«AZA 0»
4C.331/1999
Ie C O U R C I V I L E
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6 mars 2000
Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu, M. Corboz, Mme Klett, juges, et M. Zappelli, juge suppléant. Greffier: M. Carruzzo.
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Dans la cause civile pendante
entre
B.________, demandeur et recourant, représenté par Me JeanCharles Bornet, avocat à Sion,
et
X.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée par Me Pierre-André Veuthey, avocat à Martigny;
(distinction entre contrat de travail et contrat de transport)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- X.________ S.A. exploite un entrepôt frigorifique. Le 22 août 1975, cette société a conclu avec B.________, lequel effectuait des transports pour elle avant 1975 déjà, la convention suivante:
"... a) vous (B.________) continuerez l'activité ex-
ercée jusqu'ici et assurerez le même service pour
le compte de la Maison X.________ SA, selon les di-
rectives de notre chef d'exploitation.
b) L'indemnité kilométrique est fixée forfai-
tairement à fr. 1.45 par km aussi bien pour la
plaine que pour la montagne.
c) Le règlement des décomptes de livraison
s'effectue périodiquement par notre service comp-
table de X.________, votre facture devant être
préalablement visée par notre chef d'exploitation.
d) Il est stipulé d'un commun accord que le dé-
lai de résiliation est fixé de part et d'autre à 4
mois..."
La tâche de B.________ consistait à acheminer, à l'aide de son propre camion, des denrées périssables dans les magasins du Valais. B.________ et son beau-frère, D.________, qui disposait également de son propre véhicule, se partageaient les transports que X.________ S.A. leur demandait d'effectuer.
Dès 1976, B.________ a travaillé pour X.________ S.A. quelque 200 jours par an, durée réduite dès 1986. Il consacrait également une partie de son temps à l'exploitation avec son épouse d'un café-restaurant. Pour son activité de transporteur, il était généralement contacté la veille au soir par X.________ S.A. en vue d'une tournée débutant tôt le
matin. Le transporteur s'était engagé, comme son beaufrère, à donner la priorité à X.________ S.A.
Dès 1990, B.________ a été rémunéré course par course, en fonction notamment des distances parcourues, pour le travail effectué pour X.________ S.A.
Le 30 juin 1995, X.________ S.A. a résilié, avec effet au 31 décembre 1995, la convention conclue le 22 août 1975.
B.- Le 15 avril 1996, B.________ a assigné X.________ S.A. en paiement de 32 000 fr. plus intérêts. Il fondait ses prétentions sur l'existence d'un contrat de travail et réclamait une indemnité pour longs rapports de travail.
La défenderesse a conclu au rejet de l'action.
Par jugement du 21 juillet 1999, la IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Valais, qualifiant les relations entre les parties de contrat de transport, a rejeté la demande. C.- Le demandeur interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Il y reprend, à titre principal, la conclusion en paiement qu'il avait formulée devant la cour cantonale et requiert, subsidiairement, le renvoi de la cause à cette autorité pour nouveau jugement dans le sens des considérants.
La défenderesse conclut au rejet du recours.
C o n s i d é r a n t e n d r o i t :
1.- a) Les premiers juges ont retenu que le demandeur avait agi vis-à-vis de la défenderesse en qualité d'entrepreneur en transport indépendant, partant que les règles régissant le contrat de transport, et donc celles du mandat, étaient applicables, à l'exclusion de celles relatives au contrat de travail.
Ils ont en outre admis que le contrat avait été résilié par la défenderesse de façon régulière et que le demandeur n'avait pas établi avoir subi un dommage, ce qui les a conduits à rejeter la demande.
b) A l'appui de son recours en réforme, le demandeur persiste à soutenir que les dispositions légales concernant le contrat de travail (art. 319 ss CO) lui sont applicables, et non celles des art. 440 ss CO. Il énumère les indices qui plaident, à son avis, en faveur de l'existence d'un tel contrat. Selon lui, son contrat entrerait dans la catégorie des relations de travail dites "sur appel", ce qui l'aurait rendu juridiquement subordonné et économiquement dépendant de la défenderesse.
