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Informationen zum Dokument  BGer 4A_585/2019  Materielle Begründung
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BGer 4A_585/2019 vom 22.07.2020
 
 
4A_585/2019
 
 
Arrêt du 22 juillet 2020
 
 
Ire Cour de droit civil
 
Composition
 
Mmes les Juges fédérales
 
Kiss, présidente, Niquille et May Canellas.
 
Greffière : Monti.
 
Participants à la procédure
 
A.________ SA,
 
représentée par Me Laurent Pfeiffer,
 
recourante,
 
contre
 
1. B.________,
 
représentée par Me Dario Barbosa,
 
2. Caisse de chômage C.________,
 
intimées.
 
Objet
 
contrat de travail; résiliation immédiate,
 
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le
 
28 octobre 2019 par la Cour d'appel civile du
 
Tribunal cantonal du canton de Vaud
 
(n° 567; P318.016619-190894).
 
 
Faits :
 
 
A.
 
A.a. Par contrat de travail du 16 février 2009, B.________ a été engagée comme employée de commerce à 100 % au service de la société A.________ SA.
1
A.b. En juin 2015, l'employée a invité l'employeuse à respecter ses droits de la personnalité. Elle se référait à des reproches formulés à son encontre en présence d'autres employés.
2
L'employeuse a pour sa part déploré des manquements de l'intéressée concernant des dizaines de dossiers non facturés et non archivés, ainsi que des adjudications non traitées. Elle a toutefois exprimé la volonté de tirer un trait et de repartir sur des bases saines.
3
A.c. L'employée était en charge du service après-vente. Dès le mois de novembre 2017, elle y était la seule secrétaire; la personne censée l'aider était en arrêt maladie pour une longue durée. Dès février 2018, l'employée a dû en outre se charger de la formation de D.________, qui venait d'être engagé.
4
A.d. Le 20 novembre 2017, la régie immobilière E.________ a envoyé à l'adresse électronique de l'employeuse un courriel contenant un bon pour des travaux relatifs à un exutoire de fumée, devant être effectués dans une propriété par étages (PPE) dont elle s'occupait.
5
Au sein de l'employeuse, la collaboratrice en charge de cette cliente était partie en juillet 2017 et le dossier n'avait pas été réattribué formellement à un autre employé.
6
Le courriel a été déplacé dans le compartiment "corbeille" et supprimé. Trois personnes avaient accès à la boîte aux lettres électronique de l'employeuse, soit l'administrateur F.________, l'employée et une autre secrétaire dénommée G.________.
7
N'obtenant pas de réponse, la régie immobilière a adressé trois courriels de relance les 1er décembre 2017, 1er février 2018 et 12 février 2018. Ils ont également été déplacés dans la corbeille et supprimés.
8
Par courrier électronique du 13 février 2018, la gérance immobilière a imparti un dernier délai au 15 février 2018 pour faire le nécessaire. Ce message a connu le même sort que les précédents.
9
Le 14 février 2018, l'employeuse a licencié l'employée avec effet immédiat. Elle expliquait avoir découvert le 12 février 2018 que l'employée avait supprimé des courriels émanant de partenaires contractuels sans les traiter et sans en informer ses supérieurs. Ces agissements avaient des conséquences désastreuses sur l'image et la réputation de la société et mettaient en danger ses intérêts économiques et sa viabilité.
10
L'employée s'est opposée au licenciement.
11
 
B.
 
