BGer 4A_622/2018 | |||
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BGer 4A_622/2018 vom 05.04.2019 |
4A_622/2018 |
Arrêt du 5avril 2019 |
Ire Cour de droit civil | |
Composition
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Mmes les juges Kiss, présidente, Klett et Hohl.
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Greffier : M. Thélin.
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Participants à la procédure | |
X.________ SA,
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représentée par Me Hubert Theurillat, a
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défenderesse et recourante,
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contre
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Z.________,
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représenté par Me Alain Schweingruber,
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demandeur et intimé.
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Objet
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contrat de travail; licenciement immédiat
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recours contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2018 par la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura
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(CC 23 / 2018).
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Considérant en fait et en droit : | |
1. La société X.________ SA, à..., se consacre essentiellement à la fabrication et au commerce d'escaliers en tous genres. Dès le 1er octobre 2006, elle a engagé Z.________ en qualité de collaborateur de son bureau technique. Le 22 août 2014, elle l'a licencié avec effet au 31 octobre suivant. Le 25 août, elle l'a licencié avec effet immédiat.
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Le 11 juin 2015, Z.________ a ouvert action contre X.________ SA devant le Conseil de prud'hommes du canton du Jura. Selon ses conclusions, le Conseil devait notamment prononcer diverses constatations juridiques. Il devait en outre condamner la défenderesse à payer au demandeur « tous ses salaires, treizième mois prorata temporis compris, et les primes annuelles convenues jusqu'à l'échéance du délai contractuel à fixer par justice », ainsi que « telles indemnités à dire de justice fondées sur les art. 336a et 337c CO ».
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La défenderesse a conclu au rejet de l'action.
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Le Conseil de prud'hommes s'est prononcé le 13 décembre 2017. Il a condamné la défenderesse à payer huit montants au total de 55'629 fr.65, avec suites d'intérêts, y compris 22'989 fr.20 à titre d'indemnité prévue par l'art. 337c al. 3 CO.
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La Cour civile du Tribunal cantonal a statué le 19 octobre 2018 sur l'appel de la défenderesse; elle a rejeté cet appel et confirmé le jugement.
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2. La défenderesse exerce le recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. A titre principal, elle conclut à l'irrecevabilité de la demande en justice introduite le 11 juin 2015; à titre subsidiaire, elle conclut au rejet de l'action.
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Le demandeur a pris position sur une demande d'effet suspensif jointe au recours; il n'a pas été invité à répondre au recours.
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La Présidente de la Ire Cour de droit civil a rejeté la demande d'effet suspensif par ordonnance du 14 janvier 2019.
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3. Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont satisfaites, notamment à raison de la valeur litigieuse.
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4. Devant la Cour civile du Tribunal cantonal, la défenderesse a fait valoir que les conclusions articulées dans la demande en justice du 11 juin 2015 n'étaient pas chiffrées et que cette demande était donc irrecevable au regard de l'art. 84 al. 2 CPC. Les juges d'appel ont rejeté ce moyen en considérant que les montants réclamés à la défenderesse ressortaient sans aucune équivoque des motifs de la demande. A l'appui du recours en matière civile, la défenderesse persiste dans ce même moyen.
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Il est remarquable que devant le Conseil de prud'hommes, la défenderesse n'a pas conclu à l'irrecevabilité de la demande mais seulement au rejet de l'action. Bien qu'elle fût elle aussi, à l'instar du demandeur, conseillée et représentée par un avocat, elle n'a soulevé aucune exception contre la demande, ni dans sa réponse du 6 novembre 2015, ni dans sa duplique du 15 mars 2016, ni, non plus, à l'audience du 13 décembre 2017 consacrée aux débats. Or, le principe de la bonne foi s'impose en procédure civile de par l'art. 52 CPC; il interdit les comportements contradictoires dans le procès et il interdit aux parties, notamment, de garder des moyens de défense en réserve en vue de les soulever en appel si le jugement se révèle défavorable (ATF 142 I 155 consid. 4.4.4 p. 157, concernant les recours au Tribunal fédéral; Christoph Hurni, in Commentaire bernois, n° 60 ad art. 52 CPC). En l'espèce, par son comportement devant le Conseil de prud'hommes, la défenderesse a tacitement renoncé à contester la recevabilité des conclusions articulées dans la demande, et cette renonciation lui est opposable au regard de l'art. 52 CPC. La défenderesse fait inutilement valoir que selon l'art. 60 CPC, le Conseil devait vérifier d'office les conditions de recevabilité.
