[AZA 0/4]
2A.92/1999
IIe COUR DE DROIT PUBLIC
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18 janvier 2000
Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Wurzburger, président, Hartmann, Hungerbühler, Müller et Yersin.
Greffier: M. Dayer.
Statuant sur le recours de droit administratif
formé par
l'Administration fédérale des contributions, Division principale de la taxe sur la valeur ajoutée, à Berne,
contrela décision prise le 25 janvier 1999 par la Commission fédérale de recours en matière de contributions, dans la cause qui oppose la recourante à B.________, (art. 17 al. 4 OTVA: exercice de la puissance publique;
contrôles spécifiques des émanations de fumées)
Immatriculé dès le 1er janvier 1995 auprès de l'Administration fédérale des contributions en qualité d'assujetti au sens de l'art. 17 de l'ordonnance du 22 juin 1994 régissant la taxe sur la valeur ajoutée (OTVA; RS 641. 201), B.________ (ci-après: l'intéressé), maître ramoneur à Genève, effectue notamment des contrôles spécifiques d'émanations de fumées (ci-après: les contrôles spécifiques), conformément à la loi genevoise du 17 décembre 1981 sur le ramonage et les contrôles spécifiques des émanations de fumées (ci-après: la loi cantonale) ainsi qu'à son règlement d'application du 24 mars 1982 (ci-après: le règlement cantonal). Dans ses décomptes pour les trois premiers trimestres de 1996, il a déduit de son chiffre d'affaires soumis à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après: TVA) 92'655 fr. correspondant auxdits contrôles. Il considérait que ces contrôles avaient été effectués dans l'exercice de la puissance publique et devaient être exonérés en vertu de l'art. 17 al. 4 OTVA.
Le 8 janvier 1997, l'Administration fédérale des contributions a mis à la charge de B.________ un montant de 5'655 fr., avec intérêts moratoires dès le 30 août 1996, correspondant à la TVA due sur les déductions précitées qui, à son avis, avaient été effectuées à tort. Elle a confirmé sa prétention par décision formelle du 1er mai 1997.
Le 3 février 1998, elle a écarté la réclamation du contribuable, relevant en particulier que ce dernier avait procédé aux contrôles spécifiques en utilisant un formulaire à l'en-tête du canton de Genève, elle a estimé qu'il n'avait pas pris en son propre nom des décisions au sens de l'art. 5 PA et n'avait dès lors pas agi dans l'exercice de la puissance publique.
Le 25 janvier 1999, la Commission fédérale de recours en matière de contributions (ci-après: la Commission fédérale de recours) a admis le recours déposé par B.________ et annulé cette dernière décision. Elle a notamment considéré que, selon la législation cantonale, les contrôles spécifiques étaient indissolublement liés à un "véritable pouvoir de décision de l'autorité envers les administrés"; ils ne représentaient dès lors pas une activité économique ou commerciale soumise à la TVA mais relevaient de la puissance publique. De surcroît, les ramoneurs auxquels cette tâche avait été déléguée pouvaient ordonner la remise en état d'installations ne satisfaisant pas aux exigences légales fédérales en matière de protection de l'air, de sorte qu'ils bénéficiaient de prérogatives de puissance publique. L'utilisation d'un papier à en-tête du canton de Genève leur conférait uniquement une légitimation supplémentaire prouvant aux personnes contrôlées qu'ils étaient bien investis de pouvoirs de puissance publique à leur égard.
De surcroît, cette utilisation permettait également de distinguer clairement leurs activités relevant de ladite puissance de leurs autres tâches de nature commerciale. Les contre-prestations qu'ils recevaient en raison de l'exécution de contrôles spécifiques devaient dès lors être exonérées.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, l'Administration fédérale des contributions requiert du Tribunal fédéral l'annulation de cette dernière décision. Elle soutient en particulier que l'intéressé n'exerce pas une activité relevant de la puissance publique lorsqu'il effectue les contrôles spécifiques.
Le Tribunal fédéral a admis le recours.
Extrait des considérants:
5.- a) L'art. 17 al. 4 1ère phrase OTVA a la teneur suivante:
"La Confédération, les cantons et les communes, les autres institutions de droit public ainsi que les personnes et organisations auxquelles ont été confiées des tâches relevant de l'administration publique ne sont pas assujettis pour les prestations qu'ils fournissent dans l'exercice de leur puissance publique, même s'ils prélèvent, pour de telles prestations, des taxes, des redevances ou d'autres contributions".
b) Toutes les installations productrices de chaleur qui dégagent des fumées doivent être soumises à des contrôles spécifiques qui, dans le canton de Genève, sont effectués par un maître ramoneur officiel ou un ouvrier ramoneur au bénéfice d'une formation spéciale (cf. art. 13 de l'ordonnance fédérale du 16 décembre 1985 sur la protection de l'air [OPair; RS 814. 318.142. 1] ainsi que les art. 1 et 3 de la loi cantonale et les art. 30 à 30C du règlement cantonal).
