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Informationen zum Dokument  BGer 1B_264/2013  Materielle Begründung
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BGer 1B_264/2013 vom 17.10.2013
 
{T 0/2}
 
1B_264/2013
 
 
Arrêt du 17 octobre 2013
 
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
 
Merkli et Chaix.
 
Greffière: Mme Kropf.
 
 
Participants à la procédure
 
A.________,
 
B.________,
 
C.________,
 
agissant par D.________ et E.________,
 
F.________, agissant par G.________ et E.________,
 
toutes les quatre représentées par
 
Me Pascal Dévaud, avocat,
 
recourantes,
 
contre
 
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
 
Objet
 
Séquestre pénal,
 
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 8 juillet 2013.
 
 
Faits:
 
A. Le 29 avril 2013, le Ministère public de la République et canton de Genève a procédé, auprès de H.________ et de I.________, aux séquestres des avoirs et des documents relatifs au J.________, ainsi que de ceux des entités ayant reçu des fonds de celui-ci, soit B.________ (env. 4 mios fr.), A.________ (env. 4 mios fr.) et deux trusts néo-zélandais, C.________ et F.________ (pour l'un env. 100 mios fr., le second distribuant les produits du premier). Il a en outre été fait interdiction à I.________ de disposer des avoirs des entités susmentionnées.
 
B. Le 8 mai 2013, A.________, B.________, C.________ et F.________ (ci-après les intéressées ou les recourantes) ont interjeté recours contre ces deux ordonnances. Elles ont conclu à l'octroi de l'effet suspensif s'agissant de la production des dossiers, à la mise en oeuvre d'un second échange d'écritures et à la levée du séquestre sur les avoirs détenus auprès de H.________. A l'appui de leur mémoire, elles ont produit un bordereau de 84 pièces.
 
Par ordonnance du 14 mai 2013, la requête d'effet suspensif a été rejetée.
 
Le 3 juin 2013, les intéressées ont sollicité de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève "l'accès à son dossier", en particulier aux déterminations du Procureur, ainsi que de pouvoir s'exprimer sur celles-ci dans le cadre d'un second échange d'écritures. Le 26 juin 2013, elles ont complété leur mémoire de recours, produisant en particulier un courrier du Ministère public du 16 mai 2013 et ceux adressés au Procureur le 3, puis le 13 juin 2013.
 
Par arrêt du 8 juillet 2013, les juges cantonaux ont rejeté le recours. Ils ont constaté que le complément du mémoire déposé le 26 juin 2013 était irrecevable en raison de son dépôt tardif et ils ont rappelé que les recours manifestement mal fondés pouvaient être traités sans échange d'écritures, ni débats. Vu le stade de l'enquête et le fait que les parties n'avaient pas encore été entendues, l'autorité cantonale a considéré qu'un soupçon crédible ou un début de preuve de l'existence d'une infraction suffisait pour ordonner un séquestre; or, au regard de la dénonciation pénale - où il était allégué, de manière précise et documentée, que les bénéficiaires du J.________ auraient été spoliées de leurs droits à la suite de sa dissolution -, un tel soupçon existait.
 
C. Par mémoire du 9 août 2013, A.________, B.________, C.________ et F.________, ces deux dernières entités agissant par leurs trustees, forment un recours en matière pénale, concluant à l'annulation de l'arrêt cantonal et au renvoi de la cause pour nouvelle décision au sens des considérants. A titre subsidiaire, les recourantes requièrent la levée immédiate des séquestres pénaux frappant leurs avoirs. Sur leur requête, les intéressées ont pu consulter le dossier constitué par la juridiction cantonale au cours de la procédure de recours.
 
Invités à se déterminer, l'instance précédente s'est référée à ses considérants, sans formuler d'observation, tandis que le Ministère public n'a pas déposé de détermination.
 
