BGer 1C_678/2017 | |||
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BGer 1C_678/2017 vom 05.04.2018 |
1C_678/2017 |
Arrêt du 5 avril 2018 |
Ire Cour de droit public | |
Composition
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MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
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Karlen et Chaix.
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Greffière : Mme Arn.
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Participants à la procédure | |
Me Romain Jordan, avocat,
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recourants,
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contre
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Commune de Bellevue, route de Lausanne 329, 1293 Bellevue, représentée par Me Bruno Mégevand, avocat,
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intimée,
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Département de l'aménagement, du logement et de l'énergie de la République et canton de Genève, Office des autorisations de construire, Service des affaires juridiques, case postale 22, 1211 Genève 8,
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Objet
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autorisation de construire; irrecevabilité du recours pour défaut de paiement de l'avance de frais,
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recours contre la décision de la Cour de justice
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de la République et canton de Genève, Chambre administrative, du 2 novembre 2017 (ATA/1464/2017).
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Faits : | |
A. Le 2 octobre 2017, A.A________ et B.A________ ont formé un recours auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Chambre administrative) contre un jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 août 2017.
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Par plis simple et recommandé du 4 octobre 2017, la Chambre administrative a imparti aux époux A.________ un délai au 19 octobre 2017 pour s'acquitter d'une avance de frais de 1'000 fr., en attirant leur attention sur les conséquences du non-paiement dans le délai imparti, à savoir l'irrecevabilité du recours.
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Par décision du 2 novembre 2017, le juge délégué de la Chambre administrative a déclaré le recours irrecevable en raison du défaut de paiement de l'avance de frais dans le délai fixé.
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B. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, les époux A.________ demandent au Tribunal fédéral de constater la nullité de la décision de la Chambre administrative. Ils concluent subsidiairement à ce que cette décision soit annulée et à ce que la cause soit renvoyée à la cour cantonale afin qu'elle entre en matière sur le recours.
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Le Département de l'aménagement, du logement et de l'énergie du canton de Genève (ci-après: le département) et la commune de Bellevue (ci-après: la commune) concluent au rejet du recours. La Chambre administrative persiste dans les considérants et le dispositif de sa décision.
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Dans leurs écritures ultérieures, les parties maintiennent leurs conclusions respectives.
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Considérant en droit : | |
1. Le recours est dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF), rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF) ne tombant pas sous le coup de l'une des exceptions prévues à l'art. 83 LTF. La voie du recours en matière de droit public est partant ouverte. Le recours a en outre été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes requises (art. 42 LTF). Les recourants, destinataires d'un arrêt d'irrecevabilité, ont qualité pour contester ce prononcé (art. 89 LTF). Il y a donc lieu d'entrer en matière.
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2. Les recourants se plaignent d'une violation de l'art. 30 al. 1 Cst. et d'arbitraire dans l'application de l'art. 131 de la loi sur l'organisation judiciaire genevoise du 26 septembre 2010 (LOJ; RS/GE E 2 05). Ils estiment que la décision attaquée ne pouvait être rendue par le seul juge délégué car les normes cantonales d'organisation judiciaire et de procédure administrative octroient cette compétence à une cour ordinaire composée de trois juges. La décision attaquée violerait dès lors les règles constitutionnelles sur la composition des autorités. S'agissant d'un grief de nature formelle, il convient de l'examiner préalablement dans la mesure où la cause serait renvoyée à l'autorité cantonale sans examen des autres griefs si le recours était admis sur ce point (cf. ATF 141 V 495 consid. 2.2 p. 500).
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La Chambre administrative explique que la compétence du juge délégué se fonderait sur l'art. 10 de son règlement interne adopté le 26 septembre 2017, à teneur duquel celui-ci peut rendre seul les décisions de rayer du rôle une cause en cas de retrait, de perte d'objet du recours ou de défaut de paiement de l'avance de frais (al. 2 let. b). Elle précise en outre que cette disposition formalise la pratique selon laquelle, depuis l'entrée en vigueur au 1er janvier 2011 de l'actuel art. 86 de la loi sur la procédure administrative (LPA; RS/GE E 5 10) codifiant les avances et sûretés, les décisions d'irrecevabilité pour défaut d'avance de frais ont toujours été rendues par un juge unique. Faisant référence à l'arrêt 2C_1150/2015 du 28 décembre 2015, elle relève que cette pratique n'a d'ailleurs jamais été remise en question par le Tribunal fédéral.
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2.1. La jurisprudence relative aux art. 29 al. 1 et 30 al. 1 Cst. confère un droit à ce que l'autorité administrative ou judiciaire qui statue, le fasse dans une composition correcte. Celle-ci est définie selon les règles du droit de procédure ou d'organisation judiciaire. L'autorité est ainsi valablement constituée lorsqu'elle siège dans une composition qui correspond à ce que le droit d'organisation judiciaire ou de procédure prévoit. Dans le cas contraire, elle commet un déni de justice formel. Si la composition de l'autorité est prévue par le droit cantonal, le Tribunal fédéral ne revoit l'interprétation et l'application de celui-ci que sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 142 I 172 consid. 3.2 p. 174). L'art. 30 al. 1 Cst. n'impose pas aux cantons une organisation judiciaire prédéfinie. Néanmoins, une base légale formelle codifiant de manière générale et abstraite les principes sur la compétence, la composition et l'organisation des autorités judiciaires est nécessaire (ATF 129 V 196 consid. 4.1 p. 198; arrêt 9C_699/2014 du 31 août 2015 consid. 4.1). Le droit fédéral ne prescrit pas non plus directement aux tribunaux administratifs des règles de procédure sur la façon dont ils ont à traiter les recours qu'ils sanctionnent d'irrecevabilité. Le législateur cantonal est dès lors libre de choisir la composition du tribunal lorsque celui-ci est amené à connaître des cas d'irrecevabilité (ATF 137 I 161 consid. 4.5 p. 166). En droit genevois, l'art. 131 LOJ prévoit que la Chambre administrative siège dans la composition de trois juges (al. 1); elle siège dans la composition de cinq juges entre autres lorsque le règlement de la juridiction le prévoit (al. 2 let. d).