Le demandeur réclame derechef une indemnité de 32 000 fr. en raison de longs rapports de travail, au sens de l'art. 339b CO.
2.- a) Les parties n'ont pas qualifié le contrat qu'elles ont conclu le 22 août 1975. Cela n'est pas décisif, car la dénomination du contrat n'est pas déterminante quant à sa nature juridique (art. 18 al. 1 CO). Il faut rechercher la réelle et commune intention des parties, telle qu'elle s'exprime en premier lieu par le contenu contractuel lui-même (ATF 99 II 313).
Selon la jurisprudence, il appartient au demandeur, conformément à l'art. 8 CC, d'établir les circonstances de fait dont on peut inférer l'existence d'un contrat de travail (ATF 125 III 78 consid. 3b).
Par le contrat de travail, le travailleur s'engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l'employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d'après le temps ou le travail fourni (art. 319 al. 1 CO).
Dans le contrat de transport, le voiturier se charge d'effectuer le transport des choses moyennant salaire (art. 440 al. 1 CO). Selon l'art. 440 al. 2 CO, les règles du mandat sont applicables au contrat de transport, sauf les dérogations prévues aux art. 441 à 457 CO.
Le contrat de travail se différencie du mandat, et donc du contrat de transport, avant tout par l'existence d'un rapport de subordination et de dépendance, en vertu duquel le travailleur est tenu de se soumettre aux instructions de l'employeur, à qui il doit en principe tout son temps (Rehbinder, Commentaire bernois, n. 49 ad art. 319 CO; Tercier, Les contrats spéciaux, 2e éd., n. 3943 et les références; voir aussi l'ATF 112 II 41 consid. 1a/aa p. 46). Pour savoir s'il y a un rapport de dépendance, caractéristique du contrat de travail, il convient d'examiner l'ensemble des circonstances concrètes. Il faut se demander si le débiteur de la prestation de travail est intégré dans l'entreprise du créancier, si des directives et des instructions contraignantes (art. 321d CO) déterminent l'accomplissement de son travail.
Sur ce dernier point, on relèvera que, dans le mandat comme dans le contrat de travail, le créancier peut donner des instructions contraignantes et que le débiteur a le
devoir d'avertir le créancier si les instructions ne permettent pas d'atteindre le but poursuivi. Mais, en fin de compte, l'employé est tenu d'agir conformément aux instructions, même s'il les estime inappropriées; s'il désobéit, il viole son obligation de travailler. Au contraire, le mandataire, placé dans une situation analogue, peut faire usage de son droit de répudier le contrat (Hofstetter, Traité de droit privé suisse, vol. VII, tome II/1, p. 19).
Un indice en faveur du contrat de travail peut aussi être vu dans le fait que le créancier déduit les cotisations sociales de la rémunération due au travailleur et les ajoute à ses propres prestations patronales versées aux assurances sociales (Hofstetter, op. cit., p. 17 à 19).
b) Le demandeur mentionne plusieurs indices qui auraient dû, selon lui, conduire les juges précédents à retenir la qualification du contrat de travail pour définir ses relations avec la défenderesse.
aa) Il souligne, d'abord, que l'existence d'un délai contractuel de résiliation de 4 mois plaide en faveur d'un contrat de travail, le contrat de mandat étant quant à lui résiliable en tout temps. Toutefois, cet élément n'est en l'occurrence pas décisif. En effet, pour les motifs indiqués ci-après, la clause de résiliation ne permet pas à elle seule, compte tenu des autres éléments retenus par la cour cantonale, de qualifier le contrat litigieux de relation de travail au sens de l'art. 319 CO.
bb) Le demandeur rappelle ensuite qu'il devait rester à la disposition de la défenderesse qui pouvait faire appel à lui en tout temps. Il en aurait ainsi été juridiquement et économiquement dépendant. Cette dépendance l'aurait empêché d'entrer en relations contractuelles avec d'autres personnes. Son contrat entrerait dès lors dans la catégorie du
travail sur appel et serait donc soumis aux règles du contrat de travail.
