«AZA 3»
4C.3/1997
Ie C O U R C I V I L E
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Séance du 6 juin 2000
Présidence de M. Walter, président de la Cour.
Présents: M. Leu, M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffière: Mme Godat Zimmermann.
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Dans la cause qui oppose
Arnaud R o u e r, à Thônex, représenté par Me Jean-Pierre Garbade, avocat à Genève, demandeur,
à
l'Etat de G e n è v e, à Genève, représenté par Me Douglas Hornung, avocat à Genève,
défendeur;
(procès direct; accident de la circulation; responsabilité
de l'Etat; responsabilité civile du détenteur)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- Le dimanche 5 septembre 1993, vers 10 h 50, Arnaud Rouer circulait au guidon d'une moto Honda 750 sur la voie gauche de la partie droite de la route de Meyrin, en direction de cette localité. Il dépassa une voiture de police banalisée, modèle Opel Senator, qui venait de s'engager sur la route de Meyrin, en provenance de la route de Pré-Bois. L'allure excessive du deux-roues attira l'attention du conducteur de la voiture, André Jeanbourquin, gendarme à la brigade motorisée genevoise, et de son collègue Henri Bon. Tout en accélérant, Jeanbourquin demanda à ce dernier d'enclencher l'appareil de mesure de vitesse «Multagraph». A un moment donné, Rouer se rabattit sur la voie de circulation de droite avant d'emprunter la bretelle qui conduit à la rue Lect. Lorsque le motocycliste sortit de la route de Meyrin, Jeanbourquin demanda à Bon de déclencher l'appareil de mesure de vitesse. Selon le relevé «Multagraph», le gendarme Bon a procédé à deux mesures. La première n'a pas porté sur une distance suffisante. D'après la seconde, la vitesse moyenne du motocycliste sur 500 mètres était de 106 km/h, soit 95 km/h après déduction de la marge de tolérance; sa vitesse de pointe était de 125 km/h. Sur le tronçon en cause, la vitesse est limitée à 60 km/h. Pour négocier le virage à droite menant à la rue Lect, le motocycliste ralentit fortement. Arrivé sur la rue Lect, il accéléra et distança les gendarmes. Jeanbourquin enclencha alors la sirène et demanda à son collègue de mettre le feu bleu sur le toit; Bon s'exécuta alors que la voiture se trouvait à la hauteur de l'avenue de Feuillasse. La poursuite s'est déroulée à une vitesse élevée. Le gendarme Jeanbourquin estime avoir roulé à plus de 120 km/h sur la rue
Lect. Toujours à la hauteur de l'intersection avec l'avenue de Feuillasse, Rouer ralentit et fit un écart pour une raison que les gendarmes attribuent au passage d'un chat. Ce ralentissement permit à la voiture de police de se rapprocher du motocycliste. Selon les gendarmes, Rouer a ensuite réaccéléré avant de s'engager sur l'avenue de Mategnin. Dans une large courbe à gauche, peu avant l'intersection avec le chemin H.-C. Forestier, Rouer freina. Ce freinage a laissé sur la chaussée une trace rectiligne de 12,20 mètres, qui traverse la ligne blanche séparant les deux voies du chemin Forestier, à la hauteur du «Stop» marquant la fin dudit chemin. Selon ses déclarations, le conducteur du véhicule de police a également freiné dès qu'il a vu que le motocycliste freinait. L'avant droit de la voiture toucha néanmoins l'arrière de la moto. La collision s'est produite à la fin de la trace de freinage de la moto, sur la ligne blanche longitudinale dans la zone du «Stop» du chemin Forestier. Le choc a été de faible intensité, la différence de vitesse entre les deux véhicules n'étant pas importante. La moto partit tout droit, montant sur un trottoir avant de finir sa course dans un grillage métallique. Lors du passage du trottoir, Rouer fut projeté par-dessus la clôture. Jeanbourquin affirme avoir effectué un freinage d'urgence dès la «touchette». Après la collision, la voiture suivit la même trajectoire que la moto. Sous le poids du véhicule, le grillage se coucha; la distance entre l'avant de la voiture à l'arrêt et la fin de la trace de freinage, soit la zone de choc, est d'environ 14 mètres. Le motocycliste se retrouva sous l'avant de la voiture. Il fut grièvement blessé, notamment aux jambes. Les garde-boue avant et arrière de la moto ont été endommagés; en outre, les deux jantes ont été déformées. Le pare-chocs avant, la calandre, le radiateur d'eau, une conduite d'huile et le phare avant droit de la voiture ont subi des dégâts.
Le matin du 5 septembre 1993, il faisait beau et la chaussée était sèche. Le trafic était peu important. B.- Rouer n'est pas titulaire d'un permis de conduire. Sa moto était munie de fausses plaques d'immatriculation françaises. A l'époque de l'accident, il était recherché comme l'un des auteurs d'un brigandage avec arme à feu commis en janvier 1993 dans le canton de Genève. Par arrêt du 3 mai 1996, la Cour d'assises du canton de Genève a condamné Rouer à dix ans de réclusion et à quinze ans d'expulsion du territoire suisse, pour délit manqué d'assassinat, brigandage aggravé, vol et conduite d'un véhicule automobile sans permis de conduire. Par ordonnance du 9 mai 1994, le Procureur général de la République et canton de Genève a classé la procédure pénale ouverte à la suite de l'accident du 5 septembre 1993. D'une part, il a estimé équitable et proportionné de renoncer à toute poursuite à l'égard de Rouer en raison des lésions nombreuses et importantes subies par celui-ci. D'autre part, il a considéré que le comportement des agents n'avait pas été contraire aux règles de prudence dictées par les circonstances. C.- Par demande du 7 janvier 1997, Rouer a introduit un procès direct devant le Tribunal fédéral contre l'Etat de Genève. Il entend obtenir réparation du dommage corporel et du tort moral subis à la suite de l'accident du 5 septembre 1993. Le demandeur reproche en particulier au conducteur de la voiture de ne pas avoir freiné après le heurt avec la moto et d'avoir persévéré dans sa course poursuite. Il fonde son action à la fois sur les art. 58 ss LCR et sur la loi genevoise sur la responsabilité de l'Etat et des communes du 24 février 1989. Ses conclusions principales tendent à ce que le défendeur soit condamné à lui payer un montant
que justice dira, de l'ordre de 80 000 fr. à 140 000 fr., plus intérêts à 5% dès le 5 septembre 1993 et à ce que la révision du jugement soit réservée pendant un délai de deux ans, en application de l'art. 46 al. 2 CO. Par décision du 10 mars 1997, le Tribunal fédéral a admis la demande d'assistance judiciaire déposée par le demandeur et désigné à celui-ci Me Jean-Pierre Garbade comme avocat d'office.
