[AZA 0]
4P.246/1999
Ie COUR CIVILE
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14 février 2000
Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et Corboz, juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
les époux M.________, représentés par Me Yves Bonard, avocat à Genève,
contre
l'arrêt rendu le 21 juin 1999 par la Chambre d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève dans la cause qui oppose les recourants à dame L.________, représentée par Me Raymond de Morawitz, avocat à Genève;
(art. 4 aCst. , procédure civile; appréciation des preuves)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants :
A.- M.________ exploite le Café X.________ à Genève. Le 1er juin 1996, il a engagé dame L.________. Celle-ci a effectué successivement diverses tâches pour lui (nettoyage, lessive, service, etc. ) jusqu'au 23 mai 1998, date à laquelle elle a résilié le contrat de travail avec effet immédiat en invoquant des mauvais traitements infligés par son patron, contre qui elle a déposé plainte pénale.
Pendant la durée de son emploi, M.________ a versé à dame L.________ 16 500 fr. à titre de rémunération pour l'ensemble de son travail.
B.- a) Dame L.________ a assigné M.________ et sa femme devant le Tribunal de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève. Ses conclusions tendaient, en dernier lieu, au paiement de montants atteignant 38 743 fr., dont 5000 fr. à titre de tort moral.
Le défendeur s'est opposé à la demande et a réclamé reconventionnellement une indemnité pour tort moral de 10 000 fr.
b) Par jugement sur partie du 11 janvier 1999, le Tribunal des prud'hommes a suspendu l'instruction de la cause en ce qui concernait l'indemnité de tort moral réclamée par dame L.________ jusqu'à jugement pénal définitif, ordonnance de non-lieu ou classement dans la procédure pénale, l'instruction devant être reprise d'office ou à la requête des parties dès que la suspension ordonnée n'aurait plus d'objet. Le tribunal a, par ailleurs, déclaré la demande irrecevable en tant qu'elle était dirigée contre dame M.________. Enfin, il a condamné le défendeur à payer à la demanderesse la somme brute de 32 019 fr. 15 avec intérêts, sous déduction de la somme nette de 16 500 fr.
Le défendeur a interjeté appel contre ce jugement, en reprenant ses conclusions de première instance. Ultérieurement, il a augmenté ses prétentions reconventionnelles pour réclamer une indemnité de 20 000 fr. à titre de tort moral.
La demanderesse a formé un appel incident. Elle concluait préalablement à ce que la demande dirigée contre dame M.________ soit déclarée recevable, principalement à l'annulation du jugement rendu et à la condamnation du défendeur à lui verser la somme brute de 45 800 fr. 85, subsidiairement de 39 800 fr. 90 net avec intérêts, sous déduction du montant net de 16 500 fr., ainsi que 5000 fr. et 2000 fr.
net, le tout avec intérêts.
Dans sa réponse à l'appel incident, le défendeur a produit une décision du Ministère public du 4 juin 1999 classant la procédure pénale.
Par arrêt du 21 juin 1999, la Chambre d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève a confirmé le jugement de première instance et débouté les parties de toute autre conclusion.
C.-a)LaChambred'appelad'abordretenuquel'assignation de dame M.________ était nulle au sens de l'art. 7 de la loi de procédure civile genevoise, ce qui entraînait l'irrecevabilité de la demande dirigée contre elle.
b) Observant ensuite que les parties ne contestaient pas que leurs rapports juridiques étaient soumis à la Convention collective nationale de travail des hôtels, restaurants et cafés du 25 mars 1992 (ci-après: CCNT 92) en vigueur jusqu'au 31 décembre 1996, puis à la Convention collective cantonale de travail des hôtels, restaurants et cafés (ci-après: CCCT) entrée en vigueur le 1er octobre 1996, la cour cantonale a retenu que celles-ci prévoyaient qu'un employé sans apprentissage ni formation élémentaire avait droit au salaire mensuel minimum de 2940 fr. jusqu'au 31 décembre 1996 et de 2960 fr. à partir de 1997 (art. 29 CCCT).
