«AZA 0»
4C.460/1999
Ie C O U R C I V I L E
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18 avril 2000
Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et Corboz, juges. Greffière: Mme de Montmollin Hermann.
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Dans la cause civile pendante
entre
M.________, défendeur et recourant principal, représenté par Me Jean-Pierre Jacquemoud, avocat à Genève,
et
1. L. P.________, 2. dame P.________,
tous deux demandeurs et recourants par voie de jonction, représentés par Me Jean-Pierre Garbade, avocat à Genève;
(contrat de travail; salaire dû; légitimation)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- a) M.________ est un homme d'affaires libanais, domicilié à Jeddah, en Arabie saoudite. Il est à la tête d'un groupe de sociétés, dont certaines ont leur siège à Jeddah ou à Genève. Il bénéficie d'une autorisation de séjour de courte durée (90 jours par année) à Genève, où il possède un appartement. Il est également propriétaire d'un domaine à Megève (France) et d'un yacht, dont le port d'attache est Cap d'Ail (France).
Le 5 mai 1989, M.________ et L. P.________, ressortissant philippin, ont signé un contrat à Manille (Philippines), aux termes duquel le premier - dont l'adresse indiquée était à Genève et la nationalité prétendument suisse - a engagé le second en qualité d'employé de maison pour une durée de deux ans, moyennant un salaire de 350 US$ par mois, nourri logé, un jour de congé par semaine, et un billet d'avion aller-retour Manille-Genève. L'épouse de L. P.________, dame P.________, a été engagée le même jour à des conditions similaires.
b) Le 20 septembre 1989, un contrat de travail a été signé à Jeddah entre L. P.________ et la société saoudienne Y.________. Cette convention stipule des conditions identiques à celles de l'accord de mai 1989, sous réserve des art. 13 et 14 qui précisent que les relations entre les parties sont soumises au droit de l'Arabie saoudite et que tout différend sera tranché par les autorités judiciaires de ce pays.
c) Le 21 septembre 1989, L. P.________ et X.________ Ltd ont à nouveau signé un contrat de travail qui reprend les mêmes termes que celui du 5 mai 1989. Dame
P.________ a conclu un contrat identique avec la société précitée.
d) Le 31 mai 1991, M.________ a formé auprès du Contrôle de l'Habitant de Genève une demande d'autorisation de séjour pour prise d'emploi en faveur de L. P.________, en qualité de valet de chambre pour une durée de trois mois, moyennant un salaire de 2400 fr. et un horaire de travail de 9 h. 00 à 12 h. 00 et de 14 h. 00 à 19 h. 00.
Le 10 juin 1993, M.________ a sollicité auprès des autorités genevoises le renouvellement de l'autorisation de séjour (120 jours) préalablement accordée à L. P.________, toujours en qualité de valet de chambre moyennant un salaire de 2400 fr. Les 20 mai 1994 et 25 avril 1995, il a formulé des demandes similaires.
e) Les parties ont mis fin à leurs relations en octobre 1997. Les circonstances de la rupture sont contestées. Il est seulement établi que le 7 octobre 1997, sans préavis, L. P.________ et dame P.________ ont été emmenés à l'aéroport de Genève-Cointrin, après avoir reçu l'ordre de faire leurs bagages, accompagnés d'un agent de sécurité privé et d'autres employés de M.________. Parvenus à la zone de départ de l'aéroport, ils se sont adressés à un agent de police pour lui signifier qu'ils ne souhaitaient pas quitter la Suisse. Comme leurs visas étaient encore valables, la police les a accompagnés à un taxi qui les a conduits au Syndicat Z.________.
B.- Le 2 mars 1998, les époux P.________ ont assigné M.________ en paiement de divers montants devant la juridiction des prud'hommes du canton de Genève. Dans le dernier état de leurs conclusions, le demandeur réclamait, 611 474 fr.58 et la demanderesse 480 216 fr.90, intérêts en sus.