Le recours n'est pas recevable (art. 63 al. 2 OJ) dans la mesure où il se fonde sur la circonstance que le demandeur aurait été matériellement et juridiquement empêché de nouer des relations contractuelles avec d'autres personnes que la défenderesse, car la cour cantonale retient le contraire en fait.
On peut concéder au demandeur que les relations contractuelles qui le liaient à la défenderesse le rendaient en partie dépendant de cette société sur le plan économique. Il était ainsi, dans une certaine mesure, placé dans une situation analogue à celle d'un employé ("arbeitnehmerähnliche Person"; cf. Rehbinder, op. cit., n. 64 ss ad art. 319 CO).
Mais une telle dépendance économique n'est pas un critère décisif. Elle ne fonde pas nécessairement un contrat de travail. Le mandataire, l'artisan ou le commerçant peut être économiquement dépendant d'un client important sans en être l'employé.
Quant à la subordination juridique, au sens où l'entendent la jurisprudence et la doctrine rappelées ci-dessus, le demandeur ne la démontre pas. Les termes du contrat du 22 août 1975 ne l'indiquent nullement; ils font au contraire pencher, notamment quant à la formulation de la clause relative au mode de paiement des prestations du demandeur, pour un contrat de transport.
Le fait que le demandeur s'était engagé à se tenir à la disposition de la défenderesse et à honorer en priorité les commandes de cette société dont il devait respecter les instructions n'était pas en soi exorbitant des contraintes d'un voiturier, compte tenu notamment de ce que la défende-
resse était son principal client. Le demandeur ne s'est d'ailleurs jamais plaint de cette situation jusqu'à la résiliation de son contrat et il n'a jamais réclamé un autre statut plus protecteur durant les nombreuses années de leurs relations contractuelles.
Un rapport de subordination et l'intégration du demandeur dans l'entreprise de la défenderesse n'étant pas établis, il est vain de rechercher si les conditions du travail sur appel, au sens où l'entend la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 125 III 65 consid. 3 et 4, 124 III 249), sont réunies et si la situation de l'intéressé a pu souffrir d'une certaine précarité. 3.- Le demandeur affirme, par ailleurs, que la défenderesse a commis un abus de droit en concluant un contrat donnant l'apparence d'un contrat de transport, cela avec l'objectif de contourner les obligations de l'employeur prévues aux art. 319 ss CO.
Or, il ne s'agit là que d'une allégation, au demeurant très sommairement motivée, et non d'une critique du jugement attaqué. En raison de ce défaut de motivation, il n'est pas possible d'entrer en matière sur ce point (art. 55 al. 1 let. c OJ).
Cette allégation ne trouve d'ailleurs aucun fondement dans les constatations de la cour cantonale qui lient le Tribunal fédéral. Rien n'établit, en effet, que la défenderesse ait tenté de masquer l'existence d'un contrat de travail. En soutenant cette thèse, le demandeur reconnaît du reste implicitement que ses relations avec la défenderesse ne revêtaient pas l'apparence d'un tel contrat.
4.- a) Le demandeur souligne encore que le fait d'avoir mis son propre camion à la disposition de la défenderesse n'excluait pas qu'il y ait eu un rapport de travail.
Il est vrai que les parties au contrat de travail peuvent déroger à la règle selon laquelle l'employeur fournit au travailleur les instruments de travail et les matériaux dont celui-ci a besoin (art. 327 al. 1 CO).
Toutefois, selon la loi, si le travailleur fournit lui-même son propre véhicule à moteur, il a droit au remboursement des frais courants d'usage et d'entretien, dans la mesure où le véhicule sert à l'exécution du travail. En outre, il a droit au paiement des impôts sur le véhicule et des primes d'assurance contre la responsabilité civile, ainsi qu'à une indemnité d'usure équitable, dans la mesure où le véhicule sert à l'exécution du travail (art. 327b CO).