Dans sa réponse, l'Etat de Genève se prévaut de la prescription de l'action fondée sur la loi genevoise sur la responsabilité de l'Etat et des communes. Invoquant les art. 100 ch. 4 LCR, 32 CP et 59 LCR, il conteste par ailleurs sa responsabilité en tant que détenteur d'un véhicule automobile. Le défendeur conclut au déboutement du demandeur de toutes ses conclusions. Dans sa réplique, le demandeur a fixé la fourchette du montant réclamé dans ses conclusions entre 140 000 fr. et 240 000 fr. Le défendeur a dupliqué et maintenu ses conclusions libératoires. Une audience préparatoire s'est tenue le 13 octobre 1997. Le juge délégué a alors informé les parties qu'en application de l'art. 34 al. 2 2ème phrase PCF, l'instruction de la cause serait pour l'instant limitée au principe de la responsabilité de l'Etat de Genève; en effet, une réponse négative à cette question mettrait fin au litige. Dans le cadre de l'administration des preuves, la délégation du Tribunal fédéral a entendu, le 16 décembre 1997, André Jeanbourquin, conducteur de la voiture mise en cause dans l'accident, Henri Bon, passager dudit véhicule, Michel Matthey, inspecteur au service des automobiles genevois ainsi que Stéphane Ferretti, Karl Herrmann, Christine Corminboeuf et Jeanne Kaehr, témoins de l'accident. Une
deuxième audience d'administration de preuves a eu lieu le 27 janvier 1998. A cette occasion, ont été entendus Dominique Ducrot, sous-brigadier de gendarmerie et Marco Matute, témoin de l'accident. Le 29 janvier 1998, le juge délégué a ordonné une expertise et désigné comme expert Philippe Masserey, ingénieur ETS de la division technique automobile; ce dernier s'est vu remettre un questionnaire établi sur la base de projets des parties, puis deux questionnaires complémentaires déposés par chacune des parties. Après s'être déplacé sur les lieux de l'accident en compagnie des parties, l'expert a remis son rapport d'expertise, daté du 12 juin 1997 (recte: 1998). Sur demande d'éclaircissements du demandeur, l'expert a déposé un rapport complémentaire n° 1. Par ordonnance du 2 octobre 1998, le juge délégué a rejeté la demande de nouvelle expertise formulée par le défendeur. Dans un rapport complémentaire n° 2, l'expert a répondu aux deux questionnaires complémentaires déposés par les parties. Il s'est encore prononcé sur une question complémentaire du demandeur dans un rapport complémentaire n° 3. Par ordonnance du 26 mars 1999, le juge délégué a donné suite à la requête d'audition de l'expert formée par le défendeur. L'expert a été entendu lors d'une audience d'administration des preuves qui s'est tenue le 26 mai 1999. Un délai au 15 juin 1999 a alors été fixé aux parties pour requérir des éclaircissements ou des compléments. Ni le demandeur, ni le défendeur n'ont fait usage de cette possibilité. Entre-temps, le défendeur a, le 17 mai 1999, déposé deux expertises privées confiées à Dekra Automobil AG, organisme allemand spécialisé dans la reconstitution d'accidents. Ces documents ont été complétés par une lettre de la même société au mandataire du défendeur, faisant l'objet du chargé du 15 juin 1999.
Par ordonnance du 22 juin 1999, le juge délégué a déclaré la procédure probatoire close en ce qui concerne l'examen du principe de la responsabilité du défendeur dans la survenance du dommage; il a imparti au demandeur un délai pour déposer un résumé écrit de ses moyens. Le demandeur a fourni son mémoire final le 23 août 1999. Il conclut, principalement, à ce que la responsabilité de l'Etat de Genève soit admise pour tous les dommages qui lui ont été causés à la suite de l'accident du 5 septembre 1993; subsidiairement, il demande que la responsabilité de l'Etat de Genève soit reconnue pour les dommages consécutifs aux lésions qu'il a subies lorsqu'il s'est retrouvé coincé sous la voiture de police. Le défendeur a remis son mémoire final le 30 septembre 1999; il conclut au rejet de toutes les conclusions du demandeur.
Aux débats principaux de ce jour, les parties ont maintenu leurs dernières conclusions au terme de leurs plaidoiries.
C o n s i d é r a n t e n d r o i t :
1.- La recevabilité de l'action est examinée d'office (art. 3 al. 1 PCF). Sauf exception non réalisée en l'espèce (art. 42 al. 2 OJ), le Tribunal fédéral connaît en instance unique des contestations de droit civil entre un canton d'une part et des particuliers ou collectivités d'autre part, lorsque l'une des parties le requiert en temps utile et que la valeur litigieuse est d'au moins 8000 fr. (art. 42 al. 1 OJ). Que l'on prenne l'une ou l'autre des bases légales invoquées par le demandeur à l'appui de son action, la nature civile de la contestation est donnée (cf. Poudret, COJ II, n.
