BGE 61 I 32 - Union syndicale de Lausanne | |||
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Bearbeitung, zuletzt am 16.03.2020, durch: Sabiha Akagündüz, A. Tschentscher | |||
3. Arrêt du 22 mars 1935 |
dans la cause Union syndicale et Union des chùmeurs de Lausanne |
contre |
Conseil d'Etat du canton de Vaud. |
Liberté d'association. Droit de réunion. Art. 56 Const. féd. ; art. 8 Const. vaudoise. |
La marche de colonnes convergentes de sans-travail traversant un canton pendant plusieurs jours pour aller présenter des revendications à Berne ne constitue ni une "réunion" ni un autre mode normal d'exercice du droit d'association, mais une manifestation sui generis qui peut être interdite parce que dangereuse pour l'ordre public. | |
en fait: | |
A. | |
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Le Droit du Peuple du 22 novembre proposa "une grande manifestation comprenant cortège et réunion plénière" à Lausanne, "centre de ralliement de toutes les sections du bord du Léman y compris les camarades du Valais" Pour la marche même, le journal prévoyait les mesures suivantes :
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"Dans chaque localité traversée, se tiendrait un court meeting pour expliquer à la population les revendications des chùmeurs. Distribution de tracts. Collecte pour l'entretien de la colonne. Ces meetings seraient préparés par une équipe munie de bicyclettes, qui irait en avant-garde et convoquerait la population.
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"II faudrait immédiatement préparer les étapes : souper, couche, déjeuner, et également les dóners des colonnes de chùmeurs, par collecte de marchandises dans la localité..."
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Le 10 novembre, le journal communiste La Lutte avait déjà battu le rappel en faveur de la marche sur Berne. "Le voyage à pied, disait-il, comporte l'alerte de tous les groupes syndicaux, dans toutes les villes et bourgs du parcours, la mobilisation de la population de ces localités, l'entraónement des paysans à soutenir les chùmeurs qui ne peuvent consommer leurs produits en raison de moyens toujours plus restreints. Représentez-vous le Conseil fédéral aux prises avec les colonnes de sans-travail convergeant vers la capitale et son palais, augmentant à chaque kilomètre... Ne croyez-vous pas que nos sept Bouddhas fédéraux auraient un intérêt à examiner d'urgence les revendications des chùmeurs ?..."
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Dans le numéro du 8 décembre de La Lutte on lit : "II s'agit de donner l'ampleur la plus grande possible à la suggestion des chùmeurs lausannois : organisation de meetings dans chaque localité... Il est certain que préparée dès aujourd'hui, la marche sur Berne au mois de mars prendra une ampleur formidable. Quelques chiffres à ce sujet sont fort indicatifs : De Lausanne seulement, en quelques jours, 250 adhésions avaient été recueillies pour la marche sur Berne ! De Genève 25. Et de chaque petite localité, 1, 2, 3. II faut faire de la marche sur Berne en mars 1935 une manifestation sans précédent dans l'histoire du mouvement ouvrier suisse."
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Le Droit du Peuple du 1er décembre rend compte d'une assemblée des chùmeurs genevois oi la résolution suivante fut prise : "Les chùmeurs et chùmeuses du canton de Genève, réunis en assemblée extraordinaire le 30 novembre 1934, déclarent se désolidariser de la manifestation dite "Marche sur Berne" prévue pour le début de décembre par des organisations dont la plupart se rattachent à l'opposition syndicale révolutionnaire..."
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B. | |
Informé du projet des unions de chùmeurs, le Conseil d'Etat vaudois prit le 29 novembre 1934 la décision suivante, qu'il publia et en outre communiqua aux présidents de l'Union syndicale et de l'Union des chùmeurs de Lausanne, en les rendant personnellement responsables de la stricte application de l'arrêté :
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"... Considérant que les différentes manifestations prévues en cours de route sur territoire vaudois, du 29 novembre au 4 décembre 1934, sont de nature à troubler l'ordre et la tranquillité publique ;
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"en application de l'article 8 de la Constitution cantonale ;
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"Vu le préavis du Département de justice et police ;
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"arrête :
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"Article premier. La manifestation dite B Marche des chùmeurs sur Berne R est interdite sur tout le territoire vaudois, sous une forme quelconque. En conséquence, interdiction est faite aux participants à cette manifestation, provenant d'autres cantons, de pénétrer sur territoire vaudois.
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"Art. 3. Les contrevenants sont passibles des dispositions du code pénal vaudois, notamment de l'art. 251.
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"Art. 4. Le présent arrêté entre immédiatement en vigueur..."
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Cet arrêté a été abrogé le 22 décembre 1934.