B.a. Le 13 mars 2018, l'employée a actionné l'employeuse devant le Tribunal de prud'hommes de l'Est vaudois. Elle prétendait en particulier au paiement de son salaire jusqu'au 30 avril 2018 et à une indemnité en raison de son licenciement immédiat injustifié.
12
La Caisse de chômage C.________ a également ouvert action le 13 avril 2018, invoquant une créance subrogatoire pour les indemnités journalières versées entre le 15 février 2018 et le 30 avril 2018. Les causes ont été jointes.
13
Entendue par le tribunal, l'employée a admis avoir détruit deux des cinq courriels litigieux, soit ceux des 1er février et 12 février 2018. Elle avait supprimé machinalement ces messages de la corbeille, ignorant pour quelle raison elle avait procédé de la sorte. Elle était surmenée et "recevait" tous les jours des remarques. Elle n'avait pas souvenir des courriels du 1er décembre 2017 et du 13 février 2018.
14
L'administrateur F.________ a expliqué avoir été alerté par l'autre secrétaire G.________, qui avait constaté la disparition du courriel du 12 février 2018. Il avait alors contacté la régie immobilière, qui lui avait transmis l'historique des messages. Ils avaient convenu que la régie enverrait un nouveau message le 13 février 2018 en lui adressant une copie cachée. Les autres collaborateurs, dont G.________, avaient reçu l'ordre de ne pas toucher à ce courriel. Cinq minutes après son arrivée, le message avait été supprimé tant de la boîte aux lettres que de la corbeille.
15
Le Tribunal prud'homal a également entendu trois autres collaborateurs, soit le responsable des projets (H.________), un ancien employé technicien au service après-vente (I.________) et D.________, affecté au même service.
16
Statuant le 6 mai 2019, cette autorité a retenu en fait que l'employée avait détruit deux courriels; elle avait ainsi commis une faute qui, dans le contexte en cause, ne justifiait cependant pas un licenciement immédiat. L'employée avait droit au versement de son salaire jusqu'au 30 mars 2018 (art. 337c al. 1 CO). La caisse de chômage était subrogée à hauteur des indemnités versées pendant la période topique. Enfin, l'employée pouvait prétendre à une indemnité correspondant à un mois de salaire en raison du congé injustifié (art. 337c al. 3 CO).
17
Traduite en chiffres, cette décision astreignait l'employeuse à payer 13'700 fr. bruts à l'employée, dont à déduire les charges sociales ainsi que 7'529 fr. 70 nets revenant à la caisse de chômage en vertu de la subrogation. La travailleuse avait en outre droit à une indemnité de 5'600 fr. nets.
18
B.b. Par arrêt du 28 octobre 2019, le Tribunal cantonal vaudois a rejeté l'appel de l'employeuse. Ses considérants seront évoqués ci-dessous dans la mesure utile à la discussion.
19
C. L'employeuse a déposé un recours en matière civile tendant au rejet des demandes intentées tant par l'employée que par la caisse de chômage.
20
L'autorité précédente et les deux intimées n'ont pas été invitées à déposer une réponse.
21
 
Considérant en droit :
 
1. Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées sur le principe, notamment celles afférentes au délai de recours (art. 45 al. 1 LTF et art. 100 al. 1 LTF) et à la valeur litigieuse minimale de 15'000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF en lien avec l'art. 52 LTF; cf. arrêt 4A_706/2016 du 4 août 2017 consid. 1). Demeure réservée la recevabilité des griefs en particulier, à l'aune des exigences de motivation rappelées ci-dessous.
22
 