2.1 et 2.1.1 ad art. 42). Pour le surplus, les conditions légales d'un procès direct au Tribunal fédéral sont réunies dans le cas présent. 2.- a) Le demandeur fonde son action à la fois sur les art. 58 ss LCR et sur l'art. 2 al. 1 de la loi genevoise sur la responsabilité de l'Etat et des communes (LREC). Pour sa part, le défendeur invoque la prescription de la prétention déduite de la LREC. b) Le défendeur est le détenteur de la voiture conduite par le gendarme Jeanbourquin lors de l'accident du 5 septembre 1993. Aux termes de l'art. 73 al. 1 LCR, les cantons, en qualité de détenteurs de véhicules automobiles, sont soumis aux dispositions de la LCR concernant la responsabilité civile. Le canton est alors assimilé entièrement à un détenteur ordinaire auquel s'appliquent les art. 58 ss LCR (Bussy/Rusconi, Code suisse de la circulation routière - commentaire, 3e éd., n. 1.4 ad art. 73 LCR; Schaffhauser/
Zellweger, Grundriss des schweizerischen Strassenverkehrsrechts, vol. II, n. 868, p. 35). Dans ce cas, le droit cantonal de la responsabilité publique cède le pas à la LCR (Tanquerel, La responsabilité de l'Etat sous l'angle de la loi genevoise sur la responsabilité de l'Etat et des communes du 24 février 1989, in SJ 1997, p. 350; Oftinger/Stark, Schweizerisches Haftpflichtrecht I, Allgemeiner Teil, 5e éd., n. 11a, p. 672; Keller, Haftpflicht im Privatrecht, vol. I, 5e éd., p. 263; Deschenaux/Tercier, La responsabilité civile, 2e éd., n. 30 et 31, p. 145).
Il s'ensuit que la présente cause sera examinée exclusivement à la lumière des art. 58 ss LCR. Le moyen tiré de la prescription de l'action fondée sur la LREC perd ainsi toute pertinence. Il n'est pas contesté en outre que l'assu-
reur responsabilité civile du défendeur a, en tant que représentant de ce dernier, déclaré renoncer à se prévaloir de la prescription, en dernier lieu le 3 septembre 1996. L'action du demandeur fondée sur la LCR n'est donc pas prescrite.
3.- a) L'art. 61 LCR traite de la responsabilité civile entre détenteurs de véhicules automobiles. En l'espèce, la moto conduite par le demandeur était munie de fausses plaques d'immatriculation françaises. Aucun élément du dossier ne laisse toutefois apparaître que Rouer n'en était pas le détenteur, soit, d'après le critère matériel retenu dans la jurisprudence, celui qui dispose de la maîtrise effective sur le véhicule et qui s'en sert dans son propre intérêt et à son risque financier (ATF 92 II 39 consid. 4a p. 42; 117 II 609 consid. 3b et les références; cf. également art. 78 al. 1 OAC). Il s'ensuit que l'art. 61 LCR est applicable en l'occurrence, comme le demandeur le préconise du reste.
Selon l'al. 1 de cette disposition, le dommage corporel du détenteur sera supporté par les détenteurs de tous les véhicules automobiles impliqués, en proportion de leur faute, à moins que des circonstances spéciales, notamment les risques inhérents à l'emploi du véhicule, ne justifient un autre mode de répartition. Ce libellé résulte de la révision de la LCR du 20 mars 1975; il tend à mettre la faute au premier plan lors de la répartition des dommages entre détenteurs (Message du 14 novembre 1973, in FF 1973, vol. II, p. 1168/1169). Lorsque seul un détenteur a commis une faute et que celle-ci est importante («erheblich»), il devra en principe supporter l'entier du dommage (ATF 123 III 274 consid. 1a/bb p. 278). A fortiori, en cas de faute grave («grob») exclusive de l'un des détenteurs, le détenteur non fautif sera libéré de toute responsabilité, même si le risque inhérent à l'emploi de son véhicule est supérieur à celui du véhicule du détenteur fautif (Bussy/Rusconi, op. cit., n. 1.2
ad art. 61 LCR; Baur, Kollision der Gefährdungshaftung gemäss SVG mit anderen Haftungen, thèse Zurich 1979, p. 82/83); en effet, l'option choisie à l'art. 59 al. 1 LCR doit également prévaloir dans cette hypothèse (Brehm, La responsabilité civile automobile, p. 246; Oftinger/Stark, Schweizerisches Haftpflichtrecht II/2, Besonderer Teil, Gefährdungshaftungen, 4e éd., n. 658, p. 285; Geisseler, Haftpflicht und Versicherung im revidierten SVG, thèse Fribourg 1980, p. 91/92). Hormis ce cas, le rôle de la faute peut être relativisé par d'autres facteurs, en particulier le risque inhérent du véhicule. Ainsi, le détenteur non fautif devra tout de même supporter une partie du dommage si le risque inhérent de son véhicule s'est réalisé de manière particulièrement intense ou si l'autre détenteur n'a commis qu'une faute très légère (ATF 123 III 274 consid. 1a/bb p. 278). Conformément à la règle générale de l'art. 8 CC, il appartient au demandeur, détenteur lésé, de rapporter la preuve de la faute du conducteur de la voiture de police, dont le défendeur répond en vertu de l'art. 58 al. 4 LCR (Keller, op. cit., p. 298; Oftinger/Stark, op. cit. II/2, n. 672, p. 289 et n. 675, p. 290). b) Lors de courses officielles urgentes, le conducteur d'un véhicule du service du feu, du service de santé ou de la police qui aura donné les signaux d'avertissement nécessaires et observé la prudence que lui imposaient les circonstances ne sera pas puni pour avoir enfreint les règles de la circulation ou des mesures spéciales relatives à la circulation (art. 100 ch. 4 LCR). L'impunité en pareil cas aurait pu se déduire de l'art. 32 CP (devoir de fonction), voire de l'art. 34 CP (état de nécessité), mais le législateur a préféré régler expressément cette question dans la LCR, par souci de clarté et pour mettre l'accent sur les obligations des conducteurs accomplissant une course officielle urgente (Mes-
sage concernant la LCR du 24 juin 1955, in FF 1955, vol. II, p. 74). Si son comportement est couvert par l'art. 100 ch. 4 LCR, le conducteur n'aura pas commis de faute (Bussy/
Rusconi, op. cit., n. 5.4 ad art. 100 LCR; Schaffhauser, Grundriss des schweizerischen Strassenverkehrsrechts, vol. III, n. 2275, p. 179; Schultz, Die Strafbestimmungen des Bundesgesetzes über den Strassenverkehr vom 19. Dezember 1958, p. 70). Par conséquent, il ne saurait non plus y avoir une faute sur le plan civil.
