BGer 1P.615/2005 | |||
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BGer 1P.615/2005 vom 23.12.2005 | |
Tribunale federale
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{T 1/2}
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1P.615/2005 /col
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Arrêt du 23 décembre 2005
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Ire Cour de droit public
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Composition
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MM. les Juges Féraud, Président,
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Aemisegger et Reeb.
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Greffier: M. Kurz.
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Parties
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Norbert Heck,
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Hans-Jürg Stucki,
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Communauté genevoise d'action syndicale,
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Georges Tissot,
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recourants,
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tous représentés par Me Christian Bruchez, avocat,
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contre
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Association suisse des assurés de Genève, Dominique Jeckelmann, Maurice Schneeberger,
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intimés,
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tous représentés par Me Mauro Poggia, avocat,
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Conseil d'Etat de la République et canton de Genève, Chancellerie d'Etat, rue de l'Hôtel-de-Ville 2,
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case postale 3964, 1211 Genève 3,
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Tribunal administratif de la République et canton de Genève, case postale 1956, 1211 Genève 1.
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Objet
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procédure relative à l'élection des juges assesseurs du Tribunal cantonal des assurances sociales,
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recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif de la République et canton de Genève du 19 juillet 2005.
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Faits:
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A.
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Par arrêté du 30 mai 2005, le Conseil d'Etat genevois a fixé au 25 juin 2005 la date de l'élection des seize juges assesseurs auprès du Tribunal cantonal des assurances sociales (TCAS). La votation était initialement prévue pour le 5 juin 2005, mais devait être reportée car la liste de candidats présentée par l'Association suisse des assurés de Genève (ASSUAS) avait été admise, sur recours, de sorte qu'il n'était plus possible d'organiser l'élection à la date prévue. Deux listes participaient à l'élection: la liste conjointe de la Communauté genevoise d'action syndicale et de l'Union des associations patronales genevoises (ci-après: UAPG-CGAS), comportant seize candidats; la liste de deux candidats présentés par l'ASSUAS.
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Cette dernière, ainsi que ses deux candidats Maurice Schneeberger et Dominique Jeckelmann, ont recouru auprès du Tribunal administratif genevois contre cet arrêté, en tant qu'il admettait à l'élection trois candidats de la liste UAPG-CGAS, soit Christine Bulliard Mangili, Hans-Jürg Stucki et Norbert Heck. Selon l'art. 56T de la loi genevoise d'organisation judiciaire (OJ/GE, dans sa nouvelle teneur du 28 octobre 2004), les seize juges assesseurs, représentant paritairement les partenaires sociaux, devaient bénéficier d'une "formation spécifique sur les questions juridiques et d'assurances sociales dont les modalités sont fixées par le règlement". Selon l'art. 1 du règlement du Conseil d'Etat relatif à la formation spécifique des juges assesseurs du TCAS, du 26 janvier 2005 (ci-après: le règlement), la formation spécifique des juges assesseurs consistait en: a) une licence en droit suisse ou une formation jugée équivalente, ou b) un brevet fédéral d'assurances sociales, ou c) une expérience professionnelle jugée équivalente dans le domaine des assurances sociales ou le domaine médical. Selon les recourants, le règlement dérogeait à la loi en introduisant la notion d'expérience professionnelle. Les recourants contestaient, à titre subsidiaire, que l'expérience professionnelle des trois candidats contestés puisse être qualifiée d'équivalente.
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B.
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Par arrêt du 19 juillet 2005, le Tribunal administratif a admis partiellement le recours et annulé l'arrêté du 30 mai 2005 en tant qu'il admettait les candidatures de Norbert Heck et Hans-Jürg Stucki. La notion de formation était claire et objective, puisqu'elle devait être concrétisée par un titre universitaire, un diplôme ou un certificat. Celle d'expérience professionnelle était floue et sujette à interprétation. L'art. 1 al. 1 let. c du règlement dépassait donc le cadre fixé par la loi. En l'occurrence, aucun des candidats ne disposait d'un brevet d'avocat ou d'un brevet fédéral d'assurances sociales. Le candidat Heck se fondait uniquement sur son expérience professionnelle, et n'était donc pas éligible. Le candidat Stucki ne l'était pas non plus, car son brevet de président et conciliateur de la juridiction des prud'hommes n'équivalait pas à une licence en droit. En revanche, Christine Bulliard Mangili avait suivi diverses formations équivalant, dans le domaine de compétences du TCAS, à une licence en droit suisse.
