«AZA»
U 178/99 Mh
IIIe Chambre
composée des Juges fédéraux Schön, Spira et Widmer; Wagner, Greffier
Arrêt du 23 février 2000
dans la cause
LIMMAT, Cie d'assurances, Genferstrasse 11, Zurich, recourante, représentée par J.________, avocat,
contre
P.________, intimé, représenté par Z.________, avocat,
et
Tribunal cantonal des assurances, Sion
A.- a) P.________ a été engagé dès le 1er avril 1986 en qualité de magasinier par X.________. A ce titre, il était assuré par la LIMMAT, compagnie d'assurances à Zurich, pour les accidents professionnels et non professionnels.
Dans une déclaration d'accident LAA du 24 juillet 1989, l'employeur a avisé la LIMMAT que P.________ avait été victime d'un accident le 4 juin 1989 au stade de football de Sion. Selon la description de l'accident, l'assuré était en train de participer à un match de football, lorsqu'il avait glissé sur le terrain et était tombé. La blessure qu'il présentait consistait dans des contusions multiples à l'épaule droite.
Le docteur F.________, médecin généraliste, a examiné P.________ le 6 juin 1989. Il a constaté une douleur à la mobilisation de l'épaule droite, sans fausse mobilité, sans hématome visible. Selon les constatations radiologiques, il n'y avait pas de lésion visible. Ce praticien a posé le diagnostic de contusion de l'épaule droite. Il a ordonné un arrêt de travail du 6 au 11 juin 1989 et prescrit un traitement consistant dans du repos, l'administration d'antiinflammatoires par voie orale et par injection, et une physiothérapie pour enraidissement de l'épaule (rapport médical initial LAA, du 31 juillet 1989).
Le cas a été pris en charge par la LIMMAT.
b) A la suite d'un changement d'employeur, P.________ a travaillé en qualité de maçon. Il a oeuvré à ce titre du 11 janvier 1990 au 21 décembre 1992 au service de l'entreprise R.________, de février à novembre 1993 au service de l'entreprise de bâtiments, de travaux publics et de génie civil A.________, et du 15 mai 1994 au 31 janvier 1998 au service de l'entreprise de construction S.________. Auprès de ces employeurs, il était assuré par la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA) pour les accidents professionnels et non professionnels.
Dans une déclaration d'accident-bagatelle LAA du 3 novembre 1995, l'entreprise S.________ a avisé la CNA que P.________ avait été victime d'un accident le 23 février 1992 et que «(des) problèmes à l'épaule droite ressurgissent actuellement». D'après la description de l'accident, l'assuré s'était blessé en jouant au ballon.
Selon un rapport médical initial LAA, du 11 janvier
1996, le docteur M.________, spécialiste FMH en médecine interne et rhumatologie, avait soigné P.________ dès le 7 juillet 1993, date à partir de laquelle il avait constaté une limitation fonctionnelle de l'épaule droite, surtout pour l'abduction, ainsi que pour la rotation interne active. Les constatations radiologiques d'après une imagerie par résonance magnétique du 12 mai 1995 avaient mis en évidence la rupture complète du tendon sus-épineux de l'épaule droite. Tel était le diagnostic du docteur M.________, qui signalait à propos d'un accident du 28 mai 1993 que le patient se plaignait de douleurs et craquement local de l'épaule droite, lors d'un faux mouvement en jouant comme gardien au football, et depuis lors de douleurs et impotence fonctionnelle de l'épaule droite.
La CNA a procédé à une enquête. Lors d'une audition de P.________ à son travail le 24 janvier 1996, celui-ci a déclaré à l'inspecteur qu'à la fin de l'année 1991 ou au début de l'année 1992, il faisait un pic-nic avec des amis, qu'il avait joué au football et fait le gardien, et qu'en levant le bras pour arrêter un ballon, il avait juste touché celui-ci de la pointe des doigts et que son bras droit était parti en arrière. Il avait entendu un craquement dans l'épaule droite, n'avait pas arrêté le travail, mais avait consulté le docteur F.________ qui lui avait fait une piqûre dans l'épaule. Juste après, en mars 1992, il s'était fait opérer d'une hernie cervicale par le docteur D.________, lequel lui avait fait une injection contre ses douleurs à l'épaule droite.