Les règles de circulation dont la violation peut donner lieu à l'application de l'art. 100 ch. 4 LCR ne sont pas précisées. S'agit-il de n'importe quelle règle ou certaines, comme l'interdiction de rouler à contresens sur l'autoroute ou la maîtrise du véhicule, sont-elles d'emblée exclues (cf. Stephenson, Art. 100 Ziff. 4 SVG: Carte blanche auf dringlichen Dienstfahrten?, in RSJ/SJZ 1985, p. 287 ss)? Vu la diversité des situations qui peuvent se présenter, il ne se justifie pas d'établir une liste exhaustive des règles entrant en ligne de compte dans le cadre de l'art. 100 ch. 4 LCR; il convient bien plutôt de se prononcer selon les circonstances de chaque cas particulier (dans ce sens, Schaffhauser, op. cit., vol. III, n. 2277, p. 179/180). L'autorisation de ne pas respecter les règles de la circulation va de pair avec un devoir de prudence accru. Une mise en danger concrète des autres usagers de la route n'est pas couverte par l'art. 100 ch. 4 LCR, qui ne lève pas l'interdiction de causer un dommage à autrui (Schaffhauser, op. cit., vol. III, n. 2278, p. 180; Schultz, op. cit., p. 71). Le Tribunal fédéral a admis que plus la règle de circulation violée était importante du point de vue de la sécurité, plus la prudence dont le conducteur du véhicule prioritaire devait faire preuve était grande; ainsi, celui qui déroge aux règles ordinaires de priorité est tenu de prendre les mesures de
précaution commandées par les circonstances, en particulier de réduire sa vitesse, afin de tenir compte du fait que les autres usagers doivent prendre conscience de la venue du véhicule prioritaire (arrêt non publié du 12 mai 1995 dans la cause 6S.33/1995, consid. 2). Le Président du Tribunal de police de Bâle-Ville et, à sa suite, le Tribunal d'appel ont également refusé de mettre au bénéfice de l'art. 100 ch. 4 LCR le conducteur d'une voiture de police qui, lancé à la poursuite d'un motocycliste en fuite, avait dérapé et perdu la maîtrise de son véhicule en raison d'une accélération trop brusque (SJZ/RSJ 1985, p. 287 et JdT 1985 I, p. 457). En outre, lors d'une course officielle urgente, le conducteur doit observer le principe de la proportionnalité, à l'instar de celui qui agit en vertu de son devoir de fonction au sens de l'art. 32 CP (Schaffhauser, op. cit., vol. III, n. 2278, p. 180). Le Tribunal fédéral a eu à juger le cas d'un gendarme qui, au moment où il amorçait le dépassement de la voiture poursuivie à une vitesse d'environ 70 km/h, a perdu la maîtrise de son véhicule avant de finir sa course contre un candélabre. La faute du policier résidait dans la perte de contrôle du véhicule, qu'aucune circonstance propre ne pouvait excuser; en particulier, l'automobiliste poursuivie n'avait pas effectué de fausse manoeuvre. Le Tribunal fédéral a estimé que la méthode choisie pour intercepter le véhicule suspect était disproportionnée. En effet, même si l'on ne saurait exiger de l'activité de la police qu'elle soit toujours exactement proportionnée aux circonstances, le gendarme aurait dû procéder à une intervention plus calme, respectant les règles de la prudence, car, en raison de la différence de puissance des véhicules, de la configuration des lieux et du trafic faible à ce moment-là, la voiture suspecte ne pouvait échapper aux forces de police (arrêt non publié du 9 mai 1983 dans la cause A.804/1983, reproduit in RDAF 1983, p. 353). Dans le cadre de l'art. 32
CP, le Tribunal fédéral a également reproché à un agent de police de n'avoir pas respecté le principe de la proportionnalité lors d'un contrôle de cyclomoteurs à la sortie d'une école. Voyant l'un des cyclomotoristes chercher à s'enfuir sur son engin, le policier avait levé le bras pour lui barrer la route, provoquant ainsi la chute de l'écolier. Le moyen choisi par l'agent, qui comportait le risque de porter atteinte à l'intégrité physique du cyclomotoriste, n'était pas proportionné au but poursuivi, soit le contrôle formel de cyclomoteurs, sans indices concrets de danger pour le trafic. Le comportement incriminé était inadmissible, même si l'on tenait compte du temps à disposition du policier et de sa marge d'appréciation (ATF 107 IV 84). 4.- a) Le véhicule conduit par Jeanbourquin était une voiture de police banalisée. Il n'en demeure pas moins que les gendarmes effectuaient une course de service, destinée à l'accomplissement de leur tâche, qui consistait, de manière générale, à surveiller le trafic et à prendre toutes mesures utiles en cas de violation des règles de la circulation. Il s'agissait dès lors bien d'une course officielle au sens de l'art. 100 ch. 4 LCR (cf. Bussy/Rusconi, op. cit., n. 5.2 ad art. 100 LCR; Schultz, op. cit., p. 71). b) De plus, la condition de l'urgence était réalisée en l'espèce. En effet, la hâte des policiers était justifiée par le comportement très dangereux du demandeur qui, à l'intérieur d'une agglomération, roulait à une vitesse moyenne d'environ 100 km/h et même à 125 km/h en vitesse de pointe sur un tronçon limité à 60 km/h (cf. Bussy/Rusconi, ibid.; Schultz, ibid.). c) Le fonctionnement de la sirène du véhicule banalisé est attesté par les témoignages Herrmann, Ferretti et Kaehr. En outre, les témoins Herrmann et Matute ont confirmé
la présence du feu bleu sur le toit de la voiture de police. Le témoin Corminboeuf n'a pas vu le gyrophare mais, selon ses déclarations, elle se trouvait au giratoire de la rue Lect, venant de la rue Prulay, lorsqu'elle aperçut la moto et la voiture; or, à ce moment-là, le gendarme Bon n'avait pas encore installé le feu bleu de sorte que ce témoignage ne se révèle pas déterminant.