 
Considérant en droit:
 
1. Le recours en matière pénale, au sens de l'art. 78 al. 1 LTF, est ouvert contre une décision de séquestre, prise au cours de la procédure pénale, et confirmée en dernière instance cantonale (art. 80 LTF). La décision ordonnant un séquestre pénal constitue une décision incidente (ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1b p. 100 et les références). Selon la jurisprudence, le séquestre de valeurs patrimoniales cause en principe un dommage irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, car le détenteur se trouve privé temporairement de la libre disposition des valeurs saisies (ATF 126 I 97 consid. 1b p. 101; voir également ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141; 128 I 129 consid. 1 p. 131). En tant que titulaires des comptes séquestrés et ayant participé à la procédure devant l'autorité cantonale, les recourantes ont qualité pour agir (art. 81 al. 1 LTF). Le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF).
 
2. Dans un grief d'ordre formel, les recourantes invoquent la violation de leur droit d'être entendues.
 
2.1. Elles reprochent tout d'abord à la juridiction cantonale de ne pas leur avoir donné accès au dossier.
 
2.1.1. Concrétisant le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) ainsi que les garanties relatives à un procès équitable et aux droits de la défense (art. 6 par. 3 CEDH et 32 al. 2 Cst.), les art. 101 al. 1 et 107 al. 1 let. a CPP permettent aux parties de consulter le dossier de la procédure pénale. La direction de la procédure statue sur la consultation des dossiers. Elle prend les mesures nécessaires pour prévenir les abus et les retards et pour protéger les intérêts légitimes au maintien du secret (art. 102 al. 1 CPP; arrêt 1B_445/2012 du 8 novembre 2012 consid. 3.2 publié in SJ 2013 I 367 [extraits]). Le droit d'accès peut aussi être restreint aux conditions fixées à l'art. 108 CPP, soit notamment lorsque cela est nécessaire pour assurer la sécurité de personnes ou pour protéger des intérêts publics ou privés au maintien du secret. L'art. 101 al. 1 CPP permet aux parties de consulter le dossier de la procédure dès la première audition du prévenu et l'administration des preuves principales par le ministère public. Il s'agit de conditions cumulatives (arrêt 1B_667/2011 du 7 février 2012 consid. 1.2) et la formulation de cette disposition confère à la direction de la procédure un certain pouvoir d'appréciation qu'il convient de respecter (ATF 137 IV 280 consid. 2.3 p. 284). L'autorité compétente ne saurait cependant différer indéfiniment la consultation du dossier en se fondant sur cette disposition. Elle doit en effet établir que l'accès au dossier est susceptible de compromettre l'instruction et exposer les "preuves importantes" qui doivent être administrées auparavant (arrêt 1B_597/2011 du 7 février 2012 consid. 2.2 in SJ 2012 I p. 215).
 
2.1.2. En l'espèce, les recourantes ne sont pas des parties au sens de l'art. 104 CPP. Mais, en tant que personnes touchées par un acte de procédure (séquestre de leurs avoirs) au sens de l'art. 105 al. 1 let. f CPP, elles peuvent se voir reconnaître la qualité de partie Certes, les recourantes ne connaissent pas la teneur exacte de la plainte pénale à laquelle se réfère la cour cantonale. Toutefois, les deux ordonnances de séquestre querellées sont largement suffisantes à ce stade de la procédure pour que les intéressées - qui ne sont au demeurant pas mises en prévention - puissent se déterminer, respectivement faire valoir leurs objections. Ainsi, il y est exposé que la procédure pénale est ouverte notamment pour gestion déloyale qualifiée (art. 158 ch. 2 CP), abus de confiance (art. 138 CP) et blanchiment d'argent (art. 305bis CP). De plus, s'agissant de celle concernant les avoirs détenus auprès de H.________, elle indique le fonds à l'origine du litige (le J.________), ainsi que les entités ayant reçu les avoirs de celui-ci, à savoir les recourantes. Il y est encore mentionné l'identité des trustees de C.________ et de F.________, soit notamment E.________. Or, celle-ci est également l'administratrice présidente de I.________, destinataire de la seconde ordonnance de séquestre, et de D.________, société en charge de la gestion des recourantes. Dès lors, au regard des informations ressortant des deux ordonnances de séquestre (identités et relations existant entre les différentes entités indiquées, ainsi que la mention des infractions examinées), les intéressées étaient à même de circonscrire la problématique soulevée par la dénonciation pénale et de prendre position sur cette question. Elles ont d'ailleurs déposé un recours circonstancié le 8 mai 2013 à l'appui duquel, elles ont su produire des courriers de D.________ et de I.________ relatifs aux revendications des bénéficiaires alléguées du J.________ (y compris des échanges directs avec ces dernières) ·
 
