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Original
 
[AZA 0]
1P.774/1999
Ie COUR DE DROIT PUBLIC
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14 février 2000
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président, Féraud, Jacot-Guillarmod, Catenazzi et Favre. Greffier: M. Kurz.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
X.________, représenté par Me Freddy Rumo, avocat à La Chaux-de-Fonds,
contre
l'arrêt rendu le 10 novembre 1999 par le Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, dans la cause qui oppose le recourant au Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel;
(renvoi d'un fonctionnaire)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Inspecteur à la police cantonale neuchâteloise de 1976 à fin 1988, X.________ a été réengagé, après une activité dans le secteur privé, comme inspecteur principal adjoint à la police de sûreté de La Chaux-de-Fonds depuis le 1er juin 1991. Après une enquête disciplinaire ouverte en 1995 et qui n'a abouti à aucune sanction, il a été déplacé à Neuchâtel.
Le 11 novembre 1996, dans le cadre d'une enquête pénale contre inconnu pour corruption passive, violation du secret de fonction et infraction à la LStup, le juge d'instruction chargé de la cause a ordonné l'arrestation de X.________. Le 12 novembre 1996, le chef du Département de la justice, de la santé et de la sécurité du canton de Neuchâtel (ci-après: le département) a suspendu provisoirement X.________ de ses fonctions, avec suppression de traitement. Cette mesure a été confirmée par le Conseil d'Etat et le Tribunal administratif neuchâtelois.
Par jugement du 25 février 1999, le Tribunal correctionnel de La Chaux-de-Fonds a acquitté X.________ des préventions mentionnées ci-dessus.
B.- Par décision du 5 juillet 1999, après deux entretiens des 22 avril et 10 juin 1999, le Conseil d'Etat neuchâtelois a résilié les rapports de service de X.________, avec effet au 31 octobre 1999. Cette décision fait état d'une rupture du rapport de confiance entre X.________ et ses supérieurs. L'intéressé s'était trouvé au centre des rivalités entre deux groupes de policiers et avait été assimilé au milieu des trafiquants de drogue. La rancoeur à l'égard de ses anciens collègues ne permettait pas d'envisager un nouveau déplacement.
C.- Par arrêt du 10 novembre 1999, le Tribunal administratif neuchâtelois a confirmé cette décision. Un renvoi pour justes motifs était possible même en l'absence d'une faute de l'intéressé. Les griefs graves et répétés contre le recourant avaient eu de tels retentissements dans l'opinion publique qu'il était impossible de rétablir l'image d'intégrité à laquelle il aspirait. L'animosité dans les rapports avec ses collègues, ainsi que la grave polémique au centre de laquelle il s'était trouvé constituaient des motifs objectifs de rupture du lien de confiance.
D.- X.________ forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt, dont il requiert l'annulation. Il demande l'effet suspensif.
Le Tribunal administratif se réfère aux considérants de son arrêt. Le Conseil d'Etat conclut au rejet du recours.
Par ordonnance du 20 janvier 2000, le Président de la Ie Cour de droit public a rejeté la demande d'effet suspensif.
Considérant en droit :
1.- Le recours est formé en temps utile contre un arrêt final rendu en dernière instance cantonale. Le recourant, dont la décision attaquée confirme la révocation pour justes motifs, a qualité pour agir (art. 88 OJ), car le droit cantonal (en l'espèce l'art. 45 al. 1 de la loi neuchâteloise sur le statut de la fonction publique) fait dépendre le licenciement de conditions matérielles (cf. ATF 120 Ia 110 consid. 1a p. 112).