Par décision du 28 février 1996, la CNA a refusé de
prendre en charge le cas. Niant toute suite d'un accident assuré ou de lésions corporelles assimilées à un accident, elle se fondait sur le fait que P.________ avait consulté le docteur M.________ en partant de l'idée qu'il s'agissait d'une rechute de l'accident du 28 mai 1993. Or, cet accident concernait le bras gauche, mais non l'épaule droite, qui avait été blessée lors d'un accident du 6 (recte : 4) juin 1989, pris en charge par la LIMMAT.
Le 15 mars 1996, P.________ a été opéré par le professeur G.________ à l'hôpital orthopédique universitaire pour une rupture traumatique de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite. Il a subi une deuxième opération le 26 août 1997.
La Caisse-maladie suisse pour les industries du bois
et du bâtiment et branches annexes (CMBB) a versé des indemnités journalières pour une incapacité de travail dès le 14 mars 1996.
Par décision du 17 avril 1996, la LIMMAT a refusé de
prendre en charge le cas, faute de lien de causalité entre l'accident du 4 juin 1989 et les troubles actuels de l'épaule droite. Par décision du 24 septembre 1996, elle a rejeté l'opposition formée par P.________ contre cette décision.
Par jugement du 5 août 1997, le Tribunal cantonal des
assurances du canton du Valais a annulé la décision sur opposition, au motif qu'elle aurait dû être notifiée également à la CMBB, et renvoyé la cause à la LIMMAT.
Entre-temps, P.________ avait confié une expertise au
docteur O.________, spécialiste FMH en médecine interne. Ce médecin, dans un rapport du 15 novembre 1996, posa le diagnostic de status après reconstruction de la coiffe des rotateurs droits d'étiologie post-traumatique probable. Selon lui, si l'on apprécie les données et si l'on admet que les déclarations du patient soient vraies, il existe un lien de causalité fort probable entre l'accident du 4 juin 1989 et les troubles de l'épaule droite.
Par décision du 12 décembre 1997, la LIMMAT a derechef refusé de prendre en charge le cas. Selon elle, l'existence d'un lien de causalité entre l'accident du 4 juin 1989 et les troubles actuels de l'épaule droite peut au mieux être considérée comme possible, mais en aucun cas ne saurait être qualifiée de probable.
Par décision du 16 juin 1998, la LIMMAT a rejeté l'opposition formée par P.________ contre cette décision.
B.- Dans un mémoire du 15 septembre 1998, P.________ a recouru contre la décision sur opposition devant le Tribunal cantonal des assurances du canton du Valais, en concluant, sous suite de dépens, à l'annulation de celle-ci. Il demandait que son droit à des indemnités LAA pour les suites de l'accident du 4 juin 1989 soit reconnu. En cours de procédure, il a produit une expertise du docteur V.________, spécialiste FMH en médecine interne et spécialiste en maladies rhumatismales, du 30 septembre 1998.
Par jugement du 24 mars 1999, la juridiction cantonale
a admis le recours, annulé la décision sur opposition du 16 juin 1998 et condamné la LIMMAT à allouer à P.________ les prestations découlant de la LAA pour les suites de l'accident survenu le 4 juin 1989 et annoncées le 3 novembre 1995, ainsi que 2800 fr. pour ses dépens, dont 1108 fr. 80 de frais d'expertise.
C.- La LIMMAT interjette recours de droit administratif contre ce jugement, en concluant, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de celui-ci. Elle invite la Cour de céans à confirmer son refus de toutes prestations d'assurance LAA et à condamner P.________ à prendre en charge les frais des expertises médicales qu'il a mises en oeuvre.