Au demeurant, si réellement un doute pouvait encore subsister, il a été levé par les explications données le 16 mai 2013 par le Ministère public à l'appui de son refus de mettre le dossier en consultation. Ainsi, il a indiqué qu'il n'avait procédé à aucune mise en examen et que les éléments des dénonciations pénales étaient "globalement connus" des recourantes, à savoir que les bénéficiaires du J.________ alléguaient avoir été spoliées par sa restructuration. Dès lors que ce refus n'a pas été contesté par les voies légales (cf. art. 393 al. 1 let. a CPP), il n'appartenait pas à la juridiction cantonale d'examiner dans le cadre du recours contre les séquestres le bien-fondé de ce refus, ni de passer outre en accordant un accès complet au dossier de la procédure pénale.
 
2.2. Les recourantes reprochent ensuite aux juges cantonaux une violation de l'art. 390 al. 2 et 5 CPP.
 
L'art. 390 al. 2 CPP permet à l'autorité de recours de renoncer à inviter les parties à se déterminer si le recours est manifestement mal fondé. La cour cantonale étant arrivée à une telle constatation - que les recourantes ne remettent pas en cause dans leur mémoire -, elle était donc en droit d'appliquer cette disposition. Cela permet également d'exclure toute violation du droit d'être entendu par rapport à la consultation du dossier de la procédure de recours. En effet, vu l'absence d'échange d'écriture, les seuls documents y figurant résultent des envois des recourantes, pièces dont elles avaient connaissance. Un tel reproche ne peut également pas découler de l'application a contrario de l'art. 390 al. 5 CPP effectuée par l'instance précédente. Selon cette disposition, l'autorité de recours peut ordonner des débats, d'office ou sur demande d'une partie (art. 390 al. 5 CPP). La cour cantonale n'y est donc pas tenue et les intéressées ne se plaignent au demeurant pas que les juges cantonaux auraient rejeté à tort une requête qu'elles auraient formée dans ce sens.
 
2.3. Partant, le grief de violation du droit d'être entendu doit être écarté.
 
3. Les recourantes reprochent à la juridiction cantonale d'avoir fait preuve d'arbitraire en retenant que leur mémoire complémentaire du 26 juin 2013 serait irrecevable.
 
3.1. L'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'instance précédente que si elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou si elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. Il ne suffit pas que la motivation de la décision soit insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF 138 III 378 consid. 6.1 p. 379 s.; 136 I 316 consid. 2.2.2 p. 318 s.; 135 V 2 consid. 1.3 p. 4 s.; 134 I 263 consid. 3.1 p. 265 s.). En particulier, lorsque la partie recourante s'en prend à l'appréciation des preuves et à l'établissement des faits, la décision n'est arbitraire que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables (ATF 138 III 193 consid. 4.3.1 p. 198; 137 III 226 consid. 4.2 p. 134 et les arrêts cités).
 
3.2. La jurisprudence admet la production de faits et de moyens de preuve nouveaux devant l'instance de recours au moment du dépôt du recours (arrêt 1B_768/2012 du 15 janvier 2013 consid. 2.1). En l'espèce, les faits nouveaux ont été allégués postérieurement au mémoire du 8 mai 2013 et après que le délai au sens de l'art. 396 al. 1 CPP était échu, ce que ne contestent pas les recourantes. Le mémoire complémentaire du 26 juin 2013 n'a pas non plus été déposé dans le cadre d'un échange d'écritures ordonné par l'instance de recours. Cependant, la question de savoir jusqu'à quel moment l'allégation de faits nouveaux est possible pendant la procédure de recours peut rester indécise, dès lors que les faits en question ne sont de toute manière pas susceptibles d'influer sur le sort de la cause.
 