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C. | |
L'Union syndicale et l'Union des chùmeurs de Lausanne ont formé auprès du Tribunal fédéral un recours de droit public en concluant à l'annulation de l'arrêté du Conseil d'Etat.
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Selon les recourantes, le gouvernement cantonal a interprété arbitrairement l'art. 8 de la Constitution vaudoise et violé l'art. 56 Const. féd. (garantie du droit d'association impliquant celle du droit de réunion) ainsi que la liberté de la presse (art. 55 Const. féd. et 7 Const. cant.).
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Le Tribunal fédéral a rejeté le recours. | |
Extrait des motifs : | |
2. ... Le recours revient à reprocher au Conseil d'Etat d'avoir violé le droit de réunion. Or, qu'on se place sur le terrain de l'art. 8 Const. cant. qui consacre expressément le droit de réunion ou sur le terrain de l'art. 56 Const. féd., en admettant par hypothèse qu'il reconnaót de même, encore qu'implicitement, ce droit, celui-ci trouve en tout cas sa limite dans l'ordre public. L'arrêt Sozialdemokratische Partei Basel-Stadt (RO 60 I p. 207 in fine ; cf. aussi 57 I p. 266 et sv. ; J. d. T. 1935 p. 122) constate que "auf alle Fälle kann der Schutz des Art. 56 BV für Versammlungen nicht weiter reichen als für Vereine, also Versammlungen, die in ihren Zwecken oder Mitteln rechtswidrig oder staatsgefährlich sind, nicht umfassen" (de toute faWon, la garantie de l'art. 56 ne peut pas être plus étendue pour des assemblées que pour des associations, ni s'appliquer, par conséquent, aux assemblées dont le but ou les moyens qu'elles emploient sont illicites ou dangereux pour l'Etat). La question est donc en dernière analyse de savoir supposé que le droit d'association ou de réunion f’t réellement en cause, ce qui est fort discutable si le Conseil d'Etat a eu raison d'admettre que la manifestation projetée était contraire à l'ordre public.
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3. En effet, bien que l'autorité cantonale ne se soit pas placée à ce point de vue, elle aurait pu sérieusement contester le caractère de "réunion" à la manifestation projetée, en tant qu'elle devait emprunter le territoire vaudois. En vérité, le projet comportait aussi une assemblée de chùmeurs à Lausanne, mais cette réunion n'était pas une manifestation indépendante, elle faisait partie intégrante de la "marche sur Berne" et c'est à ce titre non pas en soi qu'elle a aussi été interdite. Quant à la marche proprement dite, elle n'était certes pas une assemblée ni une réunion si, comme il échet, on entend par là la rencontre d'un nombre plus ou moins grand de personnes qui se réunissent pour un court laps de temps (quelques heures au plus, en général), à un endroit déterminé (dans un local fermé ou à ciel ouvert) pour écouter des orateurs, pour discuter et pour prendre des décisions. La marche organisée en automne 1934 était tout autre chose. Pour s'en convaincre, il suffit de lire les détails indiqués par le numéro du Droit du Peuple du 22 novembre 1934. La marche devait durer 11 jours (6 sur le territoire vaudois), s'effectuer en plusieurs colonnes convergentes, avec des arrêts pour passer la nuit, avec des haltes et des quêtes dans les localités traversées, avec la distribution d'un tract de revendications et le contact pris avec la population pour l'influencer ; elle devait se terminer à Berne par une manifestation destinée, comme les recourantes le disent elles-mêmes, à exercer une "pression" sur les "autorités compétentes" et plus spécialement sur le "parlement". Il s'agissait d'une manifestation d'un genre particulier comme il en avait déjà été organisé à l'étranger oi les "marcheurs de la faim" ont provoqué des troubles graves (à New-York et à Londres notamment). Quoi que les recourantes prétendent, le mouvement ne laissait point d'avoir un certain caractère subversif ; les chùmeurs de Genève fait symptomatique se sont désolidarisés de la manifestation par le motif que la plupart des organisateurs se rattachaient à "l'opposition syndicale révolutionnaire" (Droit du Peuple du 1er décembre 1934). On ne saurait d'autre part comparer une entreprise d'une pareille envergure avec le cortège qui traverse simplement les rues d'une localité pour se rendre au lieu de l'assemblée. La marche avait une importance et une signification toutes différentes et bien plus grandes ; elle devait par elle-même frapper les imaginations, créer un mouvement favorable aux chùmeurs, impressionner l'opinion publique, entraóner les paysans, rallier partout des renforts et, en une masse sans cesse grandissante, faire pression sur les autorités ; l'assemblée de Berne n'en était que l'aboutissement.
