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Informationen zum Dokument  BGer 1C_505/2019  Materielle Begründung
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BGer 1C_505/2019 vom 29.04.2020
 
 
1C_505/2019
 
 
Arrêt du 29 avril 2020
 
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
MM. et Mme les Juges fédéraux Chaix, Président,
 
Kneubühler et Jametti.
 
Greffier : M. Kurz.
 
Participants à la procédure
 
A.________,
 
recourante,
 
contre
 
Département des institutions et de la sécurité du canton de Vaud, Service juridique et législatif, Autorité d'indemnisation LAVI, place du Château 1, 1014 Lausanne.
 
Objet
 
Indemnisation LAVI, réparation morale,
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton
 
de Vaud, Cour de droit administratif et public,
 
du 22 août 2019 (GE.2019.0036).
 
 
Faits :
 
A. Par jugement du 21 décembre 2016, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de la Broye a condamné B.________ à 15 mois de privation de liberté dont 7 mois ferme pour lésions corporelles simples, dommages à la propriété, violation de domicile, menaces et contrainte. Le 4 janvier 2015, il s'était introduit de force au domicile de A.________, l'avait insultée et menacée avec un couteau de cuisine en prétendant qu'il allait la défigurer. Les 28 et 30 janvier 2015, il l'avait menacée par téléphone. Le 13 février 2015, il avait enfoncé la porte du domicile de la victime, lui fracturant le nez, puis l'avait saisie, frappée au visage, menacée et cognée à plusieurs reprises contre la cuisine. Le Tribunal correctionnel a alloué à la victime une indemnité de 5'000 fr. pour tort moral compte tenu des actes de menaces et de violence répétés, et du harcèlement psychologique subi par la victime. Dans le cadre de la procédure d'appel intentée par la victime contre ce jugement, B.________ s'est reconnu par convention débiteur de 2'000 fr. pour tort moral, s'ajoutant à la somme allouée en première instance. A.________ a retiré son appel.
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B. Le 8 mai 2018, A.________ a déposé une demande auprès de l'autorité d'indemnisation LAVI du Service juridique et législatif du canton de Vaud (ci-après: l'instance LAVI), concluant à l'allocation de 7'000 fr. en réparation du tort moral. Par décision du 17 janvier 2019, l'instance LAVI lui a alloué 2'000 fr., considérant que la victime pouvait prétendre à une indemnité uniquement en raison des violences constatées dans le jugement, et non pour les abus commis antérieurement. L'état dépressif récurrent constaté par les thérapeutes n'était pas exclusivement lié à ces agressions.
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Par arrêt du 22 août 2019, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois a partiellement admis le recours formé contre cette décision. Le montant alloué au titre de la LAVI n'était pas aussi élevé que celui auquel serait tenu l'auteur de l'infraction. L'indemnisation pouvait en principe s'étendre à l'agression survenue le 28 octobre 2013, antérieurement aux faits visés par la condamnation pénale: les atteintes physiques et psychiques étaient suffisamment vraisemblables mais toutefois pas suffisamment graves pour ouvrir le droit à une indemnisation. Les agressions de janvier et février 2015 avaient causé des lésions corporelles qualifiées de simples dans le jugement, sans séquelles physiques ou esthétiques, sous réserve des lésions dentaires nécessitant un suivi durant au moins 15 ans. Sur le plan psychique, la victime souffrait de stress post-traumatique en lien avec les agressions de 2013 et 2015, d'un trouble de la personnalité sans lien avec celles-ci et d'un trouble dépressif récurrent aggravé par ces agressions. Quant à l'incapacité de travail, elle était couverte par la rente AI de 100% versée dès le mois d'octobre 2014. Se fondant sur une casuistique étendue et tenant compte des séquelles d'ordre psychique, la cour cantonale a augmenté l'indemnité à 3'000 fr.
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C. Par acte du 19 septembre 2019, A.________ forme un recours constitutionnel subsidiaire par lequel elle demande l'allocation d'une indemnité pour tort moral de 7'000 fr., l'annulation de l'arrêt cantonal et le renvoi de la cause à la cour cantonale pour complément d'instruction.
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La cour cantonale a renoncé à se déterminer. Le Service juridique et législatif conclut au rejet du recours en se référant à sa décision et à l'arrêt attaqué. Invité à déposer des observations, l'Office fédéral de la justice y a renoncé.
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Considérant en droit :
 
1. Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF) dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions mentionnées à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Bien qu'il soit intitulé recours constitutionnel, le recours peut être traité comme recours en matière de droit public. La recourante a un intérêt à obtenir l'annulation ou la modification de l'arrêt attaqué qui confirme la décision d'indemnité LAVI, au titre du tort moral, pour un montant inférieur à celui de sa demande (art. 89 al. 1 LTF).
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2. La recourante consacre une large part de son écriture à la présentation des faits. Elle indique notamment les raisons pour lesquelles elle n'a, dans un premier temps, pas déposé plainte après l'agression du 28 octobre 2013. Elle conteste être à l'origine des suspensions de procédure prononcées dans ce cadre. Elle revient sur l'agression du 13 février 2015 et la procédure qui s'en est suivie; elle explique pour quelles raisons elle a signé la convention qui a conduit au retrait de sa plainte en appel. Elle conteste avoir été diagnostiquée dépressive avant d'avoir connu l'auteur des agressions. Elle relève aussi que les instances LAVI auraient refusé toute aide et tout accompagnement, sans rendre de décision formelle à ce sujet.
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2.1. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles n'aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, soit pour l'essentiel de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation mais aussi dans son résultat. Le Tribunal fédéral n'entre pas en matière sur les critiques de nature appellatoire.
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2.2. Ignorant les réquisits légaux en matière de contestation de l'établissement des faits, la recourante développe une argumentation purement appellatoire et, partant, irrecevable, par laquelle elle tente d'ajouter des faits qui auraient été selon elle ignorés des instances précédentes, sans se référer à des éléments du dossier ni indiquer en quoi les faits en question seraient pertinents, c'est-à-dire propres à conduire à une solution juridique différente. Les griefs relatifs à l'établissement des faits doivent par conséquent être écartés.
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3. Sur le fond, la recourante insiste sur le fait qu'elle a été victime de plusieurs agressions entre 2013 et 2015; elle relève qu'elle a signé la convention en appel pour mettre fin à une procédure qui lui était insupportable. Elle estime que la jurisprudence réduit en général de 1'000 fr. l'indemnité pour tort moral allouée sur le plan civil. L'instance cantonale n'aurait pas tenu compte du harcèlement massif dont elle a été la victime et conteste l'état dépressif récurrent dont elle serait l'objet. Elle estime que son âge (53 ans, 48 au moment des faits) aurait dû être pris en compte.
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3.1. A teneur de l'art. 22 al. 1 LAVI, la victime a droit à une réparation morale lorsque la gravité de l'atteinte le justifie. Le montant de la réparation morale est fixé en fonction de la gravité de l'atteinte (art. 23 al. 1 LAVI). Lorsque l'ayant droit est la victime la réparation ne peut excéder 70'000 fr. (art. 23 al. 2 let. a LAVI). Selon la jurisprudence constante, le législateur n'avait pas voulu, en mettant en place le système d'indemnisation prévu par l'ancienne LAVI, assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du préjudice qu'elle a subi (ATF 125 II 169 consid. 2b p. 173 ss). Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d'une allocation "ex aequo et bono". La collectivité n'étant pas responsable des conséquences de l'infraction, mais seulement liée par un devoir d'assistance publique envers la victime, elle n'est pas nécessairement tenue à des prestations aussi étendues que celles exigibles de la part de l'auteur de l'infraction (ATF 129 II 312 consid. 2.3 p. 315; 128 II 49 consid. 4.3 p. 55). Si le principe d'un droit subjectif à la réparation morale est ancré dans la LAVI (art. 22 LAVI), le plafonnement de l'indemnisation implique que les montants alloués en vertu de cette loi sont nettement inférieurs à ceux alloués selon le droit privé (arrêts 1C_583/2016 du 11 avril 2017 consid. 4.3, 1C_542/2015 du 28 janvier 2016 consid. 3.2; PETER GOMM, in Opferhilfegesetz, 3ème éd., 2009, n° 4 ad art. 23 LAVI). Sans avoir voulu instaurer une réduction systématique et proportionnelle des montants alloués en vertu du droit privé, le législateur a fixé les plafonds environ aux deux tiers des montants de base généralement attribués en droit de la responsabilité civile (FF 2005 6744 s.). La fourchette des montants à disposition est ainsi plus étroite qu'en droit civil, les montants les plus élevés devant être réservés aux cas les plus graves, tels qu'une invalidité à 100% (arrêt 1C_583/2016 du 11 avril 2017 consid. 4.3).