2.- Le recourant se plaint en premier lieu d'une violation de l'art. 6 par. 1 CEDH. La décision attaquée affecterait ses droits de caractère civil, de sorte qu'un contrôle judiciaire serait nécessaire. Or, la décision de première instance n'émanerait pas d'un tribunal, et le Tribunal administratif, auteur de la décision attaquée, n'aurait pas exercé un contrôle de toutes les questions de fait et de droit, car il aurait restreint son examen à l'abus ou à l'excès du pouvoir d'appréciation. Compte tenu du pouvoir d'examen du Tribunal fédéral saisi d'un recours de droit public, la violation alléguée ne pourrait pas être réparée à ce stade.
a) L'art. 6 par. 1 CEDH donne à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le tribunal exigé par cette disposition s'entend d'une autorité à caractère juridictionnel, dont l'impartialité et l'indépendance est assurée par des règles organiques. Cela n'empêche pas une autorité administrative de statuer sur la cause, pour autant qu'un recours soit possible auprès d'une juridiction disposant d'une pleine cognition en fait et en droit (ATF 123 I 87 consid. 3a p. 90 et les arrêts cités). Le contrôle de l'opportunité n'est en revanche pas exigé (ATF 120 Ia 19 consid. 4c p. 30).
b) Point n'est besoin en l'espèce de rechercher si, compte tenu du pouvoir d'examen que s'est reconnu le Tribunal administratif, au demeurant très large, le contrôle opéré par cette juridiction était suffisant au regard de l'art. 6 CEDH. En effet, il est admis de jurisprudence constante que les litiges concernant le recrutement, la carrière et la cessation d'activité des fonctionnaires ne portent pas "sur des droits et obligations de caractère civil" (CourEDH, arrêts Maillard c. France du 9 juin 1999, ch. 39, et Huber c. France du 19 février 1998, ch. 36). La jurisprudence fait exception à cette règle lorsqu'est en jeu la revendication d'un droit purement patrimonial (cf. par exemple CourEDH, arrêt Couez c. France du 24 août 1998, ch. 24 s.; ATF 125 I 313 consid. 4 p. 319 et les références citées). La jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'homme tend à substituer au critère patrimonial un critère dit "fonctionnel", fondé sur la nature des fonctions exercées par l'agent, indépendamment de la qualification du rapport juridique de droit interne. Ainsi, les litiges des agents participant directement ou non à l'exercice de la puissance publique, en particulier dans l'armée et la police, ne sont pas soumis à l'art. 6 CEDH. En revanche, les litiges relatifs aux pensions relèvent de cette disposition, car une fois admis à la retraite, l'agent n'est plus lié à l'Etat par une relation de confiance particulière (CourEDH, arrêt Pellegrin c. France du 8 décembre 1999, ch. 59-67; arrêt non publié du 7 février 2000 dans la cause Polizei-Beamten-Verband der Stadt Zürich, consid. 2b).
En l'espèce, quel que soit le critère adopté, le recourant ne saurait se prévaloir de l'art. 6 CEDH. Sa fonction importante au sein de l'administration cantonale impliquait une participation à l'exercice de la puissance publique. Par ailleurs, les aspects patrimoniaux, sociaux et personnels évoqués par le recourant ne sont qu'accessoires à la prétention principale, qui a trait exclusivement à la cessation des rapports de service. Le recourant ne peut donc invoquer l'art. 6 par. 1 CEDH.
3.- Le recourant se plaint ensuite d'une application arbitraire de l'art. 45 al. 1 de la loi neuchâteloise sur le statut de la fonction publique (LSt. /NE), intitulé "renvoi pour justes motifs ou raisons graves", et dont la teneur est la suivante:
"Si des raisons d'inaptitude, de prestations insuffisantes, de manquements graves ou répétés aux devoirs de service ou d'autres raisons graves ne permettent plus la poursuite des rapports de service, l'autorité qui a nommé peut ordonner le renvoi d'un titulaire de fonction publique. "
a) Pour le recourant, les raisons graves au sens de cette disposition devraient obligatoirement, à l'instar de l'inaptitude, être inhérentes à la personne du fonctionnaire. Une révocation sans faute serait envisageable, pour autant que le comportement du fonctionnaire (ou d'un tiers dont il répond) soit en cause, puisque selon l'art. 46 LSt. /NE, le fonctionnaire en cause doit avoir l'occasion de s'améliorer. On ne saurait envisager une révocation pour des motifs sur lesquels l'intéressé n'a aucune influence, alors que le législateur cantonal a au contraire voulu renforcer la protection des fonctionnaires sur ce point. Le recourant relève ensuite que les procédures pénale et disciplinaire l'ont mis hors de cause et ont révélé des dysfonctionnements au sein de la police de sûreté, dont il n'était pas la cause. La cour cantonale aurait accordé trop d'importance aux retentissements médiatiques dont il a fait l'objet.
