2A.597/1999
[AZA 0]
IIe COUR DE DROIT PUBLIC
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7 juin 2000
Composition de la Cour: MM. les Juges Wurzburger, président,
Betschart et Pont Veuthey, juge suppléante.
Greffière: Mme Rochat.
Statuant sur le recours de droit administratif
formé par
S.________, représenté par Me Yves Hofstetter, avocat à Lausanne,
contre
la décision prise le 17 novembre 1999 par le Département fédéral de justice et police;
(art. 13 lettre f OLE: exception aux mesures de limitation)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- S.________, ressortissant du Kosovo, né en 1959, est arrivé pour la première fois en Suisse en 1980, au bénéfice d'une autorisation de séjour de trois mois. Il a bénéficié d'une autorisation de même durée en 1982 et 1985. De mars 1987 à octobre 1991, il a fréquenté l'Ecole de français moderne à Lausanne et a bénéficié d'une autorisation de séjour pour études. De 1993 à 1996, il a travaillé en Suisse en qualité de chorégraphe dans un cabaret, les autorités vaudoises lui ayant délivré chaque année plusieurs permis de séjour de courte durée. Du 1er mars au 31 octobre 1997, il a séjourné en Suisse, au bénéfice de huit permis de séjour successifs d'une durée d'un mois chacun.
Marié depuis le 25 mars 1987, sa femme et ses deux enfants sont demeurés dans son pays d'origine.
Le 31 octobre 1997, S.________ a déposé, pour lui et sa famille, une demande d'autorisation annuelle de séjour, qui a été rejetée, en dernière instance cantonale, par arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud 24 novembre 1998.
B.- Le 2 décembre 1998, S.________ a saisi les autorités vaudoises de police des étrangers d'une demande visant à l'octroi d'une autorisation de séjour hors contingent au sens de l'art. 13 lettre f de l'ordonnance du 6 octobre 1986 limitant le nombre des étrangers (OLE; RS 823. 21). Cette autorité a transmis le dossier à l'Office fédéral des étrangers avec son préavis favorable.
L'Office fédéral des étrangers a rejeté la requête par décision du 23 juillet 1999, au motif que les éléments du dossier ne permettaient pas de considérer qu'il s'agissait d'un cas de rigueur revêtant une gravité exceptionnelle au sens de la législation et de la pratique restrictive en la matière.
Saisi d'un recours de S.________, le Département fédéral de justice et police l'a rejeté, par décision du 17 novembre 1999, notamment parce que l'ampleur des séjours cumulés de l'intéressé en Suisse ne suffisaient pas, à eux seuls, à constituer un cas d'extrême gravité.
C.- Agissant par la voie du recours de droit administratif, S.________ conclut à l'annulation de la décision du Département fédéral de justice et police du 17 novembre 1999 et demande au Tribunal fédéral de le mettre au bénéfice d'une exception aux mesures de limitation selon l'art. 13 lettre f OLE. Il présente également une demande d'effet suspensif.
Le Département fédéral de justice et police conclut au rejet du recours.
D.- A la suite de la lettre du Tribunal fédéral du 15 décembre 1999, le Service de la population et des migrations du canton de Vaud a expressément autorisé le recourant à séjourner dans le canton et à y travailler jusqu'à droit connu sur le recours.
Considérant en droit :
1.- La voie du recours de droit administratif est en principe ouverte contre les décisions relatives à l'assujettissement aux mesures de limitation prévues par l'ordonnance limitant le nombre des étrangers (ATF 122 II 113 consid. 1p. 116, 403 consid. 1 p. 404/405; 119 Ib 33 consid. 1a p. 35; 118 Ib 81 consid. 1 p. 82/83). En tant qu'il vise à l'annulation de la décision attaquée et à faire constater que le recourant remplit les conditions d'exemption des mesures de limitation, le présent recours est recevable au regard des art.
97ss OJ.
2.- Les mesures de limitation visent, en premier lieu, à assurer un rapport équilibré entre l'effectif de la population suisse et celui de la population étrangère résidante, ainsi qu'à améliorer la structure du marché du travail et à assurer un équilibre optimal en matière d'emploi (art. 1 lettres a et c OLE). L'art. 13 lettre f OLE soustrait aux mesures de limitation "les étrangers qui obtiennent une autorisation de séjour dans un cas personnel d'extrême gravité ou en raison de considération de politique générale". Cette disposition a pour but de faciliter la présence en Suisse d'étrangers qui, en principe, seraient comptés dans les nombres maximums fixés par le Conseil fédéral, mais pour lesquels cet assujettissement paraîtrait trop rigoureux par rapport aux circonstances particulières de leur cas ou pas souhaitable du point de vue politique.