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C.
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Norbert Heck, Hans-Jürg Stucki, la Communauté genevoise d'action syndicale et Georges Tissot, en tant qu'électeur genevois, forment un recours de droit public fondé sur l'art. 85 let. a OJ. Ils concluent à l'annulation de l'arrêt du Tribunal administratif, subsidiairement à ce qu'un délai leur soit octroyé pour présenter deux nouveaux candidats de remplacement.
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Le Tribunal administratif se réfère à son arrêt. La Chancellerie d'Etat conclut à l'irrecevabilité du recours en tant qu'il est formé par la CGAS, et en tant qu'il conclut à l'octroi d'un délai de présentation supplémentaire; sur le fond, elle propose le rejet du recours. L'ASSUAS et ses deux candidats concluent au rejet du recours, tout en formulant les mêmes réserves que la Chancellerie d'Etat quant à sa recevabilité.
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Le Tribunal fédéral considère en droit:
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1.
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La voie du recours de droit public selon l'art. 85 let. a OJ est ouverte contre une décision rendue en dernière instance cantonale dans une contestation relative à une élection qui, en vertu de l'art. 132 al. 1 de la Constitution genevoise, est une élection populaire.
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1.1 Le recours de droit public pour violation du droit de vote permet de se plaindre de la violation de toutes les dispositions, constitutionnelles et légales, fédérales ou cantonales, qui définissent le contenu et l'étendue des droits politiques des citoyens (ATF 130 I 226 consid. 1.2 p. 228 et les arrêts cités), y compris les prescriptions concernant l'éligibilité et les incompatibilités (ATF 123 I 97 consid. 1b/aa p. 100 et les arrêts cités).
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1.2 En tant que candidats déclarés inéligibles, les recourants Hans-Jürg Stucki et Norbert Heck ont qualité pour agir. En effet, le recours pour violation des droits politiques protège également la capacité civique passive, soit le droit d'éligibilité (ATF 128 I 34 consid. 1e p. 38; 119 Ia 167 consid. 1d p. 169).
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1.3 En tant qu'électeur genevois, Georges Tissot invoque sa capacité civique active. Celle-ci implique notamment le droit à une composition correcte du corps électoral (ATF 109 Ia 41), le droit d'exiger qu'une candidature irrégulière soit écartée (ATF 113 Ia 43; 128 I 34 consid. 1 p. 36), et en particulier que les règles d'incompatibilité soient respectées (ATF 120 Ia 194). La jurisprudence permet également à l'électeur de recourir contre une norme générale introduisant une règle d'incompatibilité (ATF 114 Ia 395 consid. 5 p. 401), et d'intervenir en cas d'invalidation d'une élection, en application des règles d'éligibilité; dans ce cas, l'électeur peut invoquer le respect de la volonté populaire, telle qu'elle s'est exprimée par les urnes. En revanche, il est douteux que le droit de vote permette à tout citoyen d'intervenir au stade de l'élaboration des listes électorales - soit avant l'élection - pour faire valoir qu'un candidat déterminé aurait indûment été écarté. Dans ce cas, on peut se demander si la qualité pour agir ne devrait pas être limitée au seul candidat évincé dès lors qu'à ce stade, c'est à lui qu'il incombe de se déterminer sur le sort de sa candidature. La question peut demeurer indécise car le recours doit de toute manière être examiné sur le fond.
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1.4 Le recours peut également être formé par les partis politiques ou d'autres organisations, tel un comité formé pour le lancement d'une initiative ou d'un référendum, à condition que ces groupements soient constitués en personnes morales (ATF 115 Ia 152/153 consid. 1b, 114 Ia 270 consid. 2b, 111 Ia consid. 1a). En revanche, les associations qui ne sont pas des partis politiques ou qui n'ont pas un caractère politique ne sont pas recevables, comme telles, à invoquer l'art. 85 let. a OJ (ATF 102 Ia 549 consid. 1a). En l'occurrence, la Communauté genevoise d'action syndicale n'est pas un parti politique. Elle pourrait avoir qualité pour agir pour autant que le droit cantonal lui reconnaisse un droit à l'élection de ses membres. Tel n'est pas le cas, dès lors que l'art. 56T let. c OJ/GE prévoit simplement que les assesseurs du TCAS représentent les "partenaires sociaux", sans autre précision. La notion de partenaires sociaux doit ainsi s'entendre dans un sens large, sans être limitée à la distinction employeurs-employés, et la CGAS ne saurait prétendre à un quelconque monopole dans la présentation des candidats. La question de sa qualité pour agir peut toutefois, elle aussi, demeurer indécise.