Or, en l'occurrence, le demandeur était rémunéré spécialement pour chaque course en fonction notamment des distances parcourues et sur la base de ses factures. Rien n'établit que la défenderesse ait payé les primes d'assurance contre la responsabilité civile et les impôts sur le véhicule du demandeur. Celui-ci supportait, de surcroît, tous les frais de réparation et d'entretien de son véhicule.
Ces éléments ne parlent pas en faveur d'un contrat de travail mais indiquent au contraire l'existence d'un contrat de transport.
b) Le demandeur admet avoir pu exercer, durant la basse saison touristique, des activités rémunérées pour d'autres cocontractants. Il estime que cette faculté n'était que théorique, car il devait la priorité aux commandes de la défenderesse, et qu'elle n'était pas contraire à son obligation de fidélité vis-à-vis de celle-ci.
Or, la cour cantonale a retenu en fait, de façon à lier le Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ), que si le demandeur s'était engagé à donner la priorité aux transports de la défenderesse, il pouvait travailler pour d'autres clients durant la basse saison. Elle a également relevé que le demandeur avait largement fait usage de cette disponibilité commerciale.
Dès lors, la possibilité offerte au demandeur de travailler pour des tiers ou dans l'entreprise de cafetier- restaurateur de son épouse n'était pas seulement théorique, puisqu'il est établi qu'il l'a utilisée. Au demeurant, la question du devoir de fidélité ne se posait pas. La défenderesse n'a jamais exigé du demandeur qu'il ne travaillât pas pour des tiers. Seul lui importait que le transporteur fût disponible en cas de nécessité.
Même si les relations des parties à cet égard n'étaient pas incompatibles avec l'existence d'un contrat de travail, elles s'apparentaient bien davantage au contrat de transport retenu à bon droit par la cour cantonale.
c) Les premiers juges ont également relevé en fait que le demandeur et son beau-frère se partageaient équitablement les tâches que la défenderesse confiait à des chauffeurs extérieurs à l'entreprise.
Pour le demandeur, cette circonstance n'était pas non plus incompatible avec l'existence d'un contrat de travail. Il se serait simplement agi d'une forme particulière de ce contrat, le "job sharing".
Or, si le "job sharing", soit le partage d'un seul poste de travail entre plusieurs travailleurs, est une forme possible du contrat de travail (Engel, Contrats de droit suisse, p. 277), encore faut-il que soient réalisés les élé-
ments caractéristiques de ce contrat, en particulier qu'il existe un rapport de subordination. On a vu que tel n'était pas le cas pour le demandeur. Quant à son beau-frère, qui exerçait la même activité que lui, il n'a jamais prétendu être l'employé de la défenderesse.
d) En définitive, pour ces motifs et ceux qu'a retenus la cour cantonale - à savoir, outre les éléments susmentionnés, le fait que le demandeur s'identifiait comme un entrepreneur indépendant dans ses rapports avec la défenderesse; que, depuis 1993, il tenait une comptabilité commerciale et était considéré comme indépendant par le fisc; que la défenderesse ne retenait pas les charges sociales et que le demandeur percevait une rémunération largement supérieure au salaire que la défenderesse versait à ses propres chauffeurs, pour tenir compte des risques de l'entrepreneur, tous éléments d'appréciation que le demandeur ne critique pas et auxquels il convient de se rallier -, le contrat litigieux doit être qualifié de contrat de transport.
5.- Le demandeur ne remettant pas en cause le jugement attaqué dans la mesure où il rejette, faute de preuve d'un dommage, son droit à une indemnisation en application des règles régissant le contrat de transport (art. 404 al. 2 CO par renvoi de l'art. 440 al. 2 CO), ce point doit être considéré comme acquis.
6.- Il s'ensuit le rejet du recours dans la mesure où il est recevable.
Le demandeur, qui succombe, devra payer l'émolument judiciaire (art. 156 al.1 OJ) et verser à la défenderesse une indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
l e T r i b u n a l f é d é r a l :
1. Rejette le recours dans la mesure où il est recevable et confirme le jugement attaqué;
2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la charge du recourant;
3. Dit que le recourant versera à l'intimée une indemnité de 3000 fr. à titre de dépens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Valais.
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Lausanne, le 6 mars 2000
ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,