Par jugement du 23 février 1999, le Tribunal des prud'hommes a condamné le défendeur à payer à la demanderesse 72 571 fr.15 brut et 13 740 fr. net, et au demandeur 72 688 fr.15 brut et 13 740 fr. net, le tout avec intérêts.
Les deux parties ont recouru auprès de la Chambre d'appel des prud'hommes. Par arrêt du 4 novembre 1999, celleci a annulé le jugement de première instance; elle a condamné le défendeur à verser à la demanderesse 118 729 fr.49 brut et 18 600 fr. net, plus intérêts; pour sa part, le demandeur a obtenu 167 612 fr.70 brut et 22 410 fr. net, cela également avec intérêts. Ces montants comprennent notamment la rémunération d'heures supplémentaires et une indemnité pour résiliation immédiate injustifiée au sens de l'art. 337c al. 3 CO.
C.- M.________ recourt en réforme au Tribunal fédéral. Sollicitant l'annulation de l'arrêt de la Chambre d'appel, il conclut principalement au déboutement des demandeurs, subsidiairement au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Les époux P.________ concluent, chacun, au rejet du recours et interjettent des recours joints. Le premier conclut à la réforme de l'arrêt attaqué, en ce sens que le défendeur est tenu de lui verser les sommes de 177 155 fr.50 et 22 410 fr., intérêts en sus. La seconde conclut à la réforme de l'arrêt attaqué, en ce sens que le défendeur est tenu de lui verser les montants de 127 655 fr.75 et 18 600 fr. avec intérêts.
M.________ invite le Tribunal fédéral à rejeter les recours joints.
D.- Par décision du 21 février 2000, le Tribunal fédéral a accordé l'assistance judiciaire aux deux demandeurs et désigné leur conseil comme avocat d'office.
E.- Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a rejeté, dans la mesure de sa recevabilité, le recours de droit public interjeté parallèlement par le défendeur.
C o n s i d é r a n t e n d r o i t :
I.- Recours principal
1.- a) Le défendeur reproche à la Chambre d'appel d'avoir appliqué le droit suisse en méconnaissance de l'élection de droit contenue dans le contrat de travail du 20 septembre 1989, ajoutant que les parties auraient toutes leur domicile en Arabie saoudite, Jeddah constituant l'un des centres importants de leurs activités. Le droit choisi par les parties serait conforme à la résidence habituelle tant de l'employeur que de l'employé ainsi qu'au lieu de l'activité principale de celui-ci. Se prévalant de l'art. 121 al. 3 LDIP, le défendeur soutient que si la Chambre d'appel voulait écarter le droit choisi par les parties, elle aurait dû recourir à la réserve de l'ordre public (art. 17 LDIP) ou à l'application des règles impératives du droit suisse (art. 19 LDIP), deux dispositions dont les conditions d'application ne seraient toutefois pas réalisées.
Le défendeur fait aussi grief à la cour cantonale d'avoir alloué aux demandeurs des arriérés de salaire pour la période du 1er mars 1993 au 30 novembre 1997 tout en considérant que les moments d'activité à Genève durant ce temps
étaient ponctuels. Il serait pour le moins arbitraire, allègue-t-il, d'appliquer le droit suisse pour toute la durée du contrat concernant des activités importantes effectuées à l'étranger (Arabie saoudite, bateau à Cap d'Ail ou Espagne), et cela alors même que les parties s'étaient mises d'accord pour soumettre leurs rapports contractuels à un autre droit déterminé.