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S'agissant de l'application du droit fédéral, le Tribunal fédéral dispose en principe d'un plein pouvoir d'examen (art. 95 let. a et 106 al. 1 LTF). L'autorité qui fixe le montant de la réparation morale dispose toutefois d'un large pouvoir d'appréciation à l'égard duquel le Tribunal fédéral n'intervient qu'avec retenue, par exemple lorsque l'autorité précédente s'écarte sans raison de la pratique constante ou lorsqu'elle se fonde sur des éléments de fait dénués de pertinence (ATF 132 II 117 consid. 2.2.5 p. 121; arrêt 1C_542/2015 du 28 janvier 2016 consid. 3.3).
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3.2. Dans le cas d'espèce, la cour cantonale a retenu à juste titre que la recourante ne pouvait prétendre à une réparation d'un montant identique à celui qui a été alloué devant le juge pénal en vertu notamment de la convention passée entre les parties. Rappelant que l'absence de procédure pénale ou - comme en l'occurrence - le classement de celle-ci, s'agissant de l'agression de 2013, n'excluait pas une indemnisation pour autant que les faits soient suffisamment vraisemblables (ATF 144 II 406), elle a retenu que l'agression du 28 octobre 2013 pouvait être considérée comme suffisamment établie et qu'il en était résulté une atteinte à l'intégrité physique et psychique de la recourante, ouvrant le droit à une indemnisation fondée sur la LAVI. L'atteinte physique était toutefois réduite puisqu'elle se limitait à des ecchymoses et dermabrasions ayant guéri sans séquelles; quant à l'atteinte psychique, elle pouvait faire l'objet d'une appréciation d'ensemble. C'est donc à tort que la recourante se plaint de n'avoir pas été reconnue comme victime de l'agression de 2013. S'agissant de celle de 2015, l'instance précédente en rappelle les circonstances dans des termes qui ne divergent pas de la présentation des faits de la recourante. Elle rappelle notamment qu'après avoir hésité, les juges pénaux ont considéré qu'il s'agissait de lésions simples n'ayant pas occasionné de préjudice esthétique grave et important. La cour cantonale a toutefois précisé que pour les lésions dentaires, une observation d'au moins 15 ans serait nécessaire. Au plan subjectif, il a été tenu compte de la première agression (ayant nécessité une consultation du 12 au 16 octobre 2013) et de la seconde qui avait nécessité une hospitalisation de trois semaines pour un état de stress post-traumatique en relation avec les deux agressions. Le trouble dépressif avait pu être causé par la première agression et aggravé par la seconde, mais il s'agissait d'un état récurrent de sorte que le séjour dans une clinique en 2016 paraissait davantage lié à la situation personnelle générale de la recourante. La cour cantonale a ensuite pris soin de mentionner dans le détail la casuistique énumérée par l'instance précédente ainsi que les cas répertoriés dans la doctrine et dans la jurisprudence cantonale, considérant sur le vu de l'ensemble des circonstances que l'indemnisation allouée par l'instance LAVI (2'000 fr.) était trop basse et qu'un montant de 3'000 fr. apparaissait justifié.
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3.3. Force est de constater que la cour cantonale a ainsi tenu compte de toutes les circonstances pertinentes - y compris donc de l'ensemble des agressions dont la recourante a été victime - et que l'indemnité fixée se situe dans la fourchette des cas qui peuvent offrir une comparaison avec celui de la recourante. Celle-ci persiste à considérer qu'elle aurait droit à l'entier de l'indemnité qui a été fixée par voie conventionnelle dans le cadre de la procédure pénale, ce qui n'est toutefois pas le cas compte tenu des principes rappelés ci-dessus. Enfin, la recourante se prévaut de son âge, sans indiquer en quoi celui-ci devrait constituer un critère devant conduire à l'augmentation de l'indemnité.
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4. Il s'ensuit que le recours doit être rejeté, dans la mesure de sa recevabilité. Conformément au principe de gratuité posé à l'art. 30 al. 1 LAVI, il n'est pas perçu de frais judiciaires.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
 
3. Le présent arrêt est communiqué à la recourante, au Département des institutions et de la sécurité du canton de Vaud, Service juridique et législatif, Autorité d'indemnisation LAVI, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, et à l'Office fédéral de la justice OFJ.
 
Lausanne, le 29 avril 2020
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président : Chaix
 
Le Greffier : Kurz
 
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