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Les recourantes objectent en vain que le groupe traversant le canton de Vaud n'e’t été que de cent à deux cents chùmeurs. Cette allégation se heurte aux indications de la presse, rappelées plus haut. En quelques jours, dit La Lutte (N du 8 décembre), 250 adhésions avaient été recueillies dans la seule ville de Lausanne ; "il est certain que... la marche... prendra une ampleur formidable". Le Droit du Peuple (N du 22 novembre) déclare que la participation demeurerait libre avec un minimum de un délégué par 50 chùmeurs. La Lutte (N du 10 novembre) évoque l'image du Conseil fédéral aux prises "avec ces colonnes de sans-travail convergeant vers la capitale et son palais, augmentant à chaque kilomètre".
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Au reste, les recourantes conviennent qu'en ce qui concerne "la marche elle-même, il ne s'agit plus du droit de réunion" (recours p. 11 litt. B) ; elles y voient le simple exercice du droit d'association, considérant la marche comme un des moyens d'atteindre le but de l'Union des chùmeurs : "exposer la situation et les revendications des chùmeurs aux autorités compétentes, faire pression sur ces autorités". On ne peut partager cette manière de voir et cela pour les raisons qu'on vient d'exposer. En effet si, contrairement à ce que les recourantes croient, un rassemblement de personnes ne cesse pas d'être une réunion par le seul motif qu'il se compose uniquement des membres de l'association et si ce n'est donc pas pour cette cause que la marche sur Berne n'est point une "réunion", elle ne l'est pas parce qu'il s'agit d'une manifestation sui generis et extraordinaire, voire insolite, qui, par son amplitude, par son déplacement de lieu en lieu, par sa durée, par tous les procédés mis en Ãuvre, sort du cadre d'un usage normal du droit de réunion ou du droit d'association tels que le législateur fédéral et le législateur cantonal les ont compris. En vain objecterait-on que c'est là une forme moderne d'exercice de ces droits. Le juge dénaturerait les libertés constitutionnelles si, devant les interpréter et les protéger aujourd'hui, il perdait de vue ce que, vraisemblablement, le législateur a pu envisager lorsqu'il les a instituées.
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D'ailleurs, sans considérer le but final des participants, le Conseil d'Etat a pu craindre sérieusement que l'entreprise ne trouble ou ne mette en péril l'ordre public. Pour qu'une marche de ce genre ne provoque pas de désordre, il faut une préparation et une organisation minutieuses, il faut surtout une stricte discipline imposée par des cadres qui ont de l'autorité. Or rien ne garantissait à l'autorité que les meneurs des sans-travail parcourant le pays prendraient les mesures voulues et seraient capables de faire respecter leurs prescriptions. Qu'on se représente ces colonnes de gens dénués de ressources traversant sans ordre ni discipline le canton en plein hiver, vivant sur le pays, logeant chez l'habitant, importunant la population par des quêtes d'argent et de marchandises, convoquant des réunions, distribuant des tracts (Droit du Peuple du 22 novembre 1934), provoquant des rassemblements, "alertant tous les groupes syndicaux", cherchant à faire des adeptes et à entraóner les paysans (La Lutte du 10 novembre 1934), occasionnant des embarras de circulation et causant de l'agitation sur leur passage. Rien n'était du reste prévu pour le cas oi la population refuserait de secourir les manifestants et rien non plus n'était organisé pour le retour. Il saute aux yeux qu'une expédition aussi aventureuse était de nature à semer le désordre et à menacer la paix et la sécurité publiques. Le Conseil d'Etat devait prévenir des troubles et empêcher d'autres actes illicites qui auraient pu facilement se commettre (maraudages, dommages à la propriété, violences, mendicité, etc. ; cf. RO 60 I p. 123 et 209). D'après la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, il n'était nullement nécessaire que le Gouvernement f’t autorisé spécialement par une loi à prendre des mesures propres à assurer l'ordre public. C'est là un devoir élémentaire de l'Etat (RO 60 I p. 121 consid. 3 ; cf. aussi 57 I p. 266 et sv.).
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6. La liberté de la presse garantie par l'art. 55 Const. féd. n'a pas non plus été violée. L'interdiction du Conseil d'Etat d'afficher, de vendre et de répandre des imprimés n'a été édictée qu'en relation avec la marche sur Berne, comme étant des actes qui faisaient partie intégrante de la manifestation. L'autorité n'a pas défendu d'une faWon générale aux chùmeurs d'exposer leurs réclamations par écrit. Or, il va de soi que, du moment que la marche pouvait être interdite, il en était de même des appels à participer d'une manière ou d'une autre à cette entreprise dangereuse pour l'ordre public.
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