BGer 1B_157/2019 | |||
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BGer 1B_157/2019 vom 09.07.2019 |
1B_157/2019 |
Arrêt du 9 juillet 2019 |
Ire Cour de droit public | |
Composition
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MM. les Juges fédéraux Chaix, Président,
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Merkli et Muschietti.
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Greffière : Mme Kropf.
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Participants à la procédure | |
A.________, représenté par Me Ludovic Tirelli, avocat,
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recourant,
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contre
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Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois, p.a. Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens.
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Objet
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Procédure pénale; administration des preuves,
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recours contre l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 7 février 2019 (97 - PE17.011760-OJO).
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Faits : | |
A. La police cantonale vaudoise a eu connaissance de l'existence d'un réseau de trafiquants d'origine balkanique - actif dans la cocaïne, le haschich et la marijuana - opérant sur la Riviera vaudoise. Dès lors, diverses mesures techniques ont été ordonnées dès le 26 juin 2017 par le Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois, respectivement autorisées par le Tribunal des mesures de contrainte (localisation, sonorisations de véhicules, contrôles téléphoniques directs et rétroactifs). Ces contrôles, ainsi que l'enquête de police ont permis de révéler que B.________ et sa famille - dont son fils A.________ - se seraient adonnés à cet important trafic de stupéfiants. Le prévenu A.________, placé en détention provisoire, a reconnu, au cours de ses auditions, avoir participé, depuis 2017, à un trafic de marijuana, de cocaïne et de haschich.
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Par courrier du 22 novembre 2018, l'avocat de A.________ a informé le Ministère public d'un incident survenu le 19 novembre 2018 lors de l'audition du prévenu B.________ par la police; son collaborateur, C.________, aurait en effet souhaité faire inscrire au procès-verbal que certaines décisions - dont celle de ne pas pouvoir poser de questions aux prévenus en lien avec des déclarations que d'autres personnes avaient faites préalablement - constituaient des violations du droit de participation à l'administration des preuves, réquisition à laquelle les policiers n'avaient pas donné suite. Selon les deux avocats, il s'agirait d'une violation patente des garanties de procédure; une clarification s'agissant du déroulement des auditions et une confirmation des droits basiques de la défense étaient sollicitées de la part du Ministère public.
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Dans sa réponse du 4 décembre 2018, le Procureur a considéré que le procès-verbal d'audition de police avait pour but de recueillir les déclarations de la personne entendue et non pas de faire état du contenu d'un débat juridique. Le Ministère public a encore relevé que la direction de l'interrogatoire lui incombait, respectivement à la police, et que l'avocat ne pouvait participer activement tout au long de l'audition; en particulier, ce dernier ne pouvait pas intervenir dans les questions posées par la police ou lors des réponses données par son client; enfin, les questions n'entrant pas dans le cadre fixé par les enquêteurs n'étaient pas prises en compte. Le Procureur a dès lors estimé qu'il n'y avait pas de violations du droit d'être entendu des parties ou des garanties procédurales.
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Le 5 décembre 2018, le mandataire de A.________ a considéré que le droit du conseil de poser des questions aux prévenus ne saurait être limité à celles en lien direct avec les points abordés dans l'audition et a requis, le cas échéant, une décision sujette à recours.
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Par ordonnance du 10 décembre 2018, le Ministère public a retenu que, lors d'une audition effectuée par la police, seules étaient autorisées les questions des parties en lien direct avec les points abordés durant ladite audition et qu'à la suite du dépôt du rapport final de police, tous les prévenus seraient entendus lors d'auditions finales au cours desquelles toutes les questions relatives à la procédure pourraient être posées par les parties aux comparants. Selon le Procureur, ce procédé se justifiait également vu la durée conséquente des auditions et la présence de nombreux avocats; de plus, le droit de poser des questions n'avait pas été refusé, mais temporairement limité et différé. Le Ministère public a encore rappelé que les parties pouvaient également à tout moment lui faire part de leurs déterminations par écrit. Il a enfin estimé que sa décision n'était vraisemblablement pas sujette à recours, faute de préjudice irréparable, puisque le fait de différer le droit des parties de poser des questions paraissait assimilable au rejet d'une réquisition de preuve.