En conséquence, il sera retenu que les gendarmes ont donné les signaux d'avertissement nécessaires au sens des art. 27 al. 2 LCR, 100 ch. 4 LCR et 16 al. 1 OCR. Les trois premières conditions posées par l'art. 100 ch. 4 LCR sont réalisées en l'espèce. 5.- Il appartient au demandeur de prouver que le gendarme Jeanbourquin a violé des règles de la circulation routière et, le cas échéant, que cette ou ces violations sont imputables à faute au conducteur de la voiture de police, qui n'aurait pas fait montre de la prudence imposée par les circonstances au sens de l'art. 100 ch. 4 LCR. Il n'est pas possible de reconstituer avec exactitude le déroulement de l'accident du 5 septembre 1993. Il convient dès lors de considérer les différentes hypothèses envisagées par les parties, en partant des faits incontestés et en appréciant les éléments du dossier, en particulier les réponses apportées par l'expert Masserey. a) S'appuyant sur l'expertise, le demandeur soutient que le conducteur de la voiture a relâché la pédale de frein après la collision. Il invoque également la déclaration du gendarme Bon à la police du 5 septembre 1993, selon laquelle, après le heurt, son «collègue est également parti tout droit afin d'essayer de (...) stopper [le motocycliste]». Entendu par la délégation de la cour de céans, Bon a précisé qu'il voulait dire par là que son collègue allait tenter de stopper le demandeur, mais sans provoquer d'accident. Il ne ressort pas de la déclaration du gendarme, prise à la lettre, que le conducteur de la voiture n'aurait pas freiné à fond après le choc. Au demeurant, ce témoignage, basé sur l'impression du passager, ne permet pas de connaître la réelle intention du pilote. Selon les lois de la dynamique et la théorie des chocs rappelées dans le complément d'expertise n° 2, le véhicule heurté subit une accélération et acquiert, après le choc, une vitesse résiduelle légèrement plus élevée que le véhicule heurtant, quelle que soit la vitesse de collision. Or, il est établi que la trajectoire finale de la moto, soit la distance de la zone de choc jusqu'au point d'arrêt du véhicule, est 5,9 mètres plus courte que celle de la voiture. C'est dire que la décélération moyenne de la voiture, malgré une vitesse plus basse et un pouvoir de décélération plus grand, était plus faible que celle de la moto. L'expert a calculé que si la voiture a subi un freinage maximal de 8 m/s2 dans la phase finale, la moto aurait dû bénéficier d'une décélération moyenne de 13,45 m/s2, ce qui est impossible sans l'intervention de facteurs extérieurs. On rappellera en effet que la décélération ne peut jamais être supérieure à 9,81 m/s2 (Bussy/Rusconi, op. cit., n. 4.4 ad art. 31 LCR). Selon l'expert, la décélération maximale de la moto envisageable en l'espèce était de 4 m/s2. Faut-il en déduire nécessairement que le conducteur de la voiture n'a pas freiné au maximum dès le choc? L'expert lui-même n'aboutit pas à une telle conclusion. En effet, dans son complément d'expertise n° 2, il a modifié le passage de l'expertise où il affirmait
qu'à un moment donné, le gendarme avait diminué l'intensité de son freinage ou relâché la pédale de frein. En définitive, l'expert est d'avis que le freinage de l'automobiliste a été tardif, soit consécutif au freinage du motocycliste, ce qui serait en contradiction avec la version de Jeanbourquin selon laquelle il aurait été en freinage maximum avant que n'intervienne le freinage de la moto. En réalité, le gendarme n'a jamais affirmé avoir freiné avant le motocycliste; dans la procédure pénale cantonale et devant la délégation de la cour de céans, il a déclaré avoir freiné dès qu'il a vu que le conducteur du deux-roues freinait. Au surplus, l'expert luimême relève que, pour la phase qui suit la collision, il est difficile d'évaluer la décélération de chacun des mobiles ainsi que les vitesses absorbées lors de l'impact contre la clôture. Sur ce dernier point, il n'est pas contesté que la moto a été retenue par le grillage, qui ne s'est renversé que lors du passage de la voiture. Une partie de la vitesse de la moto après la collision a donc nécessairement été absorbée par la clôture métallique dans laquelle le deux-roues s'est encastré. Or, sur le pouvoir d'élasticité du grillage, l'expert ne fournit qu'une appréciation dénuée de toute démonstration lorsqu'il affirme que le grillage a offert peu de résistance dans le cas particulier. En l'absence d'indications concrètes sur la capacité d'absorption de la vitesse par le grillage métallique, le seul fait que la distance de décélération de la voiture était plus longue que celle de la moto ne suffit pas à prouver que Jeanbourquin n'a pas freiné à fond après le choc.
Le demandeur se fonde également sur la vitesse de collision de la voiture pour tenter de démontrer que le gendarme n'a pas freiné au maximum après le heurt. Il invoque à cet égard l'estimation de l'expert Masserey - 36 km/h - qui
rejoint les propres déclarations de Jeanbourquin - entre 30 et 40 km/h -. La décélération minimale d'une voiture Opel Senator équipée d'un dispositif ABS est de 8 m/s2. S'il roulait à une vitesse située entre 30 et 40 km/h au moment du choc, le véhicule de police se serait arrêté entre 4,30 mètres et 7,70 mètres après le point de choc en cas de freinage maximum dès le heurt, selon les constatations de l'expertise. Or, il s'est arrêté environ 14 mètres après la zone de choc.
