«AZA 3»
4C.287/1999
Ie C O U R C I V I L E
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5 mai 2000
Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz et Mme Klett, juges. Greffier: M. Ramelet.
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Dans la cause civile pendante
entre
Promosoft S.A., à Pully, défenderesse et recourante, représentée par Me Philippe-Edouard Journot, avocat à Lausanne,
et
1. Société Vaudoise de Médecine, à Lausanne, demanderesse et
intimée,
2. René Chapuis, à Préverenges, demandeur et intimé,
tous deux représentés par Me Pierre-André Marmier, avocat
à Lausanne;
(droit d'auteur)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- a) La Société Vaudoise de Médecine (ci-après: SVM) est une association au sens des art. 60 ss CC. Selon l'art. 2 let. d de ses statuts, elle a notamment pour but de défendre les intérêts de ses membres et de promouvoir les conditions nécessaires à l'exercice de la profession. Le 28 octobre 1981, le comité de la SVM a décidé de créer une commission informatique. Celle-ci a organisé le 22 mars 1982 une procédure d'appel d'offres en vue de l'élaboration d'un logiciel permettant de gérer un cabinet médical. Par contrat du 4 décembre 1982/9 février 1983, la SVM, sous les signatures de Serge Guggi et Jean-Claude Rey, respectivement président et secrétaire général de la commission informatique, a adjugé à Aspel S.A. le développement d'un tel logiciel dénommé Galien, avant d'être rebaptisé Galien I en 1985; Galien I a été suivi d'une seconde version, Galien I MS DOS, avant la mise au point de Galien II. Le 15 juin 1983, le comité de la SVM a adopté un règlement, qui permettait la création sous le nom de Cigal, club informatique Galien, d'un groupement ad hoc (art. 44 des statuts de la SVM) consacré au développement, à la maintenance, à la gestion, ainsi qu'à la mise à jour du programme Galien.
b) Par convention du 28 février 1986, la SVM, agissant par le président et le secrétaire général de sa commission informatique, a chargé Logisoft S.A. (ci-après: Logisoft) de réaliser en trois mois, moyennant le versement de 37 500 fr., le programme informatique Galien II et de réécrire le programme Galien I dans un autre langage informatique. Le prix convenu devait être versé en quatre acomptes,
à savoir 35% à la fin février 1986, 30% lors de la remise de la version test complète, 25% lors de la livraison de la version finale, et le solde de 10% en fin de garantie le 31 décembre 1986. Il est apparu que le délai de trois mois fixé par le cahier des charges pour réaliser l'ouvrage était trop court.
Le 26 août 1986, Logisoft s'est déclarée prête à remettre à Promosoft S.A. (ci-après: Promosoft), sous certaines conditions, le développement de Galien II. Le 19 septembre 1986, Promosoft a proposé à Logisoft l'alternative suivante: soit, en accord avec Cigal, Promosoft reprenait intégralement le contrat du 28 février 1986 et libérait Logisoft des obligations ainsi contractées, hypothèse dans laquelle Promosoft encaisserait directement les deux derniers paiements partiels, soit Promosoft terminait pour Logisoft le développement de Galien II au tarif horaire de 95 fr. plus frais. Il n'a pas été constaté qu'une réponse a été donnée à cette proposition. Toutefois, à partir d'octobre 1986, Promosoft a engagé plusieurs collaborateurs pour achever le développement de Galien II, au nombre desquels l'informaticien René Chapuis, et a adressé le 15 décembre 1986 à Logisoft une note de 20 500 fr., laquelle n'indiquait pas le détail des heures facturées. Une convention de gérance, datée des 15/16 juin 1987, a été conclue entre Cigal (SVM) et Promosoft, selon laquelle Cigal (SVM) transférait dès le 1er avril 1987 "la structure de maintenance et de développement du programme Galien" à la société PMS (apparemment une sous-division de Promosoft); l'accord définissait également les conditions auxquelles Promosoft était autorisée à diffuser le programme Galien hors du canton de Vaud. Cette convention a été signée, pour Cigal (SVM), par les docteurs Rumpf et Vallotton respectivement président et membre de Cigal, et, pour Promosoft,
par le président de son conseil d'administration Bernard Mermod.