De son côté, P.________ conclut, sous suite de dépens,
au rejet du recours.
Considérant en droit :
1.- Il est constant que les troubles de l'épaule droite ayant entraîné la rupture de la coiffe des rotateurs, présentés par l'intimé, sont de nature accidentelle. Est litigieuse la question de savoir s'il existe un rapport de causalité entre l'accident survenu le 4 juin 1989 et ces affections, en particulier la rupture de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite.
2.- Le droit à des prestations découlant d'un accident assuré suppose d'abord, entre l'événement dommageable de caractère accidentel et l'atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette exigence est remplie lorsqu'il y a lieu d'admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout, ou qu'il ne serait pas survenu de la même manière. Il n'est pas nécessaire, en revanche, que l'accident soit la cause unique ou immédiate de l'atteinte à la santé; il faut et il suffit que l'événement dommageable, associé éventuellement à d'autres facteurs, ait provoqué l'atteinte à la santé physique ou psychique de l'assuré, c'est-à-dire qu'il se présente comme la condition sine qua non de celle-ci. Savoir si l'événement assuré et l'atteinte à la santé sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait, que l'administration ou, le cas échéant, le juge examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d'ordre médical, et qui doit être tranchée en se conformant à la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l'appréciation des preuves dans l'assurance sociale. Ainsi, lorsque l'existence d'un rapport de cause à effet entre l'accident et le dommage paraît possible, mais qu'elle ne peut pas être qualifiée de probable dans le cas particulier, le droit à des prestations fondées sur l'accident assuré doit être nié (ATF 119 V 337 consid. 1, 118 V 289 consid. 1b et les références).
3.- Selon les premiers juges, l'intimé a commis une erreur dans ses déclarations du 24 janvier 1996 à l'inspecteur de la CNA, erreur qu'il a rectifiée par la suite et qui peut très bien avoir été purement involontaire. Faisant siennes les dernières déclarations (rectifiées) de l'intimé, la juridiction cantonale a retenu, avec les médecins consultés par le patient, qu'il n'avait été l'objet que d'un seul traumatisme de l'épaule droite, qui avait pu provoquer la lésion constatée de la coiffe des rotateurs, et que l'atteinte déclarée le 3 novembre 1995 par l'entreprise S.________ était donc une conséquence de l'accident du 4 juin 1989.
4.- La recourante conteste que l'intimé ait pu commettre une erreur dans ses déclarations du 24 janvier 1996. Elle est d'avis qu'il a été victime d'un deuxième accident de football fin 1991/début 1992, accident survenu à un autre endroit, à une autre date et dans d'autres circonstances que l'accident du 4 juin 1989. Selon elle, la version des faits retenue par les premiers juges est insoutenable, parce que contraire aux pièces essentielles du dossier, en particulier au rapport d'enquête de la CNA du 24 janvier 1996 et à la communication du docteur T.________ au docteur M.________ du 16 janvier 1995. Par ailleurs, elle conteste toute valeur probante aux rapports d'expertise produits par l'intimé, dont elle soutient qu'ils ont été établis en violation évidente de son droit d'être entendue. Dans l'hypothèse où la véracité du rapport de l'inspecteur de la CNA du 24 janvier 1996 ne serait pas admise, elle demande que son auteur soit entendu.
5.- Il est établi que, le 4 juin 1989, l'intimé était en train de participer à un match de football sur un stade, à Sion, lorsqu'il a glissé sur le terrain et est tombé, se blessant à l'épaule droite. Telles sont en effet les circonstances de l'accident, ainsi qu'elles sont décrites dans la déclaration d'accident LAA du 24 juillet 1989, laquelle est censée avoir été remplie par l'employeur de façon complète et conforme à la vérité (art. 53 al. 3 première phrase OLAA).