L'évaluation par le gendarme Jeanbourquin de la vitesse de son véhicule au moment du choc ne saurait à elle seule se révéler déterminante. En effet, le policier menait alors une poursuite, qui s'était déroulée jusqu'ici à une vitesse élevée; vu la concentration exigée par ce genre d'exercice, le conducteur de la voiture n'avait pas nécessairement le regard rivé sur le compteur de vitesse au moment du choc. Quant à une pure estimation de la vitesse, elle ne peut être, dans les circonstances de l'espèce, que sujette à caution. Il convient de noter également que l'appointé Bon n'a fourni aucune indication sur la vitesse lors de la collision. D'après l'expertise, les vitesses de collision des deux mobiles demeurent indéterminées, mais la vitesse de la voiture ne pouvait excéder 36 km/h. L'un des paramètres qui a permis à l'expert d'aboutir à ce résultat est la vitesse finale de la moto, soit au moment où elle heurte la clôture, fixée entre 5 et 10 km/h. Selon le rapport complémentaire n° 2, la vitesse de 5 à 10 km/h est «empirique». L'expert explique avoir retenu cette vitesse «arbitrairement», compte tenu de l'absence de dommages sur la partie frontale de la moto à l'exception du garde-boue, du fait que l'avant de la moto, incliné sur la gauche, a glissé sous la partie inférieure du
grillage et du fait que la moto s'est arrêtée à proximité de la clôture; il n'exclut pas une vitesse plus élevée. De fait, il reconnaît, toujours dans le même complément d'expertise, que, sur la base d'un autre paramètre figurant dans l'expertise - la différence de vitesses des véhicules lors de la collision fixée entre 4 et 8 km/h -, la vitesse maximale de la voiture serait de 42 km/h. En raison des termes mêmes utilisés par l'expert et de ses variations, il n'est pas possible de retenir que la vitesse de la voiture au moment du choc ne dépassait pas 40 km/h. Selon les calculs de l'expert, un freinage maximum immédiatement après la collision sur une distance d'arrêt d'environ 14 mètres suppose une vitesse de collision de la voiture de l'ordre de 54 km/h. Une vitesse de collision inférieure implique que le conducteur n'a pas freiné immédiatement après le choc ou n'a pas freiné complètement. Il s'agit dès lors de déterminer si une vitesse de collision de la voiture d'environ 54 km/h ou plus peut être exclue. Le passage du trottoir a provoqué des déformations des jantes des deux-roues de la moto. Dekra Automobil AG (ci-après: Dekra) a effectué des tests avec une moto identique à celle du demandeur; elle l'a fait franchir à différentes vitesses une bordure de pierre semblable au trottoir précité. Dekra considère ses tests comme fiables au point de pouvoir conclure à une vitesse de la moto lors du passage du trottoir de l'ordre de 45-50 km/h; il n'est toutefois pas possible de déterminer avec certitude que la vitesse de la moto était sensiblement («deutlich») supérieure à 45 km/h au moment du passage de la bordure de pierre. Lors de son audition, l'expert Masserey a déclaré ne pouvoir éliminer l'hypothèse selon laquelle la moto circulait à 45 km/h lorsqu'elle est montée sur le trottoir. Plus loin, il affirme pourtant exclure une vitesse de 45 km/h à ce moment-là, sur la base des dommages constatés sur la moto et de la nature de la clôture. Par la suite, il relève néanmoins que l'hypothèse selon laquelle la moto serait arrivée droite dans le grillage ne peut être exclue, «ce qui expliquerait le peu de dégâts même à une vitesse de 45 km/h». Il résulte de ces différentes prises de position qu'une vitesse de la moto de 45 km/h lors du passage du trottoir ne peut être écartée.
Cela étant, selon la règle posée dans le complément d'expertise n° 2 et par l'expert lors de son audition, la vitesse de la moto lors de la montée sur le trottoir était égale ou inférieure à sa vitesse après la collision avec la voiture (vitesse résiduelle). Par ailleurs, comme déjà relevé, la moto a subi une accélération lors du choc; la vitesse de la moto au point de choc était donc inférieure à sa vitesse résiduelle. Enfin, plus grande est la différence de vitesses entre les deux véhicules au point de choc, plus l'accélération du mobile heurté est importante. En l'espèce, chacun s'accorde à qualifier le choc de «touchette». Selon l'expert, la différence de vitesse pouvait être de 4 à 8 km/h, 15 km/h au maximum; au-delà, le motocycliste aurait été projeté sur le capot de la voiture. Si l'on part d'une vitesse de 45 km/h au moment du passage du trottoir, la vitesse résiduelle de la moto était au moins de 45 km/h; elle pouvait être supérieure, conformément à la règle rappelée ci-dessus. Sa vitesse au point de choc était inférieure à sa vitesse résiduelle, mais comme celle-ci pouvait dépasser 45 km/h, il n'est pas exclu que la vitesse de collision de la moto ait été de 45 km/h. Si l'on prend la différence de vitesses haute admise sans autre par l'expert, soit 8 km/h, on arrive ainsi à une vitesse de collision de la voiture de 53 km/h. Etant donné que ce calcul repose sur des estimations, la différence de 1 km/h avec la
vitesse de 54 km/h au point de choc impliquant un freinage maximal et continuel, n'apparaît pas déterminante.