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2.2. Dans le cas d'espèce, il ressort de l'art. 10 du règlement interne de la Chambre administrative que le juge délégué a la compétence de rendre seul les décisions d'irrecevabilité après défaut de paiement de l'avance de frais (al. 2 let. b). Ce règlement a été adopté sur la base des art. 18 al. 1 du règlement de la Cour de justice du 20 juin 2014 (RCJ; RS/GE E 2 05.47) et 25 LOJ, qui donnent aux cours la possibilité de s'organiser elles-mêmes, pour autant que la loi n'en dispose pas autrement. Le législateur cantonal a, quant à lui, prévu que la Chambre administrative siège dans la composition de 3 ou 5 juges (art. 131 al. 1 et 2 LOJ). La loi ne prévoit pas la possibilité de statuer dans la composition d'un juge unique. Le règlement interne octroyant cette possibilité est donc manifestement contraire au texte de la loi et à la volonté du législateur cantonal. Ce dernier a certes accordé une certaine marge de manoeuvre à la Chambre administrative en prévoyant qu'elle siège dans la composition de 5 juges lorsque le règlement de la juridiction le prévoit (art. 131 al. 2 let. d LOJ). Il ne lui a en revanche pas donné la faculté de prévoir une composition inférieure à 3 juges. Il est certes possible de prévoir une compétence du juge unique pour déclarer un recours manifestement irrecevable, par exemple en cas de non-paiement de l'avance de frais, mais cette compétence doit alors clairement ressortir de la loi formelle (cf. art. 62 al. 3 et 108 al. 1 let. a et al. 2 LTF; arrêt 9C_699/2014 précité consid. 4.1), ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
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2.3. La reconnaissance de coutumes en droit public n'est pas exclue. Une telle coutume doit être née d'un usage prolongé et ne pas empiéter sur les droits fondamentaux des citoyens. Sa reconnaissance est en général soumise à des conditions strictes: elle suppose tant un usage prolongé et ininterrompu que la reconnaissance de la valeur juridique de l'usage par les autorités et par les justiciables touchés par la règle appliquée. L'élément de l'usage de longue durée remplace, dans un certain sens, une réglementation légale formelle (ATF 136 I 376 consid. 5.2 p. 387). En revanche, une coutume ne saurait déroger à une loi formelle, ni abroger celle-ci. Elle ne peut que combler une éventuelle lacune (ATF 138 I 196 consid. 4.5.4 p. 203 s.).
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Le fait qu'un juge unique de la Chambre administrative prononce l'irrecevabilité consécutive au non-paiement d'une avance de frais constitue à Genève une pratique bien établie. D'ailleurs, il n'est pas contesté que depuis plus de sept ans, celui-ci assume seul ce rôle. Cela étant, l'art. 131 LOJ constitue une base légale formelle claire qui prévoit que la Chambre administrative statue dans la composition de 3 juges au moins. Cette disposition ne l'autorise pas à siéger à juge unique. Dès lors, la loi claire et dépourvue de lacune ne laisse pas de place pour une coutume dérogatoire. Au demeurant, une pratique d'une durée de sept ans ne saurait être considérée comme suffisante.
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2.4. Enfin, dans le cadre de l'arrêt 2C_1150/2015 du 28 décembre 2015 auquel la Chambre administrative fait référence, le Tribunal fédéral n'a pas eu à traiter de la question relative à la composition de la cour, ce grief d'ordre constitutionnel n'ayant pas été soulevé par le recourant (cf. art. 106 al. 2 LTF; ATF 140 II 141 consid. 1.2 p. 145 s.).
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2.5. La disposition réglementaire prévoyant que le juge délégué peut rendre seul les décisions d'irrecevabilité est manifestement contraire à la loi sur l'organisation judiciaire genevoise. La décision attaquée rendue par le juge unique viole par conséquent l'art. 30 al. 1 Cst., de sorte qu'elle doit être annulée. Le dossier est renvoyé à la juridiction cantonale pour qu'elle statue dans sa composition ordinaire, conformément à l'art. 131 al. 1 LOJ. Dès lors, les autres griefs portant sur la violation du principe d'égalité de traitement, de la protection de la bonne foi et du formalisme excessif ne doivent pas être examinés à ce stade.
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3. Sur le vu de ce qui précède, le recours est admis. Conformément à l'art. 66 al. 4 LTF, il n'est pas perçu de frais judiciaires. Le canton de Genève versera aux recourants une indemnité de dépens (art. 68 al. 1 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : | |
1. Le recours est admis. La décision rendue le 2 novembre 2017 par la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève est annulée et la cause lui est renvoyée pour nouvelle décision au sens des considérants.
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2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
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3. Le canton de Genève versera aux recourants la somme de 2'000 fr. à titre de dépens.
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4. Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des recourants et de la commune de Bellevue, au Département de l'aménagement, du logement et de l'énergie du canton de Genève, ainsi qu'à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative.
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Lausanne, le 5 avril 2018
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président : Merkli
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La Greffière : Arn
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