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5. Il est constant que les parties se sont liées par un contrat de travail et que celui-ci était conclu pour une durée indéterminée. Ledit contrat était donc susceptible d'une résiliation ordinaire avec observation d'un délai de congé, selon l'art. 335c CO, ou d'une résiliation immédiate pour de justes motifs, selon les art. 337 et 337a CO.
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L'art. 337 al. 1 CO consacre le droit de résilier sans délai pour de justes motifs. D'après l'art. 337 al. 2 CO, on considère notamment comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail. Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive. D'après la jurisprudence, les faits invoqués par la partie qui résilie doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave peut justifier le licenciement immédiat du travailleur ou l'abandon abrupt du poste par ce dernier. En cas de manquement moins grave, celui-ci ne peut entraîner une résiliation immédiate que s'il a été répété malgré un avertissement. Par manquement de l'une des parties, on entend en règle générale la violation d'une obligation imposée par le contrat mais d'autres faits peuvent aussi justifier une résiliation immédiate (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 31; 129 III 380 consid. 2.2 p. 382).
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Le juge apprécie librement, au regard des principes du droit et de l'équité déterminants selon l'art. 4 CC, si le congé abrupt répond à de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). A cette fin, il prend en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position du travailleur, la nature et la durée des rapports contractuels, et la nature et l'importance des manquements (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 32; 127 III 351 consid. 4a p. 354). Le Tribunal fédéral ne contrôle qu'avec réserve une décision d'équité prise en dernière instance cantonale. Il intervient lorsque la décision s'écarte sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, ou lorsqu'elle s'appuie sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu'elle ignore des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; en outre, le Tribunal fédéral redresse les décisions rendues en vertu d'un pouvoir d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (ATF 138 III 252 consid. 2.1 p. 254; 136 III 278 consid. 2.2.1 p. 279; 135 III 121 consid. 2 p. 123).
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En cas de résiliation immédiate et injustifiée du contrat, le travailleur peut réclamer ce qu'il aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à l'expiration du délai de congé (art. 337c al. 1 CO); le juge peut en outre lui allouer une indemnité dont il fixe librement le montant, en tenant compte de toutes les circonstances mais sans excéder six mois de salaire (art. 337c al. 3 CO).
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6. Après le licenciement ordinaire signifié le 22 août 2014, le demandeur a restitué un téléphone portable qui lui avait été confié. Par suite d'une perquisition de cet appareil, le directeur de la société défenderesse a pu s'informer précisément de messages SMS échangés au cours de la journée du jeudi 12 juin 2014, soit plus de deux mois auparavant, entre le demandeur et d'autres collaborateurs de l'entreprise. Les relations du personnel avec la direction étaient alors tendues et les collaborateurs s'attendaient et se préparaient à ce que le directeur les convoquât à une réunion. Le demandeur a notamment écrit : « après une heure de discussion en infériorité tout peut m'arriver »; « ça joue; il faudra être solidaires; un coup d'état se prépare »; « ok soyons forts et solidaires entre nous; il faudrait U.________ de notre côté; à quatre ils ne peuvent rien si on stoppe le boulot »; « oui il faut bien préparer nos réponses et être prêts à tout ». Ces messages du demandeur ont motivé le licenciement abrupt signifié le 25 août.
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Contrairement à l'opinion de la défenderesse, les propos ainsi transmis n'étaient pas concluants au regard de l'art. 337 al. 2 CO. Le droit du contrat de travail autorise en principe les travailleurs d'une entreprise à se concerter et à se coaliser en vue de défendre envers l'employeur leurs intérêts communs (cf. ATF 125 III 277 consid. 3c p. 284 relatif au droit de grève; Thomas Geiser et al., Arbeitsrecht in der Schweiz, 4e éd., 2019, n° 738 p. 323), et chacun d'eux a le droit d'entretenir des contacts avec les autres en vue d'une démarche collective (Patricia Schiess Rüttimann, in Commentaire bâlois, n° 11 ad art. 28 Cst.) ou de démarches individuelles coordonnées. En l'occurrence, les messages exprimaient et reflétaient surtout l'inquiétude du demandeur et de ses collègues dans un moment où la direction s'apprêtait, croyaient-ils, à les convoquer pour les admonester. Les messages ne contenaient aucun appel à une action manifestement illicite. La défenderesse insiste inutilement sur les mots « un coup d'état se prépare » pour imputer au demandeur, selon l'argumentation qu'elle soumet au Tribunal fédéral, une « réelle intention » de « destituer » ou de « renverser » la direction de l'entreprise et de « prendre sa place ». Une pareille mutinerie ne peut se concevoir que dans des situations prolongées de crises et de désordres très graves, heureusement exceptionnelles dans notre pays. Aucun indice concret n'est venu confirmer la « réelle intention » imputée au demandeur, et le fonctionnement de la direction légitime n'a subi aucune perturbation.