En accomplissant de tels contrôles, B.________ accomplit dès lors sans conteste une tâche relevant de l'administration publique.
c) Selon l'autorité intimée, cette tâche est fournie dans l'exercice de la puissance publique. La recourante soutient au contraire que l'intéressé se borne à prescrire des "ordres de réglage" qui ne font naître ni droits, ni obligations et dont il ne peut requérir lui-même l'exécution, cette compétence étant réservée au Département genevois de l'intérieur, de l'agriculture, de l'environnement et de l'énergie (ci-après: le Département). B.________ ne prendrait ainsi aucune décision au sens de l'art. 5 PA, de sorte que son activité ne relèverait pas de la puissance publique.
6.- a) La notion de prestations fournies dans l'exercice de la puissance publique au sens de l'art. 17 al. 4 OTVA est un concept indéterminé. Selon la lettre de cette disposition, elle est toutefois plus étroite que celle de "tâches relevant de l'administration publique". Il ne suffit dès lors pas qu'une personne se soit vue confier de telles tâches pour qu'elle soit exonérée, encore faut-il qu'elle fournisse des prestations dans l'exercice de la puissance publique. Ni les travaux préparatoires de l'ordonnance régissant la TVA, ni ceux de la nouvelle loi fédérale régissant la TVA adoptée par les Chambres fédérales le 2 septembre 1999 - dont l'art. 23 al. 1 2ème phrase a une teneur similaire à celle de l'art. 17 al. 4 1ère phrase OTVA (cf. FF 1999 p. 6764) -, ne précisent cependant ce que cela signifie (cf. ATF 125 II 480 consid. 5 et 6 p. 484-487; arrêt non publié du 24 novembre 1999 en la cause S., consid. 3c).
b) Selon la jurisprudence (cf. ATF 125 II 480 consid. 8b p. 490; arrêt non publié du 24 novembre 1999 en la cause S., consid. 4b), une collectivité publique agit dans l'exercice de la puissance publique au sens de l'art. 17 al. 4 OTVA lorsqu'elle astreint, par arrêté ou décision, une ou plusieurs personnes à agir, à s'abstenir ou à tolérer une situation. La puissance publique se caractérise en général par l'existence d'un rapport de subordination et par le fait que la collectivité publique peut exercer une contrainte sur le citoyen en se fondant sur une réglementation de droit public. En outre, dans la mesure où elle est un privilège et un monopole des collectivités publiques, elle ne peut être déléguée à des privés qu'en vertu d'une disposition constitutionnelle, ou, à tout le moins, d'une disposition légale. Par ailleurs, des prestations ne sont fournies dans son exercice que si elles ne sont pas commercialisables (nicht marktfähig) et ne sont pas ou ne pourraient pas être fournies par un tiers.
c) L'Administration fédérale des contributions admet qu'une personne ou une organisation chargée de tâches relevant de l'administration publique fournit des prestations relevant de la puissance publique au sens de l'art. 17 al. 4 OTVA lorsqu'elle satisfait aux trois conditions cumulatives suivantes (cf. brochure no 610. 507-16 concernant les collectivités publiques, éditée par l'Administration fédérale des contributions en janvier 1995, ch. 2 p. 5; brochure no 610. 500-2 intitulée "Modifications à partir du 1er janvier 1996", éditée par l'Administration fédérale des contributions en décembre 1995, ch. 5.8.5 p. 38):
- la collectivité délégante (p. ex. commune ou canton) a elle-même la compétence juridique d'effectuer l'activité en cause en exerçant la puissance publique;
- la délégation du droit d'accomplir cette activité à une personne ou à une organisation est prévue par la loi;
- l'organisation ou la personne qui agit en exerçant la puissance publique doit pouvoir prendre en son propre nom des décisions au sens de l'art. 5 PA à l'encontre desquelles des voies de droit sont ouvertes.
Ces conditions sont conformes aux règles de délégation de la puissance publiques admises par la doctrine et la jurisprudence; il n'y a dès lors pas lieu de s'en écarter (cf. arrêt non publié du 24 novembre 1999 en la cause S., consid. 4c).
7.- a) Le canton de Genève dispose incontestablement de la compétence de procéder aux mesures de contrôle exigées par le droit fédéral pour les installations émettant des polluants atmosphériques (cf. les art. 13, 35 et 36 OPair ). Il peut imposer ces contrôles - par décision du Département - aux propriétaires de telles installations qui refusent de s'y soumettre (cf. art. 15 al. 2 du règlement cantonal). Il dispose dès lors de la puissance publique (cf. consid. 6b ci-dessus).
b) Une disposition légale expresse autorise le Conseil d'Etat à concéder aux maîtres ramoneurs le droit exclusif de procéder auxdits contrôles (cf. art. 7 de la loi cantonale).
c) Les deux premières conditions susmentionnées (consid. 6c) sont dès lors satisfaites. Reste à examiner si l'intéressé dispose de prérogatives de puissance publique lorsqu'il effectue les contrôles spécifiques.