Sur le vu de ce qui précède, l'hypothèse d'une vitesse de collision de la voiture d'environ 54 km/h ne peut être écartée. En conséquence, le défendeur n'a pas établi que le conducteur du véhicule de police n'a pas freiné à fond et constamment dès le choc.
b) Le demandeur reproche également au gendarme Jeanbourquin de ne pas avoir gardé une distance d'au moins 12 mètres avec la moto qui le précédait. A son avis, le policier aurait également circulé à une vitesse inadaptée. Selon l'expert, une vitesse de collision de 54 km/h, un freinage maximum après le heurt et un arrêt environ 14 mètres après la zone de choc supposent soit que l'automobiliste ne disposait quasiment d'aucune distance de sécurité, soit qu'il a tardé à freiner. En respectant une distance de sécurité minimale de 12 mètres et en freinant dès qu'il s'aperçoit du freinage du motocycliste, le conducteur aurait pu s'arrêter environ 1,8 mètres après la zone de choc, à lire le complément d'expertise n° 3. Aux termes de l'art. 34 al. 4 LCR, le conducteur observera une distance suffisante envers tous les usagers de la route, notamment lorsque des véhicules se suivent. L'art. 12 al. 1 OCR précise qu'en pareille hypothèse, le conducteur se tiendra à une distance suffisante du véhicule qui le précède, afin de pouvoir s'arrêter à temps en cas de freinage inattendu. En l'espèce, le conducteur de la voiture n'a pas été en mesure d'immobiliser son véhicule à temps puisqu'il a touché la moto. Il faut dès lors partir de l'idée qu'il ne
respectait pas une distance suffisante au sens des art. 34 al. 4 LCR et 12 al. 1 OCR. Cela ne signifie pas pour autant qu'une faute doive être retenue à la charge du gendarme Jeanbourquin, dont le comportement doit s'apprécier notamment à la lumière du principe de la proportionnalité. En premier lieu, il convient de rappeler que l'accident s'est produit non pas alors que les véhicules circulaient normalement à la file, mais bien au terme d'une poursuite. Cet état de fait impliquait nécessairement pour les policiers de se rapprocher de la moto roulant à une vitesse largement supérieure à la vitesse autorisée, afin de forcer son pilote à s'arrêter ou, en tout cas, de relever les plaques minéralogiques du véhicule poursuivi. De même, la vitesse du véhicule de police était dictée, dans le cas particulier, par celle adoptée par le motocycliste lui-même et donc, en principe, justifiée par la poursuite. Il ne fait aucun doute que le comportement dangereux du demandeur, de nature à provoquer un accident grave avec un autre usager de la route, exigeait une prise en chasse et, si possible, l'interception du motocycliste. A la différence du cyclomotoriste dont il est question à l'ATF 107 IV 84 déjà cité, Rouer présentait un danger pour le trafic.
Par ailleurs, alors qu'il était enfin parvenu à se rapprocher de la moto, Jeanbourquin ne pouvait guère s'attendre à ce que le demandeur, qui cherchait jusque-là à distancer ses poursuivants, freine de manière soudaine et brusque. A ce sujet, le témoin Matute a déclaré au juge d'instruction, en date du 22 octobre 1993, qu'il lui avait semblé que le motocycliste avait fait un signe de la main droite, de haut en bas et de bas en haut, comme s'il voulait ralentir ou s'arrêter, lorsqu'il est arrivé au croisement entre l'avenue de Mategnin et le chemin Forestier. Lors de son audition du 27 janvier 1998 devant une délégation de la cour de céans, Matute a déclaré que le motard avait ralenti et fait des signes de la main gauche. Il ne sera pas retenu que Rouer a effectué un tel geste. D'une part, aucun autre témoin n'a vu le motocycliste faire un signe de la main. D'autre part, Matute se contredit en parlant une fois de la main droite, une fois de la main gauche. Il est enfin pour le moins surprenant que le témoin se montre plus catégorique quatre ans après les faits que lors de son audition quelques semaines après l'accident. Le seul fait avéré qui ressort du dossier, singulièrement de l'expertise, est ainsi le freinage intempestif et intense effectué par le motocycliste. Cette manoeuvre inattendue distingue la présente cause du cas ayant fait l'objet de l'arrêt du 9 mai 1983 déjà cité; en outre, contrairement à l'automobiliste poursuivie mentionnée dans ledit arrêt, Rouer, sur son engin, était en mesure d'échapper aux forces de l'ordre.
En dernier lieu, il convient de relever que la voiture de police n'a pas embouti la moto, mais que le choc a été faible, le motocycliste parvenant à rester sur sa machine. Sur le vu de tous ces éléments, on ne saurait reprocher au conducteur du véhicule de police d'avoir pris des risques disproportionnés en ne respectant pas une distance suffisante par rapport à la moto roulant devant lui. Dans les circonstances de l'espèce, la violation des art. 34 al. 4 LCR et 12 al. 1 OCR ne peut être imputée à faute au gendarme, qui n'a pas manqué à la prudence requise par l'art. 100 ch. 4 LCR.
c) Le demandeur fait encore grief au conducteur de la voiture de ne pas avoir observé une distance latérale suffisante lors de la tentative de dépassement de la moto. Invoquant le témoignage de Matute, il affirme que le policier a
braqué le volant à droite et heurté le flanc gauche du deux-roues. Le demandeur considère enfin que le conducteur a commis une faute en perdant la maîtrise de son véhicule. L'expert exclut un choc latéral entre la voiture et la moto. Il est en effet établi que seul l'avant droit de la voiture a touché l'arrière de la moto. Le témoignage Matute sur ce point ne se révèle pas crédible. En revanche, selon l'expert, le déport de la voiture sur sa droite est intervenu avant la collision. En effet, la zone de choc est située sur la ligne blanche longitudinale du chemin Forestier alors que les deux véhicules venaient de l'avenue de Mategnin. Cette déviation a été provoquée intentionnellement ou alors inconsciemment, le regard du conducteur demeurant figé sur l'obstacle. L'absence de freinage maximum de la part du policier n'étant pas démontrée, rien n'autorise à retenir l'intention en l'occurrence. Quant à une manoeuvre inconsciente, elle ne peut par définition être imputée à faute au conducteur.
Après le choc, la voiture est montée sur le trottoir et a enfoncé le grillage métallique. Cette sortie de route ne suppose pas nécessairement une perte de maîtrise fautive. En effet, tout s'est passé extrêmement rapidement de sorte que, selon l'expert lui-même, ni l'un, ni l'autre des protagonistes n'était en mesure de modifier sa trajectoire après le choc.
d) Après examen des différents griefs soulevés par le demandeur à l'encontre du comportement de Jeanbourquin, il apparaît qu'aucune faute n'a été établie à charge du conducteur de la voiture de police.