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1.5 Le recours de droit public n'a qu'un effet cassatoire (ATF 126 I 213 consid. 1 p. 216/217; 126 II 377 consid. 8c p. 395; 126 III 534 consid. 1b p. 536, et les arrêts cités). Cette règle s'applique aussi au recours de droit public pour violation du droit de vote au sens de l'art. 85 let. a OJ (ATF 118 Ia 184 consid. 1d p. 188). La conclusion tendant à ce qu'un nouveau délai soit imparti aux recourants pour présenter deux candidats, est par conséquent irrecevable.
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1.6 Saisi d'un recours de droit public fondé sur l'art. 85 let. a OJ, le Tribunal fédéral revoit librement l'interprétation et l'application du droit constitutionnel, ainsi que des dispositions de rang inférieur qui règlent le contenu et l'étendue du droit de vote ou qui sont en relation étroite avec celui-ci, telles que les règles sur les incompatibilités; il n'examine en revanche que sous l'angle restreint de l'arbitraire l'interprétation d'autres règles du droit cantonal (ATF 123 I 175 consid. 2d/aa p. 178; 121 I 1 consid. 2 p. 3, 291 consid. 1c, 334 consid. 2b p. 338, 357 consid. 3 p. 360 et les arrêts cités).
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En l'occurrence, les règles, législatives et réglementaires, qui définissent les conditions d'éligibilité portent sur la capacité passive; elles doivent être examinées librement (ATF 128 I 34 consid. 1g p. 39). Toutefois, en présence de deux interprétations également défendables, le Tribunal fédéral s'en tient à celle retenue par la plus haute autorité cantonale (ATF 121 I 334 consid. 2c p. 339; sur l'évolution du pouvoir d'examen du Tribunal fédéral, voir ATF 111 Ia 201 consid. 4 p. 206-208).
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2.
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Les recourants contestent les considérations qui ont conduit le Tribunal administratif à considérer que l'art. 1 al. 1 let. c du règlement sortait du cadre légal. L'expérience professionnelle pourrait être un moyen d'acquérir la "formation spécifique" exigée par l'art. 56T let. c OJ/GE. L'obtention d'un titre ou d'un diplôme ne serait pas un critère décisif. L'examen des travaux préparatoires de la loi démontrerait qu'un large pouvoir d'appréciation était laissé au Conseil d'Etat dans l'application de la notion de formation. En particulier, la possibilité d'ajouter dans le règlement une formation dans le domaine médical avait été réservée; les assesseurs du TCAS devaient succéder à ceux des anciennes commissions de recours (certains avaient d'ailleurs déjà été élus comme assesseurs en 2003). Or, ces derniers devaient simplement être "familiarisés" avec les questions traitées par ces commissions. La volonté du législateur était de maintenir la présence de partenaires sociaux proches de la réalité du terrain.
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2.1 Les parties s'accordent à considérer que l'art. 56T OJ/GE constitue une clause de délégation valable au regard des exigences posées dans ce domaine. En effet, la délégation figure dans une loi formelle, et elle porte sur un objet parfaitement délimité. Il reste à savoir si la réglementation adoptée par le Conseil d'Etat reste dans le cadre fixé par la loi.
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2.2 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre. Selon la jurisprudence, il n'y a lieu de déroger au sens littéral d'un texte clair par voie d'interprétation que lorsque des raisons objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause. De tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi. Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (ATF 130 II 71 consid. 4.2, 130 V 50 consid. 3.2.1, 129 II 356 consid. 3.3, 129 V 165 consid. 3.5, 284 consid. 4.2 et les références). Le Tribunal fédéral ne privilégie en particulier aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme et ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 124 II 193 consid. 5a p. 199, 372 consid. 5 p. 376; 124 III 321 consid. 2 p. 324 et les arrêts cités).