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B. Le 7 février 2019, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a déclaré le recours formé par A.________ contre cette décision irrecevable.
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C. Par acte du 1er avril 2019, A.________ forme un recours en matière pénale contre cet arrêt, concluant à sa réforme notamment comme suit :
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"I. Le recours est admis.
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II. Le droit à un procès équitable et le droit de participer à l'administration des preuves de A.________, soit notamment son droit de poser des questions par l'intermédiaire d[e son conseil], comprend la possibilité de poser des questions en lien avec des déclarations que d'autres personnes ont faites préalablement, notamment lors d'autres auditions de police ou des questions qui visent à permettre d'apprécier la crédibilité des déclarations directement liées à l'objet de la procédure et/ou qui concernent la crédibilité de la personne auditionnée.
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III. Il est constaté que les preuves collectées lors des auditions de police qui se sont déroulées après que le Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois ait rendu son ordonnance du 10 décembre 2018, ainsi que lors de l'audition de police du 19 novembre 2018 sont des preuves administrées d'une manière illicite ou en violation des règles de validité.
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IV. L'exploitabilité à la charge de A.________ des preuves collectées, lors des auditions de police qui se sont déroulées après que le Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois ait rendu son ordonnance du 10 décembre 2018 et jusqu'au jour où [la cour cantonale] réformera ladite ordonnance, ainsi que lors de l'audition de police du 19 novembre 2018, sera tranchée par le juge du fond."
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A titre subsidiaire, le recourant demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Il sollicite également l'octroi de l'assistance judiciaire.
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L'autorité précédente, ainsi que le Ministère public se sont référés à la décision attaquée, sans déposer de déterminations.
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Considérant en droit : | |
1. Le recours est dirigé contre une décision d'irrecevabilité prise par une autorité statuant en tant qu'instance cantonale de dernière instance (art. 80 al. 1 LTF) dans une cause de droit pénal et le recours en matière pénale est donc en principe ouvert (art. 78 LTF).
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Ne mettant pas un terme à la procédure pénale, l'arrêt attaqué est de nature incidente et le recours n'est en principe recevable qu'en présence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Le recours est cependant formé contre une décision refusant l'entrée en matière faute d'intérêt juridiquement protégé, situation équivalent, sous l'angle de la recevabilité, à un déni de justice formel. Il y a donc lieu d'entrer en matière indépendamment de l'existence d'un éventuel préjudice irréparable (ATF 143 I 344 consid. 1.2 p. 346; arrêts 1B_91/2019 du 11 juin 2019 consid. 1; 1B_304/2018 du 13 novembre 2018 consid 1.2; 1B_242/2018 du 6 septembre 2018 consid. 1).
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Dans une telle situation, les motifs développés dans le recours au Tribunal fédéral doivent cependant porter uniquement sur la question de la recevabilité du recours cantonal, ce qui exclut l'examen des griefs développés en lien avec le fond. Il s'ensuit que les arguments de fond, soit ceux relatifs à la prétendue violation des droits du recourant de participer à l'administration des preuves, sont irrecevables.
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Pour le surplus, vu l'issue du litige, les autres questions de recevabilité - dont l'intérêt actuel et pratique à obtenir l'entrée en matière sur son recours cantonal (art. 81 al. 1 LTF) - peuvent rester indécises.
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2. L'art. 382 al. 1 CPP soumet la qualité pour recourir à l'existence d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision litigieuse. Cet intérêt doit être actuel et pratique. De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes et non de prendre des décisions à caractère théorique. Ainsi, l'existence d'un intérêt de pur fait ou la simple perspective d'un intérêt juridique futur ne suffit pas. Une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision ne possède donc pas la qualité pour recourir et son recours est irrecevable (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1 p. 84 s.).
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Il n'est en outre renoncé exceptionnellement à cette condition que si la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, si sa nature ne permet pas de la soumettre à une autorité judiciaire avant qu'elle ne perde son actualité et s'il existe un intérêt public suffisamment important à la solution des questions litigieuses en raison de leur portée de principe (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 p. 143; arrêts 1B_72/2014 du 15 avril 2014 consid. 2.1; 1B_458/2013 du 6 mars 2014 consid. 2.1).