Le Tribunal des prud'hommes avait admis que la demanderesse travaillait 16,5 heures par semaine - dont 2 heures par jour du lundi au dimanche et 0,5 heures le dimanche pour le nettoyage de la cuisine - durant la période allant du 1er juin 1996 au 31 mars 1997, soit 36,65 % d'un temps plein (45 heures). La Chambre d'appel, relevant que le défendeur n'apportait aucune preuve commandant de modifier l'horaire de travail de la demanderesse retenu par les premiers juges et que les salaires minimaux prévus par les conventions collectives avaient effectivement servi de base de calcul pour déterminer les différences de salaire à allouer à la demanderesse, a jugé que, sur ce point, la décision attaquée ne suscitait aucune critique et qu'il convenait de la confirmer.
c) La Chambre d'appel a relevé par ailleurs que les parties n'apportaient aucun élément de fait pertinent qui irait à l'encontre des déductions opérées par les premiers juges sur le salaire de la demanderesse au titre de prestations servies en nature (logement mis à disposition et frais de nourriture), de sorte que la décision de première instance pouvait également être confirmée à ce sujet.
d) L'art. 34 CCNT 92 prévoit le versement du 50 % d'un treizième salaire durant la première année de travail au pro rata temporis, puis d'un salaire entier à compter de la deuxième année de service. Constatant qu'elle avait été engagée avant la dénonciation de cette convention, la cour cantonale a considéré que la demanderesse pouvait valablement se prévaloir de celle-ci pour réclamer un treizième salaire. Comme, à l'échéance du 30 juin 1996, les parties n'avaient pas modifié les conditions de travail les liant, elle a estimé qu'elles avaient entendu laisser subsister les conditions en vigueur, y compris celle prévoyant le versement d'un treizième salaire. A nouveau, elle a confirmé la solution retenue par les premiers juges.
e) En ce qui concerne les indemnités pour tort moral, la cour cantonale a relevé que, bien que le dispositif et un considérant du jugement attaqué ne fassent état que de la prétention de la demanderesse, il fallait considérer que la suspension ordonnée en première instance visait également la demande reconventionnelle; en effet, cette dernière, en tant qu'elle visait à obtenir une réparation morale suite au dépôt de la plainte pénale de la demanderesse, se fondait sur les mêmes faits que ceux qui faisaient l'objet de la procédure pénale. Aussi les premiers juges n'étaient-ils à juste titre pas entrés en matière sur la demande en réparation du tort moral formée par le défendeur.
Se référant en outre à la production par le défendeur de la décision du Ministère public du 4 juin 1999 classant la procédure faute de prévention pénale suffisante, la Chambre d'appel a constaté que les parties avaient omis d'indiquer si un éventuel recours avait été formé contre cette décision; aussi a-t-elle jugé approprié de confirmer la suspension ordonnée dans le jugement entrepris, les parties étant libres, le cas échéant, de solliciter la reprise de l'instruction au cas où ladite décision de classement se révélerait définitive.
D.- Parallèlement à un recours en réforme, Manuel et dame M.________ interjettent un recours de droit public fondé sur la violation de l'art. 4 aCst. devant le Tribunal fédéral. Ils concluent à l'annulation de l'arrêt du 21 juin 1999 et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants.
La demanderesse conclut principalement à l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet. Elle sollicite l'assistance judiciaire et la nomination de Me Raymond de Morawitz comme son avocat d'office.
Lacourcantonaleseréfèreàsesconsidérants.
Considérant en droit :
1.- Conformément à la règle générale de l'art. 57 al. 5 OJ, il convient d'examiner le recours de droit public en premier lieu.