c) Dès le printemps 1988, les relations entre la SVM et Promosoft se sont détériorées. Le climat continuant à se dégrader, la SVM, par pli recommandé du 18 août 1989, a
résilié la convention des 15/16 juin 1987 pour le 31 décembre 1989. Le 30 octobre 1989, invoquant de justes motifs, la SVM a résilié le même accord avec effet immédiat. Tant la SVM que Promosoft ont déduit de la résiliation de la convention des prétentions à l'endroit de leur adverse partie. B.- a) Le 14 mars 1990, la SVM et René Chapuis ont ouvert action devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois; ils ont pris les conclusions suivantes:
" I. La Société Vaudoise de Médecine est reconnue
seule titulaire de tous les droits de propriété des
programmes Galien I et Galien II.
II. En conséquence, interdiction est faite à Pro-
mosoft S.A.:
- de diffuser, commercialiser ou utiliser sous
quelque forme que ce soit les programmes-source
Galien II dans toutes ses versions;
- d'utiliser le fichier client des membres du
Club informatique Cigal;
- de faire la promotion des programmes-source
Galien II, avec ou sans référence à la Société Vau-
doise de Médecine et au Cigal.
III. Ordre est donné à Promosoft S.A. de:
- remettre à la Société Vaudoise de Médecine
toutes les sources (programmes-source) de toutes
les versions de Galien II, en français, en allemand
ou en italien, sur disquettes ou sur papier.
IV. René Chapuis est en droit de diffuser et
d'utiliser les programmes-source originels de Ga-
lien II, d'entente avec la Société Vaudoise de Mé-
decine.
V. Promosoft S.A. doit à la Société Vaudoise de
Médecine la somme de Fr. 44'283.10 avec intérêt à
5% l'an sur Fr. 29'283.10 dès le 1er septembre 1989
et sur Fr. 15'000 dès le 1er novembre 1989.
VI. En conséquence, libre cours est laissé à due
concurrence aux commandements de payer Nos 101'735
et 105'402 de l'Office des poursuites de Lausanne-
Est, notifiés respectivement les 23 octobre et 20
novembre 1989 à Promosoft S.A."
Promosoft a conclu à l'irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet. Reconventionnellement, à supposer que la SVM soit reconnue titulaire des droits sur le programme Galien II, la défenderesse requiert que la SVM lui doive paiement de 590 017 fr.50 plus intérêts à 5% dès le 1er août 1988; plus subsidiairement, Promosoft conclut à ce qu'elle soit reconnue seule titulaire des droits sur le programme Galien II, interdiction étant faite aux demandeurs de diffuser, commercialiser ou utiliser, sous quelque forme que ce soit, les programmes-sources de Galien II dans toutes ses versions. Ultérieurement, Promosoft a réduit sa reconvention au montant de 380 000 fr.
b) Par jugement du 30 juin 1998, dont les considérants ont été communiqués le 18 juin 1999, la Cour civile a jugé que la SVM est seule titulaire du droit d'auteur des programmes Galien I et Galien II, fait interdiction à Promosoft de diffuser, commercialiser ou utiliser, sous quelque forme que ce soit, les programmes-source de Galien II dans toutes leurs versions ainsi que de faire la promotion des programmes-source Galien II et condamné la défenderesse à payer à la SVM la somme de 29 283 fr.10 avec intérêts à 5% dès le 20 septembre 1989, l'opposition formée par Promosoft à la poursuite notifiée le 23 octobre 1989 étant définitivement levée jusqu'à due concurrence.