Erwägung 2
 
2.1. Le recours en matière civile peut être exercé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Eu égard, toutefois, aux exigences de motivation découlant de l'art. 42 al. 2 LTF, il n'examine d'ordinaire que les griefs invoqués, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes (ATF 140 III 115 consid. 2 p. 116). Pour la violation des droits constitutionnels tels que la prohibition de l'arbitraire (art. 9 Cst.) prévalent des règles particulières: conformément au principe d'allégation, le recourant doit indiquer quel droit constitutionnel a été violé, en expliquant de façon circonstanciée en quoi consiste la violation (art. 106 al. 2 LTF; ATF 134 II 244 consid. 2.2; 133 II 396 consid. 3.2).
23
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte - c'est-à-dire arbitraires - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Conformément au principe d'allégation évoqué ci-dessus, le recourant qui entend contester les faits retenus par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 p. 18 et les références).
24
L'appréciation des preuves est entachée d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. lorsque le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables. L'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution serait concevable, voire préférable (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2).
25
3. L'employeuse recourante soulève le grief d'arbitraire dans l'établissement des faits et plaide en droit que le congé était sous-tendu par de justes motifs au sens de l'art. 337 CO.
26
C'est le lieu d'évoquer l'analyse conduite par les juges cantonaux.
27
Ceux-ci ont retenu en fait que l'employée avait détruit deux courriels, soit ceux des 1er février et 12 février 2018. Il n'était pas établi que la suppression des trois autres messages fût aussi son fait. Elle n'était pas la seule secrétaire active au sein de l'entreprise, et trois personnes avaient accès à la boîte aux lettres électronique. L'employeuse eût pu aisément citer comme témoin l'autre secrétaire (G.________) qui, selon ses explications, avait détecté le comportement inadéquat de l'employée et avait reçu l'instruction de ne pas supprimer le courrier-test du 13 février 2018; or, l'employeuse s'était abstenue de requérir une telle mesure. Il n'était pas davantage établi que la régie immobilière E.________ aurait eu des contacts téléphoniques avec l'employée, laquelle aurait fait sciemment abstraction d'informations données au cours de ces contacts.
28
L'organisation du secrétariat de l'employeuse était chaotique, de même que la gestion de la boîte aux lettres électronique. La charge de travail était lourde dans l'entreprise. L'employée était la seule secrétaire au service après-vente depuis novembre 2017. De plus, le dossier de la PPE concerné par les suppressions d'e-mails était originellement du ressort d'une employée licenciée en juillet 2017 et n'avait pas été formellement attribué à un autre employé. Les circonstances plaidaient pour une suppression par inadvertance, plutôt que pour un acte systématique et délibéré. Il n'était pas établi que l'employée ait voulu nuire à l'employeuse.
29
Un tel comportement n'était pas propre à rompre le rapport de confiance à un point tel qu'une continuation des rapports de travail jusqu'à l'échéance ordinaire du contrat ne puisse raisonnablement être exigée. Le manquement n'était pas suffisant pour légitimer un congé immédiat, eu égard à la position subalterne de l'intéressée au sein de l'entreprise, et surtout au contenu des deux courriels supprimés: le 1er février 2018, la régie avait imparti un délai au 5 février pour procéder aux travaux, sous peine de s'adresser à une autre entreprise; elle avait néanmoins relancé l'employeuse le 12 février 2018 en l'invitant à lui transmettre un devis.
30
4. Avant de passer à l'examen des griefs, il sied de rappeler quelques préceptes.
31
L'art. 337 CO autorise l'employeur (comme le travailleur) à résilier immédiatement le contrat de travail pour de justes motifs (al. 1). Constituent notamment de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger la continuation des rapports de travail (al. 2). Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (al. 3).
32
Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate doit être admise de manière restrictive. D'après la jurisprudence, les faits invoqués par l'auteur du congé doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave peut justifier le licenciement immédiat du travailleur. Un manquement moins grave ne peut entraîner une telle sanction que s'il a été répété malgré un avertissement. Par manquement de l'une des parties, on entend en règle générale la violation d'une obligation imposée par le contrat, mais d'autres faits peuvent aussi justifier une résiliation immédiate (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 31; 129 III 380 consid. 2.1 et 2.2).
33
Le juge apprécie librement, au regard des principes du droit et de l'équité déterminants selon l'art. 4 CC, si le congé abrupt répond à de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). A cette fin, il prendra en considération tous les éléments du cas particulier, dont la position du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels, la nature et l'importance des manquements (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 32; 127 III 351 consid. 4a p. 354). Le Tribunal fédéral ne contrôle qu'avec réserve une décision d'équité prise en dernière instance cantonale. Il intervient lorsque la décision s'écarte sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, ou lorsqu'elle s'appuie sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu'elle ignore des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération (ATF 138 III 252 consid. 2.1 p. 254; 137 III 303 consid. 2.1.1 p. 305).
34
 