b) Au contraire du licenciement disciplinaire, qui suppose une faute (cf. consid. 2b non publié de l'ATF 118 Ib 172; RDAF 1995 p. 464), jurisprudence et doctrine admettent la possibilité d'une résiliation pour justes motifs sans qu'une faute soit imputable au fonctionnaire, lorsque la continuation de son activité est devenue impossible, même en raison d'événements ne tenant pas au comportement de l'intéressé. Peuvent ainsi être considérées comme justes motifs toutes circonstances qui, d'après les règles de la bonne foi, font admettre que l'autorité qui nomme ne peut plus continuer les rapports de service (cf. par analogie, l'art. 337 CO). Knapp (Précis de droit administratif, Bâle 1991, p. 645-646) distingue ainsi clairement les causes de cessation d'emploi dues au fait de l'agent (incapacité, non respect des conditions d'éligibilité, justes motifs tenant à la personne) des causes tenant à l'intérêt du service, par exemple lorsque, par sa seule présence, le fonctionnaire perturbe le déroulement du service, notamment en cas de conflits de personnalités au sein d'un même service (op. cit. n° 3163).
c) L'art. 45 al. 1 LSt. /NE se prête à une telle interprétation: l'expression "autres raisons graves ne permettant plus la poursuite des rapports de service" ne doit pas forcément se rapporter à un comportement déterminé du fonctionnaire. La référence du recourant aux travaux préparatoires n'est pas déterminante; il y est en effet admis que le renvoi peut intervenir sans faute de l'intéressé. L'exemple cité, soit l'inaptitude, tient certes à la personne du fonctionnaire, mais cela n'exclut pas d'autres raisons qui lui seraient étrangères. L'art. 46 LSt. /NE, invoqué par le recourant, prévoit que le fonctionnaire mis en cause doit disposer d'une occasion de s'améliorer, mais cette disposition ne s'applique que "lorsque les faits reprochés au titulaire de fonction publique dépendent de sa volonté", ce qui laisse évidemment entendre que de justes motifs peuvent exister en dehors de tels cas.
d) Sur le vu de ce qui précède, l'interprétation de la cour cantonale, selon laquelle de justes motifs de renvoi peuvent être motivés par le seul intérêt du service, sans que l'employé se voie reprocher un comportement déterminé, ne prête pas le flanc à la critique. La cour cantonale pouvait dès lors se dispenser d'établir les responsabilités respectives des fonctionnaires impliqués: si elle ne pouvait pas reprocher au recourant des agissements pour lesquels il a été formellement mis hors de cause, elle pouvait en revanche considérer qu'il existait, au sein de la police de sûreté, des rapports personnels difficiles, ainsi que des rivalités susceptibles d'entraver les activités de ce service. Or, le recourant ne conteste pas que sa présence est objectivement de nature à provoquer de telles perturbations. La décision attaquée ne saurait, par conséquent, être qualifiée d'arbitraire.
4.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté. Un émolument judiciaire est mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours.
2. Met à la charge du recourant un émolument judiciaire de 4000 fr.
3. Communique le présent arrêt en copie au mandataire du recourant, au Conseil d'Etat et au Tribunal administratif du canton de Neuchâtel.
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Lausanne, le 14 février 2000
KUR/col
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,