Il découle de la formulation de l'art. 13 lettre f OLE que cette disposition dérogatoire présente un caractère exceptionnel et que les conditions pour une reconnaissance d'un cas de rigueur doivent être appréciées restrictivement. Il est nécessaire que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Cela signifie que ses conditions de vie et d'existence, comparée à celles applicables à la moyenne des étrangers, doivent être mises en cause de manière accrue, c'est-à-dire que le refus de soustraire l'intéressé aux restrictions des nombres maximums comporte pour lui de graves conséquences. Pour l'appréciation du cas d'extrême gravité, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des circonstances du cas particulier. La reconnaissance d'un tel cas n'implique pas forcément que la présence de l'étranger en Suisse constitue l'unique moyen pour échapper à une situation de détresse. D'un autre côté, le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période et s'y soit bien intégré ne suffit pas à lui seul à constituer un cas d'extrême gravité; il faut encore que sa relation avec la Suisse soit si étroite qu'on ne puisse exiger qu'il aille vivre dans un autre pays, notamment dans son pays d'origine. A cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage que le requérant a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exemption des mesures de limitation du nombre des étrangers (ATF 124 II 110 consid. 2 p. 11; 123 II 125 consid. 2 p. 126/127 et consid. 5b/aa p. 132 et les arrêts cités).
3.- Le recourant se prévaut essentiellement de la longue durée de son séjour en Suisse qui, toutes périodes cumulées, dépasserait dix ans.
a) En principe, un long séjour en Suisse et une intégration normale ne suffisent pas, à eux seuls, pour obtenir une exception aux mesures de limitation, même dans les cas où les intéressés se trouvent en Suisse depuis sept à huit ans (ATF 124 II 110 consid. 3 p. 112; 123 II 125 consid. 5b/aap. 132; Alain Wurzburger, La jurisprudence récente du Tribunal fédéral en matière de police des étrangers, RDAF 53/1997 I p. 267ss, spéc. p. 291 à 298). Toutefois, selon le Tribunal fédéral, dans l'appréciation d'ensemble de la situation d'un étranger sollicitant une exemption des mesures de limitation au sens de l'art. 13 lettre f OLE, il y a lieu de tenir compte de la très longue durée du séjour en Suisse. Dans un tel cas, l'exigence d'autres circonstances particulières attachées à la reconnaissance d'un cas de rigueur, sera en effet moins grande que si la présence en Suisse du requérant est relativement récente (ATF 124 II 110 consid. 3 p. 112/113).
b) En l'espèce, le recourant a certes séjourné en Suisse durant une période supérieure à dix ans, mais de façon discontinue. Arrivé en Suisse pour la première fois en 1980, il a accompli des séjours irréguliers souvent très brefs, sur une durée de vingt ans. Le séjour le plus long a été celui consacré aux études, de mars 1987 à octobre 1991. Toutefois, un tel séjour est limité dans le temps et le bénéficiaire sait qu'il doit quitter le pays au terme de ses études (art. 32 lettre f OLE). Pour le reste, les autorités cantonales lui ont octroyé plusieurs permis de séjour d'un à huit mois, régulièrement renouvelés. Or, cette situation n'est pas comparable à celle prévalant dans l'arrêt invoqué par le recourant où le bénéficiaire de l'exception aux mesures de limitation était requérant d'asile et n'avait donc pas pu maintenir des liens étroits avec son pays d'origine durant plus de dix ans, pendant lesquels il avait séjourné en Suisse sans interruption (ATF 124 II 110 ss). Dans le cas du recourant, la portée de la résidence sur le sol helvétique doit donc être relativisée. En effet, des séjours répétés mais interrompus par de longues périodes à l'étranger ne sont pas comparables à un séjour continu en Suisse, qui devient alors l'unique point de rattachement social, culturel et professionnel. A l'inverse, l'étranger qui retourne chaque année dans son pays d'origine noue en Suisse des liens sociaux moins intenses et garde des relations beaucoup plus étroites avec sa patrie, facilitant d'autant son retour définitif. Dans ces conditions, la seule durée du séjour alléguée par le recourant ne suffit pas à le mettre au bénéfice d'une autorisation fondée sur l'art. 13 lettre f OLE.
c) Il y a lieu dès lors d'examiner si le recourant peut se prévaloir d'autres circonstances particulières rendant son retour dans son pays d'origine particulièrement difficile. Certes, il dispose d'un travail stable et a dû nouer des relations sociales de travail et d'amitiés, durant les années passées en Suisse. Cependant, si son intégration en Suisse est bonne, tant sur le plan privé que professionnel, elle n'a rien d'exceptionnel. Sur ce dernier point, l'intéressé n'a en outre pas fait état de qualifications particulières telles qu'il ne serait pas en mesure de les exercer hors de Suisse. Il n'a pas non plus fait montre d'une réussite professionnelle si remarquable que son retour au Kosovo ne soit pas envisageable. Enfin, le recourant a conservé avec son pays d'origine des liens particulièrement étroits. Il est né en Yougoslavie, y a vécu son enfance, son adolescence et les premières années de sa vie d'adulte. Il s'est marié dans ce pays en 1987 et son épouse et ses deux enfants y ont toujours vécu. Il est dès lors certain que le recourant possède des attaches étroites et profondes avec son pays d'origine et que son retour ne le mettrait pas dans une situation de détresse personnelle.
4.- Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté. Succombant, le recourant doit supporter les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) et n'a pas droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours.
2. Met un émolument judiciaire de 2'000 fr. à la charge du recourant.
3. Communique le présent arrêt en copie au mandataire du recourant et au Département fédéral de justice et police.
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Lausanne, le 7 juin 2000
ROC/elo
Au nom de la IIe Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
La Greffière,