Ayant consulté le docteur O.________ le 18 octobre 1996, l'intimé lui a donné une autre version de l'accident du 4 juin 1989. Selon lui, alors qu'il jouait au football comme gardien, il avait levé les bras pour attraper un coup. Au moment où il toucha la balle, il sentit un craquement et une douleur dans l'épaule droite (anamnèse du rapport d'expertise de ce praticien, du 15 novembre 1996).
Or, reprenant cette nouvelle version, l'assuré l'a modifiée dans l'opposition du 17 décembre 1997 formée contre la décision du 12 décembre 1997. En effet, ainsi qu'il l'a déclaré également dans le recours du 15 septembre 1998 contre la décision sur opposition du 16 juin 1998, alors qu'il jouait le 4 juin 1989 en qualité de gardien, il est tombé sur l'épaule droite et s'est blessé. En particulier, au moment où il essaya d'arrêter le ballon, il sentit un craquement et une douleur dans l'épaule droite.
Toutefois, l'intimé n'est pas parvenu à prouver au
degré de la vraisemblance prépondérante qu'il existe de manière hautement probable un rapport de causalité entre l'accident du 4 juin 1989 et les affections - en particulier la rupture de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite - dont la prise en charge est litigieuse.
D'une part, l'accident de football survenu le 4 juin 1989 se caractérise par le fait que l'intimé a glissé sur le terrain et qu'il est tombé, se blessant à l'épaule droite. Il n'est pas question, dans la déclaration d'accident LAA du 24 juillet 1989 ni dans le rapport médical initial LAA du 31 juillet 1989, d'un accident de gardien de but qui, lors d'une plongée, aurait réceptionné une forte frappe de ballon d'environ 15 mètres avec le bout des doigts de la main gauche. On ne saurait donc retenir la version des faits sur laquelle s'est fondé le docteur V.________ dans son expertise du 30 septembre 1998, ni la conclusion de ce médecin en ce qui concerne la survenance d'un mouvement d'hyperextension de l'épaule avec craquement.
D'autre part, les douleurs à l'épaule droite en relation avec la rupture du tendon sus-épineux remontent à 1992, alors que près de trois années s'étaient écoulées depuis l'accident du 4 juin 1989. Dès lors, compte tenu des exigences sévères en matière de preuve posées par la jurisprudence en cas de rechutes ou de séquelles et de suites tardives (RAMA 1997 no U 275 p. 191 consid. 1c in fine et la référence), l'existence d'un rapport de cause à effet entre cet accident et la survenance des affections dont la prise en charge est litigieuse ne saurait être qualifiée de probable dans le cas particulier. Le recours est bien fondé.
6.- La recourante, représentée par un avocat, obtient gain de cause. Elle ne saurait, toutefois, prétendre une indemnité de dépens pour l'instance fédérale. En effet, les autorités et les organisations chargées de tâches de droit public n'ont en principe pas droit à des dépens lorsqu'elles obtiennent gain de cause (art. 159 al. 2 en corrélation avec l'art. 135 OJ). Comptent au nombre des organisations chargées de tâches de droit public notamment la CNA, les autres assureurs-accidents, les caisses-maladie et les caisses de pension (consid. 6 de l'ATF 120 V 352). Exceptionnellement des dépens peuvent être alloués lorsqu'en raison de la particularité ou de la difficulté du cas, le recours à un avocat indépendant était nécessaire (ATF 119 V 456 consid. 6b; RAMA 1995 no K 955 p. 6). Tel n'est pas le cas en l'espèce.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances
p r o n o n c e :
I. Le recours est admis en ce sens que le jugement du
Tribunal cantonal des assurances du canton du Valais,
du 24 mars 1999, est annulé.
II. Il n'est pas perçu de frais de justice ni alloué de
dépens.
III. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au
Tribunal cantonal des assurances du canton du Valais
et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 23 février 2000
Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IIIe Chambre :
Le Greffier :