b) L'argumentation du défendeur est centrée sur l'interprétation du contrat qui a été passé le 20 septembre 1989 entre la société saoudienne Y.________ et le demandeur L. P.________. Or, sur la base de l'appréciation des preuves, la cour cantonale est parvenue à la conclusion que les conventions conclues en septembre 1989 avec les sociétés appartenant au groupe M.________ n'étaient pas conformes à la réalité, et que seuls étaient déterminants les premiers contrats, signés en mai 1989 à Manille par les demandeurs (p. 18 de l'arrêt attaqué). L'absence de correspondance avec la réalité des contrats de septembre 1989 constitue une constatation de fait dont le Tribunal fédéral ne peut s'écarter - sauf exceptions non réalisées en l'espèce - lorsqu'il statue sur un recours en réforme (art. 63 al. 2 OJ); cette constatation permet, en droit, de retenir qu'il s'agit d'actes simulés ne liant pas les parties, comme l'a fait la cour cantonale à juste titre. Dès lors, toute l'argumentation du recours fondée sur l'élection de droit conventionnelle se révèle vaine. c) Le moyen tiré du caractère ponctuel des périodes d'activité des demandeurs à Genève se heurte également aux constatations de fait souveraines de la cour cantonale (art. 63 al. 2 OJ). Les juges précédents ont retenu, à cet égard, que les demandeurs avaient été présents à Genève durant de bien plus longues périodes que celles mentionnées dans les autorisations de séjour temporaires qui leur avaient été délivrées, que le défendeur n'avait apporté aucun élément pro-
pre à établir la présence des demandeurs à Jeddah, que les affirmations de l'homme d'affaires selon lesquelles ses employés auraient été essentiellement à Megève durant leurs séjours en Europe n'étaient confirmées ni par les pièces ni par les témoignages, et que la thèse avancée par le défendeur, selon laquelle les demandeurs voyageaient constamment avec lui, ne résistait pas à l'examen. Au vu de tous ces éléments, la cour cantonale est parvenue à la conclusion que les demandeurs avaient habituellement accompli leur travail à Genève. Sur la base de cette constatation de fait, on ne peut que lui donner raison d'avoir admis la compétence des juges genevois (art. 115 LDIP) et l'application du droit suisse (art. 121 al. 1 LDIP).
2.- a) Dans un second moyen, le défendeur reproche à la Chambre d'appel d'avoir alloué aux demandeurs le maximum de l'indemnité prévue à l'art. 337c al. 3 CO, faisant ainsi apparaître l'employeur comme l'instigateur unique de la rupture de la relation contractuelle sans considération de la faute concomitante des travailleurs, en omettant de tenir compte de la seule déclaration testimoniale relative à la résiliation des rapports de service.
b) L'argumentation du défendeur se réfère essentiellement et vainement au témoignage Swadanandana, dont on a vu, dans le cadre de l'examen du recours de droit public, qu'il n'avait pas été écarté arbitrairement par la cour cantonale. Le grief est irrecevable dès lors qu'il s'écarte des constatations de fait de l'arrêt attaqué sur les circonstances du licenciement des demandeurs.
3.- Le recours principal apparaît donc mal fondé, pour autant qu'il est recevable.
II.- Recours joints
1.- a) Les demandeurs invoquent tout d'abord une erreur de calcul, provenant d'une inadvertance manifeste, à propos des arriérés de salaire comptés par la cour cantonale pour la période du 1er décembre 1993 au 30 novembre 1994.
b) La cour cantonale a compté un arriéré de salaire de 11 mois pour la période précitée, et a déduit un salaire reçu calculé sur 11 mois, alors que cette période compte 12 mois. Cette erreur ne peut qu'être le fruit d'une inadvertance manifeste et doit être corrigée. L'arriéré de salaire du demandeur, pour cette période, sera donc augmenté d'un salaire mensuel de 2845 fr. moins le salaire reçu par 1024 fr.50, soit de 1820 fr.50 et l'arriéré de salaire de la demanderesse d'un salaire de 2230 fr. moins le salaire reçu par 1024 fr.50, soit de 1205 fr.50. 2.- a) Les demandeurs se plaignent ensuite de violations des art. 321c al. 3 et 322 al. 2 CO. Ils prétendent que la cour cantonale a appliqué faussement le droit dans la mesure où elle a calculé le salaire dû pour les heures supplémentaires (art. 321c al. 3 CO) sans tenir compte du salaire constitué par les prestations en nature qui leur étaient servies, dès lors qu'ils vivaient dans le ménage de l'employeur (art. 322 al. 2 CO). b) Le grief est fondé. Comme l'a déjà relevé le Tribunal fédéral dans l'arrêt non publié 4C.483/1995 du 17.10.96 (consid. 6b) invoqué par les demandeurs, la loi vise à restreindre la pratique du travail supplémentaire en en renchérissant le coût de 25% au moins (art. 321c al. 3 CO, auquel renvoie l'art. 12 al. 3 du Contrat-type de travail pour travailleurs de l'économie domestique du 20 avril 1989, appliqué en l'espèce, ci-après: CCT). Or, en vertu de l'art.
