BGer 1B_85/2020 | |||
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BGer 1B_85/2020 vom 20.05.2020 |
1B_85/2020 |
Arrêt du 20 mai 2020 |
Ire Cour de droit public | |
Composition
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MM. les Juges fédéraux Chaix, Président,
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Fonjallaz et Müller.
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Greffière : Mme Tornay Schaller.
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Participants à la procédure
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Ministère public du canton de Vaud, Procureur général adjoint, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens,
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recourant,
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contre
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A.________, représenté par Me Jean-Pierre Bloch, avocat,
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intimé.
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Objet
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Procédure pénale; surveillance téléphonique rétroactive,
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recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours pénale, du 3 février 2020 (PE16.021881-NKS).
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Faits : | |
A. Le 7 novembre 2016, le Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois (ci-après: le Ministère public) a ouvert une instruction pénale contre B.________ pour agression (art. 134 CP). Il lui est reproché d'avoir participé à l'agression de trois personnes dont le patron d'un bar - qui était en train de fermer son établissement le 6 novembre 2016 vers 03h50 -, de concert avec une dizaine d'individus munis de barres de fer et de battes de base-ball. Le 14 février 2017, le Ministère public a adressé au Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud (Tmc) une demande de surveillance rétroactive du raccordement téléphonique n° 079 [...] dont A.________ est détenteur. Il a motivé sa requête en indiquant qu'une victime semblait avoir reconnu le prénommé parmi ses agresseurs. Par ordonnance du 15 février 2017, le Tmc a autorisé la surveillance rétroactive pour la période allant du 14 août 2016 au 14 février 2017.
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Le 23 décembre 2019, le Ministère public a précisé que l'instruction était notamment ouverte contre A.________.
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Le 24 décembre 2019, le Ministère public a informé A.________ qu'il avait ordonné, dans le cadre de la présente procédure, la surveillance rétroactive de son raccordement téléphonique. A.________ a recouru contre cette mesure de surveillance auprès de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal cantonal), en concluant à ce que les résultats de celle-ci soient déclarés inexploitables. Par arrêt du 3 février 2020, le Tribunal cantonal a admis le recours, a déclaré inexploitables les résultats de la mesure de surveillance rétroactive litigieuse, les documents y relatifs devant être immédiatement détruits.
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B. Agissant par la voie du recours en matière pénale, le Ministère public du canton de Vaud, agissant par le Procureur général adjoint, demande principalement au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt du 3 février 2020 en ce sens que le recours est rejeté et l'ordonnance du Tmc du 15 février 2017 est confirmée. Il conclut subsidiairement au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants.
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Le Tribunal cantonal se réfère aux considérants de son arrêt. L'intimé conclut principalement à l'irrecevabilité du recours et à titre subsidiaire implicitement au rejet du recours. A titre encore plus subsidiaire, il demande de constater que les conditions d'application de l'art. 273 CPP n'étaient pas remplies au moment de la demande.
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Par ordonnance du 12 mars 2020, le Président de la Ire Cour de droit public a admis la requête d'effet suspensif, présentée par le recourant.
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Considérant en droit : | |
1. L'arrêt attaqué, relatif à des mesures de surveillance téléphonique, a été rendu au cours d'une procédure pénale par une autorité statuant en dernière instance cantonale (art. 80 LTF); il est donc susceptible d'un recours en matière pénale au sens des art. 78 ss LTF. Le Ministère public, agissant par le Procureur général adjoint (art. 27 al. 2 de la loi vaudoise sur le Ministère public du 19 mai 2009 [RS/VD 173.21]; ATF 142 IV 196 consid. 1 p. 197), a pris part à la procédure devant l'instance précédente au sens de l'art. 81 al. 1 let. a LTF, en tant que plus haute autorité de poursuite pénale du canton (ATF 134 IV 36 consid. 1.3 p. 38). Il dispose d'un intérêt juridique protégé au sens de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 3 LTF à la réforme de l'arrêt attaqué dans le sens d'une confirmation de l'ordonnance de surveillance rétroactive du raccordement téléphonique précité. Il a ainsi la qualité pour recourir.
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La décision attaquée est une décision incidente qui cause un préjudice irréparable au Ministère public, dans la mesure où l'arrêt attaqué déclare inexploitables les résultats de la mesure de surveillance rétroactive du raccordement téléphonique litigieux et ordonne la destruction immédiate des documents y relatifs (art. 93 al. 1 let. a LTF; cf. ATF 137 IV 340 consid. 2.3 p. 345; arrêt 1B_481/2012 du 22 janvier 2013 consid. 1.1, non publié in ATF 139 IV 98). Le Ministère public rend en effet vraisemblable que l'impossibilité d'exploiter des données provenant du contrôle rétroactif du raccordement téléphonique en question et leur destruction le privent des éléments de localisation démontrant la présence de l'intimé sur les lieux de l'agression.
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Les autres conditions de recevabilité sont remplies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière sur le fond.
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2. Le Ministère public reproche au Tribunal cantonal de s'être fondé sur l'art. 269 al. 2 let. a CPP pour retenir que la surveillance rétroactive litigieuse n'était pas susceptible d'être autorisée au motif qu'elle ne pouvait être ordonnée pour poursuivre une infraction d'agression au sens de l'art. 134 CP.