8.- a) Lorsque le maître ramoneur constate des défectuosités sur les installations, des difficultés d'exécution des travaux de ramonage et des contrôles spécifiques ou des risques d'incendie, il établit un rapport qu'il remet aux "intéressés" et au Département; il impartit un délai raisonnable à ceux-ci pour faire remettre leur installation en état; en cas d'inexécution des travaux dans le délai imparti, le Département ordonne les mesures nécessaires (art. 11 du règlement cantonal). Si certaines exigences posées par l'annexe 3 de l'ordonnance fédérale sur la protection de l'air ne sont pas remplies, le maître ramoneur ordonne la remise en état de l'installation qui est effectuée par une entreprise spécialisée, reconnue par le Département et dont les employés ont subi avec succès un cours de formation agréé par celui-ci; il fixe un délai raisonnable pour l'exécution des travaux; si l'installation ne peut être remise en état, un délai d'assainissement est alors fixé par le Département conformément aux art. 8 et 10 OPair (cf. art. 55 al. 1 et 4 du règlement cantonal). Les "intéressés" peuvent s'opposer aux travaux prescrits par le maître ramoneur officiel; ils en avisent le Département dans les cinq jours dès réception du rapport de ce dernier (art. 12 du règlement cantonal). Le Département statue sur les oppositions et les plaintes dans un délai de trente jours dès leur réception, sous réserve des cas urgents; il tranche également tout litige entre les "intéressés" et un maître ramoneur officiel sur la nécessité d'un ramonage, d'un contrôle spécifique ou l'application du tarif (art. 15 du règlement cantonal).
b) aa) Le Département est seul compétent pour obliger le propriétaire ou l'utilisateur d'une installation productrice de chaleur dégageant des fumées à se soumettre à un contrôle spécifique (cf. art. 15 al. 2 du règlement cantonal). De plus, si le propriétaire ou l'utilisateur d'une installation défectueuse ne la fait pas remettre en état dans le délai imparti par le maître ramoneur, les mesures nécessaires sont ordonnées par le Département (cf. art. 11 al. 2 et 3 du règlement cantonal). Dans ces deux cas, le maître ramoneur ne peut prendre aucune décision au sens de l'art. 5 PA (cf. consid. 6c ci-dessus; sur la notion de décision au sens de cette disposition, cf. ATF 121 II 473 consid. 2a p. 477).
bb) Si l'installation contrôlée ne satisfait pas à certaines normes figurant dans l'ordonnance fédérale sur la protection de l'air, le maître ramoneur peut ordonner lui-même sa remise en état par une entreprise spécialisée (cf. art. 55 al. 1 du règlement cantonal). Le propriétaire ou l'utilisateur de l'installation peuvent former une opposition auprès du Département (cf. art. 12 du règlement cantonal) et la décision de ce dernier peut ensuite faire l'objet d'un recours auprès Tribunal administratif cantonal (cf. art. 18 de la loi cantonale). On peut dès lors se demander si, dans de tels cas, le maître ramoneur ne prend pas une décision au sens de l'art. 5 PA à l'encontre de laquelle une voie de droit est ouverte. S'il ne paraît pas exclu de l'admettre, il est en revanche douteux qu'il agisse en son propre nom (cf. consid. 6c ci-dessus). En effet, comme l'a d'ailleurs relevé la décision attaquée (cf. consid. 5b/cc de cette dernière) et ainsi que cela ressort du dossier, les mesures qu'il ordonne sont communiquées au propriétaire ou à l'utilisateur concerné sur un formulaire aux armes du canton de Genève et à l'en-tête du Département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales, Inspection cantonale du service du feu. Il semble dès lors qu'il agisse plutôt au nom et pour le compte du canton (cf. dans le même sens, arrêt non publié du 24 novembre 1999 en la cause S., consid. 5c).
c) Quoi qu'il en soit, en effectuant des contrôles spécifiques, B.________, qui est un entrepreneur privé, fournit des prestations qui ont une valeur économique et dont les frais sont à la charge du propriétaire ou de l'utilisateur de l'installation contrôlée (cf. art. 4 al. 2 de la loi cantonale). Les montants versés par ceux-ci représentant ainsi une contre-prestation, les activités de l'intéressé sont dès lors fournies à titre onéreux, soit contre rémunération (cf. les art. 4 lettre b et 17 al. 4 in fine OTVA). d) Dans ces conditions, force est de constater que B.________ ne fournit pas ses prestations dans l'exercice de la puissance publique lorsqu'il effectue des contrôles spécifiques (cf. consid. 6b ci-dessus et ATF 125 II 480 consid. 8d p. 491). Par conséquent, les contre-prestations qu'il reçoit ne peuvent être exonérées en vertu de l'art. 17 al. 4 OTVA.
e) Le présent recours doit ainsi être admis, la décision attaquée annulée et la décision sur réclamation précitée du 3 février 1998 c3onfirmée.
Lausanne, le 18 janvier 2000