Par arrêt du 6 octobre 1999, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours en nullité déposé par la défenderesse contre le jugement précité. C.- Promosoft recourt en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut principalement au rejet de la demande, faute de légitimation active; subsidiairement, si la légitimation active des demandeurs est reconnue, elle requiert que ceux-ci soient déclarés solidairement débiteurs de Promosoft du montant de 147 332 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er août 1988, échéance moyenne, cela avec suite de frais et dépens.
La SVM et René Chapuis proposent le rejet du recours.
C o n s i d é r a n t e n d r o i t :
1.- La recourante fait essentiellement grief aux juges cantonaux d'avoir admis la qualité pour agir des demandeurs. Elle allègue que la SVM n'a pas acquis valablement le droit d'auteur sur le programme Galien II, du moment que Cigal, club informatique Galien, ne pouvait pas être considéré comme une émanation de la demanderesse et que la SVM n'avait ni la qualité de cocontractant de la défenderesse, ni celle de cessionnaire des droits de Cigal.
a) La cour cantonale a reconnu que la SVM était titulaire de tous les droits d'auteur des programmes Galien I et Galien II. Pour arriver à cette conclusion, elle a examiné si la SVM avait valablement été engagée par les contrats signés par les responsables de Cigal.
Les magistrats vaudois ont ainsi retenu qu'antérieurement à 1990, Cigal, constitué en 1983 selon un règlement adopté par le comité de la SVM, n'était pas une association (faute de statuts propres), ni une société simple (faute d'animus societatis de ses membres). Cigal doit en revanche être considéré comme une émanation de la SVM, dont le but était de développer au sein de la SVM une approche commune de l'informatique. Du reste, dans la convention des 15/16 juin 1987 à laquelle Cigal était partie, le nom de Cigal était suivi de l'abréviation SVM. L'autorité cantonale en a déduit que Cigal apparaissait comme un "club" intégré à la demanderesse. A supposer même que les docteurs Rumpf et Vallotton (signataires de la convention de gérance pour Cigal) n'aient pas été habilités à représenter la SVM, ce seraient alors des représentants sans pouvoirs, dont les actes ont été ratifiés par la demanderesse, laquelle a exécuté le contrat sans discussion. SVM, qui avait acquis de Logisoft, par la convention du 28 février 1986, les droits d'auteur sur Galien I et II, n'a donc fait que céder l'usage du logiciel à la défenderesse lors de la passation du contrat de gérance des 15/16 juin 1987. Tous ces éléments attestent, ont poursuivi les juges cantonaux, que la SVM était titulaire des droits d'auteur sur Galien II, oeuvre dérivée de Galien I, dès le mois de février 1986.
b) D'après l'art. 44 des statuts de la demanderesse (art. 64 al. 2 OJ), le comité peut confier des tâches particulières à des commissions ad hoc. C'est à partir de cette disposition qu'a été adopté le règlement de la commission informatique SVM du 15 juin 1983, en vertu duquel a été créé le Cigal. La recourante fait ainsi manifestement fausse route lorsqu'elle affirme qu'il n'est pas possible de déduire des statuts de la SVM que le Cigal est une émanation de la demanderesse. Et peu importe que la commission informatique SVM
ait conclu elle-même la convention de gérance sans que ses statuts l'y autorise, dès lors que les organes de la demanderesse ont ratifié l'accord en l'exécutant sans condition, comme la cour cantonale l'a bien vu en se référant à l'art. 38 al. 1 CO. On ne voit pas en quoi ce raisonnement serait contraire au droit fédéral. 2.- La recourante reproche à la Cour civile d'avoir alloué des dépens au demandeur Chapuis, solidairement avec la SVM. En l'espèce, la cour cantonale a jugé que la SVM était l'unique titulaire du droit d'auteur afférent au programme Galien II, Chapuis ne pouvant faire valoir aucun droit propre sur ce logiciel. La défenderesse n'est pas lésée par cette décision, en sorte qu'elle n'a sur ce point pas d'intérêt juridique au recours (cf. ATF 116 II 721 consid. 