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2.1. La Chambre des recours pénale a estimé que le Ministère public n'avait pris aucune décision statuant dans un cas concret, en particulier dans une cause concernant concrètement le recourant; le Procureur n'avait pas refusé au recourant le droit de poser une question précise à un témoin ou à un autre prévenu. La cour cantonale a dès lors considéré que le recourant n'avait aucun intérêt actuel et pratique à la modification de l'ordonnance du 10 novembre 2018 (art. 382 al. 1 CPP; consid. 1.3 p. 5 de l'arrêt attaqué).
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2.2. Ce raisonnement ne prête pas le flanc à la critique et le recourant ne développe d'ailleurs aucune argumentation spécifique afin de le remettre en cause, limitant ses griefs à la question de fond. Ce faisant, il ne démontre pas en quoi l'arrêt attaqué viole le droit (art. 42 al. 2 LTF).
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Dans la mesure où cela constituerait une motivation recevable, le recourant confirme de plus, dans le cadre de l'examen des conditions de recevabilité du recours au Tribunal fédéral, n'avoir aucun intérêt actuel et pratique. S'il soutient que les clarifications demandées tendraient à éviter que les limitations prétendument illicites de son droit de participer à l'administration des preuves perdurent (cf. en particulier p. 5 de son recours), il ne prétend en revanche pas avoir déjà été l'objet direct d'une restriction de son droit de formuler une question, notamment lors de la séance du 19 novembre 2018 ou au cours d'une audition ultérieure de la police et/ou du Ministère public. Son recours tend donc à prévenir une situation qui relève en l'état de la pure hypothèse en ce qui le concerne. Faute d'atteinte personnelle, une violation des droits procéduraux, constitutionnels et/ou conventionnels du recourant n'est ainsi pas démontrée. En outre, le recourant ne paraît pas dénué de tout moyen, puisqu'en cas de refus le concernant personnellement, il peut notamment réitérer sa demande au cours d'une audition ultérieure, lors de l'audition finale et/ou devant le juge du fond en cas de renvoi. Au vu de ces considérations, on ne voit dès lors pas quel grief défendable fondé sur la CEDH le recourant pourrait invoquer pour justifier l'entrée en matière indépendamment d'un intérêt juridique actuel, pratique et personnel en application de l'art. 13 CEDH (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 p. 143; 139 I 206 consid. 1.2 p. 208 ss; 137 I 296 consid. 4.3 p. 299 ss; pour un exemple récent : arrêt 1B_146/2019 du 20 mai 2019 destiné à la publication, voir notamment consid. 1.3 non destiné à la publication [violation de l'art. 8 CEDH invoquée en lien avec l'ouverture systématique - passée et future - du courrier du détenu recourant]).
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En tout état de cause, une violation des droits procéduraux paraît d'autant moins manifeste qu'il ressort du procès-verbal en cause que la question litigieuse - à l'initiative d'un avocat défendant un autre prévenu - a finalement pu être posée et qu'une réponse lui a été donnée (cf. le procès-verbal en cause D24/R p. 19, ainsi que le courrier du 4 décembre 2018 du Ministère public).
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Partant, la Chambre des recours pénale n'a violé ni le droit fédéral, ni les garanties constitutionnelles ou conventionnelles, en déclarant le recours cantonal du recourant irrecevable, faute de qualité pour recourir.
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3. Il s'ensuit que le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
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Le recourant a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire (art. 64 al. 1 LTF). Son recours était cependant d'emblée dénué de chances de succès et cette requête doit être rejetée. Eu égard à sa situation financière, il sera exceptionnellement statué sans frais (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : | |
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
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2. La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
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3. Il n'est pas perçu de frais judiciaires, ni alloué de dépens.
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4. Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois, à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud et à B.________, à D.________, à E.________, à F.________, à G.________, à H.________, à I.________, ainsi qu'à J.________, par le biais de leur avocat respectif.
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Lausanne, le 9 juillet 2019
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président : Chaix
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La Greffière : Kropf
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