2.- En instance cantonale, la demande a été déclarée irrecevable en tant qu'elle était dirigée contre la défenderesse, laquelle n'a d'ailleurs pas formulé de prétentions reconventionnelles, ni n'a dû verser de frais judiciaires ou de dépens. Ne subissant aucun préjudice du fait de cette décision, la défenderesse n'a pas d'intérêt juridique à faire valoir devant le Tribunal fédéral. Dans la mesure où il est formé par elle, le recours est irrecevable (art. 88 OJ; cf. aussi ATF 120 II 5 consid. 2a et les références).
3.- a) Le recourant reproche tout d'abord aux juges précédents de n'avoir pas tenu compte de nombreux témoignages en sa faveur, mais de s'être fondés exclusivement sur les déclarations de l'intimée.
Ainsi, la Chambre d'appel aurait tenu pour établie la réalité des mauvais traitements prétendument subis par l'intimée, nonobstant, outre l'ensemble des témoignages, le classement de la plainte pénale pourtant porté à la connaissance des juges cantonaux. Cette manière de faire, choquante et arbitraire, révélerait le parti pris négatif de la cour à son endroit.
Se référant à des photos et à des témoignages, le recourant conteste aussi que l'intimée ait journellement consacré deux heures au nettoyage de la cuisine. La cour cantonale aurait versé dans l'arbitraire en se fondant sur les seuls dires d'un témoin ami de l'intimée.
Enfin, la Chambre d'appel aurait confirmé de manière erronée les déductions opérées par les premiers juges sur le salaire de la travailleuse au titre des prestations perçues en nature, en omettant arbitrairement de tenir compte des repas du soir.
b) Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre solution serait également concevable, voire préférable. Le Tribunal fédéral ne qualifie d'arbitraire l'appréciation des preuves que si l'autorité cantonale - qui jouit d'un large pouvoir d'appréciation en la matière (ATF 112 Ia 369 consid. 3) - a admis ou nié un fait en se mettant en contradiction évidente avec le dossier, par exemple s'il omet sans aucune raison de prendre en considération un moyen de preuve manifestement décisif, s'il se fonde sur un moyen qui est à l'évidence dépourvu de crédibilité ou encore si, examinant les éléments réunis, il en tire des conclusions insoutenables (ATF 125 I 166 consid. 2a; 125 II 10 consid. 3a; 125 II 129 consid. 5b; 124 I 247 consid. 5; 124 V 137 consid. 2b). Il appartient au recourant de démontrer, de façon claire et circonstanciée, en quoi ces conditions sont réalisées dans le cas d'espèce. Le Tribunal fédéral, qu'il ne faut pas confondre avec une cour d'appel, n'entre en matière que sur les griefs expressément soulevés (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 110 Ia 10 consid. 4b; 125 I 166 consid. 2a).
c) Le recourant a perdu de vue les règles qui précèdent. Ses critiques sont purement appellatoires et ne démontrent nullement le caractère arbitraire des constatations incriminées. Le dossier contient des éléments suffisants pour admettre, sans que cela puisse être qualifié d'insoutenable, l'existence des mauvais traitements infligés à l'intimée; au demeurant, on ne voit pas quelles conséquences civiles défavorables au recourant la Chambre d'appel aurait tirées de cette constatation; celle-ci serait-elle d'ailleurs fausse que l'intégralité de l'appréciation des preuves par les juges cantonaux n'en serait pas pour autant arbitraire. Le recourant n'établit pas davantage en quoi la durée du travail retenue par l'instance précédente est en contradiction évidente avec les preuves administrées. Quant aux déductions pour les prestations en nature, et, en particulier, pour les repas, il sied d'observer que la cour cantonale a simplement déclaré que les parties n'avaient pas apporté d'éléments de fait pertinents allant à l'encontre des déductions opérées par les premiers juges; cette remarque se révèle exacte à la lecture des mémoires déposés durant la procédure d'appel par le recourant, où il ne démontre pas pourquoi la non-déduction des repas du soir serait le fruit d'une erreur dans l'appréciation des faits.