6 p. 729). Dans la mesure où la recourante critique la répartition des dépens opérée par les juges cantonaux, elle soulève une question ressortissant au droit procédural vaudois, lequel ne saurait être critiqué en instance de réforme (art. 43 al. 1 OJ). 3.- a) La recourante s'en prend au rejet par la cour cantonale de sa prétention en paiement pour les frais engagés au cours de l'élaboration du programme Galien II, lesquels se monteraient à 147 332 fr. à dire d'expert. Elle critique plus particulièrement le motif de la Cour civile, selon lequel les parties n'avaient pas noué de relations contractuelles avant la conclusion du contrat de gérance des 15/16 juin 1987, de sorte que la défenderesse a achevé le développement du programme Galien II en tant que soustraitante de Logisoft. Les travaux exécutés par la défenderesse auraient ainsi été "balayés" au nom du forfait prévu par l'art. 3 de l'accord du 28 février 1986. A suivre la recourante, cela ne vaudrait que si Promosoft avait repris les
droits et obligations de Logisoft, ce qui n'est nullement le cas. Comme la recourante n'est pas liée par le contrat forfaitaire passé avec la SVM, cette dernière, dont les droits d'auteur sur le programme-source Galien II ont été reconnus en instance cantonale, doit dès lors payer le coût de développement à l'entreprise qui a exécuté les travaux, soit Promosoft. b) La défenderesse ne fait même pas état d'un titre juridique, sur lequel sa prétention en paiement pourrait être fondée. La Cour civile a retenu souverainement (art. 63 al. 2 OJ) que la demanderesse s'est fait céder par Logisoft, à teneur de l'art. 2 de la convention du 28 février 1986, les droits d'auteur sur le programme Galien II, que, dès le mois de septembre 1986, Promosoft est intervenue, comme soustraitante de Logisoft, pour terminer le développement de Galien II, que Promosoft a adressé sa facture de 20 500 fr. à Logisoft - et non à la demanderesse - et que Logisoft a réglé cette note. Les magistrats vaudois ont encore constaté que l'accord du 28 février 1986 n'a été résilié par Logisoft que le 29 mai 1987; la SVM a accepté cette résiliation et versé à Logisoft un montant de 4000 fr. pour solde de tout compte. Sur la base de ces constatations, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en admettant que, dès l'instant où le contrat du 28 février 1986 passé entre la SVM et Logisoft prévoyait un montant forfaitaire de 37 500 fr. pour développer Galien II, la défenderesse, sous-traitante de Logisoft, n'a pas prouvé qu'il existerait un accord contraire sur une rémunération pour des travaux accomplis après la conclusion du contrat de gérance, ni que la SVM lui aurait demandé des prestations supplémentaires susceptibles de justifier une augmentation du prix fixé forfaitairement. Le moyen repose principalement sur une présentation des faits qui s'écarte de celle retenue par la Cour civile, et qui est donc irrecevable (ATF 126 III 59 consid. 2a et les arrêts cités).
A cela s'ajoute encore qu'il a été retenu que la recourante n'a jamais contesté que la demanderesse était titulaire du droit d'auteur sur Galien II, comme l'atteste notamment avec éclat la brochure "Cigal News" du mois de décembre 1987 éditée par la défenderesse elle-même. Et, dans ce contexte, Promosoft n'a nullement prétendu qu'elle restait créancière de frais de développement relatifs audit programme informatique. 4.- Partant, le recours doit être rejeté, le jugement attaqué étant confirmé. Les frais et dépens seront mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
l e T r i b u n a l f é d é r a l :
1. Rejette le recours et confirme le jugement attaqué;
2. Met un émolument judiciaire de 5500 fr. à la charge de la recourante;
3. Dit que la recourante versera aux intimés, créanciers solidaires, une indemnité de 6000 fr. à titre de dépens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois.
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Lausanne, le 5 mai 2000
ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,