale relative aux dépens. De son point de vue, la demanderesse aurait pu et dû réduire ses conclusions après avoir recueilli toutes les pièces permettant de juger la cause; or, elle a choisi d'augmenter encore ses conclusions à 5,5 millions de francs.
 
10.2 L'art. 176 al. 1 de l'ancienne loi genevoise de procédure civile (aLPC/GE) instituait une règle générale selon laquelle la partie qui succombe est condamnée aux dépens. L'art. 181 aLPC/GE précisait que les dépens comprennent les frais de la cause - dont les émoluments du greffe - et une indemnité de procédure, fixée en équité par le juge, destinée essentiellement à couvrir les honoraires d'avocat engagés par la partie victorieuse.
 
A l'instar de la LTF, l'ancien droit genevois consacrait un principe fondamental de la procédure civile, selon lequel les frais et dépens sont répartis d'après le sort des conclusions (Erfolgsprinzip; ATF 119 Ia 1 consid. 6b; arrêt 4A_175/2008 du 19 juin 2008 consid. 2.4). Un tel principe implique de déterminer dans quelle proportion chaque partie obtient gain de cause, respectivement succombe, et de répartir les dépens en conséquence; au final, les créances de chaque partie peuvent se compenser entièrement ou partiellement (arrêt 4A_175/2008 précité consid. 2.5).
 
Dans les affaires pécuniaires, l'on peut examiner les sommes en litige et déterminer mathématiquement dans quelle mesure chaque partie a succombé. Il est toutefois possible de s'écarter du strict rapport mathématique pour tenir compte du travail exigé par les griefs respectifs, ou encore pour marquer le fait qu'une partie obtient gain de cause sur le principe de la responsabilité de la partie adverse (cf. ATF 131 III 243 consid. 5.2 p. 247; arrêt 4A_175/2008 précité consid. 2.6, à propos du droit genevois).
 
10.3 La demanderesse avait conclu en dernier lieu au paiement de 5,5 millions de francs. Dans un premier temps (arrêt du 22 juin 2012), elle a obtenu 336'278 fr., soit 6,1 % de ses conclusions. La Cour de justice a décidé de mettre trois quarts des dépens de la procédure à la charge de la demanderesse et un quart à celle de la défenderesse. Elle a justifié cette clé de répartition par le fait qu'il était difficile d'évaluer la mesure du gain à restituer, de sorte que l'on ne pouvait reprocher à la demanderesse d'avoir formulé des conclusions exagérées; de surcroît, elle avait obtenu gain de cause sur le principe de l'action. La cour a par ailleurs fixé à 75'000 fr. l'indemnité équitable de procédure due à chacune des parties, et valant participation aux frais d'avocat.
 
Par arrêt rectificatif du 17 août 2012, la Cour de justice a finalement condamné la défenderesse à verser la somme totale de 166'614 fr. 60. L'arrêt rectificatif ne modifie pas la répartition des dépens, dont il ne dit mot. Dans sa réplique du 8 novembre 2012, la défenderesse relève que cette réduction rend d'autant plus arbitraire la clé de répartition de 3/4-1/4.
 
10.4 Les motifs invoqués par la Cour de justice pour s'écarter d'une traduction strictement mathématique du sort des conclusions pécuniaires sont exempts d'arbitraire. La demanderesse a gagné sur le principe de l'action, et il est conforme à la jurisprudence d'en tenir compte dans la répartition des dépens. En outre, il n'est pas arbitraire de relativiser dans une certaine mesure l'importance des conclusions pécuniaires pour tenir compte de la difficulté à établir le gain illicite réalisé. Au vu de ces facteurs, la clé de répartition adoptée par la Cour de justice apparaît elle aussi exempte d'arbitraire, même en tenant compte de la réduction apportée par l'arrêt rectificatif du 17 août 2012. La défenderesse objecte encore que l'émolument est calculé sur la base des conclusions exagérées de la demanderesse. L'arrêt attaqué ne renvoie à aucune règle de procédure. Quelle que soit la manière dont il est calculé, l'émolument judiciaire est destiné à couvrir les frais de justice et, encore une fois, il n'est pas arbitraire d'en mettre une part à la charge de la partie adverse.
 
Pour le surplus, la défenderesse ne forme aucun autre grief relatif aux dépens, et ne conteste pas le montant de l'indemnité de procédure. La décision attaquée doit donc être confirmée sur ce point également.
 
11.
 
En définitive, les recours 4A_474/2012 et 4A_478/2012 sont rejetés.
 
Le recours 4A_584/2012 est rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
Les frais de la procédure fédérale, arrêtés à 26'500 fr., sont répartis à parts égales entre les parties (art. 66 al. 1 LTF).
 
Les dépens sont compensés (art. 68 al. 1 et 2 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Les causes 4A_474/2012, 4A_478/2012 et 4A_584/2012 sont jointes.
 
2.
 
Les recours 4A_474/2012 et 4A_478/2012 sont rejetés.
 
Le recours 4A_584/2012 est rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
3.
 
Les frais judiciaires, arrêtés à 26'500 fr., sont mis pour moitié à la charge de chacune des parties.
 
4.
 
Les dépens sont compensés.
 
5.
 
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
 
Lausanne, le 8 février 2013
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil
 
du Tribunal fédéral suisse
 
La Présidente: Klett
 
La Greffière: Monti
 
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