322 al. 2 CO, si le travailleur vit dans le ménage de l'employeur - comme c'était le cas en l'espèce - son entretien et son logement font partie du salaire, sauf accord ou usage contraire. L'art. 16 al. 2 CTT va d'ailleurs dans le même sens.
Le calcul des heures supplémentaires, tel qu'effectué par les demandeurs en annexe à leurs recours, est correct. Il ajoute au montant du salaire mensuel dû le montant du salaire en nature, conforme à la note figurant à la fin du CTT publié (in rec. des lois genevoises J 1 50.03), et la somme de ces deux montants est majorée de 25%. Le total du salaire dû pour les heures supplémentaires doit donc bien être porté à 35 685 fr. pour le demandeur et à 29 622 fr.40 pour la demanderesse, au lieu des 27 962 fr.96 et 21 901 fr.75 alloués par l'arrêt attaqué. La différence en faveur du demandeur représente 7722 fr.04 et la différence en faveur de la demanderesse 7720 fr.65.
3.- Les recours joints doivent être admis; l'arrêt attaqué sera donc réformé, en ce sens qu'il:
- sera alloué au demandeur, au lieu de 167 612 fr.70, la somme brute de 177 155 fr.24 (167 612 fr.70 + 1820 fr.50 + 7722 fr.04);
- sera alloué à la demanderesse, au lieu de 118 729 fr.49, la somme brute de 127 655 fr.64 (118 729 fr.49 + 1205 fr.50 + 7720 fr.65). Les montants nets alloués aux demandeurs seront maintenus et l'arrêt attaqué restera inchangé sur ces points.
4.- La valeur litigieuse est supérieure à 20 000 fr. Le demandeur succombant tant sur le recours principal que sur les recours joints, les émoluments et dépens
seront mis entièrement à sa charge (cf. art. 343 al. 2 et 3 CO , 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
l e T r i b u n a l f é d é r a l :
1. Rejette le recours du défendeur dans la mesure où il est recevable;
2. Admet les recours joints des demandeurs et réforme l'arrêt attaqué en ce sens que le défendeur est condamné à verser:
- à la demanderesse la somme brute de 127 655 fr.60 plus intérêts moratoires à 5% dès le 1er juillet 1994
- à la demanderesse la somme nette de 18 600 fr. plus intérêts moratoires à 5% dès le 7 octobre 1997
- au demandeur la somme brute de 177 155 fr.20 plus intérêts moratoires à 5% dès le 1er juillet 1994
- au demandeur la somme nette de 22 410 fr. plus intérêts moratoires à 5% dès le 7 octobre 1997;
3. Maintient l'arrêt attaqué pour le surplus;
4. Met un émolument judiciaire de 10 000 fr. à la charge du défendeur;
5. Dit que le défendeur versera aux demandeurs, créanciers solidaires, une indemnité de 12 000 fr. à titre de
dépens. Au cas où les dépens ne pourraient être recouvrés, la Caisse du Tribunal fédéral versera à Me Jean-Pierre Garbade une indemnité de 12 000 fr. à titre d'honoraires;
6. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Chambre d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève (Cause n° C/5181/98-12).
_______________
Lausanne, le 18 avril 2000
ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,
La greffière,