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2.3 Le Tribunal administratif s'est exclusivement fondé sur une interprétation littérale de la loi. Il a considéré que les notions de formation et d'expérience professionnelle ne se confondaient pas, la formation étant sanctionnée par un titre universitaire, un diplôme ou un certificat. Cette appréciation ne peut être suivie. D'un point de vue littéral, la formation est l'ensemble des connaissances théoriques et pratiques dans une technique ou un métier, ainsi que l'acquisition de ces connaissances. Entendue dans ce sens, la formation professionnelle comprend non seulement les formations professionnelles initiale et supérieure, sanctionnées par un examen et un certificat, un brevet ou un diplôme (cf. art. 17 et 26 de la loi fédérale sur la formation - LFPr, RS 412.10), mais aussi la formation continue, ainsi que toute expérience professionnelle acquise en dehors de filières habituelles (cf. art. 9 al. 2 LFPr, 4 al. 2 OFPr).
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L'interprétation de la cour cantonale se heurte également à la logique de la norme: si le législateur avait voulu n'admettre comme assesseurs que les personnes titulaires d'une licence en droit ou d'un brevet fédéral d'assurances sociales, voire d'un diplôme équivalent, il lui aurait suffit de le mentionner dans la loi.
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Instauré par la loi du 14 novembre 2002, le TCAS était appelé à reprendre les compétences partagées jusque-là par le Tribunal administratif et différentes commissions de recours; ces dernières connaissaient déjà l'institution des juges assesseurs qui, selon l'art. 17 al. 2 de la loi cantonale d'application de la LAVS, devaient "être familiarisés avec les questions juridiques, fiscales ou d'assurances sociales". L'intégration de juges assesseurs dans le TCAS procède d'une volonté de continuité sur ce point, et rien dans les travaux préparatoires ne permet de penser que le législateur ait eu l'intention d'augmenter les exigences en matière de formation. L'art. 56T OJ/GE a par la suite été modifié en ce qui concerne la représentativité des juges assesseurs; la disposition est en revanche demeurée inchangée s'agissant de leur formation. Lors de son rapport oral devant le Grand Conseil, du 28 octobre 2004, le rapporteur de la commission législative a tenu à expliquer que la commission avait hésité à prévoir l'exigence d'une formation médicale pour certains assesseurs, afin de pouvoir apprécier les expertises médicales. La commission avait renoncé à cette exigence, estimant qu'elle pouvait être rappelée dans le règlement.
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2.4 L'interprétation de la clause de délégation par la cour cantonale apparaît dès lors exagérément restrictive. Contredite par une analyse tant littérale qu'historique de la disposition légale, elle est arbitraire.
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3.
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La Chancellerie d'Etat estime que la solution consacrée par la cour cantonale serait néanmoins correcte dans son résultat, car les deux candidats évincés ne disposent de toute façon pas d'une expérience professionnelle suffisante, sous l'angle de l'art. 1 al. 1 let. c du règlement. Le département responsable (art. 1 al. 2 du règlement) avait produit à ce sujet un préavis positif, que la Chancellerie avait alors suivi. Le Tribunal administratif n'a pas examiné la question, et les recourants ne se sont pas exprimés à ce propos. Par conséquent, le Tribunal fédéral n'est pas à même d'envisager une substitution de motifs. Il appartiendra au Tribunal administratif de statuer à nouveau; le cas échéant, il devra également répondre à l'argument des recourants relatif à la bonne foi; l'arrêt attaqué est en effet muet sur ce point.
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4.
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Le recours de droit public doit par conséquent être admis, et l'arrêt attaqué annulé. La cause est renvoyée au Tribunal administratif pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Conformément à la pratique, il n'est pas perçu d'émolument judiciaire. En revanche, les recourants qui obtiennent gain de cause ont droit à des dépens. Ceux-ci sont mis à la charge des intimés, soit de l'ASSUAS et de ses deux candidats.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé. La cause est renvoyée au Tribunal administratif pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
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2.
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Une indemnité de dépens de 2000 fr. est allouée aux recourants, à la charge solidaire de l'Association suisse des assurés de Genève, de Dominique Jeckelmann et de Maurice Schneeberger.
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3.
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Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
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4.
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Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Conseil d'Etat et au Tribunal administratif de la République et canton de Genève.
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Lausanne, le 23 décembre 2005
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le président: Le greffier:
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