4.- a) Le recourant s'en prend ensuite à l'allocation d'un treizième salaire à l'intimée. Selon lui, la Chambre d'appel n'aurait pas tenu compte de la dénonciation de la CCNT 92 un mois après le début des rapports de travail, et elle aurait considéré arbitrairement que les parties avaient reconduit tacitement cette convention. L'intimée pourrait prétendre seulement à un treizième salaire au pro rata du premier mois de travail, effectué sous l'égide de la CCNT 92.
b) Le moyen est vain. Pour autant que la constatation litigieuse, selon laquelle les parties ont entendu laisser subsister les conditions en vigueur à l'échéance de la CCNT 92, relève du fait, force est d'observer que le recourant ne démontre pas en quoi elle est arbitraire, car il n'apparaît pas qu'il ait allégué que la dénonciation de la CCNT avait modifié les relations de travail des parties. La cour cantonale pouvait retenir sans arbitraire que les intéressées avaient entendu maintenir leurs relations de travail sur les mêmes bases que celles qui existaient lorsque la convention était en vigueur (cf. ATF 98 Ia 561 consid. 1 et 2). Et dans la mesure où la critique du recourant consiste en une remise en question de l'application de la CCNT, il s'agit d'un grief touchant à l'application du droit fédéral, irrecevable dans un recours de droit public compte tenu de l'ouverture de la voie du recours en réforme ( art. 43 ss, 84 al. 2 OJ ).
5.- a) Le recourant reproche en dernier lieu à la cour cantonale d'avoir admis à tort la suspension de sa demande reconventionnelle de tort moral tout en considérant que les postes de la demande principale étaient en état d'être jugés. Cette manière de faire le priverait de son droit de compenser et serait donc arbitraire dans ses effets. La cour cantonale aurait dû soit suspendre l'ensemble de la procédure civile, soit se prononcer sur tous les chefs des prétentions civiles de deux parties.
Comme l'intimée l'observe, le recourant, dans son mémoire d'appel à la cour cantonale, reconnaissait que la suspension de la procédure concernant les prétentions en tort moral de son adverse partie se justifiait. Effectivement, il écrivait: "La solution prise par les premiers juges est la plus juste concernant la requête en dommages-intérêts. Il convient, en effet, d'attendre l'issue de la procédure pénale pour se déterminer complètement. L'appelant réserve toutefois ses droits pour poursuivre sa propre demande en dommages-intérêts" (p. 14).
b) Les deux demandes de tort moral reposent sur le même complexe de faits. Dans ces conditions, la solution adoptée par la cour cantonale apparaît judicieuse. Elle met les parties à égalité, en optant pour une manière de procéder que le recourant jugeait, on l'a vu, tout à fait appropriée s'agissant de la prétention formulée par l'intimée. Venir maintenant contester cette décision de suspension confine à l'abus de procédure. Ce dernier moyen de recours sera écarté.
6.- Au vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être déclaré irrecevable en tant qu'il est interjeté par dame M.________, et rejeté dans la mesure de sa recevabilité en tant qu'il est interjeté par M.________. La requête d'assistance judiciaire de l'intimée sera admise et son conseil actuel désigné comme son avocat d'office, ce qui aura pour effet de lui assurer ses honoraires au cas où les dépens ne pourraient être recouvrés. La valeur litigieuse dépasse 20 000 fr., de sorte que les recourants supporteront l'émolument judiciaire ( art. 343 al. 2 et 3 CO ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Déclare le recours de droit public irrecevable en tant qu'il est interjeté par dame M.________;
2. Dit que le recours de droit public est rejeté dans la mesure où il est recevable en tant qu'il est interjeté par M.________;
3. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la charge des recourants, solidairement entre eux;
4. Dit que les recourants, débiteurs solidaires, verseront à l'intimée une indemnité de 2500 fr. à titre de dépens. En cas de non-paiement, la Caisse du Tribunal fédéral versera à Me Raymond de Morawitz une indemnité de 2500 fr. à titre d'honoraires;
5. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Chambre d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève (cause n° C/17271/1998-6).
_______________
Lausanne, le 14 février 2000
ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,
La greffière,