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2.1. Deux types de surveillance des télécommunications sont possibles. Alors que l'art. 269 CPP régit les mesures de surveillance actives (en temps réel) - qui ne peuvent être ordonnées que dans le cadre d'un catalogue restreint d'infraction (art. 269 al. 2 CPP) -, l'art. 273 CPP traite des mesures de surveillance rétroactives, soumises à des conditions plus larges. Ainsi, à teneur de l'art. 273 al. 1 CPP, lorsque de graves soupçons laissent présumer qu'un crime, un délit ou une contravention au sens de l'art. 179
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L'art. 273 CPP, tel qu'exposé ci-dessus, est entré en vigueur le 1 er mars 2018 (RO 2018 117). Dans son ancienne teneur, l'art. 273 aCPP prévoyait que lorsque de graves soupçons laissent présumer qu'un crime, un délit ou une contravention au sens de l'art. 179 septies CP a été commis et que les conditions visées à l'art. 269 al. 1 let. b et c sont remplies, le Ministère public peut exiger que lui soient fournies les données indiquant quand et avec quelles personnes ou quels raccordements la personne surveillée a été ou est en liaison par poste ou télécommunication (let. a) ou les données relatives au trafic et à la facturation (let. b) (RO 2010 1881).
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2.2. En l'espèce, il n'est pas contesté que les mesures de surveillance de la télécommunication litigieuses sont rétroactives et qu'elles portent sur une période antérieure à la demande, soit du 14 août 2016 au 14 février 2017. La cour cantonale ne pouvait donc pas se fonder sur l'art. 269 al. 2 CPP pour annuler la mesure de surveillance rétroactive. Elle aurait dû au contraire retenir que, conformément à l'art. 273 al. 1 CPP, les soupçons de commission d'une infraction d'agression permettent au Ministère public d'ordonner le contrôle rétroactif d'un raccordement et au Tmc de l'autoriser.
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Dans la mesure où la surveillance rétroactive a été ordonnée en 2017, c'est cependant l'art. 273 al. 1 aCPP qui s'applique en l'espèce. L'art. 273 aCPP ne fait pas référence aux données secondaires de télécommunication au sens de la LSCPT. La notion de données secondaires contenue dans le nouvel art. 273 al. 1 CPP est "simplifiée par rapport à celle [de l'art. 273 al. 1 aCPP], sans que cela ne change son contenu matériel" (Message concernant la LSCPT du 27 février 2013, FF 2013 2379, 2475). Les données secondaires relatives à la géolocalisation étaient ainsi déjà visées par l'art. 273 aCPP (MARC JEAN-RICHARD-DIT-BRESSEL, Basler Kommentar StPO, 2ème éd., 2014, ad art. 273 aCPP N 6; BACHER/ZUFFEREY, Commentaire romand CPP, 1ère éd., 2011, ad art. 273 aCPP N 4). L'intimé se prévaut donc en vain de ce que la surveillance rétroactive litigieuse ne pouvait pas concerner les données secondaires liées à la localisation.
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Il convient par conséquent d'admettre le recours et de renvoyer la cause au Tribunal cantonal afin qu'il examine si les autres conditions de l'art. 273 al. 1 aCPP (renvoi à l'art. 269 al. 1 let. b et c CPP) sont remplies. Il incombera ainsi à l'instance précédente d'établir si la mesure de surveillance litigieuse se justifie au regard de la gravité de l'infraction et si "les mesures prises jusqu'alors dans le cadre de l'instruction sont restées sans succès ou les recherches n'auraient aucune chance d'aboutir ou seraient excessivement difficiles en l'absence de surveillance".
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Par ailleurs, l'intimé fait valoir que l'abonnement du numéro 079 [...] est enregistré au nom de sa mère. Il ressort en effet de la communication de la mesure de surveillance (art. 279 CPP) du 24 décembre 2019 que le raccordement téléphonique en question est enregistré au nom de la mère de l'intimé. Or les conditions d'application de l'art. 270 let. b aCPP relatif à la surveillance dirigée contre un tiers n'ont été examinées ni dans l'ordonnance du Tmc, ni dans l'arrêt attaqué. Il appartiendra donc au Tribunal cantonal de vérifier que le raccordement téléphonique en question puisse faire l'objet d'une surveillance d'un tiers au sens de l'art. 270 let. b aCPP.
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3. Il s'ensuit que le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée au Tribunal cantonal pour nouvelle décision au sens des considérants.
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L'intimé qui succombe supportera des frais judiciaires réduits (art. 66 al. 1 LTF). Le recourant n'a pas droit à des dépens (art. 66 al. 3 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : | |
1. Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée au Tribunal cantonal pour nouvelle décision au sens des considérants.
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2. Les frais judiciaires, arrêtés à 1'500 fr., sont mis à la charge de l'intimé.
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3. Il n'est pas alloué de dépens.
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4. Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours pénale.
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Lausanne, le 20 mai 2020
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président : Chaix
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La Greffière : Tornay Schaller
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