Erwägung 5
 
5.1. En l'occurrence, l'employeuse reproche à l'autorité précédente d'avoir retenu des déficiences dans la gestion du secrétariat et des courriels; elle aurait accordé une importance excessive à la charge de travail, qui demeurait supportable. Les déclarations des témoins auraient été sorties de leur contexte.
35
Le jugement de première instance contient de larges extraits des témoignages dont la recourante voudrait tirer argument. Les juges vaudois n'ont manifestement pas méconnu les propos de ces témoins. Il appert simplement que la recourante souhaiterait substituer sa propre appréciation à celle de l'autorité précédente - en méconnaissant que la cour de céans n'a vocation qu'à sanctionner un véritable arbitraire, manifestement inexistant dans le cas d'espèce. Il a bel et bien été attesté d'une organisation chaotique et d'un manque de suivi des dossiers au sein de la société, et on voit mal comment cette désorganisation n'aurait pas affecté également le secrétariat et la gestion de la boîte aux lettres électronique. A tout le moins n'était-il pas insoutenable de tirer une telle conclusion. La critique de la recourante s'inscrit sur un mode essentiellement appellatoire, non admissible à ce stade de la procédure.
36
5.2. Ces considérations valent également s'agissant du nombre d'e-mails supprimés, que la recourante voudrait porter à cinq. On relèvera simplement qu'elle ne dit mot quant au fait qu'elle a renoncé à faire témoigner la secrétaire G.________ - tout comme des collaborateurs de la régie immobilière.
37
5.3. La recourante tente vainement d'attribuer aux deux courriels supprimés un poids qu'ils n'ont manifestement pas. Le fait qu'elle vende et entretienne du matériel contre les incendies ne signifie pas encore que tout courriel émanant d'un de ses clients serait revêtu de la plus haute importance. La patience dont la régie immobilière a fait preuve démontre suffisamment que l'intervention sollicitée n'avait rien d'urgent.
38
5.4. La recourante conteste enfin la position subalterne de l'employée, en soulignant qu'elle était à son service depuis neuf ans et officiait comme "responsable de la gestion du service après-vente".
39
Selon l'arrêt attaqué, l'intéressée était "en charge du service après-vente". L'expression doit être relativisée, dans la mesure où la fonction de cette secrétaire, telle que définie dans le contrat, consistait à s'occuper de la facturation, de la prospection, de la correspondance, des devis et de la réception; il n'apparaît pas qu'elle aurait diamétralement changé au gré du temps. La rémunération (initialement 4'900 fr., puis 5'600 fr. en 2017) est du reste suffisamment parlante: l'employée était bel et bien dans une position subalterne.
40
5.5. Il s'ensuit que la recourante échoue à démontrer un arbitraire dans les constatations de fait.
41
6. L'autorité précédente aurait enfreint l'art. 337 CO en déniant que le congé immédiat fût sous-tendu par de justes motifs.
42
Il n'apparaît toutefois pas que les juges vaudois aient pris en compte des circonstances inadéquates, ou omis des critères importants.
43
Les premiers juges, dont le raisonnement a été repris par l'instance supérieure, ont notamment pointé la durée des rapports contractuels (l'employée finissant sa neuvième année de travail), la relative brièveté du délai de congé ordinaire (deux mois pour la fin d'un mois) et le fait que l'employeuse avait pu s'accommoder d'un problème similaire rencontré en 2015, lorsqu'elle avait reproché à l'employée de ne pas avoir traité un certain nombre de dossiers, dénonçant à l'époque des "dizaines de dossiers non facturés, de dossiers non archivés, des adjudications non traitées, ceci parfois pendant des années"; il n'apparaissait pas qu'elle eût alors formulé un avertissement formel.
44
Les deux décisions cantonales ont analysé la situation de façon détaillée; elles sont arrivées à la conclusion que l'on pouvait raisonnablement attendre de l'employeuse qu'elle maintienne les rapports de travail jusqu'à l'échéance ordinaire. Le présent cas ne justifie en aucune façon l'intervention du Tribunal fédéral à l'égard d'une décision d'équité dûment soupesée.
45
La recourante n'émet pas d'autres griefs, ce qui clôt ici la discussion (consid. 2.1 supra).
46
7. En définitive, le présent recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
47
Partant, l'émolument judiciaire fixé conformément à l'art. 65 al. 4 let. c LTF sera mis à la charge de la recourante, qui sera en revanche dispensée de payer des dépens puisque les intimées n'ont pas eu à déposer de réponse.
48
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de la recourante.
 
3. Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud.
 
Lausanne, le 22 juillet 2020
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil
 
du Tribunal fédéral suisse
 
La présidente : Kiss
 
La greffière : Monti
 
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