En effet, le courrier du Ministère public du 16 mai 2013 fait état des allégations - certes résumées - des bénéficiaires du J.________ (spoliation de leurs droits sur ce fonds), ne venant ainsi pas alimenter la thèse de l'ignorance soutenue par les recourantes. Par rapport au courrier du 3 juin 2013 (J.________ supposé discrétionnaire) et à l'avis de droit du 6 juin 2013 (prétendue absence de valeur de testament ou de dispositions pour cause de mort des documents constitutifs du J.________ en droit français), il doit être rappelé que la vraisemblance est suffisante au moment du prononcé des séquestres (cf. ci-après consid. 4.1). Or, les deux documents susmentionnés viennent uniquement confirmer que la question à examiner au fond (détermination du droit applicable, interprétation des actes constitutifs, etc.) est complexe, mais ne permettent en revanche pas de lever tout doute quant à l'absence de commission d'une infraction.
 
En conséquence, la cour cantonale n'a pas procédé de manière arbitraire en écartant ces pièces.
 
4. Les recourantes invoquent des violations des art. 11 de la Convention du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance (RS 0.221.371), 26 Cst. et 197 CPP. Elles soutiennent en substance que, vu le caractère discrétionnaire du J.________, celui-ci pouvait faire l'objet d'une restructuration de la part des trustees sans que les éventuels bénéficiaires puissent faire valoir un quelconque droit sur les fonds. Il n'y aurait d'ailleurs, selon elles, aucun tiers faisant potentiellement partie du cercle des bénéficiaires et ainsi toute infraction serait manifestement exclue.
 
4.1. Selon l'art. 197 al. 1 CPP, les mesures de contrainte ne peuvent être prises qu'aux conditions suivantes : elles sont prévues par la loi (let. a), des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
 
Le séquestre pénal est une mesure conservatoire provisoire destinée à préserver les objets ou valeurs que le juge du fond pourrait être amené à confisquer ou qui pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice. En l'espèce, la décision litigieuse fait référence à l'art. 263 al. 1 CPP qui prévoit que des objets et des valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être mis sous séquestre, notamment lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyen de preuve (let. a), qu'ils devront être restitués au lésé (let. c) ou qu'ils devront être confisqués (let. d). Comme cela ressort du texte de cette disposition, une telle mesure est fondée sur la vraisemblance; elle porte sur des objets dont on peut admettre, prima facie, qu'ils pourront être confisqués en application du droit pénal fédéral. Tant que l'instruction n'est pas achevée, une simple probabilité suffit car, à l'instar de toute mesure provisionnelle, la saisie se rapporte à des prétentions encore incertaines. L'autorité doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire (art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 99). Le séquestre pénal se justifie aussi longtemps que subsiste une probabilité de confiscation et ne peut être levé que dans l'hypothèse où il est d'emblée manifeste et indubitable que les conditions matérielles d'une confiscation ne sont pas réalisées et ne pourront l'être (arrêt 1B_127/2013 du 1er mai 2013 consid. 2 et les références citées).
 
4.2. En l'espèce, il ressort du mémoire des recourantes du 8 mai 2013 que "D.________, en sa qualité de trustee du J.________, qui est un trust discrétionnaire, avait désigné les bénéficiaires suivants dans le Partant, la Chambre pénale de recours ne viole pas le droit fédéral en confirmant les deux ordonnances de séquestre du Ministère public.
 
5. Il s'ensuit que le recours est rejeté. Les recourantes qui succombent doivent supporter solidairement les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF).
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1. Le recours est rejeté.
 
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge des recourantes, solidairement entre elles.
 
3. Le présent arrêt est communiqué au mandataire des parties, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
 
Lausanne, le 17 octobre 2013
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président: Fonjallaz
 
La Greffière: Kropf
 
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