6.- Pour sa part, le défendeur soutient que le comportement gravement fautif du lésé est la cause exclusive de l'accident.
a) Lors de la poursuite, le motocycliste, qui avait attiré l'attention des policiers par une vitesse excessive, n'a pas réduit son allure. Au contraire, il circulait à une vitesse moyenne d'au moins 95 km/h sur un tronçon limité à 60 km/h. La vitesse élevée à laquelle la poursuite s'est déroulée est attestée par les témoins Ferretti, Herrmann, Corminboeuf, Kaehr et Matute. Le dépassement de vitesse auquel le demandeur s'est livré constitue une faute grave. b) Se sachant poursuivi, le demandeur n'a pas non plus obtempéré aux ordres des policiers, qui avaient pourtant enclenché feu bleu et avertisseur, alors que l'art. 27 al. 1 LCR lui en faisait l'obligation. Il est vrai que, conduisant sans permis et recherché pour crime, le motocycliste avait toutes les raisons de vouloir échapper à ses poursuivants. Là encore, le comportement du demandeur est gravement fautif.
c) Il reste encore à examiner la nature du freinage que le demandeur a entrepris juste avant la collision.
Selon l'art. 37 al. 1 LCR, le conducteur qui veut s'arrêter aura égard, dans la mesure du possible, aux véhicules qui le suivent. L'art. 12 al. 2 OCR précise que, sauf nécessité, les coups de frein et arrêts brusques ne sont admis que si aucun véhicule ne suit. Selon la jurisprudence, la notion de nécessité s'interprète largement; seul l'arrêt brusque et inutile («unnötigerweise») est interdit (ATF 115 IV 248 consid. 4c p. 253/254). Ainsi, celui qui freine brusquement pour éviter un animal ne viole pas l'art. 12 al. 2 OCR (même arrêt consid. 5b p. 254/255). Au surplus, un freinage brusque ne sera fautif que si le conducteur sait ou doit
savoir que son comportement met en danger un autre usager de la route (même arrêt consid. 5d p. 255; ATF 117 IV 504 consid. 1c p. 507). Le freinage violent sans autre motif que la mauvaise intention constitue une faute grave au sens de l'art. 90 ch. 2 LCR (Bussy/Rusconi, op. cit., n. 1.3.3 ad art. 37 LCR). Le freinage effectué par le motocycliste poursuivi a laissé une trace rectiligne. Selon l'expert, il s'agissait d'un freinage intensif et maîtrisé, à différencier du freinage d'urgence que le pilote opère instinctivement en présence d'un danger soudain et imprévisible. Les motifs exacts de ce freinage sont inconnus. Sur la base des constatations de l'expert, on peut toutefois exclure que le motocycliste ait été confronté tout à coup à un danger. Comme le freinage était maîtrisé, il n'apparaît pas non plus que le demandeur ait été surpris par la large courbe à gauche décrite à cet endroit par l'avenue de Mategnin. Il n'est guère imaginable que le motard entendait se rendre, car si telle avait été son intention, il aurait ralenti et non freiné brusquement. Au demeurant, un freinage brusque dans ces circonstances aurait été inutile. Il est possible qu'à l'approche de l'intersection entre l'avenue de Mategnin et le chemin Forestier, le motard ait cherché à embrouiller ses poursuivants en se décidant au dernier moment à emprunter l'une ou l'autre des routes. Cette intention n'est toutefois pas prouvée. Il n'en demeure pas moins que le freinage intempestif de la moto apparaît dénué de raison objective et, partant, inutile. En outre, il est évident que, suivi de près par un véhicule de police, le demandeur devait être conscient des risques que sa manoeuvre faisait courir notamment à ses poursuivants. Sa faute doit être qualifiée de grave. 7.- En conclusion, l'addition de fautes graves commises par le demandeur, en particulier le freinage brusque effectué sans raison, apparaît comme la cause exclusive de l'accident du 5 septembre 1993. Conformément à l'art. 61 al. 1 LCR, la responsabilité civile du défendeur pour le dommage corporel subi par le demandeur n'est pas engagée.
8.- En sus des dommages-intérêts, le demandeur réclame une indemnité en réparation du tort moral. Suivant une précision récente de la jurisprudence, l'octroi d'une telle indemnité au lésé fautif dans un accident de circulation est soumise aux mêmes conditions que la réparation du dommage, soit, en l'espèce, celles posées par l'art. 61 al. 1 LCR (ATF 124 III 182 consid. 4d). Comme la preuve de sa faute grave exclusive a été rapportée, le demandeur ne dispose pas non plus d'une prétention en réparation de son tort moral.
La demande doit être rejetée entièrement.
9.- Vu le sort réservé à l'action, les frais judiciaires seront mis à la charge du demandeur (art. 69 PCF, 156 al. 1 OJ). Comme celui-ci est au bénéfice de l'assistance judiciaire, les frais judiciaires et les honoraires de son mandataire seront pris en charge par la Caisse du Tribunal fédéral; les honoraires de l'avocat d'office seront réduits d'un quart (cf. art. 9 du Tarif pour les dépens alloués à la partie adverse dans les causes portées devant le Tribunal fédéral [RS 173.119.1]). Enfin, il appartient au demandeur de verser une indemnité de dépens au défendeur (art. 69 PCF, 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
l e T r i b u n a l f é d é r a l :
1. Rejette les conclusions du demandeur;
2. Met à la charge du demandeur un émolument judiciaire de 10 000 fr., les frais de témoins par 350 fr. ainsi que les frais d'expertise par 16 302 fr.; Dit que les frais judiciaires mis à la charge du demandeur sont supportés par la Caisse du Tribunal fédéral, sous réserve de l'application de l'art. 152 al. 3 OJ; 3. Dit que le demandeur versera au défendeur une indemnité de 20 000 fr. à titre de dépens;
4. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera à Me Jean-Pierre Garbade la somme de 15 000 fr. à titre d'honoraires d'avocat d'office; 5. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties.
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Lausanne, le 6 juin 2000
ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, La Greffière,