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La Cour civile du Tribunal cantonal juge de manière convaincante que les mots « un coup d'état se prépare » se rapportaient à la crainte que la direction n'impose abruptement, elle, des mesures défavorables au personnel, plutôt qu'à un projet subversif du demandeur. L'interprétation catastrophique avancée par la défenderesse n'a aucun fondement raisonnable et elle ne saurait être partagée.
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Il s'ensuit que la résiliation immédiate du contrat de travail ne pouvait pas se justifier par les messages du demandeur envoyés le 12 juin 2014.
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7. La résiliation immédiate du contrat de travail doit être déclarée sans retard dès les faits qui la motivent; sous réserve de circonstances particulières, elle ne peut pas être différée au delà d'un délai de réflexion de deux à trois jours (ATF 130 III 28 consid. 4.4 p. 34). En l'espèce, la Cour civile retient que la défenderesse, par son directeur, a appris au mois de juin 2014, déjà, que des collaborateurs avaient l'intention de se coaliser et de former un comité d'entreprise; que la direction n'a accompli aucune vérification apte à lui assurer une connaissance certaine de ces faits, et que la résiliation signifiée seulement après la perquisition du téléphone est donc tardive. Il n'est pas nécessaire de discuter ce point car à elle seule, de toute manière, l'intention du demandeur d'agir de manière concertée avec d'autres collaborateurs ne pouvait pas justifier son licenciement abrupt.
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8. La défenderesse a de surcroît motivé la résiliation immédiate du contrat de travail par d'autres faits encore. Elle a notamment découvert, prétendument, que le demandeur la concurrençait de manière déloyale en se chargeant pour son propre compte d'exécuter des travaux de menuiserie (Le demandeur a semble-t-il réalisé des pieds de table en chêne), qu'il passait des appels privés avec le téléphone de l'entreprise et qu'il en utilisait l'infrastructure informatique à des fins de délassement sans rapport avec son travail. Parmi les prestations allouées au demandeur, la défenderesse a aussi contesté un solde de prime au montant de 4'900 fr. afférent à l'année 2012.
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La Cour civile a écarté chacun de ces moyens sur la base de motivations circonstanciées et, à première vue, concluantes. En instance fédérale, la défenderesse se borne à reprendre ses arguments d'appel sans tenter aucune réfutation des considérants ainsi développés. Or, selon la jurisprudence relative à l'art. 42 al. 2 LTF, il incombe à partie recourante de discuter les motifs de la décision attaquée et d'indiquer précisément en quoi cette partie estime que l'autorité précédente a méconnu le droit; à défaut, le recours au Tribunal fédéral est irrecevable (ATF 140 III 86 consid. 2 p. 89). Cette exigence n'est pas satisfaite en ce qui concerne lesdits moyens, de sorte que le recours en matière civile est à leur égard irrecevable faute d'une motivation suffisante.
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9. Le recours se révèle privé de fondement, dans la mesure où les griefs présentés sont recevables. A titre de partie qui succombe, son auteur doit acquitter l'émolument à percevoir par le Tribunal fédéral et les dépens auxquels l'autre partie peut prétendre pour avoir pris position sur la demande d'effet suspensif.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : | |
1. Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
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2. La défenderesse acquittera un émolument judiciaire de 2'500 francs.
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3. La défenderesse versera une indemnité de 500 fr. au demandeur, à titre de dépens.
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4. Le présent arrêt est communiqué aux parties au Tribunal cantonal du canton du Jura.
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Lausanne, le 5 avril 2019
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Au nom de la Ire Cour de droit civil
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du Tribunal fédéral suisse
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La présidente : Kiss
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Le greffier : Thélin
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